• Le bogoss me toise. Illuminé par ce sourire coquin, son regard est une pure promesse de baise torride. Il sait à quel point j’ai envie de lui ; et moi aussi je sais qu’il a envie de moi. Je le sais. Je le vois. C’est grisant.
    La gifle olfactive de son déo de mec embrume un peu plus mon cerveau.
    « Tu veux boire quelque chose ? » je lui demande, alors que je n’ai qu’une envie, ou plutôt deux, celle de le voir à poil et de l’avoir dans ma bouche.
    « Non… c’est toi qui va boire un truc… » fait-il en se retournant vers moi et en me lançant un regard chaud comme la lave qui sort du volcan. C’est un petit sourire canaille, amusé, c’est quelque chose qui ressemble à de la complicité. Dans ma tête, ça ressemble au Paradis.
    « Ah, tu crois ? » je m’amuse à mon tour.
    « J’en suis même certain… » fait il en appuyant le dos contre le mur, tout en ouvrant lentement sa braguette et en dévoilant un joli boxer rouge feu avec élastique blanc ; très bien rempli, qui plus est.
    Petit con, va… à gifler, mais bandant à souhait.
    Je ne vois que son boxer, je vois rouge, rouge feu : je me précipite sur lui, non, je me jette sur lui ; j’ai envie de le voir torse nu, j’ai envie de lui arracher le t-shirt ; fou de désir, j’attrape ce bout de coton scandaleusement sexy, je le retourne sur son torse ; le bogoss lève les bras, le mouvement est parfaitement coordonné et tout aussi pressé et précipité que le mien ; je le fais glisser, je libère l’odeur de sa peau, je libère ce torse que j’ai envie de lécher jusqu’à en perdre la raison.
    Emporté par la tempête des sens, je me penche, je lèche ses pecs : c’est un désir brûlant, une envie irrépressible, un besoin presque vital. Je lèche, je mordille doucement ses tétons, l’un après l’autre ; mes mains se précipitent vers sa braguette, rencontrent les siennes, les dégagent d’un geste déterminé, presque brusque.
    Je crève d’envie de me mettre à genoux et de le prendre en bouche ; pourtant, ce corps à corps est d’une sensualité et d’un érotisme qui dépasse l’entendement ; mes lèvres son insatiables, mes mains infatigables ; sous le déluge de mes caresses, l’excitation du bogoss s’emballe, devient délirante.
    Ma langue descend à ses abdos, se délecte de son nombril ; et lorsque j’arrive à la ligne verticale de petits poils, je ne peux résister à la tentation d’y plonger mon nez ;je pars en quête des odeurs masculines de sa peau, dans cette région si proche de son sexe ; bonheur olfactif, tactile, sensuel : petites odeurs de jeune mâle, peau tiède, petits poils tout doux, délicieux avant-goût de sa puissance de mec.
    Je suis à genoux entre ses cuisses. Je le prends en bouche et je me sens bien.
    Le sucer est juste le bonheur suprême. Lui faire plaisir, le plus exquis des plaisirs. Et sentir, en plus, ses doigts sur mes tétons, c’est juste inouï ; ses doigts qui caressent, pincent légèrement, tout en variant sans cesse les mouvements, la pression, tout en m’offrant d’infinies nuances d’excitation, d’innombrables frissons.
    Jusqu’à ce qu’un feu d’artifice dément explose dans ma tête : lorsque, à force de tâter et de tâtonner, le bogoss finit par trouver LE toucher et la cadence qui m’apportent LE frisson absolu : position des doigts, pression, toucher, coordination, cadence, tout est parfait…

    Oui, tout est parfait… à part le fait qu’un réveil en sursaut vient interrompre cette magnifique séquence à la saveur de déjà-vu. Enroulé dans mes draps, je suis en nage.
    Pendant quelques instants, je suis perdu : mon rêve était si réel, que j’ai du mal à croire que ça en était un.
    Pourtant, je suis seul dans le lit ; un lit qui n’est pas le mien, dans une chambre qui n’est pas la mienne. Il est quelle heure ? On est quel jour ? Où est-ce que je suis ?
    Il me faut un petit moment pour réaliser que je suis à Gruissan, et que j’y suis depuis une semaine. Putain, une semaine !!! Une semaine déjà.
    Une poigné de secondes et tout me revient. La semaine sans ses nouvelles ; mon escapade à la brasserie pour lui dire de venir chercher sa chaînette ; sa chemisette couleur pétrole, le lendemain, lorsqu’il se pointe chez moi ; les cinq dernières notes du Casse-Noisette ; le sexe froid, sans âme ; sa détermination à partir vite ; ma demande d’explications au sujet de son brusque changement d’attitude ; son agacement ; le bruit de la capote qui tombe par terre ; ses mots durs, méchants, blessants comme des lames ; mon coup, son coup, le bruit de la chair qui morfle, le sang ; des mots et des bruits qui me hantent ; maman qui débarque ; le regard de maman ; son dernier regard plein de tristesse et de tourment, juste avant son départ.
    Oui, son départ. La porte qui claque derrière lui : la dernière note, dure, sèche et dissonante de notre histoire. La sensation d’un gâchis sans nom qui m’arrache le cœur.
    Alors, oui, le mien est un réveil en nage ; mais, aussi, un réveil en larmes.

    Samedi 11 août 2001, une semaine plus tôt, dans ma chambre à Toulouse.

    Ce matin, je me réveille de très bonne heure. Il n’est que 5h15. La maison dort encore.
    Cette nuit, je n’ai pas beaucoup dormi. Je m’y attendais. Mais pas à ce point. J’ai sommeillé plutôt que dormir. J’ai survolé les heures en faisant de l’équilibrisme sur mes nerfs épuisés. J’ai pensé, pleuré, regretté ; j’ai essayé d’imaginer une, cent, mille façons de rattraper les choses, je me suis posé un million de questions sans pouvoir me donner une seule réponse qui enlèverait ne serait-ce qu’un ton de noirceur au tableau.
    Mais comment essayer de m’extirper du désespoir le plus total, alors que tout converge à un seul, unique et triste constat : la fin de cette histoire, la fin de mon amour.
    Quand tout est perdu, la douleur est immense, le deuil impossible.
    Je suis KO. La nuit est passée sur moi comme un rouleau compresseur. J’ai les yeux enflés de larmes, le visage douloureux à cause du coup reçu, la tête alourdie par une grande fatigue, assommé par une migraine terrible. C’est comme un rhume carabiné, sauf qu’il n’y a pas de remède contre le mal qui m’assomme.
    Je n’ai presque pas dormi de la nuit, mais je sais que je ne vais pas retrouver le sommeil pour autant. Je comate. Je sais déjà que la migraine va m’assiéger tout au long de la journée.
    Je ne dors plus, mais je n’ai pas du tout envie de me lever. Il faut avoir une raison pour se lever. Un but, une obligation, une envie, un rêve, l’espoir d’un bonheur : quelque chose qui fait courir. Je n’ai rien de tout ça dans mon horizon.
    Je me sens tellement fatigué que j’ai l’impression que mes yeux, mon cerveau, mon corps sont comme paralysés. En fait, je ne ressens rien, comme si je n’avais plus de corps, ni de cerveau : rien, à part cette intense sensation d’étouffement, de mort intérieure.
    J’ai l’impression d’être tombé du dixième étage d’un immeuble et de m’être écrasé sur le bitume ; la sensation d’être fracassé de partout, jusqu’au dernier os, et de demeurer pourtant conscient.
    Mon cerveau est tellement envahi et paralysé par la souffrance qu’il n’a même pas la ressource pour remonter à la cause de cette souffrance ; je n’arrive à penser à rien, à me focaliser sur rien ; chaque pensée, chaque souvenir, chaque image me semble au-dessus de mes forces : ressource de système insuffisante, le bug est important. Ne penser à rien, juste ne penser à rien ; et tenter de supporter cette migraine atroce.
    Le vent d’Autan, toujours aussi fort, toujours aussi insistant, tape contre les volets, les fait vibrer, résonner ; petit à petit, le soleil vient lui aussi tenter de donner l’assaut à ma chambre ; déterminé, insistant, il profite du moindre interstice pour venir me parler de cet été qui s’est définitivement envolé pour moi ; dans mon cœur, cet été s’est désormais muté en hiver de Sibérie.
    J’ai l’impression que le déluge s’est abattu sur ma vie ; que tout est chamboulé, que rien ne sera plus comme avant. Ma vie, c’est le vide. J’ai tout perdu, mon plus grand bonheur.
    Alors, je veux juste tout oublier, ne plus rien ressentir. Je sais que je ne tomberai plus jamais amoureux. Je ne veux plus jamais tomber amoureux. Ça fait trop mal quand ça s’arrête.
    J’ai juste envie de couper les ponts avec ma vie d’avant. Si la rentrée était demain, ce serait un véritable soulagement pour moi. Il faut que je voie avec maman si je ne peux pas m’installer à Bordeaux avant la rentrée. Mais je ne connais personne à Bordeaux ; et l’idée de me retrouver seul dans un petit studio m’angoisse.
    Je n’ai même pas envie de voir Elodie ; je n’ai pas envie de parler de ce qui s’est passé, même pas avec elle. Juste oublier, le plus vite possible.
    La seule chose dans laquelle j’arrive à trouver un semblant de soulagement, c’est la réaction de maman. Bien évidemment, j’avais imaginé mon coming out d’une façon complètement différente : j’aurais voulu attendre, pour le faire, de pouvoir la rassurer quant à mon bonheur ; loin de là, elle a assisté à mon malheur. Mais elle a été formidable, vraiment formidable : ses mots et ses caresses, m’ont fait un bien fou. Son amour m’a fait un bien fou.
    Quand je pense qu’il y a des jeunes qui se font mettre à la porte par des parents qui n’acceptent pas leur homosexualité, je me dis que j’ai quand-même une chance inouïe.
    Je n’ai pas pour autant envie de reparler de tout ça, avec elle, dans l’immédiat ; mais rien que le fait de savoir qu’elle sait et qu’elle me soutient, c’est en soi une aide morale précieuse.
    La radio a tourné toute la nuit dans le noir, et elle tourne toujours ce matin, à volume tout bas ; j’avais besoin d’une présence, besoin de me donner l’illusion de ne pas être seul sur Terre ; j’avais besoin de me donner l’impression d’une vie qui continue, celle de la radio, une vie à laquelle pouvoir en quelque sorte raccrocher la mienne, cette vie qui s’est arrêtée la veille, comme une horloge cassée.
    Je me sens comme vidé de toute énergie ; j’ai envie de rester là, dans ce lit, pour le restant de ma vie. Je m’accroche aux infos, aux chansons, aux pubs, comme un moyen d’empêcher mon cerveau de s’éteindre, à mon cœur de cesser de battre.
    Je comate toujours, alors qu’une barre de fatigue et de douleur transperce mon crâne de tempe à tempe ; j’ai la tête aussi lourde qu’une pastèque ; j’ai les membres, les muscles, les articulations, les os rendus douloureux par la fatigue extrême ; j’en ai mal au ventre, tellement je ne suis pas bien.
    Peu à peu, j’entends la maison se réveiller ; papa se lève, il prend sa douche, son petit déjeuner ; papa part travailler. J’écoute la ville se réveiller à son tour, la circulation reprendre, les voix des passants dans la rue revenir doucement.
    Il est 9 h, lorsque maman vient taper à la porte de ma chambre.
    « Tu es réveillé, mon loulou ? ».
    « Oui maman, bonjour… ».
    « Ça va, Nico ? ».
    « Oui… » je lâche, tout en me laissant submerger par un bâillement silencieux mais si profond que j’ai l’impression qu’il va ouvrir mon thorax en deux.
    « Tu te lèves, Nico ? ».
    « Pas tout de suite, s’il te plait… ».
    « Ne tarde pas trop, tu vas être en retard… ».
    « En retard… pour… ? »
    « T’as oublié, Nico ? Tu as ton dernier cours de conduite ce matin… ».
    « Ah… merde ! ».
    « Tu veux reporter ? ».
    Oui, j’ai envie de reporter ; du moins, mon corps a envie de reporter ; l’idée de m’arracher du lit, de sortir de la maison, d’affronter le monde, cette journée d’été, le soleil, le Vent d’Autan, de marcher jusqu’à l’autoécole et de devoir me concentrer sur la conduite me semble bien au-dessus de mes forces.
    Pourtant, et c’est là que je me rends compte que je suis finalement peut-être toujours vivant, je vois pointer au fond de moi une raison de me lever ; même si je n’ai aucune envie de parler de ce qui s’est passé hier, je me dis que de passer un moment avec Julien le clown sexy ça me fera du bien, ça me changera les idées.
    « Non, ne reporte pas… je me lève, j’arrive… ».
    Je ramasse mes membres en vrac, je prends mon visage entre mes mains, comme pour aider mon buste à soulever ce fardeau qu’est mon crâne ; je me fais violence, j’ouvre les volets, je me laisse percuter par la lumière vive du jour, par la caresse musclée du vent d’Autan, par les bruits dissonants de la ville.
    Je passe dans la salle de bain et je me retrouve face au miroir, nez à nez avec l’image de ma gueule en vrac ; ah, putain, je suis vraiment bien amoché ; j’avais eu l’impression d’avoir reçu le coup en plein sur le nez, mais c’est plutôt sur le côté que j’ai chargé ; le bleu commence sous l’œil droit et descend le long du nez.
    Je l’ai tapé, il m’a tapé, quel immense, horrible gâchis ! Et maintenant, tout est fini pour de bon. J’ai envie de pleurer, car ma vie n’a plus de sens.
    Dégoûté, je m’arrache à cette image de malheur et j’ouvre le robinet de la douche ; l’eau tombe de la pomme, comme les larmes sur mon visage.
    L’eau qui glisse sur mon corps est comme une caresse apaisante ; voilà une douche que je fais durer longtemps, tout en me demandant comment je vais pouvoir justifier ma gueule en vrac auprès de Julien, pour éviter qu’il pose trop de questions.
    Primo, je vais mettre des lunettes de soleil ; deuxio, je vais lui servir la même explication que maman à papa : la porte de la salle de bain sur le nez. Il ne va jamais gober ça, mais il va devoir s’en contenter.
    Lorsque je descends, un bol de café au lait fumant est posé sur la table à coté de quelques tranches de pain grillé ; ma confiture préférée, celle d’abricots, ainsi qu’un verre de jus de fruit à la poire complètent ce délicieux tableau matinal. L’odeur du pain grillé, ainsi que la présence de maman remplissent la pièce d’un bonheur simple qui m’émeut aux larmes ; caresse pour mes narines, l’une ; caresse pour mon cœur, l’autre.
    « Merci maman… pour le petit dej… ».
    Elle sourit. Elle est belle.
    « Ça va mon Nico ? T’as réussi à dormir un peu ? ».
    « Pas trop… ».
    « C’est le chagrin… ».
    « T’as pas un truc pour la migraine, maman ? J’ai la tête qui va exploser… ».
    « Si tiens, mon loulou… » réagit elle du tac au tac en m’envoyant une boite d’aspirine.
    « Merci maman… ».
    Je bois une gorgée de café au lait, la boisson chaude descend en moi comme un doux câlin ; et soudainement, je me sens prêt à lâcher ce que j’ai sur le cœur depuis la veille :
    « Je suis désolé que t’aies appris ça comme ça, hier… ».
    « Je n’ai rien appris, hier… rien que je ne savais déjà… à part mettre un visage sur un garçon dont je soupçonnais bien l’existence… ».
    « Mais comment tu savais ? »
    « Ce sont des choses qu’une maman ressent… ».
    « Ça se voit autant ? ».
    « Mais pas du tout, mon Nico… quand on te regarde, on ne voit qu’un beau garçon… et on ne peut pas deviner ce qui fait battre ton cœur, pas du tout, je t’assure… ».
    « Tu me rassures… n’empêche que tu savais… ».
    « Bon d’accord » elle rigole « il n’y a pas que de l’intuition féminine dans l’histoire… il y a eu aussi un peu de chance… si on peut dire ça comme ça… il faut que je te dise, Nico… il y a quelques temps, j’ai croisé la maman de Dimitri au centre commercial et elle m’a demandé de tes nouvelles… elle a précisé que ça faisait depuis l’été dernier qu’elle ne t’avait pas vu… je n’ai pas eu besoin de lui poser la question, mais il m’a semblé évident que tu n’as jamais dormi chez Dimitri ces derniers mois... ».
    « Et t’as pensé direct à un mec… tu t’es pas dit que j’aurais pu être chez une fille… »
    « C’est ce que j’ai pensé la première fois que tu as découché… après, je me suis dit que tu n’aurais pas fait tant de cachotteries si ça avait été le cas… et aussi, depuis la semaine dernière… il y avait cette odeur de cigarette qui trainait dans la maison… et aussi un parfum de garçon… ».
    « Désolé d’avoir menti… ».
    « Je ne t’en veux pas, Nico… tu as menti parce que tu avais peur… mais tu n’as pas à avoir peur de moi… et je suis sûr que même papa va bien le prendre… quand tu seras prêt, tu lui expliqueras calmement, et ça va passer comme une lettre à la poste… ».
    « Elodie est au courant… ».
    « Je m’en doutais… »
    Ça faisait combien de temps que tu étais avec ce garçon… au fait, il s’appelle comment ? ».
    « Je n’ai jamais été avec lui… ».
    « Comment ça… ».
    Maman, s’il te plait, je peux pas… » je la coupe, au bord des larmes.
    « D’accord mon Nico, d’accord… » fait elle en me caressant doucement les cheveux.

    Comme je l’avais imaginé, le contact avec la ville bruyante, avec sa lumière aveuglante, avec les passants pressés, avec le vent violent et insistant, m’agresse sans pitié. Lorsqu’on est au fond du trou, il faut une énergie mentale insoupçonnée rien que pour exister ; car, dans ces moments-là, exister c’est être en opposition à un monde qui apparaît étranger et hostile.
    Je tente de me cacher derrière mes lunettes de soleil, mais j’ai l’impression que tout le monde me regarde quand même, que mon cocard clignote sur mon visage comme un gyrophare violet.
    Me voilà lancé sur les rails de cette nouvelle journée que je vais devoir affronter lesté de cette fatigue insupportable ; me voilà parti pour puiser dans mes dernières ressources pour accomplir chaque mouvement, chaque pas, la moindre pensée (je me sens comme un portable dont l’icône de charge clignote en permanence, annonçant un arrêt imminent).
    Cette belle et chaude journée d’été n’a pas de sens pour moi, car ce sera une journée sans lui ; la première, d’une longue série, une série infinie ; je sais que je ne le reverrai plus jamais ; à part, peut-être, à la télé ou sur un journal sportif ; je n’aurai même pas le droit à l’oublier pour me reconstruire : son absence me hantera à travers le rugby.
    Il faut que je parte de cette ville au plus vite : quand je serai à Bordeaux, je pourrai peut-être échapper au rugby. Et aux souvenirs.
    Ma souffrance plane au-dessus de moi comme une immense chape de plomb ; tous mes sens sont enlisés dans une sorte d’état comateux, mon cerveau marche au ralenti, tout me parvient comme avec un léger différé ; je réagis un coup sur deux, en vrac, mes mouvements sont empâtés : je me prends les pieds dans la marche d’un trottoir, je trébuche, je manque de m’étaler à plat ventre.
    Je me sens incapable d’accomplir quoi que ce soit de bon aujourd’hui. Je me demande si ça a vraiment été une bonne idée de ne pas annuler le cours : finalement, je n’ai pas du tout envie de conduire, j’ai peur de faire des conneries ; et puis, je redoute le regard de Julien, je redoute les questions qu’il ne va pas se gêner de poser.
    Je suis peut-être à cinquante pas de l’autoécole, lorsque la voiture se gare sur le petit parking.
    Deux filles en sortent ; et avec elles, le petit coq blond, toujours aussi taquin, toujours aussi charmeur, toujours aussi sexy.
    Sa tenue du jour comporte un t-shirt gris chiné, les bords des manchettes et du col mis en évidence par une fine lisière sombre : un petit bout de coton tendu sur sa plastique, qui met bien en valeur ses épaules bâties et ses biceps ; un jeans marron et des baskets blanches, un brushing à cheveux longs plaqués vers l’arrière ; et, pour compléter sa tenue de bogoss, il arbore un immense sourire, un sourire tellement lumineux qu’il déborde et irradie même à travers de ses grandes lunettes noires.
    Définitivement, ce mec est à hurler. En plus, il respire la jeunesse insolente, la joie de vivre, la vie brûlée par les deux bouts. Rien qu’en le regardant, j’ai l’impression de mieux respirer, d’aller carrément mieux. Définitivement, la beauté est à la fois un puissant analgésique et un antidépresseur plutôt efficace.
    J’approche et le bogoss me serre la main, puissante prise de mec.
    « Salut ! ».
    « Salut… je lui rétorque, alors que je sens qu’il a capté direct mon cocard. Non, les lunettes de soleil ça ne cache pas tout.
    Les filles s’attardent à taper la discute au bogoss : elles me gonflent. C’est lui qui met fin à leurs piaillements, en leur coupant l’herbe sous les pieds :
    « C’est bien sympa, les filles… mais je ne suis pas sûr que ma copine apprécierait que je sorte en boite avec vous ce soir… il faut y aller maintenant, j’ai un autre cours… ».
    Les filles se tirent enfin.
    « Hey, Nico ! » il m’accueille alors très chaleureusement ; et là, je le vois plisser les yeux, amorcer le mouvement si sexy de mettre ses sourcils en chapeau, et me balancer direct, en singeant avec sa voix le ton avec lequel on s’adresserait à un enfant : « qu’est-ce que t’as fait ? Tu t’es battu ?!?! ».
    Nico touché.
    « Non, je me suis pris la porte de la salle de bain sur le nez… ».
    « A d’autres… ».
    Nico touché 2 fois.
    « C’est vrai… je te jure… ».
    « Tu me la fais pas… je sais à quoi ressemble un cocard… j’en ai fait quelques-uns, j’en ai reçus aussi… ».
    Nico touché 3 fois.
    « Je suis maladroit… ».
    « Tu vais pas apprendre à un singe à faire la grimace… ».
    Je vois la fille de la dernière fois se pointer au loin, je la regarde approcher.
    « Ne pose pas de questions, Julien… s’il te plaît, fais comme si de rien n’était… ».
    « C’est lui qui t’a fait ça ? ».
    « Julien, s’il te plaît… ».
    « Il a osé te frapper, ce con ? » fait-il en levant mes lunettes.
    Nico coulé.
    « J’ai frappé en premier… ».
    « Toi, tu as frappé ? » fait-il l’air perplexe et surpris, presque impressionné.
    « Ecoute, Julien, ne te mêle pas de ça… ».
    « Ça me fait mal au cœur de te voir dans cet état… je voudrais pouvoir t’aider… ».
    Le jeune loup blond a l’air vraiment touché par ma détresse.
    « Tu peux pas m’aider… enfin, si… fais ton pitre avec la fille comme d’hab… fais-moi rire, Julien, j’ai besoin de rire… ».
    « Ça, c’est dans mes cordes… ».
    La fille arrive, Julien l’installe devant le volant. Pendant tout le cours, le beau moniteur s’illustre dans son rôle de charmeur impénitent, taquin, moqueur, drôle et beau parleur. Comme d’habitude, plus que d’habitude.
    « Qu’est-ce qui t’arrive aujourd’hui ? T’as bouffé un clown ? » finit par remarquer la fille.
    Mais rien n’arrête le jeune loup blond, il s’applique à mettre l’ambiance et il arrive même à m’arracher quelques sourires.
    Aujourd’hui, je ne cherche pas forcement son regard dans le rétro, je n’en ai pas la force ; en revanche, c’est son regard qui cherche le mien, et qui l’accroche, il lit dedans, même à travers nos deux lunettes de soleil.
    Je redoute un peu le moment d’être seul avec lui, car je sais qu’il va tenter de me cuisiner.
    « Ca va, Nico ? » il me demande, dès que nous sommes que tous les deux.
    « Oui, ça va, allons-y ! » je tente de me dérober. Peine perdue.
    « Ça n’a vraiment pas l’air… » fait-il sans même écouter ma réponse « raconte… qu’est-ce qui s’est passé ? ».
    « Laisse tomber, s’il te plait… j’ai pas envie d’en parler… ».
    « Ça te ferait pourtant du bien… ».
    Je sais qu’il a raison ; je sais que la seule façon d’aller mieux, ça passe par les mots : mais je sais aussi que si je commence à lui raconter ce qui s’est passé la veille, je vais pleurer direct.
    Et même si j’ai le sentiment que la sienne n’est pas une curiosité mal placée, mais une véritable inquiétude, je n’ai pas la force de prononcer des mots, de revivre et de livrer des choses qui vont rendre ma défaite encore un peu plus réelle, ma douleur encore plus vive.
    Je n’ai plus envie de pleurer, j’ai les yeux qui me font mal et chialer ravive à chaque fois ma migraine.
    « S’il te plait, Julien… vraiment… ».
    « Tu vas pouvoir conduire ? ».
    « Je vais essayer… ».
    Je m’engage dans la circulation. Très vite, je me rends compte que j’ai un mal fou à me concentrer. Je suis tellement naze que j’ai du mal à capter et à retenir ses mots, pourtant limités aux stricts besoins de la conduite ; je suis obligé de le faire répéter, souvent ; pour, au final, ne retenir que la moitié de ses instructions, n’en exécuter qu’un quart, en réussir encore moins.
    J’ai du mal avec les vitesses, je me mélange les pinceaux, je roule en deuxième jusqu'à faire bramer le moteur ; en redémarrant d’un feu rouge, je démarre en quatrième, je cale, je me fais klaxonner, je stresse, je transpire ; mon mal de tête devient un supplice ; Julien me dit « cligno à gauche », je mets cligno à droite ; je manque de frôler une voiture dans une file parallèle ; Julien freine à ma place, il est même obligé de toucher le volant pour éviter l’accrochage.
    « Nico, fais attention ! » je l’entends me lancer. Le ton de sa voix est raccord avec le regard que je sens sur moi depuis le début du cours : bienveillant et inquiet. Son attitude me rappelle soudainement celle de mon pote Thibault.
    Assez vite, ses instructions me font sortir du centre-ville : nous longeons la Garonne, en direction du périphérique. Je suis stressé, fatigué, en nage, le mal de crâne me tenaille ; je sais que j’ai foiré mon cours et que j’ai déçu Julien ; peut-être même qu’il va annuler mon inscription pour l’examen de septembre, car finalement je vais avoir besoin d’autres cours avant. Tant pis, je m’en fous. Rien n’a d’importance. Je n’ai qu’une envie, c’est d’être seul, et de pleurer, pleurer, pleurer.
    « Arrête toi, là, Nico » fait Julien, en m’indiquant l’embranchement conduisant au terrain vague au bord de la Garonne ; ce terrain où nous avons parfois fait des exercices de manœuvre et parfois discuté de choses qui n’ont rien à voir avec la conduite.
    Je n’ai pas envie de lui donner l’occasion de me tirer les vers du nez, mais je n’ai pas la force de m’opposer à sa demande ; je crois que s’il m’avait dit de me jeter dans la Garonne, je l’aurais fait aussi : je me laisse faire, en panne totale de volonté.
    « Coupe le moteur, Nico… ».
    Et je coupe le moteur.
    « Parle-moi, Nico… qu’est ce qui se passé ? »
    Et là, la tension qui j’ai laissé s’accumuler en moi en voulant retenir ma souffrance et mes larmes, explose d’un coup ; et je pleure, je pleure, je pleure.
    Julien décroche sa ceinture, puis la mienne et il me prend dans ses bras. Il me laisse pleurer, le visage enfoui dans le creux de son épaule, il me laisse pleurer sans poser des questions.
    « Je suis désolé… ».
    « Tu n’as pas à l’être… » fait-il, en posant sa main sur mes cheveux.
    Le contact avec son corps chaud, les caresses de sa main, l’odeur de sa peau au parfum léger du déo ; sa présence et sa bienveillance ont le pouvoir de me réconforter et de me faire sentir bien. Vraiment, j’ai l’impression d’être avec Thibault. Je me sens en confiance.
    « C’est fini… fini… je ne le reverrai plus… ».
    « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? ».
    « On s’est disputés, hier… ».
    « Pourquoi vous vous êtes disputés ? ».
    « Parce qu’il n’assume toujours pas ce qui se passe entre nous… ».
    « Au lit ? ».
    « Au lit et en dehors du lit… il préfère tout foutre en l’air que d’assumer… il n’a jamais rien assumé… et encore moins maintenant… ».
    « Pourquoi maintenant ? ».
    « Bientôt il va partir à Paris… ».
    « A Paris ? ».
    « Oui, il a été repéré par une équipe de rugby pro… ».
    « Naaaaan… il va jouer au Stade ? Dans mon équipe… à moi ? ».
    « Non, au Racing… ».
    « Ah oui ? Et alors il a voulu te larguer avant de se tirer… il a voulu arracher votre relation comme on arrache un sparadrap… ».
    « Je lui ai dit que je l’aimais… et lui il m’a dit que je ne suis rien pour lui… juste un mec pour s’amuser… je me suis énervé et je lui ai balancé tout ce que j’avais sur le cœur… je voulais lui faire mal mais il m’a fait encore plus mal… il m’a dit de dégager de sa vie… ».
    « S’il n’assume pas ce qu’il fait avec toi, c’est qu’il n’a pas de couilles pour être un bonhomme… ».
    « Il a été horrible… ».
    « Et vous en êtes venus aux mains… montre ça… » fait-il, tout en enlevant à nouveau mes lunettes « eh beh… il ne t’a pas raté… comme quoi, vous les pd, vous pouvez être tout aussi con que les hétéros quand vous vous appliquez… ».
    « Si tu savais comment je m’en veux de l’avoir frappé… ».
    « Il l’a bien cherché, non ? ».
    « Oui, mais… ».
    « Tu l’aimes vraiment ce mec… ».
    « Comme un fou… ».
    « S’il ne sait pas apprécier ça, il n’en vaut pas la peine ! ».
    « Peut-être qu’il a raison de faire ça… de toute façon, je n’ai rien à lui offrir… à la rentrée, je vais partir à Bordeaux pour mes études ; et lui, il va partir à Paris… pendant des années, je vais être étudiant, je n’aurai pas de salaire ; lui, il va être connu, il va avoir du fric… il va évoluer dans un monde où il n’y a pas de place pour un pd qui aime un joueur vedette… c’est un autre monde, et puis c’est loin… il va avoir son appart, il va avoir des nanas à plus en finir… et s’il veut des mecs, il pourra toujours en trouver sur place, des vrais bomecs… qu’est-ce que tu veux qu’il s’emmerde avec un type comme moi qui, en plus, lui met la pression ? ».
    « Mais tu rigoles, Nico ? Tu as tant de choses à offrir à un mec ! Tu es un petit gars adorable, gentil, amoureux… ».
    « Je n’aurais pas dû lui dire que je l’aimais… ».
    « Tu n’as pas à regretter de lui avoir dit, car c’est ce que tu ressens, et ça devait sortir, tu avais besoin de lui dire… il serait sorti de toute façon, tôt ou tard… tu l’as dit et tu as bien fait… et lui, il l’a au moins entendu… même s’il l’a piétiné… ».
    La sonnerie de son portable retentit soudainement. Le boblond décroche aussitôt. Une voix féminine grésille dans l’appareil :
    « Tu reviens bientôt ? Tes prochains cours t’attendent… »
    « Oh, putain » fait Julien en regardant la montre à son poignet « je n’avais pas vu l’heure… ».
    « T’es pas encore en train de t’envoyer en l’air, j’espère ? »
    « Non, pas du tout… tu me prends pour qui… » il rigole.
    « Pour un mec à qui, s’il était le mien, j’aurais déjà coupé tout ce qui dépasse… ».
    « Moi aussi je t’aime, Carine… ».
    « Grouille, abruti ! ».
    Le bogoss raccroche en rigolant. Son sourire canaille est beau à pleurer.
    « T’as vu… je me fais engueuler… elle est jalouse… » fait-il, en dégainant son plus bel air de clown coquin.
    Je tente de lui sourire à mon tour.
    « Il faut qu’on y aille… » il me lance.
    Le fait est que je ne me sens pas prêt à reprendre le volant ; ces dernières larmes m’ont vidé de toute énergie ; j’ai chaud et du mal à respirer, la barre qui transperce mon crane de tempe à tempe me fait de plus en plus souffrir ; je suis HS dans le siège de la voiture.
    « Tu veux que je conduise ? » fait le beau moniteur, en anticipant ma demande.
    « Je veux bien… ».
    Je regarde le beau Julien au volant de sa voiture ; il conduit avec assurance, et le trouve beau et viril dans le rôle de chauffeur ; sa conduite est à la fois sportive et apaisante, ça me fait un bien fou de me sentir pris en charge. Il me regarde, me sourit, me parle de ses galipettes avec Sandrine entre deux cours.
    Je le regarde et l’image d’un autre chauffeur, brun, la peau mate, à bord d’une 205 rouge, roulant vers l’appartement de la rue de la Colombette, promesse d’une nuit d’amour, surgit dans mon esprit comme un éclair aveuglant. J’ai encore envie de pleurer…
    Je profite d’un blanc dans la conversation pour me secouer de ce souvenir avant de me laisser emporter par l’émotion ; j’en profite pour m’excuser :
    « Désole pour mes conneries de tout à l’heure… peut-être que finalement je ne suis pas prêt pour l’examen de septembre… ».
    « Mais tu plaisantes, Nico ? Je sais que tu sais conduire… et je sais aussi que tu n’es pas bien aujourd’hui… alors, je ne vais pas tenir compte de ce dernier cours… tu passeras ton examen à la première session de septembre, comme prévu… d’ici là, essaie de te reposer et de ne pas trop penser à tout ça… dis-toi que ce mec n’est pas un mec pour toi… pense à Bordeaux, à tes études, à ta nouvelle vie… tu dois aller de l’avant… je suis sûr que tu vas trouver un bon gars qui va se rendre compte à quel point tu es un mec génial… c’est avec ce gars-là que tu seras bien… ».
    « C’est gentil de tenter de me remonter le moral… ».
    « C’est normal, t’es mon pote… ».
    « Je n’aurais jamais cru qu’on deviendrait potes… ».
    « Moi non plus, mais n’empêche que je te trouve sympa… ».
    Le jeune loup blond me sourit. Et, ce coup-ci son sourire est à la fois charmant et touchant.
    Nous arrivons au parking de l’autoécole. Julien coupe le moteur, se tourne vers moi ; il me regarde droit dans les yeux et il me lance :
    « Tu devrais partir quelques temps pour te changer les idées… ».
    « C’est plus ou moins prévu avec ma cousine, mais je ne sais pas encore quand… ».
    « Le plus tôt sera le mieux… pars et amuse-toi, Nico… profite de tes 18 ans… ne passe pas le reste de l’été à broyer du noir… c’est l’été, putain ! File à la mer, nage, balade-toi sur la plage, sors, rencontre des mecs… baise avec… mais si tu baises avec, n’oublie pas de te protéger… n’oublie jamais ! Pas de bêtises sous prétexte que tu ne vas pas bien… un jour tu iras mieux et il ne faut pas qu’à ce moment-là t’ailles à regretter les conneries que t’as faites dans un moment de faiblesse… ».
    « Promis… Julien… merci… pour tout… » j’arrive à lui répondre, en lui tendant la main et en retenant de justesse de nouvelles larmes.
    Et là, devant tout le monde qui attend devant l’autoécole, le boblond me prend une dernière fois dans ses bras et me serre très fort contre lui.
    « Merci à toi Nico, surtout n’oublie jamais que tu es un gars génial ! ».
    « Toi aussi tu es un gars génial… à bientôt, Julien… ».
    Je sors de la voiture et je m’éloigne sans tarder : les larmes se pressent à mes yeux, je veux être tout seul pour chialer à nouveau.
    Je n’ai pas fait dix pas que j’entends la voix du beau moniteur m’appeler :
    « Nico, attend ! ».
    Je me retourne ; Julien me fait signe de revenir, son portable à la main. Je reviens sur mes pas.
    « C’est quoi ton numéro ? ».
    Je lui donne machinalement sans vraiment savoir pourquoi il le demande et pourquoi je le lui donne, vu que les cours de conduite c’est fini.
    Je le vois enregistrer le contact, puis tapoter un message ; le signal sonore du message envoyé retentit ; le jeune loup blond relevé alors la tête et plante une dernière fois son regard transperçant et charmeur dans le mien.
    « Je t’ai envoyé un sms, comme ça tu vas avoir le mien… ».
    « Merci… » je lâche machinalement.
    « De rien… si je te donne mon tel, c’est pour que tu t’en serves… si ça ne va pas, tu m’appelles, ok ? ».
    « Ok… promis… ».
    « Allez, vas-y maintenant, bonnes vacances, petit veinard ! ».
    Je m’éloigne, le cœur envahi et saturé par un mélange de sensations inédit, un trop plein d’émotions plus que jamais prêt à déborder de mes yeux rougis.
    Les mots, l’attitude chargée de bienveillance de Julien, me touchent profondément ; l’amitié qu’il me témoigne a l’air vraiment sincère. Oui, qui aurait cru qu’on en arriverait là : notre complicité est partie d’un petit jeu du chat et de la souris, sur fond de mon attirance pour lui, cette attirance qui flattait son ego ; une complicité faite de regards complices et d’allusions sans conséquences.
    Au départ, j’ai été gêné qu’il capte mes regards, mon attirance ; j’ai été aussi gêné qu’il découvre l’existence du « bobrun qui fait la gueule » ; mais tout ça nous a rapprochés, et ça m’a fait gagner un confident. Et aujourd’hui, je suis ému par ses témoignages d’empathie, d’estime, d’amitié.
    Je ne me serais jamais attendu tout ça de lui. C’est un bon gars ce Julien ; un coquin, un charmeur et un coureur impénitent, mais un bon gars quand-même.

    Le chemin pour rentrer à la maison se révèle bientôt être une épreuve. La fatigue me gagne, la chaleur m’assomme, la barre qui transperce de tempe à tempe m’achève : j’ai du mal à mettre un pied devant l’autre.
    J’ai besoin d’un lit, j’ai besoin de dormir, dormir pendant des jours et des semaines, dormir pour ne plus souffrir, dormir assez longtemps pour en oublier même les raisons de ma souffrance. Dormir jusqu’à l’oublier. Jusqu’à oublier même son nom.
    Soudainement, la perspective de m’éloigner de Toulouse avec ma cousine semble dégager un peu l’horizon devant moi. Accalmie précaire, illusion d’un instant, fragile, chancelante.
    Le retour de la tempête me guette au prochain carrefour : lorsque sa présence transperce ma rétine, vrille mon cerveau, déchire mon cœur, mes tripes.
    Je le vois débouler à la toute dernière minute et je manque de le percuter. Je l’évite de justesse et je me rattrape à une voiture garée contre le trottoir pour ne pas tomber.
    « Désolé ! » il me lance, en plantant son regard de b(r)aise dans le mien, tout en attrapant ma main pour m’aider à me relever.
    « Ce n’est rien, ce n’est rien… » je répète, complètement désorienté, happé par la fragrance, par le bouquet frais et boisé qui se dégage de lui.
    C’est un bobrun, un très bobrun, du genre bad boy, petite frappe, charmant au possible, sexy à se taper la tête contre le mur ; il est habillé d’un simple t-shirt blanc col rond, pas spécialement ajusté, avec un jeans déchiré ; la cigarette au bout des lèvres, il plisse les yeux en tirant dessus.
    « Ça va aller ? » il se renseigne en attrapant sa cigarette du bout des doigts, entre le pouce et l’index, la grimace typique du fumeur sur le visage lorsque la nicotine brûle ses bronches.
    « Oui ça va aller » je réponds mécaniquement, alors que je suis happé par son regard, désorienté par un trop plein d’émotions nouvelles.
    « Salut ! Et encore désolé… » fait-il, avant de repartir.
    « Salut ! » je lâche tout bas, en le regardant s’éloigner.
    Oui, salut, bel inconnu. Salut et adieu. Dans une seconde, tu m’auras oublié. Pas moi. Je te regarde marcher devant moi, le pas rapide, assuré, très mec ; je te regarde marcher vers ta vie, laissant derrière toi une intense trainée de parfum de mec : c’est une fragrance qui m’est bien familière, car elle a souvent hanté mon nez et mon cerveau pendant de nombreux moments sensuels.
    Si tu savais, bobrun inconnu, comment tu me rappelles des tas de souvenirs, à quel point tu me fais penser à lui…
    Tu as le même regard brun, intense, ténébreux, chaud comme la braise ; tu t’habilles comme lui, simplement mec, t-shirt blanc et jeans ; et même si je devine que, sous ton t-shirt, tu es certainement moins bâti que lui, tu portes le même parfum ; tu as les mêmes attitudes de mec, très mec, lorsque tu fumes ta cigarette. Te voir, c’est comme une claque dans la figure : car, te voir, c’est comme le voir, lui.
    Une claque qui, en une fraction de seconde, fait tout remonter en moi… tout ce que je veux oublier…
    C’est pas possible, je n’arriverai jamais à l’oublier…
    La migraine ne me lâche pas d’une semelle, elle transforme ma tête en grosse caisse.
    J’ai le sentiment qu’on m’a arraché le cœur, que plus jamais je ne tomberai amoureux ; et que je ne serai plus jamais heureux.
    Je viens de rentrer à la maison, lorsque mon tel émet enfin un petit son. Le message de Julien vient d’arriver.
    « N’abandonne jamais.. tu es un vrai bonhomme. Crois en toi. Jul ».
    J’ai perdu mon amour, mais j’ai trouvé un pote.

    Après mangé, après le départ de maman, je vais à la sieste.
    Je me réveille au bout d’une heure, pas plus : non pas que je n’aurais pas voulu dormir davantage, mais il fait tellement chaud que je me réveille en nage.
    Je n’ai pas envie de lire, ni de regarder la télé. Je vais courir sur le canal. Je vais courir pour me défouler, pour tenter d’évacuer cette rage souffrance qui m’étouffe ; je vais courir pour m’épuiser.
    Je cours, longtemps, je cours comme un fou, je cours loin de la ville ; je cours en pleurant, je cours jusqu’à ce que la douleur de mes muscles soit si intense qu’elle me fasse oublier la douleur qui me ravage de l’intérieur.
    Je cours en écoutant la BO de Moulin Rouge que j’ai acheté quelques jours plus tôt. Je pleure devant la douceur de la version orchestrale de « Your song » ; je m’effondre sur la beauté mélancolique de « One day I’ll fly away » et de « Come what may » ; je me calme un peu en écoutant la version loufoque et décalée de « Like a Virgin » ; mais je me suis à nouveau submergé par ma souffrance au contact de la vibrante version de « The show must go on »… comment mon propre show va bien pouvoir continuer, maintenant ?
    La mélancolie profonde de « Nature boy » vient appuyer un peu plus sur ma tristesse ; c’est une version instrumentale, mais les mots de Bowie résonnent dans ma tête :
    There was a boy/Il y avait un garçon
    A very strange/Un garçon très étrange
    Enchanted boy/Et enchanté
    They say he wandered/On dit qu'il errait
    Very far, very far/Très loin, très loin
    Over land and sea/Au-delà de la terre et de la mer
    A little shy and sad of eye/Un peu timide et à l'oeil triste (…)
    And then one day/Et puis un jour
    One magic day/Un jour magique
    He passed my way/Il a croisé mon chemin (…)
    This he said to me/Voici ce qu'il me dit
    The greatest thing/La plus grande chose
    You'll ever learn/Que tu apprendras jamais
    Is just to love and/Est seulement d'aimer et
    Be loved in return/D'être aimé en retour

    Si seulement, si seulement c’était possible. Si seulement aimer suffisait à être aimé en retour.
    Puis, vient le « Boléro ».
    Ça démarre avec des notes de piano, elles perlent des écouteurs légères et lentes comme des larmes ; des notes qui viennent parler direct à ma tristesse, l’interpeller, la mettre à nu.
    Mais ça ne dure qu’un temps : les percussions déboulent avec la puissance et la violence d’une rivière en crue, avec la violence de la vie qui continue impitoyable malgré ma détresse ; le premier violon surgit avec un son lancinant et déchirant, comme le cri désespéré de ma souffrance qui veut juste qu’on la laisse tranquille, qui veut échapper au bruit, à la lumière, à la violence de l’existence ; alors que les percussions, implacables, de plus en plus rapides, semblent marteler que l’univers se fiche royalement de cette souffrance, et qu’il n’y aura aucun répit, qu’il faudra juste vivre avec, ou mourir.
    Le « Boléro », scandé par ses percussions au rythme presque obsessionnel, mené par ses violons et ses claviers rutilants, instille dans mon esprit une sorte de fatalité du temps qui passe et qui emporte le bonheur à tout jamais, une impression qui fait écho au sentiment de désolation qui m’habite depuis bientôt 24 heures.
    Mais il y a, à mon sens, autre chose qui se dégage du « Boléro », au-delà de cette impression de fatalité : c’est une énergie positive qui semble suggérer la nécessité de l’effort, pourtant inhumain, d’aller de l’avant.
    Le rythme s’accélère encore, s’envole, va de l’avant, prend de la hauteur ; il semble vouloir me dire que non, le monde ne va pas s’arrêter de tourner parce que je suis au plus mal ; que je n’ai pas le choix, qu’il va falloir me remettre debout, aller de l’avant avec mes propres forces, même si je n’en ai pas du tout envie ; qu’il va falloir que j’accepte le fait que c’est fini et qu’il ne reviendra pas ; qu’il faut que je recommence à vivre, sans lui.
    Mais comment ?
    Comment supporter ce message, celui d’aller de l’avant ; où trouver assez d’énergie pour aller de l’avant, alors que toutes les fibres de mon cœur voudraient remonter le temps au dernier moment heureux avec lui ?
    Pourtant, si je veux cesser de souffrir, il faut que j’arrive à mettre ce coup de collier pour m’arracher de ce passé douloureux et aller vers l’avenir qui m’attend.
    Je serre les dents pour écouter le « Boléro » jusqu’au bout, je le passe une deuxième fois, une troisième, comme un mantra ; je monte le son à fond la caisse, je me défonce les tympans sur le rythme percutant ; j’essaie de m’imprégner du message d’espoir que j’ai envie d’y voir, en essayant de le faire mien.
    Le « Boléro » devient ainsi la BO de ma rupture.
    Hélas, c’est encore bien trop tôt pour pouvoir espérer surmonter la blessure récente, vive et brûlante : je ne peux me débarrasser si facilement du sentiment d’injustice, de gâchis, de désolation qui me déchire ; le sentiment de m’être trompé à ce point sur ce mec, le sentiment de m’être fait avoir comme un idiot, de m’être donné à lui avec trop d’imprudence, de m’être fait baiser au sens propre comme au sens figuré ; le sentiment de m’être mis à nu devant lui avec une naïveté ridicule, pour voir mon amour piétiné.
    J’ai envie de crier à men déchirer les poumons tellement j’ai mal.
    Je rentre à la maison en fin d’après-midi ; je suis tellement épuisé que j’ai envie de gerber ; je suis malade et je n’ai même pas envie de diner.
    « T’es sûr mon Nico ? Tu ne veux vraiment rien manger ? ».
    « T’en fais pas, maman, je vais dormir, demain ça ira mieux… ».
    « Tu es pâle comme un linge… ».
    « Je suis fatigué… ».
    Seul dans ma chambre, je m’effondre.
    24 heures déjà : les « anniversaires » comptent parmi ce qu’il y a de plus dur à encaisser dans une rupture.
    Avec les exhortations à ne pas s’apitoyer sur soi-même, à aller de l’avant, à ne pas se faire pourrir la vie par « celui qui n’en vaut pas la peine ».
    Les mots de Julien, le « Boléro », un seul message bombardé dans ma tête : accepter l’inéluctable et passer à autre chose.
    Je ne peux pas accepter, je ne veux pas accepter. Comment accepter qu'on vous arrache le cœur ?
    Seul dans ma chambre, dans mon lit, dans le noir, je revois son visage, le nez en sang ; je revois son regard juste avant de quitter la maison, ce regard perdu dans lequel je suis sûr d’avoir vu du regret, un déchirement, une profonde tristesse : comme s’il se faisait violence pour être aussi mauvais ; et ce, dans le seul but de laisser cette histoire impossible derrière lui, avant de s’envoler pour Paris ; dans le but de me dégouter de lui, de me priver de tout faux espoirs.
    Mais si ça lui coûte autant de piétiner notre belle histoire, pourquoi il s’inflige ça, pourquoi ?
    Je me dis qu’il ne peut pas aller au bout de sa bêtise, non ; qu’à un moment ou à un autre, il va bien se rendre compte qu’il est en train de détruire quelque chose de beau et d’unique, quelque chose qui apporte du bonheur dans sa vie ; cet amour, cette complicité, cette tendresse qu’il y a entre nous.
    Je me dis que je dois tenir bon, qu’il va avoir un sursaut de lucidité et réaliser à quel point il a été horrible et injuste… ce n’est pas possible autrement ; je me dis qu’avant de partir pour Paris, il va m’envoyer un sms, des excuses ; je me dis qu’il va revenir vers moi, me demander de nous revoir une dernière fois, me serrer dans ses bras, me dire qu’il regrette, qu’il s’est rendu compte que je lui manque ; me demander de tout lui pardonner. Et je lui pardonnerais ; cent fois, je lui pardonnerais.
    Stupide et vaine attente. Espoir éphémère, dont la déception d’heure en heure, n’a de résultat que d’exacerber encore un peu plus ma souffrance.
    Soudainement, je ressens le besoin de me séparer de ses affaires ; c’est un besoin violent, auquel je tente de m’accrocher en espérant au plus vite me débarrasser de cette souffrance.
    En repensant au dédain avec lequel il a refusé le maillot que je lui ai offert, je me sens insulté et offensé ; je me suis fait une telle joie de lui acheter, j’ai mille fois imaginé le moment de lui offrir, le bonheur de lui faire plaisir ; jamais je ne me serai imaginé que ça se passerait de cette façon.
    Quoi faire désormais de ce maillot ? Je ne peux pas le garder. Le jeter ? C’est dommage. Je vais le filer à Emmaüs. Il reste sa chemise, son t-shirt, son boxer, les trois photos dont Thibault m’a fait cadeau : je les mets dans une poche que je ferme ; demain, je vais les jeter. Il faut juste que je trouve le cran de le faire. Je vais le trouver. Je ne veux rien garder de lui. Rien qui me rappelle nos moments ensemble. Il y a assez de souvenirs dans cette maison, dans ma tête, pour que je laisse des objets m’en rappeler davantage.
    La migraine m’assiège, me persécute, implacable tortionnaire ; mes nerfs sont en boule : j’ai l’impression d’être tellement fatigué, que mon épuisement m’empêche paradoxalement de trouver le sommeil ; j’ai l’impression que mon cerveau, mes hormones, sont complètement détraqués, que plus rien ne marche dans mon corps.
    Vivement la rentrée, que je me tire à Bordeaux ; loin de cette chambre, loin de cette maison, de cette ville, des souvenirs, de cette souffrance insupportable.

    Samedi 12 août 2001.

    La nuit a été longue : la nuit est interminable lorsque les sommeils sont courts. Je me réveille encore plus fatigué et mal en point que la veille. J’ai tout juste le courage de me trainer jusqu’à la salle de bain pour faire pipi, jusqu’au frigo pour boire un verre de jus de fruits et de m’éclipser avant que la maison ne se réveille. Je monte les marches de l’escalier avec une allure de zombie, ces mêmes marches que j’ai tant de fois grimpées quatre à quatre pour aller à sa rencontre.
    Je me recouche. Je ne sais pas si je vais pouvoir retrouver le sommeil. Pourtant, c’est décidé, ce matin je ne vais pas me lever. Je n’ai aucune raison de me lever. Je me recroqueville dans ma tanière, la radio toujours en bruit de fond.
    Contre toute attente, je me rendors. Et pendant très très très très très longtemps.

    Mon réveil, en milieu de l’après-midi, sera un brin brutal : c’est la voix d’Elodie qui me tire de ma léthargie, Elodie en mode surjeu à fond, telle un guest déboulant au beau milieu d’un épisode de série comique.
    « Allez, cousin, t’as assez dormi… secoue toi, prends une douche, on se tire… ».
    « De quoi ??? » je m’insurge, émergeant en sursaut.
    « Ah putain… ça sent le phoque ici ! » fait elle, se précipitant à la fenêtre pour ouvrir les volets.
    La lumière vive et la caresse musclée du vent d’Autan ajoutent de la violence à ce réveil sauvage.
    « Laisse-moi dormir ! » je fais, mauvais, en enfouissant ma tête sous la couette.
    « Allez, cousin, ne fais pas l’autruche… file te doucher… on part à Gruissan ! ».
    « Quand ? ».
    « Tout de suite ! Ce soir je veux manger un plateau de fruits de mer ! ».
    L’idée de bouger de mon lit me parait inconcevable.
    « Je dors… ».
    « Bouge ton cul ! » fait elle en m’arrachant la couette.
    Je fais un rapide check-up de mon état physique. Verdict : je me sens toujours très fatigué, mais la migraine semble me donner un répit.
    « Allez, on y va ! » fait elle en attrapant l’une de mes chevilles et en tirant vers le fond du lit.
    « Tu me casses les… ».
    « Je sais, mais t’as encore rien vu… je te laisse une demi-heure… le temps de prendre un café avec tata… après je remonte avec un seau d’eau et de glaçons ! ».
    Je l’écoute redescendre les escaliers. Je l’entends discuter avec maman. Je n’arrive pas à capter leur conversation, mais quelque chose me dit que maman n’est pas étrangère à la venue d’Elodie.
    En tout cas, passé le premier moment de ce réveil un peu brutal, la présence de ma cousine commence vite à me faire du bien. L’idée de partir loin de Toulouse, de me retrouver seul avec elle, de déconner comme des fous, commence à me plaire.
    Je me levé, je passe à la douche ; l’eau tiède aussi me fait du bien. Je m’habille, je jette quelques affaires dans ma valise et je descends.
    « T’es prêt, cousin ? ».
    « Pas tout à fait… j’ai un truc à faire, avant de partir… je te demande une petite demi-heure de plus… ».
    « C’est quoi que tu dois faire ? » me demande Elodie, sans détour.
    « Juste me débarrasser d’un truc… ».
    « Et ça ne peut pas attendre ? ».
    « Non, je dois le faire maintenant, c’est important… ».
    « Ok, à toute mon cousin ! ».
    Pendant ma douche, j’ai repensé au maillot. Je ne peux pas le garder, mais je ne vais pas le jeter, ni le donner à Emmaüs. Ce maillot est un cadeau et il appartient désormais à son destinataire ; s’il n’en veut pas, il le jettera à la poubelle par lui-même. Je ne sais pas combien de temps nous allons rester à Gruissan ; et il y a de fortes chances que quand je reviendrai sur Toulouse, il sera déjà parti à Paris. Alors, c’est maintenant ou jamais.
    Certes, je pourrais le filer à Thibault : mais, d’une part, le temps me manque ; et d’autre part, je n’ai pas envie de le voir : voir Thibault, c’est comme voir le garçon qui est à l’origine de mon malheur ; sa présence ne ferait que me rappeler le bonheur que j’ai perdu, et je n’ai pas vraiment besoin de ça.
    De plus, à l’heure qu’il est, il doit être au courant de ce qui s’est passé entre son pote et moi, et je n’ai pas du tout envie d’en parler.
    Bientôt 48 heures… 48 heures déjà… qu’est-ce que c’est dur ces putain d’« anniversaires ».
    Oui, Thibault doit être au courant de ce qui s’est passé entre son pote et moi. Ça me parait difficile qu’il ne le soit pas. Un petit message de sa part m’aurait fait du bien, malgré tout. A moins qu’il se dise que j’ai besoin de rester seul et que je sais où le trouver en cas de besoin.
    De toute façon, je n’ai pas envie de le voir ; je vais partir avec Elodie, et j’ai besoin de faire le vide, de me couper de Toulouse et ses habitants, tous ses habitants.
    J’ai mis le maillot dans un sac en papier, j’ai marqué son nom dessus. Le milieu de l’après-midi c’est l’heure idéale pour aller à la brasserie sans craindre de le croiser ; à cette heure-ci, il va être en pause : je vais laisser le maillot à son patron ou à un collègue. Au pire, si je le croise, je le laisserai sur une table et je partirai. Mais j’espère vraiment ne pas le croiser.
    Oui, ce maillot a un seul destinataire possible ; m’en débarrasser, c’est un geste qui a une grande signification pour moi, un geste que je voudrais purement cathartique.
    Pourtant, à regarder de plus près, sous l’envie de me délester de ce symbole d’un passé si lourd à porter, dans mon geste il y a quand même l’envie sous-jacente de le retenir, ce passé ; ce geste, c’est comme une bouteille jetée à la mer ; dans mon geste, je nourris quand même l’infime espoir d’arriver à toucher son cœur. Je repense à ce regard de gosse qu’il a eu lorsqu’il l’a déplié et je me dis que ce maillot est vraiment ma toute dernière carte à jouer.
    Je suis parti de la maison très déterminé, mais je sens ma volonté flancher un peu plus à chaque pas ; je redoute de le croiser, car même le voir de loin me parait un effort insoutenable.
    Le cœur tape si fort dans la poitrine qu’il semble devoir l’exploser à chaque battement.
    Je me fais violence pour avancer ; les percussions implacables du « Boléro » résonnent dans ma tête et je presse le pas, droit devant moi, j’y vais comme un train lancé à toute allure vers le terminus, ignorant tout sur son passage.
    Lorsque j’arrive à Esquirol je suis hors d’haleine, j’ai les jambes en coton et une crampe à la main à force de serrer le sachet.
    Une silhouette noire et blanche déboule en terrasse avec un plateau à la main et je suis au bord du back out.
    Fausse alerte, ce n’est pas lui. C’est son patron.
    Comme je m’y attendais, il n’y a pas grand monde en terrasse à cette heure.
    J’attends que le type soit revenu dans la salle pour rentrer à mon tour. Une fois à l’intérieur, mon regard est immédiatement happé par la porte qui mène aux toilettes, et bien au-delà des toilettes ; mon cœur est aspiré par le souvenir désormais nostalgique et douloureux de cette pipe dans la remise, même pas une semaine plus tôt.
    Comment ma vie a changé depuis : il y a six jours, j’étais le mec le plus heureux de la terre ; six jours plus tard, je suis aussi malheureux que les pierres. Ces putains d’« anniversaires », putain !
    « Bonjour… » je me lance.
    « Bonjour, c’est pour une commande ? ».
    « Euh… non, je voudrais laisser ça… ».
    « Il n’est pas là ! » fait le patron en lisant le nom du destinataire.
    « Je peux vous le laisser quand même ? ».
    « C’est quoi ? ».
    « Un maillot de rugby… ».
    « C’est de la part de qui ? ».
    « Un pote… euh… Nico… ».
    « T’es son pote ? » »
    « Ouaiss… ».
    « Mais dis-moi, ce ne serait pas avec toi qu’il s’est battu ? » fait il en regardant fixement le bleu sous mon œil. Je viens de me rendre compte que j’ai oublié de passer les lunettes de soleil.
    « On a eu un petit différend… ».
    « C’est encore à cause d’une nana, c’est ça ? ».
    « On va dire ça comme ça… » je coupe court « vous lui donnerez ? ».
    « Oui, je lui donnerai tout à l’heure… ».
    En repartant après avoir déposé le maillot, je ressens un mélange de détachement, de soulagement et de tristesse. A vrai dire, je ne sais pas lequel des trois sentiments était le plus fort. Peut-être le détachement.

    La cité de Carcassonne fait son apparition sur notre gauche, embrasée par la couleur orange du soleil couchant. Je regarde ma cousine en train de conduire et je repense à Julien en train de conduire ; je repense à mon état la veille et à celui de cet instant ; tant d’heures de sommeil m’ont un peu remis sur pattes. La bonne humeur de ma cousine a un effet positif sur mon moral : depuis que nous avons quitté St Michel, nous n’avons pas cessé de rigoler, de chanter ; elle m’a raconté plein d’histoires drôles sur ses collègues de travail ; elle m’a parlé de Philippe et de ses soucis de voiture.
    Nous avons abordé tout un tas de sujets, mais elle ne m’a pas posé une seule question sur ma gueule en vrac ; elle doit pourtant être au courant de ce qui s’est passé, ou du moins se poser des questions.
    Je connais ma cousine ; elle va attendre un peu que je fasse le premier pas. Mais très vite, elle va me lancer des perches tellement immenses, que je vais être obligé de mordre.
    Je sais que tout viendra en son temps, quand je serai prêt.
    Ou bien quand elle en aura marre d’attendre.
    « Ah, bah, dis-donc, tu t’es fait bien refaire le portrait… » elle finit par me lancer de but en blanc dès que nous nous retrouvons dans l’appart.
    « Conasse ! » je rigole.
    « Oui, c’est moi… et maintenant, tu vas tout me raconter depuis le début… ».

    « Et alors, tu l’as frappé en premier… » fait semblant de s’étonner Elodie à la fin de mon récit… jamais je ne t’aurai cru capable de frapper qui que ce soit… ».
    « Parce que je suis pd ? » je m’insurge face à celui qui me semble être un cliché insupportable.
    « Non, parce que tu es un mec bien, espèce d’idiot ! ».
    « Oui, je n’arrive pas à le croire moi-même… ».
    « En réalité, ton geste ne m’étonne qu’à moitié… ».
    « C'est-à-dire ? ».
    « Le coup que tu lui as porté, ce n’est pas de la violence gratuite… ce coup, c’est juste l’expression de la souffrance que tu as ressenti à ce moment-là… il a été trop loin ce petit con… je veux bien que toute cette histoire soit difficile à vivre pour lui aussi, mais il n’a pas à te charger de cette façon… ».
    « J’avais tellement mal à ce moment-là… ».
    « J’imagine bien, mon cousin… à vrai dire, je pense que dans cette beigne il y avait toute la souffrance et la frustration qui se sont accumulées en toi au fil de cette relation… et elles sont ressorties d’un seul coup… ».
    « Mais je n’aurais pas dû le frapper pour autant… en le frappant, c’est moi qui ai mis le mot fin à notre relation… ».
    « Mais qui sait, Nico ? Peut-être que dans sa tête de petit con, ce coup dans la gueule lui a fait découvrir une nouvelle facette de Nico… un Nico qui en a marre de tout accepter sans broncher… va savoir, peut-être que ton coup de poing dans la gueule, ça l’a impressionné… ».
    « Je ne pense pas pouvoir impressionner un gars comme lui… je n’ai pas assez de caractère… ».
    « Tu as un caractère bien plus trempé que tu ne l'imagines ! Bien sûr, tu es moins virulent que lui… t’as peut-être moins de tchatche, et surtout tu te laisses dominer par ton attirance… mais au moins, tu sais qui tu es et tu l’assumes… alors que lui, c’est tout le contraire : il fort à l'extérieur, physiquement, verbalement ; il est fort en apparence, mais fragile à l'intérieur… et sa virulence, ses changements d’humeur, d’attitude, ce sont des aveux de faiblesse… son comportement, c’est un comportement puéril…
    C’est pas étonnant qu’il se comporte de cette façon pile au moment où s’offre à lui la possibilité de partir à Paris… je crois que cette nouvelle lui a fait soudainement réaliser qu’il tenait véritablement à toi et qu’il risquait de souffrir en partant… alors, il choisit la solution radicale, chercher à t’oublier en se persuadant qu’il te méprise, chercher à se montrer impitoyable et froid avec toi pour que tu l’oublies aussi…
    A mon avis, il doit être cruellement partagé entre deux sentiments : la joie de voir son rêve se réaliser, et la frustration, la tristesse de se rendre compte que ce rêve est a priori incompatible avec ce qu’il était sur le point d’accepter… ».
    « Accepter quoi ? ».
    « Mais d’être amoureux, banane ! C’est un peu comme s’il s’en voulait et s’il t’en voulait de cet amour qui vient compliquer ce moment qui aurait dû être un beau moment pour lui… ».

    Aller à la plage, me baigner, rester des heures sous le parasol à mater les bogoss avec Elodie, faire des classements, délivrer des notations, disserter à l’infini sur la beauté masculine ; et passer d’autres heures en silence, côté à côté, à lire de bons bouquins ; puis, vers le soir, marcher longuement sur la plage, rigoler et refaire le monde ; s’acheter une pizza et rester tard face à la mer, regarder le coucher de soleil jusqu’à la dernière image, comme le générique de fin d’un film qui nous a émus et qui nous scotche à notre fauteuil ; puis, la nuit tombée, écouter la mer calme, la peau caressée par la brise du soir, les pieds dans le sable ; parler, rigoler, parler, pleurer.
    Sortir le soir, chaque soir ; pour boire un verre, pour mater encore du bogoss. Pour rigoler. Pour tenter de réapprendre à vivre.


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    55.3 La dernière fois que Jérém est venu chez moi.


    Vendredi 10 août 2001

    Le vendredi matin de cette triste semaine sans Jérém, je me réveille avec le moral dans les chaussettes, sous les semelles même. Je n’ai pas bien dormi, je suis claqué.
    Le beau temps persistant, ce soleil qui semble vouloir défoncer les volets pour annoncer une autre belle journée d’été, ne fait qu’alimenter ma tristesse.
    Oui, je n’ai pas du tout envie de me lever ce matin. Je ne me sens pas capable d’affronter une nouvelle, interminable attente de la venue de la seule personne qui pourrait me rendre heureux, qui m’a si intensément rendu heureux pendant une semaine merveilleuse, mais qui ne semble plus du tout motivé à le faire.
    Mais en même temps, je me sens tellement mal dans ma peau, dans mes draps, que je ne tiens pas en place ; j’ai envie de sortir, partir loin de cette chambre où tout me rappelle la présence du Grand Absent ; j’ai envie de prendre l’air, même si je sais d’avance que tout ce que j’entreprendrai me sera insupportable.
    Il n’est que 6h45 mais il fait déjà chaud dans ma chambre. J’étouffe, j’ai besoin d’air.
    J’ouvre les volets, je laisse rentrer le soleil matinal. Je respire profondément, je remplis mes poumons, comme si l’air frais du matin pouvait me nettoyer de l’intérieur, chasser cette fatigue, ce mal-être, cette tristesse qui m’assomment.
    Hélas, ce n’est pas du tout le cas. Car, en plus de ce soleil qui parle de vacances, de cette insouciance et de ce bonheur qui me sont interdits, le vent d’Autan vient mettre son grain de sel dans l’épais faisceau de mes inquiétudes, sur la brûlante blessure de mon chagrin.
    Le vent s’emmêle dans mes cheveux, joue avec les poils fins de mes bras, me donne des frissons ; il fait couler mes yeux, qui n’ont pas vraiment besoin de cela pour être humides.
    Le vent d’Autan, cet élément puissant, omniprésent, indissociable des façades en briques de la Ville Rose, ce vent qui balaie tout sur son passage ; sa caresse incessante, comme une métaphore du temps qui passe et qui, lui aussi, balaie tout sur son passage : les jours heureux, les espoirs, le bonheur ; le temps qui file entre mes doigts : les heures, les jours avant que Jérém ne quitte Toulouse pour l’aventure du rugby pro, à Paris.
    Je pense que Jérém va venir aujourd’hui : ça devrait me rendre heureux. En réalité, je redoute sa venue. J’ai peur du Jérém que je vais retrouver ; j’ai peur de ne pas savoir trouver les bons mots, peur de ne pas arriver à toucher son cœur, peur que ce ne soit des retrouvailles d’adieu ; peur que ça se finisse mal entre nous. Peur d’avoir mal, très mal.
    « Ecoute-moi bien… si je viens, ce sera juste pour récupérer ma chaînette, et je me casse ! ». Ses mots de la veille résonnent douloureusement dans ma tête, elles s’enfoncent comme des lames dans mon cœur, elles me donnent envie de pleurer.
    Mais pourquoi est-il autant en pétard avec moi ? Oui, il y a eu cette pipe ratée ; oui, j’ai été un peu collant ; oui, il y a cette nouveauté du départ imminent pour Paris qui chamboule toute sa vie ; oui, il y a eu cette conversation avec Thibault qui, pourtant nécessaire, n’a fait que jeter de l’huile sur le feu : mais est-ce que je mérite cet éloignement soudain, cette froideur, ce mépris ?
    J’ai à la fois terriblement envie qu’il vienne et j’appréhende son attitude, notre conversation, ses mots qui peuvent être blessants comme des coups de canif ; j’ai la trouille à l’idée de découvrir ses intentions, de me retrouver face à ses décisions, à son indifférence, à sa distance.
    La matinée commence dans une morosité déprimante. Je décide d’aller courir sur le canal : j’ai besoin de prendre l’air, de changer de décor, j’ai besoin de m’épuiser jusqu’à ce que la douleur physique soit si intense qu’elle me fasse oublier mon angoisse.
    Lorsque je rentre à midi, je suis défait, en nage, un zombie qui ne sens même plus ses jambes : je prends une douche et je déjeune avec maman.
    « Ça va, Nico ? Tu as l’air fatigué aujourd’hui… ».
    « Ca va, maman, j’ai eu chaud cette nuit, j’ai mal dormi à cause de ça… ».
    « Tu vas pouvoir faire la sieste tout à l’heure… ».
    Maman, si tu savais à quel point ça me touche que tu t’inquiètes pour moi ; si tu savais à quel point, à un moment, pendant ce déjeuner, j’ai failli fondre en larmes et te dire ce qui me fait si mal au point de m’empêcher de dormir. Oui, maman, j’ai horriblement envie de pleurer dans tes bras !
    Si je ne le fais pas, c’est parce que je ne veux pas que tu t’inquiètes pour moi. Je sais qu’un jour tu sauras qui je suis vraiment ; et si je sais même que tu dois déjà un peu t’en douter. Mais avant de te parler, maman, j’ai besoin de pouvoir m’appuyer sur un bonheur stable, un amour en CDI, et non pas en Intérim : chose que, je pense, ce ne sera pas pour tout de suite.
    Alors, maman, avant de laisser couler les larmes qui se pressent à mes yeux depuis ce matin, j’attendrai que tu sois partie, j’attendrai de me retrouver seul dans cette maison vide, entre ces quatre murs où, à un moment, j’ai vraiment commencé à croire que le bonheur avec mon Jérém était à portée de main.
    Maman vient tout juste de partir, et je fonds en larmes sur le canapé du séjour ; je me laisse aller, je relâche la tension ; très vite, l’épuisement moral s’ajoute à l’épuisement physique : je me sens vidé de toute énergie. Je m’allonge sur le canapé, j’écoute ma respiration se mélanger au bruit de fond de la ville qui grouille derrière la porte d’entrée ; et je me laisse gagner par le sommeil qui m’envahit.
    Petit intense bonheur que la sieste, pont merveilleux au-dessus des heures et de la souffrance, raccourci indolore vers le milieu de l’après-midi.
    Lorsque j’émerge, il est 15h10. Je me réveille en sursaut, plombé par l’insistante angoisse d’avoir raté la venue de Jérém. Il me faut un petit instant pour me dire que ce n’est pas possible ; que s’il était venu, j’aurais bien entendu cette sonnette particulièrement retentissante !
    Je regarde le portable : aucun message. L’attente recommence, insupportable parce qu’indéfinie.
    Heureusement, aujourd’hui encore, j’ai un bon allié pour essayer de tromper le temps, un bouquin vraiment captivant capable de me distraire de mon immense angoisse.
    « Tribunal d’honneur », le livre de Dominique Fernandez sur la vie de Tchaïkovski, est le compagnon qu’il me faut pour laisser avancer l’après-midi sans accrocher mon désespoir à chaque minute.
    Page après page, on suit le grand musicien dans cette partie de sa vie qui se déroule dans l’ombre, à l’abri des regards d’une société rigide et répressive qu’est l’époque tzariste du 19ème siècle. En se basant sur des « bruits de l’Histoire », l’auteur nous fait découvrir le penchant du grand musicien pour les garçons, penchant qui l’aurait porté à sa perte.
    La ville de Saint-Pétersbourg sert de décor à cette histoire qui ressemble à un polar historique ; ses monuments, ses perspectives, ses ponts, ses canaux jouent un rôle de premier plan dans cette atmosphère pesante qui donne de la puissance à l’intrigue. Sa présence est tellement forte que, page après page, elle devient presque un personnage à part entière.
    Oui, ce bouquin est un très bon allié pour tromper l’attente ; d’autant plus que, depuis les toutes premières pages, le récit m’a donné envie d’accompagner la lecture par l’écoute de la musique du Grand Maestro.
    Je monte dans ma chambre et j’attrape un cd que j’avais acheté à mes 12 ans, pendant ma période « Musique classique » : c’était une période où, au gré de sorties chez le marchand de journaux, j’ai découvert bon nombre des grands classiques.
    La rencontre entre une lecture captivante et la perfection mélodique des compositions du Maestro russe m’amène loin, si loin de cette maison, de cet après-midi, de cette attente insupportable ; je me laisse porter par l’intense émotion esthétique, par les sensations suggérées par ces notes à la fois tristes et douces, un pur bonheur pour les oreilles, une délicieuse caresse pour l’esprit.
    15h22. La Valse du Lac des Cygnes s’envole des enceintes et remplit le séjour de sa grâce, tel un oiseau qui déploie des ailes et qui dessine des vagues dans l’air.
    L’envolée de violons dans le grand final provoque en moi une émotion, un plaisir esthétique suprême ; et lorsque la dernière note retentit, un seul mot s’affiche dans ma tête : « ENCORE ! ». Magie du CD, grâce à laquelle, en appuyant sur une simple touche, il est permis d’assouvir cette soif de beauté jamais étanchée.
    15h29. La mélancolie de certains passages du « Pas de deux » ravive ma tristesse et mon angoisse. Et si Jérém ne venait pas ? Si vraiment il avait tout simplement décidé qu’il n’a plus rien à faire avec moi, que c’est mieux ainsi, s’il avait tout simplement pris les devants sur sa nouvelle vie qui se profile ? J’ai le cœur lourd, ses battements assourdissants secouent mon corps tout entier, m’épuisent. Si seulement c’était aussi facile de faire revenir le garçon aimé que de réécouter un bon morceau de musique.
    15h43. Non, ce n’est pas possible : ça ne peut pas se finir de cette façon entre nous. Et même si, par suprême malheur ça devait se finir – idée dont la simple évocation me plonge dans un désespoir total, me fait mourir de l’intérieur – je crois avoir droit à un épisode final, un épisode où je pourrai poser toutes les questions, avoir toutes les réponses.
    16h04. Les trois « Danses », pêchues et entraînantes, me redonnent espoir.
    Mais putain ! Il DOIT venir, au moins une dernière fois ! Il va quand-même venir récupérer sa chaînette… il semble quand-même y tenir, merde ! Au fait, je ne me suis jamais posé la question : qu’est-ce que représente cette chaînette pour lui ? Depuis quand il la porte ? Je l’ai toujours connu avec, dès ses 15 ans, du premier jour du lycée. Mais comment est-elle arrivée autour de son cou ? Quelqu’un lui a offerte ? Ça m’étonnerait que ce soit un cadeau de l’une des nanas avec qui il a couché : je pense qu’il ne l’aurait pas gardée. J’aimerais tant savoir.
    16h16. Le Casse-Noisette enjambe le pas au Lac des Cygnes : la « Danse de la Fée Dragée » arrive et, avec elle, le souvenir du jour déjà lointain où j’ai découvert ce chef d’œuvre qu’est « Fantasia ».
    Il va venir, c’est sûr… mais comment je vais m’y prendre pour le faire rentrer et, surtout, pour qu’il m’écoute ? Et encore, lui dire quoi ? Si je commence à le saouler dès son arrivée, il va se tirer, c’est sûr.
    Avec quelle tenue, avec quelle imprévisible nuance de sexytude va-t-il m’assommer aujourd’hui ?
    16h27. Après la « Danse Arabe » qui plombe à nouveau le moral, la « Danse Chinoise » et la « Danse des Mirlitons » me remettent de bonne humeur.
    Le roman s’attarde sur la description du très beau Vladimir, garçon charmeur et effronté dont la jeune virilité provoque l’émoi chez certains esprits sensibles de son régiment.
    De tout temps, la beauté et l’effronterie d’un jeune mâle ont attisé le désir.
    Je sais que lorsque Jérém sera là, devant moi, sexy au possible, je serai immédiatement assailli par l’envie déchirante de me laisser déborder par sa puissance sexuelle. Ce garçon est ma drogue, son nectar de petit mec, mon énergie.
    Quatre jours que je n’ai pas goûté au contact avec son corps : je suis en manque. Qu’est-ce que ça me manque de l’avoir avec moi, sur moi, en moi ; de le voir, de le sentir prendre son pied ; de le voir jouir ; notre complicité, me manque ; sa présence me manque, à m’en déchirer les tripes elle me manque.
    16h41. Les premières mesures de la « Valse des Fleurs » jaillissent des enceintes et retentissent dans le séjour.

    Écouter La Valse des fleurs en cliquant ICI

    Après une longue introduction, le thème principal démarre : note après note, cercle après cercle, envolée après envolée, la « Valse » dévoile petit à petit sa beauté magique, dans un crescendo détonnant ; plus le mouvement avance, plus je ressens la sensation d’un soudain apaisement, d’un profond bien être se diffuser en moi ; magie de la musique, de la beauté, elle me transporte à un endroit hors du temps et de l’espace où, soudainement, tout me paraît simple, possible, à ma portée.
    Je vais parler à Jérém, je vais lui dire à quel point je l’aime : il ne pourra pas être insensible à l’amour que je lui porte.
    Mais quand lui parler ?
    C’est simple : je vais lui parler après l’amour, en surfant sur les bonnes dispositions qu’apporte le plaisir.
    Mais est-ce qu’il aura envie de coucher avec moi ?
    Bien sûr qu’il en aura envie : il aime trop ça.
    Mais s’il est toujours aussi en pétard qu’il l’était hier, rien n’est moins sûr…
    Mais il ne le sera pas : et même s’il l’est, je vais l’accueillir avec le sourire, je vais détendre l’ambiance, je vais faire en sorte qu’il se sente à l’aise. Je vais le faire jouir comme jamais, le faire jouir à le rendre dingue…
    Oui, lui parler après l’amour… mais attaquer par quoi ?
    C’est évident : par son départ à Paris. Je vais profiter de l’occasion pour lui dire à quel point je suis heureux pour lui, fier de lui, mais en même temps à quel point cela m’affecte, à quel point je tiens à lui…
    Problème : cela serait une super accroche, sauf que j’ai promis à Thibaut d’attendre que ce soit lui-même à m’en parler…
    Mais il va m’en parler, c’est sûr : il va venir pour sa chaînette, mais il va venir pour ça aussi ; et peut-être même que son attitude va parler pour lui, qu’elle va me montrer à quel point ça le touche de partir loin de… nous…
    Il va juste me falloir la jouer avec du tact : lui faire comprendre qu’il m’a manqué, tout en évitant de me montrer trop affecté par cette semaine sans lui ; et, en ce qui est de l’avenir, je dois essayer de lui faire comprendre que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que l’on puisse continuer à se voir, avec toute la discrétion que son nouveau statut va certainement lui demander.
    La Valse s’envole de plus en plus haut, et mon cœur avec.
    Dans le passage que je suis en train de lire, le Général Apraxine s’ouvre au protagoniste du fait d’avoir sur les bras une affaire de mœurs qui le met dans le plus grand embarras.
    « Le chef d’accusation est donc si grave ? » s’étonne son interlocuteur.
    La Valse s’élève, virevolte, s’emballe.
    « Oui et non » admet le Général « s’il s’agissait d’un homicide, ou si la sécurité de l’Etat se retrouvait en jeu, ma religion serait faite. Mais ce genre d’affaire ? Menace-t-elle l’ordre établi ? Certaines civilisations anciennes n’avaient rien à redire, là où nous rebiffons avec un sentiment d’horreur… ».
    Quand j’y pense, le parallèle est saisissant.
    Certes, je ne vis pas dans la ville de Saint Pétersbourg des Tzars, au 19ème siècle : je vis à Toulouse, dans une démocratie accomplie, 120 ans plus tard ; je vis en France, ce pays où, depuis 20 ans – que 20 ans, mon Dieu, que 20 ans ! – être pd n’est plus un délit aux yeux de la loi.
    Je vis dans un pays où l’on a déjà entendu à la radio que : « La différence, quand on y pense, mais quelle différence… » ; ou encore que : « Adam et Yves, ce sont des choses qui arrivent » : hélas, ce n’est pas pour autant que les regards portés sur deux garçons qui s’aiment sont toujours bienveillants.
    Les dernières envolées de la Valse des Fleurs brillent de mille feux.
    Bien sûr, ça me fait chier que Jérém n’assume pas le fait d’aimer être avec moi ; mais, quelque part, je le comprends : oui, je comprends que le risque de troquer l’admiration dont il est entouré, par le mépris qui l’attend en s’assumant, ça puisse le faire réfléchir ; d’autant plus maintenant, alors qu’il s’apprête à devenir un personnage public.
    Hélas, en 2001 encore, être gay rime encore trop souvent avec le bon vieux dicton : « vivons heureux, vivons cachés » ; en 2001 encore, être gay et aimer au grand jour, ce n’est ni simple, ni courant.
    16h46. Je ne saurai dire par quel obscur raccourci le bonheur suprême d’écouter la musique de Tchaïkovski me renvoie soudainement au bonheur de contempler la plastique de mon bobrun.
    Une magnifique mélodie, un corps parfait ; l’une et l’autre percutant mon cœur, mon esprit, le cueillant par enchantement à chaque rencontre : le temps d’un enchaînement de notes pour l’une, le temps d’un regard, d’un âge de jeunesse pour l’autre ; l’un et l’autre bouleversants et fugaces, l’un et l’autre nous mettant face à la frustrante impuissance à capturer l’essence ultime de leur profonde beauté. La beauté ne se capture pas : elle s’apprécie.
    Le grand final approche, la musique fait des boucles de plus en plus grandes, de plus en plus hautes ; elle part loin, revient, insiste, persiste, comme mon regard, comme mon désir sur l’anatomie d’un bogoss. Sensualité de la musique et sensualité d’un corps ; les notes s’envolent, le va-et-vient de la musique me renvoient à d’autres va-et-vient, pendant l’amour.
    La musique est en boucle dans ma tête, dans mon esprit ; mon désir pour Jérém l’est aussi.
    C’est sur les toutes dernières échappées des cordes de la « Valse des Fleurs », qu’un nouvel instrument, jouant une seule et unique note dissonante, s’invite dans l’orchestre.
    La sonnerie de la porte d’entrée vient de retentir dans la maison.
    Je me fige, j’arrête même de respirer pour être sûr que je n’ai pas rêvé. Mon cœur ne délivre plus de simples battements, il envoie carrément des coups de massue contre ma cage thoracique ; j’ai l’impression que mon cœur va exploser, ou cesser de battre, que ma poitrine va s’ouvrir en deux.
    À cet instant précis, les cordes déchainées de la « Valse » glissent sur moi comme l’eau bénéfique d’une source, elles me procurent un intense bonheur ; j’hésite à bouger, à casser cet instant de perfection, pour aller à l’encontre d’une rencontre qui s’annonce difficile.
    Une deuxième sonnerie retentit dans la maison. Le bogoss sonne toujours deux fois. Je prends une grande inspiration, je rassemble mes forces, je bondis littéralement sur mes pattes.
    Dans ma précipitation, je manque de commettre l’irréparable : couper la « Valse » à 15 secondes de la fin ; je me ravise tout juste à temps, avant que mon doigt n’appuie sur le bouton et ne me fasse rater cet orgasme musical.
    Je traverse le couloir comme enveloppé, porté, encouragé, soutenu par les toutes dernières mesures retentissant dans la maison. Je pose ma main sur la poignée, je la tourne, je tire le battant vers moi, alors que les cinq toutes dernières notes se bousculent, s’entrechoquent, et que le silence tombe aussitôt derrière moi.
    Le bonheur provoqué par la musique résonne encore dans ma tête que déjà un nouveau bonheur s’empare de tout mon être : l’image du bogoss transperce ma rétine, mon cerveau, mon cœur, mes entrailles ; et je ressens, tout à la fois, un nœud dans la gorge, une brûlure dans le ventre, un choc dans la tête comme si on m’avait assené un coup en pleine figure ; j’ai envie de hurler, de pleurer, de me jeter sur lui direct.
    Le bogoss est là, devant moi, ses cheveux bruns coupés très courts autour de tête, faisant raccord avec sa barbe de quelques jours ; sur le haut du crâne, son brushing est relevé et fixé au gel – mais pas figé – en une sorte de crête partant légèrement sur un côté. C’est beau, c’est sexy, c’est « petit con » tout craché.
    Sa tenue du jour comporte une chemisette couleur bleu pétrole, teinte unie ; le premier bouton défait, mon regard tombe direct sur son petit grain de beauté, si mignon, si sexy ; les manchettes enveloppent parfaitement ses biceps et s’arrêtent juste en dessus de ses deux tatouages ; alors que la coupe, visiblement conçue dans le but précis de redessiner ses épaules et ses pecs, retombe à hauteur des poches d’un jeans assez clair, taillé dans un tissu qui a l’air très doux.
    Les deux pans enveloppent son torse avec une justesse redoutable, avant de se croiser sur un alignement de boutons qui semble à un souffle près de forcer sur les fentes, sans pourtant y parvenir.
    Si le logo d’une marque de prêt-à-porter à la mode n’apparaissait pas sur la manchette gauche, je dirais que cette chemisette a été coupée sur mesure. Ça me donne juste envie de pleurer.
    Envie de défaire ces boutons un à un, comme l’autre jour, avec sa chemise du taf, et découvrir tous les arômes dégagés par sa peau de jeune mec ; envie de plonger mon visage entre le tissu et sa peau, mes mains dans ses cheveux ; envie de poser mes lèvres sur chaque millimètre carré de sa peau.
    Mon regard tombe sur le pli de sa braguette, promesse de bonheurs infinis ; mes mains frémissent déjà à l’idée de frôler ce tissu ; d’ouvrir, là encore, un bouton après l’autre, de découvrir le riche bouquet de fragrances de mec qui se cache derrière ; envie de découvrir un autre tissu, dernière barrière me séparant de sa queue raide ; envie de me mettre à genoux tout de suite et de l’avoir enfin en bouche, envie de le sentir frissonner de plaisir sous les caresses de ma langue.
    Mais pour l’heure, le bogoss est toujours là, devant moi, planté sur le pas de la porte.
    « Salut » il finit par me lancer « tu me files ma chaînette ? ».
    Le ton de sa voix est distant, le regard fuyant.
    « Tu veux pas rentrer un moment ? »
    « Non, donne la chaînette, je dois y aller… ».
    « Et s’il te plaît ? » je cherche à gagner du temps.
    « S’il te plait ! » fait-il sur un ton agacé.
    « Rentre, Jérém… ».
    « Je suis pressé… ».
    « Allez, juste 5 minutes… ».
    « Je te dis que je dois y aller, je suis juste passé récupérer ma chaîne… ».
    « Viens, rentre… » je lui répète, tout en attrapant son avant-bras, simple contact qui a l’effet d’une décharge électrique « rentre juste un moment… je vais te la donner ta chaîne… ».
    Jérém oppose une résistance.
    « S’il te plaît… » j’insiste.
    Le bogoss finit par se laisser faire. Il avance, il franchit le seuil de la maison ; sur son passage, mes narines sont percutées par le coup de fouet d’une fragrance fraîche et boisée inconnue jusque-là.
    Je me retiens de lui sauter dessus sur le champ et je referme la porte derrière nous.
    « Bon, tu me la donnes, maintenant ? ».
    J’attrape la chaînette dans le col de mon t-shirt et je tente de défaire la fermeture ; j’ai les doigts qui tremblent, j’ai du mal à y parvenir ; je capte le regard de mon bobrun : il a l’air étonné que je la porte. Peut-être touché aussi.
    J’arrive enfin à ouvrir le faux maillon, je tire par un bout et je sens les mailles glisser une dernière fois sur ma peau ; je rassemble la chaînette dans ma main et la lui tends.
    Je ressens un frisson intense rien qu’au contact du bout de ses doigts venant chercher l’objet dans le creux de ma main.
    Le bogoss la passe aussitôt autour de son cou ; lorsqu’il relève la tête, les mailles reprennent leur place autour de son cou puissant, retombant sur le deuxième bouton de la chemisette ; définitivement, cette chaînette de mec fait bien plus d’effet sur lui que sur moi.
    Le bogoss fait déjà demi-tour pour repartir.
    « Tu veux pas rester un peu plus ? » je tente de le retenir.
    « Non ! ».
    Sa réponse est sèche.
    Jérém attrape la poignée de la porte, il se prépare à l’ouvrir. Je m’appuie dessus avec mon dos pour l’en empêcher.
    « Qu’est-ce que tu fais ? » il me lance, toujours sans me regarder.
    « Qu’est ce qui ne va pas, Jérém ? ».
    « Tout va très bien ! ».
    « Je te trouve bizarre… ».
    « Ne me casse pas les couilles, Nico ! ».
    « Mais regarde-moi, putain ! » je finis par lui lancer. Je n’en peux plus de son regard qui me fuit.
    « Sors-toi de là, laisse-moi partir ! » fait Jérém en forçant sur la poignée.
    « Attends un peu, Jérém ! ».
    « Pour quoi faire ? ».
    « Pourquoi tu ne passes plus à la pause ? ».
    « Je n’ai pas le temps ».
    « C’est des conneries, t’avais toujours le temps la semaine dernière… ».
    « Alors je n’ai plus le temps… ».
    « Un jour tu m’as dit qu’il y a toujours le temps pour une pipe… ».
    « Pas aujourd’hui… ».
    « Quand, alors ? ».
    « Je ne sais pas, tu m’emmerdes ! ».
    « Rien qu’un câlin me suffirait… ».
    « Arrête, Nico, vraiment ! » fait-il, de plus en plus irrité.
    « Tu ne te souviens pas comment c’est bon… » je lui chuchote, tout en approchant le nez du creux de son cou pour en capter les arômes boisés, alors que mes lèvres frémissent déjà en rêvant de se poser sur sa peau, alors que mes mains frôlent déjà le Denim tout doux de son jeans à hauteur de sa braguette.
    Jérém tente de me repousser. Je reviens à la charge, passe ma main sur sa chemisette à hauteur de ses pecs : je le sens frissonner ; je caresse sa bosse : je sens la bête grossir sous le tissu doux et souple.
    « Ne me dis pas que tu n’en as pas envie… ».
    Je connais mon bobrun : sa déglutition nerveuse et sa respiration profonde traduisent son excitation montante.
    Le bogoss semble se laisser faire. Je prends confiance, je colle ma braguette contre la sienne, je frotte ma bosse contre la sienne ; j’envoie mes doigts à l’assaut du deuxième bouton de la chemisette, impatient de les défaire.
    Je n’en aurai pas le loisir : ses mains repoussent les miennes, avant de me repousser tout court, m’obligeant à me décoller de lui.
    Le regard toujours fuyant, il commence à défaire les boutons, l’un après l’autre, lentement : je le regarde faire, d’abord déçu de ne pas pouvoir le faire moi-même ; puis, très vite, je me prends à observer le naturel, sa simple beauté de ses gestes avec une sorte d’enchantement ; je suis envouté par l’harmonie de ses mouvements, mélange de puissance et de nonchalance, une grâce éminemment masculine.
    Mais comment est-ce possible de dégager autant de sexytude ?
    Bouton après bouton, ses pecs se dévoilent : la peau est mate, douce, lisse et… imberbe. Hélas, les adorables poils bruns qui avaient commencé à coloniser sa peau ont récemment subi le supplice « Gillette ».
    C’est peut-être con, mais je suis déçu et inquiet face à ce changement : car ces petits poils étaient un peu à mes yeux le symbole de notre complicité : je lui avais dit à quel point je les adorais et il les avait gardés ; il les avait gardés pour me faire plaisir, sans en avoir l’air, en prétextant la flemme de les raser, tant que nous étions dans la complicité.
    Depuis lundi, nous nous sommes à nouveau éloignés : notre complicité a été rompue, et les petits poils bruns en ont été les victimes collatérales. Putain, mais quel dommage !
    Après les pecs, ses abdos apparaissent à leur tour, carreaux après carreaux : c’est à hurler.
    Mise à jour du dossier « Expériences de Déshabillage de Mon Bobrun » : oui, c’est beau et c’est bon de défaire la chemise de mon bobrun en vue de l’amour, j’en ai fait l’expérience et la réflexion pas plus tard que lundi dernier ; mais, là, à cet instant précis, je me rends compte que c’est tout aussi très beau et délicieusement bon de le voir l’ouvrir par lui-même.
    Je regarde ses doigts défaire les boutons : ses mouvements sont cadencés, presque rythmés ; je me fais la réflexion que ses gestes ont quelque chose d’une parfaite mélodie.
    Valse de ses doigts, valse de mes regards, de pecs en abdos, d’abdos en nombril, de nombril en chemin de petits poils : me voilà face à une perfection plastique qui inspire le désir le plus brûlant, le plus irrépressible qui soit ; qui provoque de furieuses envies sensuelles et sexuelles, toutes les unes plus torrides et brûlantes que les autres ; et, par-dessus tout, la déchirante envie d’être possédé, démonté par la puissance de ses muscles, rempli de sa sexytude.
    Pourtant, il n’y a pas que ça.
    Quand je regarde Jérém, lorsque je m’énivre de sa présence, je sens qu’au-delà de sa sexytude radioactive (et si, à l’instant T, je fais abstraction de son humeur de chien), il y a autre chose qui se dégage de lui : c’est un quelque chose qui m’hypnotise, qui transperce le cœur de mille piqures, qui vrille les tripes.
    Un tableau de maitre, une sculpture de génie, une architecture majestueuse, la magie d’une mélodie, la présence de l’homme qu’on aime : il y a comme une sérénité ultime, quelque chose de rassurant, d’apaisant, qui se dégage de ce genre de perfection.
    La plastique de mon bobrun, faite d’éléments saillants et des creux ; la musique de Tchaïkovski, faite de sons et de pauses ; le même rythme, la même harmonie. Peut-être que, finalement, le raccourci que mon esprit fait entre les deux émotions, n’est pas si obscur que ça.
    Ne seraient-ce pas, l’une et l’autre, de simples déclinaisons d’une seule et unique ultime émotion ? Ne semblent-elles pas jaillir, l’une et l’autre, d’une source de Grâce qui n’en finira jamais de délivrer, sans jamais la dévoiler entièrement, son intense beauté ? Dans l’une comme dans l’autre, ne retrouve-t-on pas cette émotion ultime, la plus grande et bouleversante que mon cerveau, mon esprit et mon cœur réunis sont capables d’affronter, la rencontre avec la Beauté Absolue, celle qui brûle les rétines, transperce le cœur, arrache les tripes ?
    Je parle de cette Beauté Ultime qui éblouit, percute, assomme ; cette Beauté qui conduit inévitablement à l’impression, brûlante frustration, d’être incapable d’en fixer toutes les nuances, d’en embrasser complètement la perfection ; un peu comme lorsqu’on se retrouve confrontés à un panorama époustouflant et que le regard cherche sans cesse où se poser.
    Il y a une sorte de fascination à contempler autant de perfection.
    Je contemple mon bobrun, la chemisette complètement ouverte, la chaînette posée entre ses pecs, le grain de beauté bien visible à la base de son cou, le tatouage qui sort du col et remonte vers son oreille ; je laisse le regard glisser tout le long des pecs et des abdos, jusqu’à rencontrer cette insolente ligne de poils qui descend du nombril et disparaît dans cet élastique de boxer bleu qui dépasse si scandaleusement, si insolemment du jeans ; le regarder, rien que le regarder, ça me donne des frissons de façon quasi mystique.
    Et lorsque le bogoss a ce geste inouï – il défait sa ceinture, avant d’ouvrir le premier bouton de sa braguette, sans aller plus loin, comme une injonction à aller chercher ce à quoi je ne peux résister – j’ai tout simplement envie d’hurler.
    « Viens, on monte… ».
    Jérém semble réticent à ma proposition.
    « Allez, viens… on sera plus tranquilles là-haut… » je tente de le rassurer, tout en saisissant un bout de l’élastique de son boxer, en frôlant de mes doigts la peau douce et ferme de ses abdos chauds. Je brûle de désir.
    Le bogoss me défie du regard mais finit par me suivre.
    Je referme la porte de ma chambre et, soudainement, une idée traverse mon esprit. Je me dis qu’un cadeau pourrait le mettre dans de bonnes dispositions ; je me dis que je dois tenter le tout pour tout pour lui montrer à quel point mon amour est profond et sincère, à quel point sa présence ne me quitte jamais : d’autant plus que c’est peut-être la dernière occasion que j’aurai de le faire.
    Alors, sans réfléchir davantage, je fonce dans mon placard, j’attrape le maillot de rugby blanc et rouge que j’ai acheté à Londres quelques semaines plus tôt, et je le lui tends.
    « Tiens, ça c’est pour toi… ».
    « C’est quoi, ça ? ».
    « Regarde… ».
    Jérém plonge sa main dans le sac plastique et en ressort le maillot. Je le regarde en train de le déplier ; ses gestes sont lents, son regard traduit d’abord la surprise et la curiosité ; mais lorsque le logo ailé des « Newcastle Falcons », le numéro 10, le nom imprimé sur le dos et le code couleur du maillot font bingo dans sa tête, ce sont carrément des étoiles de bonheur de gosse qui se bousculent dans son regard.
    Pendant une seconde, j’ai le sentiment que Jérém est remué, ému, et qu’il est sur le point de craquer, de se jeter sur moi, de m’embrasser, de me remercier de cette super idée, de me dire à quel point ce cadeau lui fait plaisir, à quel point il est touché par mon geste ; de me dire qu’il a enfin compris à quel point je l’aime, à quel point il est désolé pour son silence de la semaine, et à quel point nous pouvons peut être heureux tous les deux ensemble.
    « Ça te plait ? ».
    « Je ne pourrai pas trop le mettre… mais… merci… ».
    Puis, soudainement, l’expression de son visage change à nouveau du tout au tout : l’émotion laisse à nouveau la place à la froideur, à la distance, au silence embarrassant.
    Très vite, je suis à genoux devant lui, en train de défaire sa braguette au tissu si doux, en train de caresser le boxer bleu intense et de provoquer la bête tapie à l’intérieur. Tout aussi vite, son jeans et son boxer finissent sur le carrelage. Alors que le maillot blanc et rouge atterrit en vrac sur mon bureau.
    « J’ai envie de fumer… ».
    « Vas-y, fais toi plaisir… » j’ai envie de le mettre à l’aise, alors que j’ai horreur de l’odeur de la fumée de cigarette dans ma chambre.
    Je me déshabille pendant qu’il allume sa cigarette et je commence à pomper avidement cette belle queue tendue.
    Les épaules appuyées au mur, la chemisette ouverte sur son torse dessiné, le bassin bien en avant, le bogoss me laisse le sucer, tout en fumant sa clope ; il se laisse sucer en silence, un silence cadencé par le bruit de ses taffes et de ses expirations.
    Le contact de ses doigts sur mes tétons me manque. Non seulement pour le plaisir et l’excitation que ce contact me procure, mais aussi et surtout pour le changement que cela semble illustrer dans son attitude, preuve supplémentaire du fait que notre complicité sensuelle a bel et bien disparu. J’ai presque l’impression que cette pipe, il ne l’apprécie pas vraiment ; j’ai comme la désagréable impression de lui forcer la main.
    Dans un geste presque désespéré, j’attrape sa main libre, je la porte à mes tétons, en espérant qu’elle retrouve le plaisir de me faire plaisir.
    Elle s’y attarde un très court instant, sans entrain, et elle repart aussi vite ; elle atterrit sur ma nuque, et elle s’emploie aussitôt à impulser des mouvements désordonnés, là aussi sans entrain.
    Mais il y a un autre truc qui me chiffonne, en plus de tout ça : c’est un petit goût que ma langue a décelé dès le premier contact avec son gland : c’est un goût que je connais trop bien pour ne pas le reconnaître : c’est le goût de sa queue… après une première jouissance.
    Bien sûr, ça fait plusieurs jours que nous n’avons pas couché ensemble : mon bobrun, habitué à jouir plusieurs fois dans l’après-midi, n’allait pas faire disette pendant tout ce temps ; mais j’ai du mal à l’imaginer en train de se branler, alors que tant de regards se tournent sur son passage… 
    Il arrive d’où à cette heure si inhabituelle ? Avec qui il a passé le plus clair de sa pause ? Avec qui il a joui, putain ?
    Soudainement, l’idée que mon bobrun puisse avoir pris du plaisir avec quelqu’un d’autre que moi m’apparaît insupportable, et déclenche en moi une violente décharge de jalousie. Tellement violente qu’elle me coupe toute envie ; tellement violente que j’arrête de le sucer : tellement violente que je dégage ma nuque de la prise de sa main et je plante mon regard dans le sien, en quête d’une réponse à une question que je n’ose pas poser.
    « Y a un problème ? » fait le bogoss, une étincelle de défi dans son regard, avant de me sommer : « suce, sinon je me tire ! ».
    Alors, je le suce. Je le suce malgré les questions qui assaillent mon esprit et que sa réaction de petit con n’a fait qu’attiser ; je suce alors que sa main se pose désormais lourdement sur ma nuque pour imprimer un puissant mouvement de va-et-vient ; je le suce, alors que je n’en ai plus vraiment envie.
    Je suis obsédé par cet arrière-goût qui disparaît au gré de ma pipe, mais qui persiste dans mon nez, et dans mon esprit.
    Ses coups de reins se font de plus en plus puissants, de plus en plus débordants, de plus en plus étouffants.
    « Je vais jouir et tu vas tout avaler… » fait-il en sortant enfin de son silence.
    C’est au mot près ce qu’il m’avait dit, au même moment, dans la même position, dans la même circonstance, le jour de notre toute première révision.
    Je suis percuté, assommé par l’inquiétante sensation d’une sorte de boucle qui se referme sur notre relation, comme si nous venions de faire une révolution complète qui nous aurait ramenés au point de départ ; comme si ce clin d’œil, volontaire ou pas, au tout début de notre relation, était un présage de la fin.
    Pourtant, si les mots sont les mêmes, le ton sur lesquels ils sont balancés change : ainsi, sa totale assurance du premier jour semble désormais replacée par une sorte de mélancolie, que son attitude de macho d’aujourd’hui n’arrive pas complètement à masquer.
    Un instant plus tard, il jouit bien au fond de ma gorge. Sa semence est chaude, bonne, délicieuse. Pourtant, elle a un goût amer.
    Très vite, il se retire d’entre mes lèvres, il s’allonge sur le lit, en silence. Il a l’air fatigué.
    Je m’allonge à côté de lui, dans l’espoir fou qu’il me serre dans ses bras comme il l’a fait parfois la semaine dernière. Mais le bogoss ne bouge pas un orteil.
    Le silence devient vite pesant ; je plonge un instant, j’émerge en sursaut.
    Jérém s’est déjà levé, il est en train de fumer à la fenêtre.
    Je regarde l’heure, il est 17h25.
    « Tu reprends quand ? ».
    « Je vais y aller… ».
    « Déjà ? ».
    « Oui… »
    Je le regarde, tout juste habillé de sa chemisette ouverte, ses jolies fesses dépassant au-dessus du tissu léger. Je ne veux pas qu’il parte : j’ai envie de lui, horriblement envie de lui.
    Je dois aussi lui parler : je dois lui parler sans faute.
    Mais pour l’heure, je suis happé par sa présence, pas le désir ; et tant que cette envie me brûlera de l’intérieur, je n’aurai pas l’esprit assez clair pour l’« affronter ».
    Je cherche à me rassurer en me disant qu’après une nouvelle jouissance, il sera peut-être dans de meilleures dispositions, que ce sera plus facile de lui parler.
    « J’ai envie de toi… » je finis par lâcher, tout simplement.
    « J’ai pas le temps… » c’est sa réponse laconique.
    Mon corps est une torche d’excitation embrasée. Je me tourne, je m’allonge sur le ventre, face à lui.
    Le bogoss tourne légèrement le visage, la cigarette fumante entre deux doigts.
    J’ai vraiment trop envie de lui ; plus qu’une envie, c’est un besoin. Et j’ai aussi besoin de me prouver qu’il a encore de la ressource, qu’il n’a pas trop baisé cet après-midi.
    Ma queue est dure comme du bois, hypersensible : j’ai besoin d’avoir mon mâle en moi.
    Du coin de l’œil, je capte la présence de son boxer bleu sur le sol. Je plonge pour le saisir, et je plonge mon visage dans l’intimité odorante du mâle.
    Ses yeux, ses oreilles, ont tout petit un mouvement soudain, le genre de mouvement qui se produit inconsciemment lorsque certaines cordes vraiment sensibles sont sollicitées.
    Preuve en est que sa main s’est glissée sur sa queue, et elle a commencé à la caresser. Je suis tellement fou de désir que j’en tremble.
    « Il n’y a que toi qui me fait cet effet, Jérém… ».
    Un instant plus tard, il écrase son mégot sur le rebord de la fenêtre, il avance vers le lit ; armé de son assurance de jeune mec, il passe à côté de moi, laissant derrière lui une trainée de son nouveau parfum, comme un coup de fouet olfactif ; et il disparait, dans mon dos.
    Le matelas se dérobe sous mes jambes, sous l’effet du poids de son corps. Ses doigts empoignent mes fesses avec fermeté, les écartent avec un bon geste puissant de mec ; la chaleur de ses paumes me rend dingue. L’envie me consume.
    Déjà, une bonne perle de salive tombe à l’aplomb de ma rondelle ; puis, son gland vise juste, très juste. Ses mains écartent encore, son bassin exerce une pression croissante, jusqu’à ce que les muscles de mon petit trou cèdent pour le laisser venir en moi.
    Sa queue s’enfonce d’une seule traite. Le bogoss marque une pause au fond de moi, cette pause qui est depuis toujours sa signature virile. Sa chemisette atterrit sur le lit, juste à côté de moi.
    Ses mains saisissent mes épaules, et le bogoss se sert de cet appui pour commencer à me limer.
    Son bassin claque contre mes fesses, ses cuisses contre mes cuisses, ses couilles contre mes couilles, son gland bien au fond de mon ventre.
    J’ai tant voulu que ça arrive ; pourtant, très vite, je me rends compte que ce qui est en train de se passer ne correspond pas du tout à mes attentes : ses mains s’agrippent de plus en plus fermement à mes épaules, et elles ne cherchent à aucun moment à aller me faire du bien auprès de mes tétons ; ses va-et-vient ont une allure comme mécanique, qui tranche rudement avec la complicité des dernières fois.
    C’est une sensation rendue encore plus insupportable par son silence assourdissant, un silence souligné par les bruits de fond – sa respiration monocorde, le grouillement de la ville qui remontent de la rue, un petit couinement du lit, le rideau malmené par le Vent d’Autan.
    Voilà tout un ensemble de (mauvaises) sensations qui me renvoient à l’un des pires souvenirs de ma vie, à cette baise inutile avec ce Mourad levé devant le On Off quelques temps auparavant.
    Quand je pense qu’il y a seulement quelques jours je faisais l’amour, un amour intense, complice, explosif, avec ce même garçon, sur ce même lit… qu’est-ce qu’on est en train de faire, là ?
    Rien de plus qu’une saillie qui a quelque chose d’incroyablement triste. Je me sens étouffer sous les coups de cette baise sans bonheur. Cette baise, c’est une erreur, une insulte au bonheur de la semaine magique.
    Dans un sursaut de désespoir, je me déboite de lui, je m’arrache à la prise de ses mains, je me retourne ; fou de désir, mais avant tout de frustration, de tristesse et d’angoisse, à la recherche désespérée de notre complicité perdue, j’embrasse fébrilement son torse, ses pecs, son cou, ses lèvres.
    Jérém ne réagit pas : il reste immobile, comme médusé, le regard toujours absent.
    Dans un geste encore plus désespéré, je prends son visage entre mes deux mains et je le couvre de bisous ; Jérém tourne la tête, il détourne ses lèvres. Ses mains saisissent mes épaules pour m’inviter à me retourner à nouveau.
    C’est avec un mélange de tristesse et de désolation que je seconde son geste, et que je le laisse revenir en moi. Ses mains reviennent agripper fermement à mes épaules, et il recommence à me pilonner de la même façon, mécaniquement, en silence.
    Comme c’est triste de revenir à la baise, alors qu’on a gouté au bonheur de faire l’amour, avec le garçon qu’on aime.
    Les minutes passent, sa respiration s’emballe, ses coups de reins s’enchaînent dans des séquences d’une puissance inégale ; son corps semble fatiguer dans cette course derrière un orgasme qui ne veut pas se laisser attraper.
    Désormais il n’y a plus de doute, Jérém s’est déjà vidé les couilles cet après-midi.
    La jalousie, l’inquiétude, la tristesse de cette baise sinistre font évaporer toute excitation de mon corps ; je n’ai plus qu’une envie, c’est qu’il arrive vite au bout de cette saillie interminable.
    J’essaie de tenir bon, de prendre sur moi, en me disant qu’il ne doit plus être très loin de son orgasme : mauvaise spéculation, ses assauts n’ont pas l’air de vouloir cesser de sitôt.
    « Arrête, Jérém, j’ai plus envie… » je lui lance.
    « Je viens… » fait-il, tout en ralentissant ses va-et-vient.
    Ses mots sont immédiatement suivis par de nombreux râles bruyants, comme de grands cris de triomphe après un effort considérable.
    Ce qui ne m’empêche pas de ressentir en moi le souvenir de l’une des pires baises avec Jérém, dans une cabine des chiottes du lycée ; une baise tout aussi mécanique, aussi froide, tout aussi déplaisante sur la fin.
    Lorsque ses coups de reins cessent, la prise de ses mains sur mes épaules disparaît également, et sa queue s’arrache de moi aussitôt.
    Je me retourne, et Jérém est déjà assis sur le bord du lit, le boxer à la main.
    Après cette baise sans âme, je ne peux pas le laisser repartir comme ça. J’ai plus que jamais besoin d’un peu de chaleur de sa part. Je m’approche de lui, je pose ma main sur son épaule, je tente un câlin.
    « Arrête ! » fait-il, sur un ton très agacé, tout en se secouant avec un geste énervé.
    « Jérém… ».
    « Arrête, je te dis ! ».
    « Mais qu’est-ce qu’il te prend ? ».
    « Fiche-moi la paix ! ».
    « Qu’est-ce qu’il t’arrive depuis quelques jours ? ».
    « Arrête, Nico… ».
    « Non, je n’arrête pas… la semaine dernière on a passé des moments de fou, c’était magique… tu étais si différent… tu étais souriant, détendu… on était si complices… pourquoi du jour au lendemain tu ne viens plus, tu ne réponds même pas à mes messages, tu m’évites, tu es froid et distant ? ».
    « Ne me casse pas les couilles, Nico… ».
    « Tu me manques, Jérém… ».
    Le bogoss se tait, immobile, la respiration haletante. Plus je le regarde, plus j’ai l’impression qu’il n’est pas dans son assiette. C’est comme s’il voulait me dire quelque chose, et qu’il n’arrivait pas à trouver le courage de le faire ; comme si quelque chose le tracassait vraiment, comme s’il étouffait d’être dans cette pièce ; comme s’il regrettait déjà d’avoir couché avec moi, de s’être laissé faire.
    C’est dur de savoir, à priori, ce qui le tracasse ; de savoir et de le voir le garder pour lui, de voir qu’il n’a pas l’intention de m’en parler, alors que je suis aussi concerné que lui ; c’est dur de savoir et de ne pas pouvoir lui en parler, parce que j’ai promis de ne pas le faire.
    Je regarde son dos en V, ses épaules, ses tatouages, ses beaux cheveux bruns, ses oreilles adorables ; je regarde ce garçon que j’ai envie de couvrir de bisous et de câlins, sans pouvoir le faire.
    « Est-ce que j’ai fait ou j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? » je tente d’attaquer ses remparts par un côté qui me semble moins bien gardé.
    « Arrête Nico ! » fait-il en passant son boxer bleu.
    « Mais putain, parle-moi, Jérém ! » je lui lance, tout en passant à mon tour mon boxer et mon t-shirt et en me glissant sur le bord du lit, juste à côté de lui.
    « Je n’ai rien à te dire ! » fait-il sur un ton agacé, en se penchant pour attraper son jeans.
    Le geste est rapide et brusque ; c’est lorsque le jeans atterrit sur ses genoux que quelque chose tombe de sa poche et atterrit sur le carrelage juste devant nous. Un petit bruit sec, pourtant assourdissant.
    Mes yeux m’apportent une image à laquelle mon cerveau se refuse de croire. J’ai envie de hurler mais je me sens comme tétanisé. J’ai la tête qui tourne, j’ai l’impression que le ciel vient de me tomber sur la tête.
    Ce n’est que lorsque Jérém se baisse pour ramasser ce qui est tombé que je trouve la force de réagir :
    « C’est quoi, ça ? ».
    Mes mots ne sont que le reflexe de cette souffrance soudaine qui envahit mon cerveau, mon cœur, et mon corps même.
    « C’est rien… ».
    « Tu te fiches de moi ? »
    L’image de cette capote tape dans ma tête comme un Cognard ensorcelé. Je ressens un douloureux sentiment de désolation envahir mon cœur, mon cerveau, mon esprit, comme une présence de Détraqueur, me laissant dans le désespoir absolu que tout bonheur me soit interdit, à tout jamais.
    Ça fait mal, ça fait trop mal ; tellement mal que je sens approcher le point au-delà duquel il m’aura fait trop souffrir pour que je puisse lui pardonner, le point à partir duquel mon amour sera tellement meurtri qu’il cassera en mille morceaux. Ce point que je vois approcher à grand pas, c’est le point de non-retour de notre relation.
    « Tu… tu… tu couches ailleurs ? » je finis par l’interroger, face à son silence obstiné.
    « Ça ne te regarde pas… ».
    « Ta queue sentait le jus… » je me parle tout seul, sans même réagir à ses mots.
    « C’est toi qui a voulu me sucer à tout prix… ».
    « Tu couches ailleurs ? ».
    « T’es sûr que tu veux vraiment qu’on parle de ça ? ».
    « Oui, je suis sûr ! » je m’énerve.
    « Puisque tu veux savoir… j’ai… une copine… » fait-il, le regard toujours loin de moi.
    Sa jambe est animée par une sorte de vibration, un petit tremblement nerveux qui semble trahir son malaise.
    « De quoi ? ».
    « T’as bien entendu… ».
    Même si ses mots sont prononcés sur un ton à l’apparence détaché, j’ai l’impression qu’il est plutôt mal dans ses baskets, même s’il ne les a pas encore passées à ses pieds.
    « Tu te fiches de moi ?!?! ».
    « Mais pas du tout… ».
    J’ai une soudaine envie de le frapper, mais je suis tellement assommé que mes membres ne répondent même pas à ma colère.
    « Depuis quand ? ».
    « Ça ne te regarde pas… ».
    « Mais t’es pas bien toi… je te rappelle que je te laisse me baiser sans capote… ».
    « Bah, justement, tu vois, je ne prends pas de risque, je mets des capotes ! ».
    « Pourquoi tu me fais ça ? ».
    « Parce que j’ai envie de baiser des nanas… c’est aussi simple que ça… ».
    « Sérieux, tu as une copine ? ».
    « Oui, parfaitement ! ».
    « Et tu l’as rencontrée où ? ».
    « Au taf… ».
    « Au taf ? ».
    Jérém passe son jeans sans répondre à ma question.
    J’ai un mal de chien. Je suis blessé, meurtri, humilié, je bouillonne de l’intérieur.
    « Mais bon sang, Jérém… tu crois que ça me fait quoi de découvrir ça, alors que je viens de te laisser jouir en moi ? ».
    « C’est toi qui a voulu que je te baise… ».
    « Mais t’as bien pris ton pied toi aussi… tu l’as dit la dernière fois… tu n’as jamais joui aussi fort que comme avec moi… ».
    « De quoi ? J’ai jamais dit ça… » il me balance, pendant qu’il chausse ses baskets.
    « Si tu l’as dit ! ».
    « Je ne suis pas pd, fiche-toi ça dans la tête ! »
    « C’est génial ce qu’il y a entre nous… ne gâche pas tout, s’il te plaît ! ».
    « On a bien baisé, oui... j’ai pris mon pied, t’as pris ton pied… mais ça s’arrête là… ».
    « Pas pour moi… ».
    « Bah, ça devrait… » fait-il, en bouclant sa ceinture.
    Sur ces mots, il s’avance vers la porte de la chambre, torse nu, avec sa chemisette à la main. Je me lève d’un bond, je me jette sur la porte pour lui empêcher de l’ouvrir.
    « Qu’est-ce que tu fais ? ».
    Je n’ai plus le choix, je n’ai plus le temps : je ne peux pas lui laisser passer cette porte sans lui avoir dit ce que je ressens pour lui.
    « Jérém… ».
    Jérém, trois syllabes qui contiennent pour moi toute la poésie de l’Univers ; Jérém, ce beau prénom qui rime si bien avec :
    « … je t’aime… ».
    Juste trois petits mots qui s’envolent de mes lèvres ; trois mots, un monde entier.
    C’est un cri du cœur qui me laisse vidé de toute énergie, la poitrine qui tape à tout rompre, la respiration coupée ; un cri qui n’a d’écho que le silence assourdissant de son destinataire, et son regard comme assommé, ébahi, figé.
    « Ecoute, tu sais quoi ? » fait Jérém après une pause insupportable « on va en rester là tous les deux, ça devient trop ingérable tout ça… ».
    Je sens le désespoir m’envahir comme un poison mortel, le ciel me tomber sur la tête, je n’arrive plus à respirer, ma vue se brouille, mes oreilles bourdonnent. Je ne sais même pas comment je trouve la force de le relancer :
    « Pourquoi tu veux tout gâcher ? ».
    « On aurait dû arrêter tout ça il y a longtemps… on n’aurait même jamais dû commencer… ».
    « Tu penses vraiment ce que tu dis ? ».
    « Oui… et ce coup-ci, on va arrêter pour de bon ! ».
    Je suis sonné, j’ai l’impression de venir de recevoir un grand coup de massue sur la tête.
    « J’ai pas envie d’arrêter, moi ! ».
    « Moi si ! ».
    « Mais putain ! Jérém ! Si tu savais à quel point tu comptes pour moi… je n’ai jamais ressenti pour personne ce que je ressens pour toi… quand je te vois, et même quand je pense à toi, j’ai le cœur qui bat la chamade… tu es tout pour moi… j’ai besoin d’être avec toi… je n’ai besoin de personne d’autre, juste de toi… ».
    Je sens mes larmes monter à grands pas.
    « Ça ne peut pas finir comme ça entre nous ! » je pleure.
    Jérém se tait, le regard posé sur la poignée de la porte. Ses traits sont figés, ses paupières clignent nerveusement, ses lèvres sont serrées, parcourues par un frémissement incontrôlable ; sa pomme d’Adam bondit sous l’effet d’une déglutition fiévreuse ; ses yeux se ferment lourdement, se rouvrent ; sa tête a un petit mouvement sur le côté, comme s’il voulait chercher le mien, puis il se perd à nouveau dans le vide.
    J’ai l’impression de me retrouver devant un garçon qui n’est pas mon Jérém ; un garçon qui se fait violence pour être aussi méchant. C’est horrible cette barrière en verre qu’il a érigé pour m’interdire l’accès à son cœur. Et ces barbelés qu’il est en train de tirer partout autour pour me blesser et m’éloigner de lui.
    « Laisse-moi partir maintenant ! » il me lance, tout bas.
    « Jérém, s’il te plaît… je t’aime Jérém, je t’aime tellement, je t’aime plus que tout, je t’aime depuis le premier instant que je t’ai vu dans la cour du lycée ! ».
    « Et moi, ce que j’aime, c’est juste te baiser… ».
    « C’est vrai ? ».
    « Puisque je te le dis… » il lâche, le regard sur ses pompes, les yeux plissés.
    « Regarde-moi dans les yeux, Jérém… regarde-moi dans les yeux et redis-moi ça ! » je le mets au défi.
    Et là, son visage se redresse lentement, son regard se plante dans le mien et il assène froidement :
    « Tu veux vraiment savoir ? ».
    Je sens l’orage venir. Et qu’il va être violent.
    « Il n’y a toujours eu que ton cul qui m’intéressait ! ».
    Je me sens de plus en plus humilié, je sens ma colère monter en flèche.
    « Ça c’est ce que tu dis pour ne pas avoir à assumer ce qui se passe entre nous… » je lui gueule dessus.
    « Arrête donc de faire ton psy à deux balles ! ».
    Jérém me regarde fixement dans les yeux, son regard noir est plein d’éclairs mauvais. Je sais que si je provoque encore, sa méchanceté peut être sans limites. Mais je veux en avoir le cœur net, au risque de me faire terrasser :
    « Tu ne me fera pas croire qu’il n’y a pas un truc spécial entre nous… ».
    « Mais quel truc ? Quand est-ce que tu as vu qu’il y avait ce truc ? ».
    « Tu te souviens du samedi quand tu m’as défendu de cet abruti à l’Esmé… ».
    « Et donc ? ».
    « Quand on est rentrés, tu m’as fait l’amour pour la première fois… ».
    « Tu prends tes rêves pour des réalités ! ».
    « On a passé l’une des plus belles nuits ensemble… tu m’as même demandé de rester dormir… ».
    « J’avais juste envie que tu me suces encore pendant la nuit ! ».
    « Ce n’est pas vrai… tu avais besoin de câlins… tu m’as donné des câlins… mais le matin tu m’as jeté comme une merde… ».
    « On n’aurait jamais dû commencer ces conneries… ».
    « Ce ne sont pas des conneries… tu ne vas pas me faire croire que tu n’as pas aimé tout ce qui s’est passé entre nous ! ».
    « Tais-toi… tout ça c'est de ta faute ! ».
    « Ma faute ? » je chauffe.
    « T'aurais pas dû me proposer de réviser... tu voulais juste baiser avec moi… ».
    « Je te rappelle que c’est toi qui a voulu que je te suce ce jour-là ! ».
    « Tu m’as allumé… t’arrêtais pas de me mater en cours ! ».
    « Bien sûr que je te kiffais, je te kiffais à mort, je te kiffais comme un fou depuis le premier jour du lycée… mais moi je n’aurais jamais osé te proposer quoi que ce soit… ».
    « Tu en crevais d’envie… ».
    « Alors, si tu savais que j’avais envie de coucher avec toi, pourquoi t’as répondu « oui » quand je t’ai proposé de réviser ? ».
    « Parce que je voulais me payer ton cul… ».
    « Donc t’es aussi pd que moi ! ».
    « Arrête de me chercher ou ça va mal se finir... » fait-il, les yeux exorbités, les veines apparentes dans le cou, l’air menaçant.
     « Jérém… » je tente de le raisonner « nous ne faisons rien de mal, nous sommes juste deux mecs qui se font du bien… ».
    « Ferme-la, putain… je ne suis pas pd et je ne veux pas devenir pd comme toi ! Tu entends ? ».
    Ses mots sont blessants, injustes, violents, gratuits.
    « C’est moi le pd, mais en attendant, c’est toi qui m’a trainé au On Off… et qui a invité ce mec pour le baiser devant mes yeux… ».
    « T’as pris ton pied aussi avec ce mec ! ».
    « Mais c’est toi qui a voulu le faire venir chez toi, tu m’as pas demandé mon avis ! ».
    « T’as pas dit non quand je t’ai proposé de venir avec nous à l’appart… tu pouvais partir, je te signale… ».
    « Et te laisser baiser seul avec ce type ? Toi qui n’es pas pd, sans blagues ! Merci le choix ! Et je te rappelle aussi que c’est toujours toi qui lui as dit qu’il pouvait me baiser… alors qu’à la base, c’est toi qu’il voulait baiser ! ».
    « Je ne me laisse pas baiser, moi… mais toi, t’en crevais d’envie ! ».
    « Je crevais d’envie de me retrouver seul avec toi, couillon ! Et toi, toi t’as préféré laisser ce mec me baiser plutôt que d’admettre que ça te faisait chier… ».
    « Ça ne m’a rien fait… ».
    « Arrête, Jérém… tu étais fou de jalousie… je l’ai vu dans tes yeux pendant qu’il me baisait ! ».
    « Non je n’étais pas jaloux ! ».
    « Si, tu l’étais ! Et c’est d’ailleurs pour ça que cette nuit-là aussi tu m’as demandé de rester… et ça a été une autre nuit merveilleuse ! ».
    « Jaloux ? De toi ? » il se moque avec un mépris insultant.
    Je sais que je suis en train de le chercher et de le braquer, mais je ne peux plus m’arrêter.
    « Tu m’emmerdes, Jérém ! Tu n’es qu’un petit macho qui n’a pas les couilles pour assumer ce qu’il est… ». »
    « Et toi t’es une petite salope qui coucherait avec n’importe quel mec… ».
    « Ça t’arrange bien de penser ça… ».
    « Je t’ai vu rigoler avec ce mec… ».
    « Quel mec ? ».
    « Ce type dans la voiture… ».
    « Qui ? … Ah, Julien ? Enfin… le type de l’autoécole ? ».
    « Tu le kiffes, hein… ce… Ju-li-en ? ».
    « Pourquoi, t’es jaloux de lui aussi ? ».
    « Tu as couché avec ? ».
    « Pourquoi tu veux savoir ? T’en a quelque chose à faire ? ».
    « Tu as couché avec ? » il insiste.
    « Non, mais j'aurais pu ! » je bluffe.
    Son regard est traversé par un éclair de rage.
    « Laisse-moi passer avant que je m’énerve vraiment ! ».
    « Si seulement tu assumais qui tu es… je t’assure que ta vie serait tellement plus simple ! ».
    « T'occupes pas de ma vie, connard ! ».
    « Ta vie c'est ma vie car je t’aime même si t’es un connard ! ».
    Il me pousse, je tente de lui résister.
    « Ça ne peut pas finir comme ça entre nous… » je lui gueule à la figure, tout en m’élançant vers lui pour l’embrasser désespérément.
    Mais à l’instant même où mes lèvres effleurent les siennes, ses mains me repoussent violemment. Je suis fou, je suis en larmes. Je reviens vers lui, je saisis ses biceps qui font une fois et demie les miens ; c’est n’est qu’avec la rage et le désespoir que j’arrive à contrer sa puissance.
    « Je ne comprends pas pourquoi on doit se faire autant de mal l’un l’autre… ».
    « Maintenant tu me laisses partir… ».
    « Sinon quoi, tu vas me cogner ? ».
    « Ne me cherche pas Nico, sinon, je te jure… ».
    « Vas-y, tape-moi si ça te fait du bien ! ».
    Je me trouve devant un mur, haut, épais, infranchissable : j’ai besoin d’ouvrir une brèche à tout prix, tout de suite. J’ai besoin d’une « arme » puissante pour y parvenir. Soudainement, je me rappelle que je suis en possession d’un « atout » qui pourrait bien faire l’affaire ; hélas, il s’agit d’une « arme non conventionnelle », que je me suis engagé à ne pas utiliser.
    Mais tant pis : je ne peux plus tergiverser. Dans une minute, il sera parti. Alors, c’est maintenant ou jamais.
    « T’attendais quoi pour me dire que tu vas partir à Paris ? ».
    « Comment tu sais ? ».
    « C’est pas important… ».
    « Tu peux pas t’en empêcher… t’as encore été faire chier Thibault ! ».
    Je sens sa colère redémarrer à grand pas.
    « Thibault, c’est mon pote aussi ! ».
    « Ouaisss… mais ça t’a plu un max de lui vider les couilles à lui aussi, l’autre soir ! ».
    « Mais putain ! C’est toi, et toujours toi, qui a voulu que je le suce ! ».
    « T’as pas dit non, non plus ! ».
    « C’est vrai… mais tu m’as pas demandé mon avis ! Comme tu ne me l’as pas demandé la fois que tu m’as fait venir pour baiser avec ton cousin, ou la fois que t’as voulu baiser avec le mec du On Off ! Tu m’as mis dans des situations où je ne pouvais pas dire non ! ».
    « Plains-toi ! »
    « Je m’en plains pas, non… mais ne me jette pas à la figure que je prends mon pied avec d’autres mecs… alors que c’est toi qui me jette dans leurs bras… ».
    « Le mec de la piscine, c’est pas moi qui t’a dit de baiser avec… ».
    « Bah, si à ce moment là tu n’avais pas été aussi infect avec moi, je ne me serais certainement pas laissé inviter chez lui ! En plus, Stéphane ne m’a pas baisé… ce mec m’a fait comprendre que mon plaisir compte aussi, que même si je suis passif, je ne suis pas qu’un cul à baiser, comme tu le dis ! ».
    « Quant à Thibault… » je continue en mode rouleau compresseur « … oui, j’ai pris mon pied avec lui… et tu veux savoir pourquoi ? Parce qu’il ne m’a pas baisé, lui non plus ! ».
    « Ah, bon, il ne t’a pas baisé… sans déconner ! ».
    « C’est ce que tu voulais, toi, tu voulais qu’il me baise… tu t’es dit que la meilleure façon de lui montrer que tu n’étais pas pd, c’était de lui montrer que je n’étais que ton vide couilles… et que la meilleure façon de lui montrer que je n’étais que ton vide couilles, c’était de me mettre à sa disposition… tu t’es dit qu’en me présentant comme une bonne salope, ton pote t’aurait suivi dans ton délire, et il m’aurait traité lui aussi comme une salope… manque de bol, les choses ne se sont pas déroulées exactement comme tu les avais imaginées… ».
    « Thibault t’a baisé exactement comme moi… ».
    « Tu te trompes… oui, on a couché ensemble… mais en plus du sexe, lui il m’a offert de la douceur, de la tendresse, du partage, de la considération… il s’est préoccupé de mon plaisir à moi, lui… chose dont tu ne t’étais jamais intéressé avant cette nuit-là… au lieu de m’humilier, il m’a fait sentir bien, respecté, compris… et ça, ça t’a énervé… plus tu nous voyais bien nous entendre, plus ça te mettait en pétard… ».
    « Tu racontes que de la merde ! ».
    « Thibault m’a fait sentir bien… il a été vraiment adorable ! ».
    « T’as qu’à te faire sauter par lui ! »
    « Tiens, peut-être que ce serait une bonne idée ! ».
    « T’es vraiment qu’une pute ! ».
    « Ok, je suis une pute… mais tu sais quoi ? Je suis une pute qui pourrait même tomber amoureuse d’un gars comme Thibault ! ».
    « Toi vraiment, putain… ».
    Et là, Jérém se projette violemment contre moi, il se dégage de ma prise ; ses mains percutent mes pecs avec la puissance et la violence d’une semi-remorque. Je me retrouve projeté sur le lit, immobilisé par sa musculature puissante, crispée par la rage, son avant-bras en travers de ma gorge, l’autre bras brandissant un poing prêt à frapper avec toute la violence de son biceps tendu.
    « Je te jure que si tu n’arrêtes pas, tu vas te manger ma main dans la gueule… ».
    « J’arrête, j’arrête, j’arrête… » je tente de le calmer.
    « T’as intérêt ! » fait-il, toujours aussi en colère mais en relâchant la pression.
    Une seconde plus tard, il descend du lit, il rattrape sa chemisette par terre et bondit à nouveau vers la porte de la chambre. J’ai les larmes qui me montent aux yeux en le regardant disparaître dans le couloir. Je ne peux pas le laisser partir comme ça.
    J’attrape le maillot qu’il a laissé sur mon bureau, je dévale l’escalier, et je le rattrape alors qu’il est tout proche de la porte d’entrée.
    « Tu oublies ça… » je lui lance sur un ton de colère et de désespoir, en lui tendant le maillot.
    « Je n’en veux pas de ça ! » assène-t-il, sèchement.
    « Il est pour toi, Jérém… ».
    « Je n’en veux pas, je te dis ! ».
    « Et pourquoi ? ».
    « Parce que tu me gonfles ! » fait-il, de plus en plus énervé.
    Son attitude a le don de me faire sortir complètement de mes gonds.
    « Mais bon sang ! » je m’emporte « ça pourrait être si génial entre nous deux si seulement tu étais moins con ! Il y a un truc spécial entre nous… les chanceux c’est nous, Jérém ! ».
    « Spécial ? Pourquoi ça ? T’es pas le seul mec que j’ai fait couiner… ».
    « Oui, mais avec ton cousin et avec le mec du On Off, c’était pas pareil… » je tente de me rassurer.
    « Si tu crois que c’est les seuls… » fait Jérém, odieux.
    « De quoi ???????????? » je tombe sur la tête.
    « T’as très bien compris ! ».
    Lorsque je reçois ce nouveau coup de massue sur la tête, encore plus puissant que le précèdent, je sens immédiatement que quelque chose est sur le point de casser en moi.
    Ça en est trop, vraiment trop. Même si je veux mon Jérém pour moi tout seul, je peux encore tolérer qu’on se fasse des plans à trois ; et même si ça me fait profondément chier, si vraiment il a envie de coucher avec des nanas, je n’ai pas de recours contre ça.
    Mais le fait de savoir qu’il s’est tapé d’autres mecs à mon insu, alors que je crève d’envie de lui ; qu’il a trouvé le moyen de franchir le pas d’aller voir ailleurs, alors qu’il n’assume même pas notre relation : ça, ça me blesse à vif.
    Le point de non-retour est là, devant moi.
    « T’es qu’un connard ! » je lui lance, toujours incrédule, le regard défait.
    « De quoi tu t’étonnes ? T’es pas le seul cul à baiser de la ville ! ».
    C’est à cet instant précis que le point de non-retour, celui que j’ai vu approcher de seconde en seconde, est atteint : ce coup-ci, Jérém a vraiment dépassé les bornes ; sa méchanceté est telle, que même tout l’amour que je lui porte ne suffira pas pour lui pardonner. Oui, quelque chose vient de casser en moi. Je sens mon sang bouillir, je sens une violente envie de lui faire mal au moins autant qu’il vient de m’en faire. Je vois rouge. Et je perds les pédales.
    Tout se passe en une fraction de seconde : je laisse tomber le maillot au sol, je le charge et je le frappe au visage.
    Jérém n’a rien vu venir ; attaqué par surprise, il reçoit mon droit de plein fouet
    Un filet de sang rouge vif commence à couler presque instantanément de son nez ; c’est à ce moment-là que je réalise que je viens de frapper le garçon à qui j’ai envie de faire tous les câlins du monde, jusqu’à mon dernier souffle. Moi qui ne me suis jamais battu de ma vie, il faut que je commence par Jérém. Si c’est pas malheureux, ça !
    Alors que je regrette déjà mon geste, je le vois porter deux doigts sous son nez, et les retirer ensanglantés. Son regard est désormais rempli de haine.
    J’ai peur de la violence de sa réaction : et c’est moins la douleur physique que je redoute, bien moins que le chagrin de voir notre histoire se terminer à coups de poings dans la figure.
    « Je suis désolé, Jérém, je ne voulais pas… » je tente de le calmer.
    Hélas, mes excuses n’ont aucun effet ; Jérém voit rouge, aussi rouge que moi un peu plus tôt, aussi rouge que le sang qui coule de son nez, qui éclabousse son torse et laisse des traces sur son jeans et sur le carrelage.
    Je le vois charger comme un taureau, et je sais que ça va faire mal. Je suis tellement dégouté par la tournure que sont en train de prendre les choses, dégouté que ce soit par ma faute, d’avoir frappé en premier, que je n’ai même pas le réflexe de tenter de me protéger le visage : lorsque son droit à lui me percute, je ressens une douleur aigue se propager depuis le milieu de mon visage, jusqu’à l’intérieur de ma tête.
    Non, je ne me suis jamais battu auparavant : je réalise à cet instant à quoi font référence les petites étoiles qu’on voit tourner autour de la tête des personnages de dessin animés lorsqu’ils prennent un coup au crane ou au visage.
    C’est le goût bizarre du sang sur mes lèvres qui me fait pleinement réaliser que je viens de me faire frapper par le garçon que j’aime ; ce garçon dont le goût viril persiste dans ma bouche, le garçon qui, quelques minutes plus tôt, m’a rempli de sa semence. C’est triste à en pleurer.
    « T’es vraiment qu’un gros con qui ne sait pas assumer ce qu’il ressent dans son cœur… » je lui crie en pleurant.
    Sa réaction ne se fait pas attendre :
    « Et toi, t’es vraiment qu’une petite merde ! ».
    « Dégage connard ! ».
    « Oh, oui, je vais dégager, t’inquiète, mais toi aussi tu vas dégager, tu vas dégager de ma vie ! ».
    Ses mots sont sans appel, et ils me rendent malade. Mais il est d’autres mots qui s’enchainent aux siens et qui vont me rendre encore plus malade.
    « Qu’est-ce qui se passe ici ? » j’entends une voix familière s’écrier.
    Je lève les yeux : maman vient de débarquer.
    « C’est quoi tout ce sang ? » elle s’inquiète, en voyant le carrelage tâché.
    « C’est rien, un petit accident, rien de grave, madame… » fait Jérém.
    Maman le regarde, puis me regarde fixement, les yeux écarquillés, le regard anxieux.
    Je regarde Jérém se baisser pour ramasser sa chemisette sur le carrelage et la passer très vite autour de son torse, tout en essayant de tamponner avec la main son nez qui n’arrête pas de pisser le sang.
    Jérém accroche deux boutons à la va vite, et il se précipite vers la porte d’entrée. Dans mes tripes, je ressens malgré tout l’instinct d’essayer de le rattraper, une fois encore ; je sais que si je lui laisse passer cette porte, ce sera vraiment fini entre nous. Mais mon corps ne suit plus ; je suis à bout de forces, physiquement, moralement.
    Jérém saisit la poignée, la fait tourner, il commence à tirer le battant ; et là, au lieu de partir comme une fusée, il marque une pause ; un instant de rien, le temps d’un regard qui en dit plus que mille mots.
    Je le vois tourner la tête vers moi, planter ses yeux dans le miens : son regard noir a soudainement disparu, pour laisser la place à un regard perdu, rempli de désolation, de détresse, et de chagrin ; ses yeux, ses narines ont cette vibration conjointe comme lorsqu’on se fait violence pour ne pas céder à l’émotion.
    Ce que je vois à cet instant, ce n’est plus le connard qui vient de me balancer plein d’horreurs et son poing dans la figure, mais un garçon très malheureux ; pendant un instant, je me prends à rêver qu’il soit sur le point de me lancer un : « Je suis désolé », capable de soigner toutes mes blessures.
    Il n’en est rien : Jérém finit pas détourner le regard et disparaît dans l’entrebâillement de la porte.
    Oui, son regard était plein de tristesse ; et, au plus profond de moi, je ressens la ferme impression que Jérém a détourné le regard juste avant qu’ils ne soient pleins de larmes aussi.
    Oui, c’est triste de se faire aussi mal l’un l’autre ; et de se rater de cette façon.
    La serrure vient tout juste de claquer un dernière fois derrière le garçon que j’aime plus que moi-même ; je sens le désespoir m’envahir ; je ne peux me retenir, je fonds en larmes.
    « Nico ! ».
    C’est à cet instant précis que j’ai vu dans le regard de maman qu’elle avait tout compris, sans besoin d’un mot d’explication. Dans mes larmes, maman a su à quel point j’étais amoureux d’un putain de beau gosse qui me rendait terriblement malheureux.
    « S’il te plaît, maman… laisse-moi seul… je vais nettoyer… je viendrai te parler plus tard… ».
    « Tu veux pas que je t’amène voir un toubib ? ».
    « Non, maman, ça va aller, c’est rien, vraiment… » je tente de minimiser, en étant rassuré moi-même par le fait que mon nez ne saigne pas trop.
    « Comme tu voudras, Nico, je serai dans la cuisine… ».
    Je vais dans le cellier chercher un seau et une serpillère ; je reviens nettoyer les dernières traces du passage de Jérém chez moi ; à chaque tâche effacée, je me demande pourquoi on en est arrivés là, comment j’en suis arrivé à frapper le garçon que j’ai envie d’aimer plus que tout au monde.
    Je sais que je ne le reverrai plus jamais. Je nettoie et je pleure, en pensant à la solitude terrifiante de ma vie sans lui.
    La douche me fait du bien : mais je suis toujours aussi sonné, et mon nez me fait mal. Ça ne saigne plus. L’eau chaude a détendu mes nerfs, emporté mes larmes, je sens une fatigue immense me gagner, je me sens lessivé.
    Il est 19h20 lorsque je redescends : il faut que je me dépêche d’aller voir maman, papa va rentrer d’un moment à l’autre.
    Lorsque j’arrive dans la cuisine, elle est en train de préparer une grande salade.
    « Ça va, mon Nico ? ».
    « Oui, ça va… mieux… » je tente de la rassurer, en prenant sur moi pour contenir mon émotion et ne pas laisser mes larmes jaillir à nouveau.
    J’attrape un bocal et je commence à mélanger huile, vinaigre, sel et moutarde.
    « C’est qui ce garçon ? ».
    « C’est un camarade du lycée… ».
    « Pourquoi vous vous êtes disputés ? ».
    « C’était juste pour une bêtise… ».
    « Vous vous êtes battus, quand-même ! ».
    « C’est rien je te dis… ».
    « T’avais l’air vachement remué, mon Nico… et ton camarade aussi… ».
    Une partie de moi a envie de tout raconter à maman, de lui dire que j’aime les garçons depuis toujours, que j’aime CE garçon plus que tout au monde, à part elle… oui, une partie de moi n’a qu’une seule envie, celle de me laisser aller à pleurer dans ses bras, de la laisser me réconforter.
    Mais la blessure est si profonde, si vive, si brûlante, que je ne me sens pas la force de la remuer, même pas pour tenter de la soigner.
    « Maman… » je me lance, pour tenter de la rassurer, pour gagner du temps, sans aucune idée de comment je vais continuer ma phrase.
    Heureusement, maman vient à mon secours :
    « Tu sais Nico… ne te force pas… » fait-elle en posant son couteau et en attrapant ma main : elle la serre avec force et douceur, tout en posant sur moi ce regard plein d’affection et de tendresse que seule une maman sait composer ; puis, elle continue : « si tu n’as pas envie d’en parler, c’est pas grave ; tu m’en parleras plus tard, quand tu t’en sentiras capable… demain, après demain, ou même quand tu seras à Bordeaux… quand tu seras là-bas, dans ta petite chambre, tu sais que tu pourras m’appeler quand tu voudras, à n’importe quelle heure, je serai toujours là pour toi, mon Nico… ».
    Je sanglote. Je sens maman très émue aussi.
    « Maman… ».
    « Mais il y a une chose qu’il faut que tu saches… je t’aimerai toujours, quoi que tu fasses de ta vie, quoi que ce soient tes choix… enfin, des choix… façon de dire… je t’aimerai toujours, et rien ne pourra jamais changer cela… tu sais, Nico, tout ce qui m’intéresse, c’est que tu sois heureux, que tu trouves ta part de bonheur quel qu’il soit le bonheur que tu recherches… ».
    Elle pose ma main sur ma nuque et me caresse les cheveux, comme quand j’étais enfant, pour me réconforter ; je pleure à chaudes larmes.
    « Désolé, maman… ».
    « Pleure, si ça te fait du bien… ».
    « Ce garçon… ce garçon… » je tente de lui parler de mon chagrin, de cet amour fou né sur les bancs du lycée : mais les mots restent bloqués au fond de ma gorge.
    « Ce garçon est vraiment un très beau garçon… » résume maman « mais j’ai l’impression que ce n'est pas lui qui va te rendre heureux… ».
    « De toute façon, je ne le reverrai plus jamais… ».
    « Mon Nico… ».
    « Maman… promets-moi… ».
    « Oui, Nico ? ».
    « Ne dis rien à papa, s'il te plaît… ».
    « Je ne lui dirai rien t'inquiète… un jour tu lui diras toi-même, quand tu seras prêt à le faire… ».
    « Merci, maman… ».
    « Dis donc, il ne t’a pas raté ce petit con… » elle s’exclame, en se penchant pour regarder les dégâts de plus prés.
    « A côté du nez, sous l’œil, tu vas avoir un joli cocard, mon Nico… ça fait mal ? » elle continue.
    « Oui… ».
    « Dans le placard de la salle de bain, il doit y avoir une pommade pour soigner les hématomes… ».
    Dommage qu’il en existe pas une pour soigner les cœurs brisés.
    « Merci maman… ».
    « C’est lui qui t’a frappé en premier ? ».
    « Non, c’est moi… ».
    « Nico ! ».
    « Et je le regrette vraiment… même s’il l’a bien cherché ! ».
    « En tout cas, toi non plus, tu ne l’as pas raté ! ».
    La porte d’entrée vient de s’ouvrir et de se refermer. Papa est rentré. Je m’essuie les yeux et maman aussi.
    « Bonsoir ! » fait papa « qu’est-ce que t’as fait au nez, Nico ? ».
    « Bonsoir ! » fait maman « ton fils s’est pris la porte de la salle de bain sur le nez en sortant de la douche… ».
    « Toujours aussi maladroit… » fait papa distraitement « j’ai le temps de prendre ma douche avant de manger ? ».

    Le soir dans mon lit, j’étouffe. J’ai mal au nez, mal au visage, mal au cœur, surtout. Je suis allongé dans le noir, sur le dos, incapable de faire le moindre mouvement. Je n’ai même plus la force de pleurer. Je me sens comme dans un état d’incapacité à réagir à tout stimuli, je me sens comme vidé de toute énergie. Je n’ai envie de rien, ni de lire, di d’écouter la musique. J’ai mis la radio en fond sonore, à volume très bas, juste pour me tenir compagnie. Vers minuit, en allant se coucher, maman toque à ma porte :
    « Ça va, Nico… »
    « Ça va, maman… ».
    « Passe une bonne nuit, mon loulou… essaie de dormir un peu… ».
    « Je vais essayer, ne t’inquiètes pas… bonne nuit, maman… ».
    J’écoute la nuit tomber sur la ville, ses bruits de circulation s’estomper ; j’écoute la nuit tomber sur la maison, le silence s’y installer.
    J’essaie de fermer les yeux, mais je les rouvre aussitôt : ils sont enflés, à force d’avoir chialé, ils piquent. Le sommeil ne vient pas.
    Je repasse les souvenirs heureux de la semaine dernière ; je ressasse les souvenirs horribles de cette semaine, de cet après-midi. Je rumine ses mots blessants comme des lames. J’entends le bruit de mon coup ; celui de son coup ; deux fois le bruit de la chair qui morfle ; le sang, son odeur, son goût de violence : je me sens horriblement mal. J’ai l’impression d’avoir commis quelque chose d’irréparable, d’impardonnable.
    Définitivement, ce n’était pas une bonne idée de laisser Jérém venir chez moi, de le laisser accrocher son souvenir dans cette chambre, à ce couinement que fait mon lit quand on appuie à un certain endroit, ce bruit qui me rappelle ses coups de reins ; je le revois sur moi, je le sens en moi, je ressens la brûlure qu’il a laissée entre mes jambes, dans mon ventre, dans mon cœur.
    Pourtant, je le savais que ça se terminerait de cette façon ; je le savais qu’un jour on se prendrait la tête et que ce serait fini pour de bon ; je savais que le faire venir chez moi allait être une façon de reculer pour mieux sauter : ce que je ne savais pas, c’est que ça se terminerait en baston. Et que je le cognerai en premier. Je n’arrive pas encore à croire que je l’ai cogné.
    Et maintenant que c’est fini entre nous, Jérém hante cette chambre, ce lit, ma vie toute entière.

    4h18, je ne dors toujours pas. J’essaie de ne pas penser à demain, au nouveau jour qui viendra, un jour inutile, odieux, car il ne portera pas avec lui l’espoir de revoir Jérém.
    Les souvenirs et les larmes se mélangent dans le silence de la nuit.
    Imaginer ma vie sans Jérém, ça me parait un aperçu de l’enfer.
    La nuit avance et la radio continue de débiter des chansons que je n’écoute pas.
    Puis, soudainement, un texte accroche mon attention, parle à ma tristesse, à ma solitude, à mon désespoir.

    Tant de fois j'ai tenté/D'aller toucher les étoiles
    Que souvent en tombant/Je m'y suis fait mal
    Tant de fois j'ai grimpé/Jusqu'au plus haut des cimes
    Que je m'suis retrouvé/Seul au fond de l'abîme
    (…) Il y a toujours un soir
    Où l'on se retrouve seul/Seul au point de départ
    Celui qui n'a jamais été seul/Au moins une fois dans sa vie
    Seul au fond de son lit/Seul au bout de la nuit
    Celui qui n'a jamais été seul/Au moins une fois dans sa vie
    Peut-il seulement aimer/Peut-il aimer jamais





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    Bonjour à toutes et à tous ! Bienvenue sur le site Jérém&Nico   55.2 Des grains de sable et des pas de crabe.


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    55.2 Des grains de sable et des pas de crabe.

     

    Puis, à un moment, Jérém relevé la tête ; les regards se croisent, se figent d’un dans l’autre ; les déglutitions se font nerveuses, les respirations de plus en plus profondes. A nouveau, les fronts humides de transpiration se rencontrent, les souffles se mélangent, les nez se collent, s’écrasent l’un contre l’autre.
    Puis, à un moment, tout doucement, les deux saillies commencent à glisser l’une sur le côté de l’autre.
    Soudainement, Jérém a un mouvement brusque de recul.
    « Je vais faire un tour… » il annonce, la voix basse, le regard fuyant, avec un ton qui est sans appel.

     

    Lundi 06 août 2001, après le départ de mon bobrun.

      
    Jérém vient de partir, et je me sens comme abasourdi par la façon dont on s’est quittés. Je me demande pourquoi ma relation avec Jérém doit toujours être aussi compliquée, aussi incertaine, aussi imprévisible. Mille questions et inquiétudes se bousculent dans ma tête.
    Heureusement, j’ai quelque chose à faire dans l’immédiat qui va capter toute mon attention : je monte dans ma chambre et je me lance dans la recherche de sa chaînette. Je la découvre nichée dans un pli de la couette, toute proche des oreillers. Elle a dû se décrocher pendant qu’il était allongé sur le lit : étonnant que le bobrun ne se soit pas rendu compte de l’avoir perdue ; à moins que cela se soit passé à un moment où il était tellement happé par son plaisir que rien d’autre n’existait pour lui.
    Je ressens une immense émotion dans le fait de la retrouver là, sur mon lit. Je la saisis, et je réalise qu’elle est plus lourde que je l’avais imaginé, c’est une véritable chaînette de mec. C’est la première fois que je la tiens entre mes doigts, que je peux la contempler si calmement : je caresse les mailles serrées, je les rassemble dans le creux de ma main. Je la porte tout proche de mes narines : comme je le soupçonnais, elle porte l’odeur de sa peau.
    Je ferme les yeux, je l’embrasse, tout en inspirant avidement les bonnes petites odeurs cachées entre ses mailles : soudainement, c’est comme si mon Jérém était là avec moi, comme s’il ne s’était rien passé cet après-midi ; j’ai l’impression que, lorsque je vais rouvrir les yeux, mon bobrun sera là devant moi, en train de me regarder avec son regard de b(r)aise, le bouton du pantalon ouvert, l’attitude du bogoss qui semble intimer, sans besoin des mots : « Tu attends quoi pour venir me sucer ? » ; et que, une fois que je l’aurai fait jouir, il acceptera mes caresses et mes bisous.
    Le geste vient tout naturellement, comme une évidence : j’attrape un bout, puis l’autre, je passe la chaînette autour de mon cou. Et là, c’est un intense bouquet de sensations magiques qui s’offre à moi : le poids, la fraîcheur du métal que je ressens derrière mon cou, sur mes clavicules ; le délicieux petit massage offert par les mailles, source de mille frissons, lorsqu’elles se dérobent sur ma peau au gré de mes mouvements.
    Très vite, je décide que je ne l’enlèverai pas, du moins tant que je n’aurai pas l’occasion de la lui rendre : cette chaînette, c’est comme un avatar de mon bobrun ; cette chaînette, c’est le pont vers nos prochaines retrouvailles.
    Maman m’appelle pour le dîner : ce qui me fait penser que je dois faire gaffe à que mes parents ne la voient pas ; je n’ai vraiment pas envie de réponde à des questions impromptues. Je passe un t-shirt col rond assez serré et je la glisse dedans.
    En descendant les escaliers, je sens les mailles glisser entre mon t-shirt et ma peau, comme une caresse, douce et virile à la fois ; une sensation qui me donne des frissons de la tête aux pieds : je ferme les yeux et, une fois de plus, pendant un court instant, j’ai l’impression que mon Jérém est là, avec moi.
    Hélas, ce n’est qu’une illusion. Sa chaînette est là, mais mon Jérém me manque horriblement ; l’inquiétude s’ajoute au manque, et me voilà parti pour des cogitations infinies, m’entraînant tour à tour par tous les extrêmes émotionnels.
    L’optimisme, d’abord : en me disant que ce que nous avons vécu depuis dix jours est si beau et si fort que ça ne peut être balayé par ce qui s’est passé cet après-midi ; d’autant plus que, dans l’absolu, il ne s’est rien passé de grave ; alors, je me dis que demain Jérém va revenir sonner à ma porte, comme d’habitude, sexy en diable, chaud comme la braise.
    Le pessimisme, ensuite : en me disant que ce petit « accident », ce début de pipe avorté, est le genre de truc capable de remettre en cause son seulement les fragiles avancées des derniers jours, mais notre relation toute entière.
    Après le dîner, et jusqu’à très tard dans la soirée, je ressens l’envie de lui envoyer un message. Mais quoi lui dire ? Quoi, pour que ça n’empire pas un peu plus les choses ?
    C’est vers minuit que je finis par trouver la bonne accroche, une simple évidence :
    « Salut ! J’ai retrouvé ta chaînette ! ».
    Le message envoyé, je me sens mieux. Je me dis que mon sms est comme une sorte d’invitation, en quelque sorte la garantie que mon bobrun reviendra demain après-midi, du moins pour la récupérer.
    Je suis sûr que demain matin j’aurai un message de sa part : un message que j’essaierai d’interpréter pour comprendre dans quelles dispositions il est à mon égard.
    J’ai essayé de dormir. Je n’ai pas vraiment réussi. J’ai passé une partie de la nuit à tenter de me rassurer, en me disant que ce n’est pas possible que ça se finisse de cette façon entre Jérém et moi.
    Hélas, il est de petits grains de sable capables, sans qu’on y prenne gare, d’enrayer la mécanique la plus parfaite. Certes, la mécanique de notre complicité était encore loin d’être irréprochable, mais elle semblait marcher de mieux en mieux. Malheureusement, en ce lundi, de nombreux grains de sable étaient venu mettre à dure épreuve ses rythmes, ses oscillations.
    Certains s’y étaient glissés dans l’après-midi de lundi : par maladresse, la mienne ; par irrésolution, la sienne ; puis, d’autres étaient venu se rajouter, à mon insu, un peu plus tard ce même lundi.

    Mardi 07 août 2001, au réveil.

    J’ai passé une nuit agitée, perturbée, parsemée par une succession de micro-sommeils au fil desquels j’ai compté chaque heure, et même plusieurs fois par heure. Je me réveille abattu, les membres endoloris. Certes, une partie de mes courbatures sont la conséquence des galipettes de la veille, de la puissance des assauts de mon bobrun. Pourtant, la cause principale de mon épuisement ce sont bien les soucis.
    Oui, les soucis : ils nous minent en s’attaquant d’abord à notre sommeil ; vicieux, ils continuent à nous accabler le lendemain, se combinant avec l’épuisement qu’ils ont eux-mêmes provoqué, cette fatigue qui nous prend au corps et à l’esprit ; implacables, ils nous font perdre rapidement nos moyens, jusqu’à nous faire tomber dans un état de prostration totale.
    Il est 7 heures. Ma chambre est encore plongée dans la pénombre, mais les rayons intenses du soleil matinal arrivent à se frayer un chemin dans le petit espace entre les volets fermés et l’embrasure de la fenêtre ; ils me parlent d’une météo revenue au grand beau.
    Hélas, dans mon cœur, ce n’est pas du tout la même histoire : dans mon cœur, c’est plutôt maussade. Lorsque je suis heureux, il pourrait faire n’importe quelle météo, j’emporte le soleil dans mon cœur ; mais lorsque je suis triste, soucieux, le beau soleil est presque une insulte à ma détresse. Comme j’aime, lorsqu’il pleut dans mon cœur, qu’il pleuve aussi sur la ville !
    Oui, après cette nuit affreuse, je me sens triste, désemparé. J’ai plus que jamais la conviction qu’aujourd’hui, Jérém ne reviendra pas ; et que la magnifique lancée de nos après-midis magiques s’est brutalement arrêtée.
    Preuve en est qu’il n’a pas même pas répondu à mon sms… enfin… il ne l’a peut-être pas encore vu… à quelle heure il a fini son service hier soir ? Pas avant minuit, non… Il a forcément vu mon message… mais il n’a pas pris le temps de répondre… il va le faire plus tard ? Je l’espère, sans y croire.
    Quand je pense que jusqu’à hier après-midi tout allait si bien entre nous : un après-midi, comme tous ceux qui ont précédé depuis une semaine, marqué par quelques moments torrides comme sait si bien les concocter mon Jérém.
    D’abord, son arrivée en tenue classe, chemise blanche cravate et pantalon noir ; l’érotisme intense du moment de déshabillage ; l’image insoutenable du bogoss installé sur ma chaise de bureau, vêtu de la seule casquette rouge empruntée sur mon étagère ; la pipe fabuleuse qui s’en est suivie ; puis, cette baise incandescente, furieusement excitante, avec le retour de ses mots crus, de ses attitudes de p’tit macho ; et, pour finir, cette deuxième pipe, qui a bien failli se transformer en 69…
    C’est bien à partir de là que les choses ont commencé à déraper. Mais que s’est-il passé dans sa tête à ce moment précis ? Que cherchait-il à se prouver ? Est-ce qu’il voulait juste « tester », voir ce que ça fait de toucher une queue avec ses lèvres ? Quel rôle ont joué le passage de ma langue dans son entrejambe, ainsi que la position propice de nos corps ? Quel rôle a joué le tarpé ? Pourquoi ce tarpé aujourd’hui, alors qu’il n’en avait jamais fumé depuis qu’il venait chez moi ? A-t-il cherché à se détendre ? A oublier ses envies ? Ou bien, à se laisser aller, à se donner du courage pour les affronter ? A oublier cette lutte intérieure, à se laisser porter par les évènements ?
    Au fond de moi, je me dis que le tarpé n’a pu que libérer des envies bien existantes, et en aucun cas créer ces envies.
    Mais qu’est-ce qu’il regrettait exactement Jérém ? D’avoir été surpris par mon regard ébahi, ou bien de succomber à une envie qu’il n’arrivait pas à assumer ? Les deux choses, je dirais, mais la deuxième d’abord.
    Mais pourquoi, après tout, faire une pipe devrait être plus difficile que lécher une rondelle ?
    Peut-être que pour un actif, le fait de bouffer le cul d’un passif, c’est simplement préparer ce dernier à se faire sauter ; le lécheur se positionne ainsi en tant que dominant et le léché se laisse attribuer le rôle de soumis. Alors que sucer, c’est offrir à l’autre un plaisir d’actif, ce qui fait du suceur un « passif ».
    Tant que son rôle était 100% actif, il pouvait toujours se voir « hétéro », malgré le fait de baiser un gars ; de plus, pour un macho, baiser un autre mec peut sembler encore plus « valorisant » que baiser une nana : baiser un autre mec, c’est voir sa propre virilité dominer celle de l’autre, donc être encore plus un « mâle Alpha ». Mais dès lors que son envie de sucer s’est manifestée, ça l’a coupé complètement.
    Pourtant, une fois de plus, si mon Jérém s’est lancé là-dedans, c’est qu’il en avait envie. Vraiment envie. Tarpé ou pas tarpé. Même pas pour me faire plaisir : je ne lui avais jamais demandé rien de tel. Que ce serait-il passé si je n’avais pas arrêté de sucer et si je ne l’avais pas regardé comme on regarde un enfant pris la main dans le sac ? Que ce serait-il passé si je m’étais « laissé faire » ? Serait-il allé au bout de son envie ? Que ce serait-il passé ensuite ?
    Je ne le saurai jamais.
    J’ai passé le matin à cogiter, à imaginer ce que j’allais faire si mon bobrun ne venait pas aujourd’hui. J’ai décidé que même s’il ne vient pas, je ne vais rien faire pour l’instant. Au fond, il a peut-être juste besoin de temps. Un jour de réflexion, de distance ne peut pas lui faire du mal, nous faire du mal.
    Peut-être même que ça va nous aider à mieux nous retrouver demain.
    Car, s’il ne vient pas aujourd’hui, demain, mercredi, il sera là pour sûr. Je ne peux pas me passer de lui, mais lui non plus il ne peut pas se passer de moi. Depuis 10 jours, il n’a pas pu tenir plus de 24 heures sans moi ; même dimanche, il a fallu qu’il m’entraîne dans l’arrière-boutique de la brasserie pour une petite galipette bien chaude. Et puis, il l’a dit lui-même, même s’il ne l’a dit qu’à moitié : « Ah putain, jamais je n’ai joui aussi… ». Aussi quoi, mon Jérém ? Aussi fort ? Aussi souvent ? Aussi pleinement ? Aussi intensément ? Aussi en adéquation avec tes véritables envies ?
    Oui, j’ai passé la matinée à me dire que s’il ne vient pas aujourd’hui, ce ne sera pas la fin du monde ; que je n’ai pas à paniquer, que ce n’est pas la fin de notre relation, juste une petite pause ; que je dois simplement être patient et que tout va bien se passer.
    Vers midi, je me suis senti apaisé : pendant que je déjeunais avec maman, j’avais l’impression de retrouver un semblant de sérénité.
    Pourtant, à bien regarder, la mienne était une sérénité plutôt du genre « stressé » : elle ne tenait qu’au fait que, au fond de moi, j’étais sûr qu’il viendrait quand même.

    Mardi 7 aout 2001, l’après-midi.

    Dès que maman est partie travailler, mes angoisses ont immédiatement repris le dessus sur mon calme inquiet. 13 heures, ce n’est plus le matin, c’est déjà l’après-midi. La ligne de partage de la journée franchie, tout semble s’accélérer : le moment où il devrait venir approche, et je suis à nouveau presque certain qu’il ne viendra pas.
    Désormais, Jérém a dû voir mon message… ce matin il s’est levé, il est parti travailler… il a bien dû regarder son portable… pourquoi il ne prend pas le temps de répondre ? Est-ce que mon message est arrivé à bon port ?
    Les minutes passent, les quarts d’heure glissent, les demi-heures s’enchaînent. « Time goes by so slowly for those who waits » : le temps passe si lentement, pour ceux qui attendent. J’aurais pu l’écrire moi-même, le gimmick de « Hung Up », cinq ans avant sa sortie…
    Oui, les heures passent à la fois si lentement, et pourtant si vite, lorsqu’on attend l’être cher, sans avoir la certitude qu’il viendra.
    J’essaie de tromper le temps en me plongeant dans la lecture. Hier soir, j’ai bien avancé dans « L’Empire des Anges ». Venus… Igor… Jacques… Venus… Igor… Jacques… et désormais… Venus 17 ans… Igor 17 ans… Jacques 17 ans.
    Me voilà très impatient d’atteindre le dénouement, tout en redoutant d’arriver à la fin de la magie du roman. Mais le récit est addictif, il prend le lecteur par la main et ne le lâche plus, l’entraîne de page en page, de chapitre en chapitre. Alors, je me laisse transporter.
    Non seulement j’ai le bon bouquin, mais j’ai aussi une technique imparable pour essayer de tromper le temps : je m’oblige à rester plongé dans le récit jusqu’à la fin d’un chapitre. Parfois, je me laisse porter par ma curiosité et j’en lis un autre. Ainsi, le rythme de la lecture limite le nombre des déceptions après avoir regardé l’heure.
    14 h 07… il ne va pas tarder… 14 h 39… oui, il peut encore venir… 14 h 58… ça va sonner d’un instant à l’autre… 15 h 17… ou pas… 15 h 31… garde espoir, Nico, il est déjà venu après 16 heures… 15 h 49… l’angoisse me serre le cœur… mais pourquoi ce con n’est pas encore là ? Pourquoi il faut que ce soit si compliqué avec lui, pourquoi il faut toujours qu’il gâche tout avec son incapacité à assumer ce qu’il est ? 16 h 07… je désespère, tout en continuant à espérer… il ne me reste plus qu’une cinquantaine de pages à lire… je me plonge dedans, m’imposant de ne pas regarder l’heure ; porté par le final, je n’ai pas trop de mal à m’y tenir. Même si je sens mon cœur devenir un peu plus lourd à chaque minute, à chaque ligne.
    Me voilà en train de lire la toute dernière page ; dans laquelle, comme à son habitude, l’auteur nous fait part de la musique qu’il écoutait, ainsi que des évènements survenus durant l’écriture du roman.
    La quatrième de couverture tournée, je regarde enfin l’heure. Il est 17h14 : l’heure où je peux me dire pour sûr que Jérém ne viendra plus. Instantanément, je me sens plongé dans un abyme infini de tristesse et d’angoisse : il fait peut-être 30 degrés dans la maison, pourtant je ressens des frissons, j’ai froid, je tremble, j’ai envie de pleurer.
    Je me sens soudainement très fatigué : je m’allonge sur le canapé, et je m’assoupis.
    Lorsque je me réveille, il est 18h40. Maman n’est toujours pas rentrée. Je me sens horriblement seul dans cette maison vide. J’allume la télé, je mets la 2. J’ai besoin de rigoler. Ça fait du bien de retrouver cette bande de perchés installés autour d’une table. Car leur déconnade non-stop, leur bonne humeur sont contagieuses. J’adore cette émission : elle est tellement déjantée qu’elle a le pouvoir d’anesthésier ma détresse ; même ce soir, elle m’aide à ne pas trop penser à Jérém, à ne pas pleurer, en attendant que maman rentre. J’ai toujours aimé « On a tout essayé » ; et ce, même avant que Myriam et Dominique Pipeau y fassent leurs débuts fracassants, en rendant cette émission mythique.
    Maman rentre pile au moment où le générique de fin résonne dans le poste. Je l’écoute me parler de sa journée et je me sens un peu mieux ; même si, au fond de moi, j’ai toujours envie de pleurer.
    J’ai attendu mon bobrun tout l’après-midi, et il n’est pas venu ; il a forcément eu sa pause, et il n’est pas venu ; et il n’a toujours pas pris le temps de répondre à mon sms. Comme s’il s’en foutait ; comme s’il m’évitait.
    C’est lorsque le soir tombe que le mal d’amour et les angoisses sont le plus durs à supporter. Un nouveau jour s’éteint emportant avec lui les espoirs déçus ; la nuit avance, présageant un nouveau jour sans lui.
    Seul dans mon lit, je commence à penser d’avoir sous-estimé l’ampleur des dégâts. J’ai peur que Jérém ne revienne plus, jamais. Je tente de lire, je n’y arrive plus. Je n’ai pas envie d’écouter de la musique, même pas Madonna. Vraiment, je ne suis pas bien.
    Avant d’éteindre la lumière, je me surprends à parcourir ma chambre du regard ; aussitôt, ma mémoire se met à projeter des images de mon bobrun dans ce décor : mon bobrun debout à côté du lit pendant que je le suce ; mon bobrun assis sur le lit pendant que je le rend fou avec mon kif ; mon bobrun en train de fumer à la fenêtre caché par les rideaux ; mon bobrun qui rigole parce que je vais lui faire des bisous dans le cou ; mon bobrun assis sur ma chaise de bureau avec ma casquette cachant difficilement sa virilité tendue.
    Images de complicité sensuelle, images de sourires, images de bonheurs ; souvenirs de contacts de nos corps, d’odeurs, de sensations infinies et délicieuses, de frissons, de moments d’éternité.
    Je réalise à cet instant que j’ai pris un gros risque en le faisant venir à la maison, en laissant sa présence faire de chaque pièce de la maison où nous avons partagé du plaisir – l’entrée, le couloir, le séjour, ma chambre – autant de boîtes à souvenirs où tout me ramènera désormais à lui.
    Ainsi, sa présence d’un instant, le bonheur d’un instant, prépare la souffrance de son absence de toujours.
    Oui, j’ai commis une grave imprudence en lui ouvrant la porte de cette chambre où j’ai été enfant, en laissant notre bonheur passager installer des souvenirs dans chaque coin, sur chaque objet, dans ce lit où nous nous sommes donnés tant de plaisir, dans cette odeur de jeune mâle qu’il a laissé sur ma couette. Des souvenirs qui hantent ma solitude et nourrissent mon angoisse.
    Jérém va revenir dès demain, c’est pas possible autrement, c’est pas possible qu’il ne revienne pas…

    Mercredi 8 août 2001

    Contrairement à mes rêves, que j’ai voulu prendre pour des réalités, le mercredi après-midi s’écoule exactement de la même façon que le mardi après-midi : sans que mon Jérém ne se manifeste. J’ai envie de lui envoyer un autre sms, mais je redoute de le harceler.
    De toute façon, il sait que ma porte est ouverte ; que je détiens sa chaînette ; et moi je sais que s’il a décidé de ne pas venir, je ne peux rien pour le faire changer d’avis.
    Pourtant, chaque minute qui passe, l’angoisse enserre un peu plus mon cœur, la souffrance envahit un peu plus mon cerveau.
    J’attends. Je tente de lire, je n’y arrive plus. Je suis trop inquiet. Je tourne en rond dans la maison comme un animal en cage. C’est fou de se mettre dans un tel état pour un mec. C’est fou de lui laisser à ce point voler les clefs de son cœur, de son bonheur. Quel drôle de machinerie, que la mécanique du cœur.
    J’étouffe dans la maison vide. J’ai envie de sortir, de courir, de crier. Je ne peux pas, pas avant l’heure où je me dirai, dépité, qu’il ne viendra plus.
    J’attends. Deux heures, l’espoir est permis ; trois heures, l’espoir est en souffrance ; quatre heures, je commence à flipper ; cinq heures, il ne viendra pas.
    J’ai envie d’aller le voir à la brasserie, de lui demander pourquoi il ne vient plus me voir, pourquoi il me fait la tête. Je n’ose pas.
    Cinq heures 10, j’ai une meilleure idée : je vais aller voir Thibault à la sortie de son taf. Ça fait longtemps que j’ai envie de savoir comment se passe la coloc avec son pote ; et aujourd’hui, j’ai en plus envie de ressentir sa bienveillance, et d’avoir son conseil avisé.
    Lorsque j’arrive devant le garage, dans le quartier de la gare Matabiau, je me trouve immédiatement confronté à l’un des plus grands mystères de l’Univers. A savoir, comment un bogoss peut parvenir à être encore plus bogoss à chaque fois qu’on le voit ; comment c’est possible que sa simple présence soit toujours la même claque, le même coup de poing dans le ventre, comme si à chaque fois c’était la première fois qu’on la découvre. C’est le même mystère auquel je me trouve confronté chaque fois que je retrouve mon Jérém.
    Un mystère qui va de pair avec une autre énigme insoluble, celui de savoir comment un bogoss peut s’habiller dans n’importe quelle tenue sans que sa sexytude en soit un tant soit peu affectée. Ainsi, dans sa cotte de travail rouge et grise, une taille trop grande, parsemée de traces de cambouis, Thibault demeure incroyablement sexy.
    D’autant plus que, à la faveur de la chaleur revenue sur la ville Rose, un côté du double zip est ouvert sur plusieurs centimètres, laissant apercevoir l’arrondi du col de son t-shirt gris ; t-shirt qui a dû connaître pas mal de passages en machine, et dont l’arrondi baille légèrement, laissant dépasser quelques petits poils bruns et doux, tout simplement craquants. Quand je pense que j’ai la chance de connaître la magnifique anatomie qui se cache sous cette cotte ; et ce, pour la simple et bonne raison qu’une nuit pas si lointaine, j’ai eu la chance de faire l’amour avec cet adorable garçon. Je me demande toujours si ça a été une bonne chose : mais putain, qu’est-ce que ça a été bon !

    Le bomécano est en train de traficoter dans le capot d’une 406 coupé. J’ai le temps de le mater pendant un petit instant, avant que son sourire ne m’atteigne comme une caresse vraiment bienvenue.
    Je lui fais un signe de la main ; il me fait signe d’approcher. Il s’essuie les mains dans un grand bout de papier et il sort sur le trottoir. Son sourire est comme une caresse. Je traverse la route pour aller à sa rencontre.
     « Hey, Nico, ça fait un bail… » fait le bomécano en me claquant la bise. Toujours aussi adorable.
    C’est l’occasion de constater que, même rasée de près, la peau colonisée par sa barbe dégage un contraste sombre et plutôt viril avec la couleur plus claire de celle du reste de son visage.
    « Ça fait un moment que j’ai envie de passer te voir… ».
    « T’as bien fait… en plus, tu tombes bien, j’ai fini pour aujourd’hui… je vais me décrasser et je rentre… comment tu vas, Nico ? ».
    « Ça va… » je lâche machinalement.
    Mais on ne la fait pas au charmant Thibault. Dès que son regard s’est posé sur moi, il a su que ça n'allait pas. Et Thibault ce n’est pas le genre de mec à laisser tomber un pote qui n’est pas bien.
    « On dirait que ça va pas fort… » fait-il, tout gentil.
    J’essaie de sourire.
    « C'est Jé, c’est ça ? Il s’est encore conduit comme un goret ? ».
    « C’est un sujet compliqué… je ne sais pas trop par où commencer… » je m’embrouille.
    « Ecoute Nico… je vais me laver et je reviens… tu viens prendre l’apéro chez moi ? ».
    « Ok… avec plaisir… ».
    Le bomécano revient quelques minutes plus tard, simplement habillé de ce t-shirt gris que j’avais aperçu sous sa cotte, accompagné d’un short qui a été un jeans auparavant et d’une paire de vieilles baskets. Sa peau dégage cette odeur caractéristique du cambouis nettoyé par le savon industriel, odeur par-dessus de laquelle j’arrive à capter une subtile note de transpiration ; ses vêtements respirent la fraîcheur d’une lessive récente.
    Bref : dans ces habits qui ont un peu vécu, des habits pour le travail, dans ce délicieux bouquet olfactif de jeune mec bosseur, mais très clean, qui émane de sa personne, Thibault est tout simplement et tout naturellement beau. Eblouissant de charme et de droiture. Au final, sa beauté est comme sublimée par la simplicité de sa tenue. Vraiment, jamais l’habit ne fera le bogoss.
    Le bomécano me file un ticket, nous prenons le bus. Les platanes du Canal du Midi commencent à défiler sous mes yeux. Le bus s’arrête une première fois, puis une deuxième.
    C’est au troisième arrêt que je frôle le malaise par overdose de bogossitude. Car, à l’instant même où les portes s’ouvrent, c’est comme si on venait d’ouvrir devant moi les portes de la cage d’un fauve : je reçois en pleine figure l’image de la virilité incandescente du jeune contrôleur qui vient de monter dans le bus.
    La casquette noire caractéristique vissée sur la tête, le mec arbore une barbe bien noire bien taillée ; pas simplement une barbe de trois jours, mais trop longue non plus. Au premier abord, il semble afficher un regard un peu sombre et autoritaire.
    Le bus repart et le contrôleur se dirige droit sur moi, déclenchant immédiatement une accélération de mon rythme cardiaque, ainsi qu’un long et exquis frissons prenant naissance dans le bas du dos et remontant le long de ma colonne vertébrale jusque dans ma nuque.
    Il est désormais devant moi, il lève la tête, il me regarde. Vu de plus près, son regard se révèle marron vert et non noir comme lorsqu’il paraissait lorsqu’il était caché par l’ombre de la visière de la casquette. Dans ses yeux, quelque chose de pétillant fait office de sourire.
    Avec un ton de voix qui n’a au final rien de menaçant, il me dit : « Bonjour Monsieur, contrôle des titres de transport s’il vous plaît ».
    Il est tout près de moi, je profite de l’occasion furtive d’apprécier le mâle. Il est un peu plus petit que moi, il doit avoir 25 ans à tout casser, il fait à la fois jeune et très mec. Au début, j’avais cru deviner chez lui un côté typé reubeu, avec la barbe et le regard bien sombre ; pourtant, vu de plus près, je réalise qu’il n’est pas du tout reubeu, il est bien « européen » mais il a pourtant ce « type » de physique très brun, viril et ténébreux, avec un regard intense, pénétrant, (trans)perçant. Un regard qui n’est pas sans rappeler celui de mon Jérém.
    Pendant qu’il contrôle mon ticket, il tourne un peu la tête, comme pour regarder autour de lui : c’est là que je note qu’il a les cheveux très très courts sous sa casquette ; dès lors, même si cette casquette lui donne un côté violemment sexy, j’ai furieusement envie de le voir sans, de voir sa petite gueule de bad-boy mi-ange mi-démon au naturel, sans cet artifice vestimentaire, pourtant ô combien capable de transcender une bogossitude.
    Tout ça ne dure qu’une poignée de secondes : le bogoss me retend mon ticket en me disant : « Merci » ; ce à quoi je réponds également : « Merci » ; alors que, délice suprême, mes doigts effleurent les siens au moment où je récupère mon ticket.
    Le petit instant d’éternité s’achève, le jeune mâle s’éloigne, continuant ses contrôles dans le bus. J’ai ces nœuds dans le ventre à l’idée que tout ça n’a duré qu’une poignée de seconde, qu’il va bientôt disparaître de mon champ de vision. Mais, une fois arrivé au fond du bus, le voilà qui revient sur ses pas, et se cale contre la porte face à moi, mais sur ma gauche.
    Il va descendre à la station suivante, ou l’autre encore, j’ai encore quelques secondes, au mieux quelques minutes pour profiter de la vue de ce barbu brun incandescent.
    Je ne le quitte pas des yeux, lui hurlant intérieurement de me regarder, de planter son regard dans le mien, tout en craignant en même temps qu’il le fasse et qu’il ne s’aperçoive que je le fixe, comme hypnotisé, parce que c’est sûr j’ai le ventre secoué comme un tambour de machine à laver en fin de cycle essorage, j’ai furieusement envie de tout savoir de ce mec, à partir de son nom (son badge est bien accroché à sa veste ; mais, hélas, si nom il y a, il doit être du côté face cachée, car je n'ai rien vu quand il était près de moi, et ce n’est pas faute d’avoir regardé).
    A un moment, il me regarde, j’ai l’impression qu’il a capté un truc, ou pas, je n’arrive pas à savoir. Son regard reste un moment vers moi, j’ai l’impression qu’il plisse les yeux, comme par une sorte de « provocation » ou de façon de dire « je t’ai vu, et je vois bien que tu me mates » : je m’étonne moi-même d’arriver à soutenir le regard ; même si, au bout de quelques secondes, je finis par décrocher, en ressentant aussitôt une forte envie de me donner des baffes.
    Je cherche à ne pas le regarder ; pourtant, au bout de quelques secondes, mes yeux réclament déjà le contact avec la bogossitude. De son côté, le contact visuel est rompu, ce qui me permet de continuer à le regarder avec plus d’aisance. Le bogoss fouille dans son sac en bandoulière, il sort une petite bouteille en plastique de « ice-tea » ; il peine un peu à défaire le bouchon, puis il porte le goulot à ses lèvres. Un petit geste de rien, mais pourtant pas moins sexy : je suis captivé par sa pomme d’Adam qui monte et descend au passage de la boisson.
    Il referme la bouteille, la range dans son sac. Le bus arrive à la station suivante. Les portes s’ouvrent. Le beau contrôleur s’active pour quitter le bus. J’ai cette impression, même si sûrement ce n’est que dans ma tête, que juste avant de descendre, le bogoss a un petit regard vers moi.
    Les portes se referment, et je le regarde s’éloigner, retourner à sa vie. Le bus repart et j’essaie de me remettre doucement du choc d’avoir été contrôlé par l’un des contrôleurs les plus sexy, si ce n’est LE plus sexy de tous les contrôleurs que j’ai jamais vus.

    L’appart de Thibault est un peu plus en vrac que la dernière fois, mais toujours accueillant.
    « Désolé pour le bazar… ça c’est… ».
    Un peu partout, sur le canapé et sur les chaises, il y a des vêtements. Des vêtements qui à priori n’appartiennent pas à Thibault.
    « Jérém… » je le devance. Oui, dans le bazar, je reconnais bien la touche « Jérém ».
    « Oui, c’est ça… » m’explique le bomécano « le séjour c’est sa chambre, le canapé c’est son lit, et le dossier du canapé c’est sa penderie… ».
    Je reconnais la chemise blanche qui m’avait fait tant d’effet négligemment abandonnée sur un accoudoir du canapé. Envie de plonger mon nez dedans.
    « Une bière ? » enchaîne le bomécano.
    « Oui, avec plaisir… ».
    Thibault fait un aller-retour à son frigo et revient avec deux petites bouteilles à la main.
    « Vas-y, pousse le bordel, trouve-toi une place sur le canapé… » il me lance.
    Nous voilà assis côte à côte. Je bois une gorgée tout en regardant le jeune pompier avaler une bonne rasade, comme le ferait un mec assoiffé.
    « Ça fait du bien… » je l’entends souffler ; avant d’attaquer le vif du sujet « vas-y, raconte, qu’est-ce qui se passe ? ».
    « C’est compliqué à expliquer… depuis la semaine dernière, il est venu tous les jours à la maison… on a passé des moments incroyables… ».
    « Mais c’est génial, ça… ».
    « Oui… mais… c’est cette semaine que ça s’est gâté… on s’est un peu pris la tête… ».
    « En ce moment, Jéjé est un peu bousculé… surtout depuis le coup de fil… ».
    « Quel coup de fil ? ».
    « Il t’a pas parlé du coup de fil ? ».
    « Non… quel coup de fil ??? ».
    « Je lui ai pourtant dit de t’en parler… ».
    « Quel coup de fil ? » j’insiste, impatient, inquiet.
    « Ecoute, Nico… je préférerais que ce soit lui qu’il t’en parle… ».
    « Mais il ne me parle plus ! » je panique.
    « Il est chiant… Nico, écoute… je veux bien t’en parler… » fait le bomécano touché par ma détresse, avant de préciser « mais quand il t’en parlera, parce qu’il faut bien qu’il t’en parle à un moment ou à un autre, tu feras mine de l’apprendre de sa bouche, ok ? ».
    « Ok, mais dis-moi, s’il te plaît… ».
    « Les responsables du Racing* veulent le rencontrer dans quelque jour… ils envisagent de l’engager dès la rentrée… »

    (* Toute référence à des équipes de rugby, et à leurs responsables, joueurs, collaborateurs de l’époque où se déroule ce récit doit être considérée comme étant purement fictive).

    « Et c’est où le Racing ? » je m’exclame par réflexe, moi qui ne connaît rien au monde du rugby.
    « C’est le nouveau club de… Paris… il est né cette année de la fusion de deux équipes… ».
    Les mots de Thibault tombent sur ma tête comme un coup de massue. Je suis assommé.
    « Dans quelques jours ! » je m’entends exclamer, sans même réfléchir.
    « Quelques jours ! » je répète, abasourdi. J’ai la tête qui tourne, les idées qui se brouillent ; j’ai l’impression que le ciel va me tomber sur la tête ; je débite sans réfléchir, je suis en roue libre « je vais le perdre, je le savais que ça se finirait comme ça… ».
    « Ne dis pas ça, Nico… » fait Thibault en passant un bras autour de mon cou.
    « Si, je vais le perdre… ».
    « Moi aussi ça me fait de la peine qu’il parte, mais Paris ce n’est pas au bout du monde, c’est à une heure d’avion… ».
    « On va plus se voir… c’est fini… ».
    « Nico, je sais que c’est dur pour toi, je sais à quel point tu tiens à lui… mais c’est une énorme chance pour lui, tu le comprends… c’est son rêve qui devient réalité… ».
    « Je sais… mais je sais aussi que Paris, c’est la grande ville… pour un rugbyman bogoss c’est Disneyland… il va mener la belle vie, il va croiser plein de nanas et de mecs qui voudront coucher avec lui… il m’oubliera super vite quand il sera là-bas… ».
    « Ça c’est pas possible, crois moi… ».
    « Pourquoi tu dis ça ? ».
    « Parce que lundi soir, quand il est rentré, j’ai senti qu’il n’était pas bien… il venait de recevoir cette fabuleuse nouvelle, je m’attendais à qu’il soit fou de joie… il avait par mal bu et fumé, il avait la mine des jours où quelque chose le tracasse vraiment… j’ai bien senti que c’était l’idée de partir loin de toi qui le travaillait… alors, je lui ai demandé quand il comptait te l’annoncer… ».
    « Et qu’est-ce qu’il a dit ? ».
    « Il a réagi comme à son habitude quand il préfère esquiver quelque chose au lieu de l’affronter… il s’est énervé… ».
    « C’est pour ça qu’il ne vient plus me voir… c’est sa façon de me larguer avant de partir ! ».
    « Tu te trompes, Nico… je suis sûr que c’est aussi dur pour lui que pour toi… il ne l’avouera jamais, mais il redoute de t’en parler… il redoute de te perdre… lui aussi il a peur que tu l’oublies, que tu ailles voir ailleurs… ».
    « Comment tu sais ça ? ».
    « Il me l’a dit, Nico… il me l’a dit lundi soir… ».
    « Il t’a dit quoi exactement ? ».
    « Je te passe les détails… c’étaient des mots lancés avec deux grammes d’alcool dans le sang, mais c’est bien ce que j’ai compris… ».
    « Quand je pense que depuis une semaine ça se passait si bien entre nous… mardi dernier je lui ai dit que j’en avais marre d’être son punching ball et de supporter ses sauts d’humeur… depuis, il est revenu tous les jours… et il était de plus en plus adorable… ».
    « C’est drôle… » fait le bomécano.
    « Qu’est-ce qui est drôle ? ».
    « En fait, on a eu à peu près la même conversation, Jéjé et moi… ».
    « Quand, ça ? ».
    « Je crois que c’était lundi de la semaine dernière, je crois… enfin, c’est sûr, c’était lundi dernier, car en général le lundi il finit assez tôt et c’est le seul soir de la semaine où je ne suis pas encore couché quand il rentre… ».
    « Et vous avez parlé de quoi ? ».
    « Au bout de quelques bières, Jéjé a fini par évoquer cette nuit que nous avons passée tous les trois ensemble… j’ai eu l’impression qu’il avait comme envie de se justifier, comme s’il regrettait ce qui s’était passé… il a essayé de mettre ça sur le dos du tarpé, de l’alcool… ».
    « Alors que c’est lui qui a lancé l’idée… » je commente.
    « C’est ce que je me suis dit aussi… j’ai trouvé ça culoté de sa part… et comme ça faisait depuis cette nuit que j’avais envie de lui parler de ce qui s’était passé, j’ai saisi l’occasion… ».
    « Tu lui as dit quoi ? ».
    « Je lui ai dit qu’il n’a pas à se comporter avec toi comme il l’avait fait cette nuit-là… je lui ai dit qu’il finirait par te perdre s’il continuait à jouer les machos arrogants, à te traiter comme un jouet, à se raconter que votre relation n’a aucune importance, et à ne pas assumer ce qu’il y a de beau entre vous deux… ».
    « Et Jérém ? ».
    « Il m’a dit que je le gonflais… c’est sa façon à lui de dire qu’il a bien reçu le message… ».
    « Il me le dit souvent… ».
    « C’est que tes messages sont percutants… ».
    « Si tu le dis… » je fais, un brin dérouté.
    Je réalise soudainement que je m’étais un peu hâtivement persuadé que la seule raison du changement de Jérém pouvait être la conversation qu’on avait eu le mardi précèdent : j’aurais dû me douter mon « influence » sur mon bobrun ne pouvait pas, à elle seule, avoir un tel pouvoir. Je viens de comprendre qu’en amont de cela, un ami avait déblayé le terrain. Alors, merci Thibault.
    « Si c’est pas indiscret… » fait le bomécano « pourquoi vous vous êtes pris la tête ce lundi avec Jéjé ? ».
    « Le problème c’est que… (je ne peux pas lui parler de la pipe manquée)… il n’assume toujours pas ce qui se passe entre nous… pourtant j’ai essayé de le rassurer, de lui ai dit que je tenais vraiment à lui… ».
    « Et il a réagi comment ? ».
    « Il n’a rien dit… du coup, je lui ai demandé où nous en étions tous les deux… ».
    « Peut-être qu’il en faut pas lui en demander tant… ».
    « Mais c’est dur de ne rien savoir de ce qui se passe dans sa tête… ».
    « Tu l’as dit toi-même, Nico, il est venu te voir tous les jours… et ça se passait de mieux en mieux… c’est pas parce qu’il ne met pas des mots sur ses ressentis, qu’il n’en a pas… ».
    Oui, Thibault a raison. Depuis plusieurs jours et de façon de plus en plus claire, Jérém a montré son attachement pour moi. Sinon, pourquoi serait-il revenu me voir tous les jours, en s’attachant à tenir compte de mes envies – mon kif, les poils non rasés, la tenue chemise-cravate ? Pourquoi aurait-il accepté les bisous, les câlins, les caresses ?
    Dans un coin de sa tête, et de manière tout à fait consciente, j’en suis sûr, Jérém a commencé à accepter d’« être bien » avec moi : le bobrun a eu tout le temps de réfléchir à tout ça, lorsqu’il est seul, pendant qu’il travaille ; alors, si chaque jour il est revenu vers moi, c’est la preuve que cette situation lui convient ; et qu’il a besoin de nos moments ensemble.
    Je me rends compte à quel point ça a été très maladroit de chercher à le provoquer, à le taquiner sur ses envies, à le pousser à reconnaître qu’il tient à moi.
    Alors, cette pipe ratée que j’ai d’abord considérée comme la seule cause de son changement de comportement, ce n’est peut-être en réalité que la goutte qui a fait déborder le vase. Peut-être que le « mal » était déjà fait avant ; peut-être que Jérém avait commencé à faire marche arrière lorsque j’avais voulu à tout prix provoquer des réactions de sa part.
    Comme lors de ce baiser « exigé » avant de le sucer : sa façon de claquer ce baiser, comme une gifle, était peut-être un premier signe du fait que j’étais en train d’aller trop loin.
    Je réalise que ma plus grande erreur a été l’impatience de vouloir aller trop vite, l’entêtement à exiger de Jérém plus que ce qu’il est prêt à donner.
    J’aurais dû attendre que notre complicité grandisse en silence, apprécier les doux moments de complicité : comme après la première pipe, pendant l’échange de tarpé ; quand, l’air de rien, ses doigts se sont posés sur mes cheveux, pour les caresser doucement. A cet instant précis, tout se passait en silence, mais tout semblait si limpide entre nous.
    Est-ce que cette pipe qu’il a voulu essayer, c’était aussi une façon de me « dire » que les choses pouvaient avancer entre nous, mais à la seule condition de ne pas les nommer pour l’instant ?
    Peut-être que si j’avais été plus discret, avant et pendant cette pipe, les choses se seraient passés autrement entre nous… est-ce que c’est moi qui a tout gâché ?
    Face à son malaise d’être surpris en flagrant « délit » de fellation, j’ai paniqué et j’ai voulu essayer de rattraper le coup : c’est là, en cherchant à le mettre en confiance, mais avant tout à me rassurer, que j’ai fini par trop en dire, par trop en faire.
    « C’est trop bon ce qu’on vit depuis une semaine… tu es tellement différent, tellement adorable… ».
    En mettant Jérém face à ses changements de manière beaucoup trop frontale pour qu’il accepte de les reconnaître, je n’ai eu d’autre résultat que d’empirer les choses.
    Et même si je me suis retenu de prononcer ces trois mots magiques qui riment si bien avec Jérém, mon bobrun a quand-même dû les percevoir dans mon élan, dans mon émotion, mon regard, comme dans un livre ouvert. D’où, sa marche arrière à toute vitesse, le déploiement de la technique « Hérisson », matérialisés dans ses mots froids et laconiques :
    « Ne te monte pas la tête, Nico… ».
    Eclairé par le récit de Thibault, me parlant d’un Jérém perturbé à l’idée de partir loin de moi, je me dis que, bien sûr mon bobrun a lui aussi doit se poser la question de « où l’on va tous les deux », même avant ce fameux coup de fil : et je réalise que, ce qui le fait fuir, c’est justement sa peur de mettre ça sur le tapis, de se dévoiler.
    J’aurais dû me rendre compte qu’à ce stade, mon Jérém était bien davantage un p’tit mec qui a peur de ses sentiments qui le brûlent, des sentiments qui sont à ses yeux, un peu sa faiblesse, plutôt qu’un p’tit macho qui a peur d’une pipe. Ce qui le rend profondément attachant.
    « Tu dois avoir raison… » je finis par admettre.
    Oui, Thibault a raison. On dit que le plus grand défi de l’amitié, c’est de nous faire grandir. Thibault, c’est un vrai pote.
    Soudainement, je me sens très con.
    « Ne te laisse pas décourager, Nico… » fait le charmant Thibault en me caressant l’épaule avec sa main à la fois douce et rassurante « s’il ne vient pas te voir, vas lui parler… vas-y doucement, mais dis-lui ce que tu ressens, n’aie pas peur… ».

    Si seulement c’était facile, mon Thibault. Aller lui parler, quand et comment ? Pour lui dire quoi ?
    Entre le petit « accident » de la pipe raté, mes mots et mon attitude trop étouffantes, la nouvelle de son départ imminent pour Paris, la discussion avec Thibault, tout ça en un laps de temps très réduit : voilà qui a dû remuer pas mal de choses dans sa petite tête de nœuds.
    Alors, s’il n’a pas envie de me voir, qu’est-ce que je peux bien faire pour changer cela ?
    Pourtant, le temps presse : son départ est imminent : si je le laisse s’éloigner maintenant, je ne vais pas avoir le temps de le rattraper.
    S’il le faut, dans sa tête, Jérém est déjà à Paris, dans sa nouvelle vie ; une nouvelle vie où il n’y a aucune place pour moi.
    S’il ne veut plus me voir, c’est peut-être qu’il essaie de m’oublier… peut-être qu’il veut que je l’oublie aussi…
    Mais il ne peut pas me demander ça, et surtout pas me l’imposer de cette façon ! J’ai droit à qu’il vienne m’annoncer son départ pour Paris ! Et puis, il reste la question de la chaînette ; et aussi, celle du maillot que j’ai ramené de Londres et que je ne lui ai toujours pas donné.
    Il faut qu’il revienne à tout prix à la maison, il faut que je puisse lui parler tranquillement, il faut que je lui dise que j’ai besoin de lui, que je ne veux pas le perdre.
    Me voilà face à un double challenge. Le premier, c’est de le faire revenir chez moi ; le deuxième, c’est d’arriver à lui parler avec mon cœur sans le faire fuir encore plus loin.
    C’est dur d’aimer quelqu’un qui a peur d’aimer et de se laisser aimer.
    C’est dur, les histoires entre garçons. Pourtant, c’est bien leur complexité, leur fragilité, ainsi que les difficultés qui se dressent sur leur chemin, notamment lorsqu’elles ne sont pas assumées au grand jour par l’un des protagonistes, qui en font justement leur beauté particulière.
    Ce mercredi soir, je me sens très triste. Jérém ne veut plus me voir et je me sens impuissant à inverser le cours des choses. Je me plonge dans les souvenirs, comme s’ils pouvaient m’aider à le faire revenir.
    Je plonge mon nez dans ce t-shirt dérobé un matin, au petit matin, dans sa salle bain ; je plonge mon nez dans ce tissu doux comme sa peau et qui sent toujours l’odeur de sa peau ; je me glisse sous les draps en amenant avec moi ce trésor inestimable, les trois photos dont l’adorable Thibault m’a fait cadeau il y a quelques temps.
    Je pose les trois images sur le drap, devant moi, et je me sens comme happé par les histoires qu’elles racontent : Jérém assis sur la pelouse de la prairie des Filtres, en position demi allongée, les bras tendus vers l’arrière et les mains posés à plat sur le sol ; habillé d’un simple jeans et d’une chemise à carreaux noirs et blancs, les manches retroussées, ouverte sur un t-shirt blanc sur lequel sa chaînette de mec est négligemment abandonnée ; le bogoss regarde l’objectif avec son plus beau regard ténébreux : voilà une tenue et une attitude très, très, trèèèèèèèèèèèès mec…
    Une autre photo, mon Jérém en maillot de rugby.
    Sur la dernière, mon bobrun est sur la plage, torse nu, le bronzage ajoutant des couleurs à sa peau mate, la lumière du soleil mettant en valeur et en relief la musculature parfaite de son corps.
    Non, je ne me lasse pas de regarder ces images qui, prise à distance de quelques mois l’un de l’autre, matérialisent sous mes yeux le chemin parcouru par la virilité de mon bobrun : c’est beau de voir un adolescent devenir un vrai petit mec. En fait, ces photos, racontent à la fois chacune une histoire, tout en étant les chapitres d’une magnifique saga, « La vie de Jérémie Tommasi ».
    Je vais inlassablement de photo en photo, cherchant à percer le mystère de son regard ténébreux, de déceler ce qui se cache derrière cette petite pointe de tristesse qui est omniprésente dans son regard, même dans son sourire le plus lumineux.
    Je finis par ranger les photos dans un tiroir de ma table de nuit ; j’éteins la lumière et je me glisse sous les draps. Au gré de mes mouvements, je sens une fois de plus les mailles de sa chaînette rouler sur ma peau. Un frisson géant parcourt ma colonne vertébrale : j’ai l’impression de sentir son corps contre le mien, ses mains dans mes cheveux, ses lèvres sur les miennes, sa langue sur ma peau ses doigts sur mes tétons, sa queue en moi. Je bande à en avoir mal. Et je pleure à en avoir mal.
    Je n’arrive pas à trouver le sommeil. Je n’ai même pas envie de me branler. Vers 1 heure du mat, je craque et je lui envoie un nouveau sms :
    « Hey, tu viens chercher ta chaînette ? ».
    Le sms envoyé, je me sens apaisé. Je m’endors peu de temps après, certain, une fois encore, que le lendemain matin j’aurai sa réponse.

    Jeudi 09 août 2001
     
    Ce matin, je ne suis pas bien. Je n’ai pas trop mal dormi, pourtant je n’ai pas envie de me lever. La journée commence mal : il n’y a toujours aucun sms sur mon portable.
    Je n’ai pas envie d’affronter une nouvelle journée sans Jérém, une nouvelle journée à me poser des questions, à attendre, à me sentir impuissant à faire avancer les choses.
    Il fait très beau et très chaud. Je me demande avec quelle tenue le bogoss pourrait débarquer, si seulement l’envie lui en prenait. A pouvoir choisir, j’adorerais le retrouver en débardeur blanc et casquette à l’envers ; j’ai envie de lui ; sa présence me manque ; sa puissance sexuelle me manque ; 72 heures qu’il me manque.
    La matinée s’écoule morose, l’après-midi est une succession d’espoirs sans cesse déçus. 17h25… il ne viendra plus.
    Je sors et je me mets à marcher. Je marche, je marche, je marche. J’ai envie de bouger pour me changer les idées. J’ai envie d’aller voir mon Jérém, mais je crains sa réaction, son hostilité qui trancherait brutalement avec l’accueil si chaleureux de dimanche dernier. Dimanche dernier, il y a tout juste 4 jours ; pourtant, ces bons moments me semblent si lointains, j’ai l’impression qu’ils appartiennent presque à une autre vie. Je me demande si je ne les ai pas juste rêvés.
    J’ai beau m’imposer des détours, tenter l’évitement : mes jambes finissent toujours par me diriger là où le cœur les amène. Je n’ai pas marché une demi-heure que je me retrouve dans la rue de Metz en direction d’Esquirol.
    Les dés sont lancés, autant y aller franco : je vais me pointer à la brasserie, et m’installer en terrasse pour prendre un verre. Au fond, j’ai droit. Je m’attends, je me prépare à me faire fulminer du regard : pourvu juste qu’il ne m’ignore pas, et que ce soit bien lui qui vient me servir.
    Je sens sa chaînette se dérober entre ma peau et mon t-shirt au gré de mes pas : oui, je vais y aller avec le prétexte de la chaînette, mais je ne vais pas la lui donner pour autant ; je vais juste lui demander de venir la chercher. Je suis à quelques dizaines de pas de la brasserie, je la retire de mon cou, je la glisse dans ma poche. Je m’impose de continuer à avancer vers la terrasse, désormais en vue, alors que le cœur s’emballe mètre après mètre.
    Ça y est, je suis devant l’entrée de la terrasse ; mon bobrun est là, jeans marron et t-shirt noir bien ajusté, craquant à souhait. Il est en train de servir des clients ; lorsqu’il finit de vider son plateau, il débarrasse une table voisine ; puis, il se retourne pour répartir ; c’est là que son regard capte ma présence ; le bogoss semble surpris, mais il fait mine de m’ignorer et il disparaît avec son plateau.
    Sur le coup, j’ai presque envie de me tirer ; puis, je me dis que désormais je suis là, alors il faut y aller : de plus, il n’y a pas encore grand monde en terrasse à cette heure, c’est le bon moment pour l’« affronter ».
    Je repère une table un peu isolée et je m’y installe. Jérém revient avec un plateau chargé. Lorsqu’il repère ma position, exit le sourire incendiaire de dimanche, son regard est noir, orageux.
    Apparemment, le bobrun est seul au service pour l’instant ; il ne pourra pas m’ignorer, il sera obligé de venir me voir. Le bogoss disparaît de nouveau à l’intérieur ; mon cœur continue à s’emballer de seconde en seconde en attendant qu’il revienne.
    Lorsqu’il réapparait, il fonce directement sur moi ; on dirait un jeune taureau en train de charger.
    « Qu’est-ce que tu fais là ? » il me lance sèchement, sans préliminaires.
    « Bonjour Jérém… j’ai envie d’une bière blanche… ».
    « Tu peux pas t’en acheter à la superette ? » fait-il, l’air agacé.
    « La superette ne fournit pas le serveur avec… ».
    « Tu veux quoi, tu vois pas que je bosse ? ».
    « Je sais… mais comme tu ne viens plus me voir à la pause, je viens prendre des nouvelles… ».
    « C’est pas le moment… ».
    « Tu pourrais au moins répondre à mes messages ! ».
    « J’ai pas le temps… ».
    « Des conneries ! ».
    « T’as ramené ma chaîne ? » fait-il froidement.
    « Non, elle est à la maison… ».
    « Tu fais chier ! ».
    « Passe demain, je te la donnerai… ».
    « Je t’ai dit que je n’ai pas le temps ! ».
    « T’as plus de pauses ou quoi ? ».
    « Ne me casse pas les couilles, Nico, et ramène-la-moi ! ».
    « Ok, je ne te casse pas les couilles, mais si tu veux ta chaînette, il va falloir venir la chercher ! ».
    « Tu m’emmerdes !! » il me balance, mauvais, juste avant de repartir à l’intérieur, alors que son patron vient de l’appeler.
    Il revient une minute plus tard, il plante la bière devant moi.
    « Bois la vite et tire-toi… ».
    « Tu viens demain ? ».
    « Ecoute-moi bien… si je viens, ce sera juste pour récupérer ma chaînette, et je me casse ! ».
    « Mais pourquoi ? ».
    Mais le bogoss est déjà reparti servir d’autres clients.
    Je n’ai plus envie de ma bière ; pourtant, je la bois presque d’un trait, impatient de partir de cette terrasse ; regarder le beau serveur, si avenant avec les autres clients, alors qu’il est si cassant avec moi, et ça m’est insupportable.
    Je rentre à la maison encore plus triste que j’en suis parti. Je préférerais encore être en train de me demander si demain il va venir, plutôt que de me dire qu’il va venir juste pour récupérer sa chaînette.
    Est-ce qu’il va seulement venir Jérém, demain ? Comment je vais m’y prendre pour lui parler, alors qu’il a l’air si remonté envers moi ? Quoi lui dire ? Quelle relation envisager, alors que la distance va rendre encore plus compliqué ce qui est déjà pas mal compliqué à la base ?
    Dans mes draps, dans le noir, je tente de me rassurer en repensant aux mots de Thibault quand je lui ai parlé de ma peur que Jérém m’oublie, une fois à Paris :
    « Ça c’est pas possible, crois moi… j’ai bien senti que c’était l’idée de partir loin de toi qui le tracassait… je lui ai demandé quand il comptait te l’annoncer… il a réagi comme à son habitude quand il veut balayer des choses qu’il ne sait pas affronter… il s’est énervé… je suis sûr que c’est aussi dur pour lui que pour toi… il redoute de t’en parler… il redoute de te perdre… lui aussi il a peur que tu l’oublies, que tu ailles voir ailleurs… ne te laisse pas décourager, Nico… vas-y doucement, mais dis-lui ce que tu ressens, n’aie pas peur… ».
    Vraiment adorable, ce Thibault. Ce Thibault dont la position n’était pas vraiment la plus facile à tenir, tout aussi bien vis-à-vis de son pote que de moi. Tout pris par mes soucis, je ne pouvais pas m’en rendre compte.
    Pourtant, après la nuit que nous avions passé tous les trois ensemble, après les avoir vus si proches – les fronts collés, les lèvres frémissantes prêtes à se rencontrer, au moment où nous nous donnions du plaisir, tous les trois emboités, ivres de plaisir – je m’étais posé des questions sur une éventuelle attirance, sur d’éventuels désirs existants entre les deux potes, au-delà de leur amitié ; je m’étais même demandé si ce plan à trois n’était pas une façon, consciente ou pas, de rapprocher leurs désirs refoulés ; je m’étais inquiété du fait que ce plan puisse leur donner des idées, créée un précèdent, démystifier certains tabous, rendre possible un rapprochement sensuel que jusque-là les deux potes s’étaient interdits.
    De plus, lors de ma rencontre avec Thibault au lendemain de cette fameuse nuit, j’avais pressenti que quelque chose tracassait le bomécano au sujet de son pote ; qu’il y avait des non-dits dans son discours ; qu’il n’était pas aussi bien dans ses baskets que son discours semblait l’affirmer ; que, derrière son désir de nous voir, Jérém et moi, heureux, ensemble, le bomécano s’oubliait, lui, une fois encore.
    Cependant, trop absorbé par ce qui se passait avec Jérém, hier après-midi encore, j’ai été voir Thibault plus pour discuter de son pote que pour avoir de ses nouvelles. En fait, je ne lui ai pas du tout demandé de ses nouvelles. J’avais trop besoin de m’abandonner, de me sentir enveloppé et rassuré par sa bienveillance ; une fois encore, je n’ai pas été déçu. Ainsi, j’ai trop vite oublié mes doutes, mes craintes. J’ai oublié de m’intéresser à ce que le bomécano ressentait vraiment.
    Alors, je ne pouvais pas savoir que Thibault pensait souvent à la façon qui était la mienne de parler de Jérém, de le désirer, de caler les battements de son cœur sur les siens ; je ne savais pas qu’en son for intérieur, le bomécano se disait aussi qu’il donnerait cher si un jour, une nana, ou même un garçon, pouvait poser sur lui le regard plein d’admiration et d’amour que je portais sur son pote Jérémie.
    Non, je ne savais pas ce qui tracassait réellement l’adorable Thibault en ce mois d’aout 2001.
    Il y a une raison à cela : en fait, si le bomécano était à la fois de confident de Jérém et le mien, ni Jérém ni moi n’étions le sien.
    Ce que je ne savais pas non plus à cet instant précis, c’est que – sans doute par pudeur, par désir de ne pas m’inquiéter, ou tout simplement par besoin d’oublier – le bomécano avait omis de me parler de la partie la plus houleuse de la discussion avec son pote.

    Mardi 07 août 2001, 1h55.

    Lorsque Jérémie rentre du taf, après avoir traversé la chaude nuit toulousaine, la chemise complètement ouverte, la cravate défaite pendouillant de chaque côté de son cou, un bout de joint entre les doigts, Thibault est toujours debout. Il est très tard, mais son pote l’a attendu pour fêter la bonne nouvelle tombée dans l’après-midi.
    Dès qu’il franchit la porte, il le prend dans ses bras et le serre très fort contre lui, tout en lui lançant :
    « Si tu savais comment je suis content pour toi… ».
    « Il fallait pas m’attendre… » fait Jérém, la voix basse et lente, en écrasant le bout du joint entre ses doigts.
    « Il fallait bien fêter ça… » répond le bomécano en lui tendant une bière, simple geste de partage ; même si, d’après l’haleine alcoolisée de son pote, Thibault devine que son Jéjé a déjà bu plus que son dû.
    « J’étais fou depuis que j’ai reçu ton sms… » enchaîne le bomécano.
    « C’est gentil, mais ça pouvait attendre… tu te lèves tôt demain… ».
    « On s’en tape de ça… » fait Thibault, tout excité « alors, qu’est-ce qu’il t’a dit exactement l’entraîneur au téléphone ? ».
    « Il faut que je le rappelle demain matin… je venais de reprendre le taf, et je n’ai pas tout compris… apparemment, un type m’a vu jouer plusieurs matchs cette année et il en a parlé aux dirigeants du Racing… ils veulent me rencontrer vers le 20 de ce mois-ci… ».
    « Ah, putain, j’en étais sûr… ça devait arriver, c’était obligé… tu es un vrai artiste du ballon ovale et il fallait que quelqu’un s’en rende compte tôt ou tard… ».
    « Doucement… ils veulent d’abord me faire passer des tests… ».
    « C’est quand même la pro D2 ! »
    « Oui… ».
    « Je suis fier de toi, Jé… tu vas passer pro… tu te rends compte ? C’est génial… vraiment génial ! ».
    « Merci… » fait Jérém, en se dirigeant vers la fenêtre, le regard fuyant.
    Thibault s’approche de lui.
    « Mais t’as pas l’air si emballé que ça… ».
    « Je suis fatigué de ma journée… ».
    « On dirait que quelque chose te tracasse, Jé… ».
    « Est-ce que je vais être à la hauteur, Thib ? ».
    « Bien sûr que si… ».
    « Si je me vautre, j’aurai l’air d’un con… ».
    « Mais tu ne vas pas te vautrer, tu vas faire un malheur ! ».
    « Ça va être dur… » fait Jérém, en allumant nerveusement une cigarette.
    « Ça va me faire drôle de ne plus te voir tous les jours… ».
    « M’en parle pas… qui va être là pour m’empêcher de faire des conneries ? » fait Jérém.
    « C’est bien ce qui me tracasse le plus… » rigole le bomécano.
    « Mais tu viendras me voir à Paris… enfin… s’ils me gardent… ».
    « Bien sûr qu’ils vont te garder… et bien sûr que je viendrai te voir… je viendrai pour te remonter les bretelles… ».
    « Tu m’as tout appris au rugby… » fait Jérém, avec une pointe de mélancolie.
    « Je vous ai juste fait vous rencontrer, le rugby et toi… mais tout ce que tu sais faire aujourd’hui, tu ne le dois qu’à toi-même… à tout le travail que tu as fourni… ».
    Jérém sourit, mais son sourire parait forcé, teinté de tristesse.
    « J’en connais un à qui tout ça, ça va faire drôle… » enchaîne Thibault.
    « Qui donc ? ».
    « Bah, Nico… ».
    « Ah… oui… enfin… tu parles… ».
    « Tu vas lui annoncer quand ? ».
    « Je n’ai pas de compte à lui rendre… ».
    « Ne fais pas le con, Jé… Nico tient vraiment à toi… ».
    « Je vais juste arrêter de le voir, il va m’oublier… ».
    « Tu peux pas faire ça… ».
    « Si… ».
    « Ecoute-moi bien Jé… je m’en fous de ce qui se passe entre vous deux… mais putain, Jé… tu lui dois au moins une explication ! ».
    « Je ne lui dois rien du tout, il n’est rien pour moi ! »
    « Arrête, Jé… sois honnête avec toi-même… je ne t’ai jamais vu aussi bien que depuis que vous êtes… ».
    « On est rien du tout, je te dis… ».
    « Tu vas vachement mieux depuis que vous vous voyez… ».
    « Moi j’ai surtout l’impression que tout est plus compliqué… ».
    « Ton départ va lui mettre une sacrée claque… ».
    « De toute façon, lui aussi s’en va de Toulouse… ».
    « Oui, mais Bordeaux ce n’est pas Paris… quand il reviendra le week-end, tu seras aux quatre coins de la France en train de courir après ton premier Brennus… ».
    « De toute façon, ça a trop duré, il est grand temps qu’on arrête tout ça… ».
    « Je ne te crois pas une seule seconde quand tu dis que Nico n’est rien pour toi… ».
    « Arrête avec ça, Thib… je te jure, arrête avec ça… je vais couper les ponts… j’aurais dû le faire il y a longtemps… ».
    « Tu vas le détruire… ».
    « T’inquiète pas pour lui, il va vite trouver un autre mec pour s’amuser… ».
    « Mais c’est toi qu’il veut, c’est toi qu’il aime… et toi aussi tu es bien avec lui… tu vas pas arriver à le larguer comme ça, sans états d’âme… ou alors tu vas le regretter… ».
    « Allons, tu me connais, Thib… j’ai toujours fait ça avec les gonzesses… ».
    « Mais est-ce que tu vas pouvoir le faire avec Nico ? ».
    « Je te dis d’arrêter avec ça… je ne suis pas pd !!! » se braque Jérém, en montant brusquement le ton de la voix.
    « Mais on s’en fiche de ça ! » fait Thibault, comme un cri du cœur.
    Le bomécano regarde son pote et il voit un garçon fatigué, étourdi par le tarpé qu’il a fumé en chemin, par l’alcool qu’il a bu à la fin de son service ; le bomécano est interloqué par son attitude, par la virulence de ses réactions ; il est attristé face au déni dont il fait preuve vis-à-vis de ses sentiments pour Nico, par la violence qu’il emploie contre soi-même pour se cacher de la vérité.
    « Tu crois que c’est moi qui a été le chercher ? » lance Jérém de but en blanc, très énervé « c’est lui qui a voulu qu’on « révise »… il m'a proposé de réviser juste pour se faire baiser… j’aurais jamais dû le laisser venir chez moi ! ».
    « Arrête Jéjé, dis pas n’importe quoi… ».
    « Il n’y a que la queue qui l’intéresse… il en a déjà vu d’autres des queues, je te rassure… et toi aussi tu l’as baisé… t’as bien vu… ».
    « Je ne suis pas sûr que c’était une bonne idée… en tout cas, ce que j’ai vu, c’est un gars adorable, qui est vraiment amoureux de toi… ».
    « Tu me gonfles ! » fait Jérém en montant encore le ton.
    « Arrête un peu, Jé… calme-toi… ».
    « Je me calme si je veux… ».
    « Quoi qu’il se passe dans ta vie, je serai toujours ton pote ! » fait le bomécano en saisissant le biceps de son Jéjé.
    « Tu m’as saoulé ! » s’emporte Jérém, tout en se dégageant brusquement du contact de son pote. Il écrase sa cigarette fumée qu’à moitié sur le rebord de la fenêtre, avant de la balancer dans la rue. Il traverse la pièce, rattrape sa chemise, l’enfile sans la boutonner et se dirige vers la porte de l’appart. Thibault lui enjambe le pas.
    « Tu vas où ? ».
    « Je vais prendre l’air… ».
    « Attends… » fait le bomécano en le saisissant pas l’épaule.
    « Mais lâche-moi, putain !!! » se rebelle le bobrun, en repoussant violemment le jeune pompier.
    Thibault arrive cependant à refermer le battant de la porte sous le nez de son pote.
    « Tu vas me laisser passer… » fait Jérém, menaçant, le regard noir fulminant de colère.
    « Sinon… ».
    « Sinon tu vas prendre mon poing dans la gueule… ».
    « Essaie donc pour voir… ».
    « Je ne rigole pas ! ».
    « T’es vraiment qu’un petit con, Jé ! T’es beau comme un Dieu, mais qu’est-ce que tu peux être buté ! A force de ne pas assumer ce que tu es, tu fais du mal à quelqu’un qui t’aime vraiment… et que tu aimes aussi… mais le pire, c’est que tu te fais du mal à toi, tu t’empêches d’être heureux, tu t’en empêches tout seul ! » fait le bomécano en perdant son sang-froid.
    Lorsque Jérém charge Thibault, il a la violence d’un fauve enragé. Thibault arrive à le repousser, puis à le maîtriser. Les deux potes se retrouvent réciproquement entravés, les mains de l’un saisissant fermement les biceps de l’autre, les fronts et les nez collés, le souffle de l’un sur le visage de l’autre.
    « Lâche-moi, Thib… ».
    « Arrête Jéjé, tu es fatigué… couche-toi… on arrête de parler de tout ça… ».
    « J’ai envie de marcher et je vais aller marcher… ».
    « C’est pas une bonne idée, à cette heure-ci, dans ton état… ».
    « Tu ne vas pas me donner des ordres ! ».
    « Tu as bu, Jé… ».
    Jérém est épuisé, il respire fort ; petit à petit ses biceps cessent d’opposer résistance à ceux de son pote.
    « Je suis désolé, Jé… je sais que je n’ai pas à me mêler de ta vie… » tente de le raisonner Thibault « mais je veux juste que tu saches que je serai toujours là pour toi… quoi qu’il arrive… même quand tu seras à Paris, tu peux m’appeler n’importe quand… tu le sais, hein ? ».
    C’est par les mots, par le ton de sa voix, par ses bras qui enlacent désormais, par des caresses légères, douces, pleines s’affection qu’il dispense sur sa nuque, que Thibault tente d’apaiser son Jéjé.
    Petit à petit, ce dernier semble s’abandonner à l’accolade de son pote, le serrant à son tour dans ses bras, plongeant son visage dans le creux de son épaule.
    Il y a quelque chose de profondément apaisant dans le contact avec la peau chaude de l’autre, dans cette étreinte, dans cette complicité de potes. Les respirations se mélangent, l’un comme l’autre ressentent du bonheur en écoutant le souffle de l’autre.
    Puis, à un moment, Jérém relevé la tête, repousse un peu son pote ; les regards se croisent, se figent d’un dans l’autre ; les déglutitions se font nerveuses, les respirations de plus en plus profondes. A nouveau, les fronts humides de transpiration se rencontrent, les souffles se mélangent, les nez se collent, s’écrasent l’un contre l’autre.
    Puis, à un moment, tout doucement, les deux saillies commencent à glisser l’une sur le côté de l’autre.
    Soudainement, Jérém a un mouvement brusque de recul.
    « Je vais faire un tour… » il annonce, la voix basse, le regard fuyant, avec un ton qui est sans appel.
    « Jé… » tente de le retenir son pote.
    Mais déjà le jeune serveur a passé la porte de l’appartement et disparaît dans le couloir sombre.

    Dans ses draps, le bomécano se demande si ça a été une bonne idée d’accepter que son Jéjé s’installe chez lui. Certes, il ne pouvait pas laisser tomber son meilleur pote au moment où il se retrouvait dans la panade… mais c’est la troisième fois que les choses manquent de déraper entre eux. Et ça, ça ne doit plus jamais arriver.
    Pourtant, l’envie est bel et bien là, et elle grandit chaque jour depuis que son pote s’est installé chez lui. Partager l’appart, c’est affronter la promiscuité du quotidien ; c’est regarder son pote dormir sur le canapé, tout en le sachant nu sous la couette ; c’est l’entendre prendre la douche et le voir sortir de la salle de bain juste en boxer, la peau dégageant mille odeurs de propre et de bon.
    Le bomécano se dit que c’est bien que le recrutement de son pote arrive maintenant… il se dit que lorsqu’il sera parti à Paris, la distance l’aidera à oublier tout ça, à empêcher le désir sensuel de venir troubler leur belle amitié.






    2 commentaires
  • 55.1 Les envies de Jérém (troisième du nom).
     

    Bonjour à toutes et à tous ! Bienvenue sur le site Jérém&Nico

     

    La saison 1 de Jérém&Nico touche à sa fin.

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    Lundi 06 août 2001

    Le lundi matin de cette nouvelle semaine de vacances après mon bac, je me réveille de très bonne humeur, certain que mon bobrun va revenir, aujourd’hui encore. C’est bon de me dire que je suis à l’aube d’une nouvelle semaine de vacances, et d’une nouvelle semaine d’après-midis de plaisir et de complicité avec mon Jérém. Qu’est-ce qu’il me rend dingue ce mec !
    Je repense à sa tenue de la veille, cet ensemble chemise cravate d’une élégance et d’une sexytude renversantes ; je repense à sa façon de porter cette tenue, avec son buste et son port de tête bien droits, son regard de fauve, ses mouvements à la fois précis et rapides, justes et avenants, gracieux mais bien virils, avec une classe qui passerait sans problème dans un palace ou un grand restaurant étoilé. Et ce sourire charmeur qui met forcement le client dans sa poche.
    Je repense à son regard lorsqu’il m’a aperçu de l’autre côté de la route ; à son sourire incendiaire lorsqu’il m’a fait signe de le rejoindre. Et je repense, évidemment, à cette pipe, à ce nectar de bogoss consommé dans l’arrière-boutique, pendant sa pause cigarette.
    Jamais je n’aurais cru que Jérém aurait le cran de me proposer un truc pareil. Bien sûr, mon bobrun m’a montré à plusieurs reprises son goût pour le fait de s’envoyer en l’air dans des lieux insolites : je pense aux chiottes du lycée, qui ont connu plus d’une fois nos « révisions express », entre deux cours ; je pense aux chiottes de la Bodega, le soir du repas après le bac, entre deux parties de billard avec ses potes ; je pense aussi à la cabine des vestiaires à la piscine, après ce séjour à Gruissan pendant lequel j’avais cru l’avoir perdu à tout jamais ; je pense à d’autres vestiaires, ceux du terrain de rugby, un soir d’entraînement, après l’entraînement, à une pipe d’anthologie sur le banc des altères ; à une sodomie tout aussi fabuleuse, sur un banc de massage ; toujours les vestiaires, toujours ceux du terrain de rugby, après la finale du tournoi, avant qu’il parte fêter la victoire avec ses potes, au barbec’ chez l’entraîneur ; et, aussi, je pense à l’entrée de son immeuble, il n’y a pas si longtemps, le soir où l’on a failli se faire gauler par sa voisine.
    Oui, mon Jérém et moi, nous nous sommes parfois donné du plaisir dans des lieux bien insolites, dans de situations très excitantes, et toujours sur son initiative. Mais sur son lieu de travail, pendant sa pause cigarette : ça, alors, je ne l’aurais jamais cru.
    Quand je pense que tout est parti d’une question anodine de mon Jérém : « Tu veux boire autre chose ? ». Oui, une petite « imprudence » de langage qui a mis le feu aux poudres. Mais est-ce qu’elle était vraiment si anodine, sa question ?
    J’ai trouvé ça furieusement érotique, l’échange à double sens qui s’en est suivi, avec des répliques bondissant d’une part et d’autre avec des enchaînements parfaits : et qui plus est, dans ce contexte, sur son lieu de travail ; et dans cette tenue, mettant scandaleusement en valeur l’éblouissante sexytude du serveur polisson ; un serveur chaud de la queue, capable de concevoir sur le pouce un plan diaboliquement excitant. A moins que je ne sois pas le premier à être invité à goûter à la cuvée spéciale « Nectar de Bogoss» dans l’arrière-boutique.
    Et au final, à bien regarder, qu’importe que je sois le premier ou pas : je sais que Jérém a eu des aventures, beaucoup d’aventures, avant moi. Si cette arrière-boutique a été le théâtre d’autres gâteries, l’important c’est que je sois le seul et le dernier à y avoir eu accès, depuis une semaine au moins, et pour longtemps.
    Je suis heureux de me dire que s’il a voulu me proposer ce petit moment très sympa, c’est qu’il n’a pas pu attendre de me voir à la pause du lendemain : en clair, il n’a pas pu se passer de moi une seule journée. Quand je pense qu’il n’y a pas si longtemps, il m’aurait incendié rien qu’en me voyant approcher de la brasserie !
    Bien évidemment, je ne peux m’empêcher de me questionner au sujet des raisons de son changement, si soudain, si rapide, si radical. Qu’est-ce qu’il s’est passé dans sa petite tête pour que tout cela devienne possible, même ce qui était inconcevable peu avant ? Est-ce que c’est uniquement l’effet de mes mots, une semaine plus tôt, ou bien il y a autre chose ? Est-ce que la nuit passée avec Thibault a joué un rôle dans ce changement ?
    Mais, en attendant, qu’est-ce que c’était excitant comme situation, qu’est-ce que c’était bon de le sucer dans la cave, entre le Bordeaux et le Tariquet ; oui, qu’est-ce que c’était bon notre complicité, à tous les niveaux. J’ai adoré ce qui s’est passé hier, tout comme j’ai kiffé ce qui s’est passé tout au long de la semaine dernière. Et lui aussi il a kiffé, je le sais.
    Alors, en me réveillant en ce lundi matin, je me sens de très bonne humeur ; et ce, malgré le temps maussade qui persiste sur la ville Rose ; quand on est amoureux, le soleil est en nous, c’est un soleil inépuisable qui réchaufferait une journée d’hiver au pôle Nord.
    Il est 9 heures du mat : en général, mon beau mâle brun se pointe avant 15 heures : au plus tard dans 6 heures, 360 minutes, il sera là, et je le serrerai contre moi, je le couvrirai de bisous, et je le ferai jouir jusqu’à le rendre fou. Dans mon euphorie, je ne fais même pas cas du fait que le vent d’Autan s’est levé ; et qu’il souffle, il souffle, il souffle.

    En début d’après-midi, le faible soleil semble avoir du mal à percer la grisaille. Maman vient de partir et je commence à me demander avec quelle tenue de bogoss mon Jérém va m’assommer cet après-midi. Je l’attends avec impatience, frémissant de connaître les bonheurs sensuels qui seront au menu du jour.
    En attendant, je tente d’occuper mon esprit en lisant la suite des « Thanatonautes ». « L’empire des anges » est tout aussi prenant que le tome précédent, toujours aussi inspiré. Je suis complètement absorbé dans la lecture, lorsque la sonnerie de la porte d’entrée retentit dans la maison.
    Il est 14h50 : à 10 minutes près, j’avais tout bon. Je referme mon bouquin sans même prendre le temps de noter la page, je traverse le séjour comme en lévitation et je me précipite vers l’entrée. Lorsque j’ouvre la porte, je manque de tomber direct à la renverse. Putain la gifle.
    J’ai beau tenter d’accepter, faute de pouvoir l’expliquer, comment tant de bogossitude puisse se trouver concentrée en un seul et unique garçon ; j’ai beau me dire, en voyant son frère, que sa sexytude est juste une question de génétique (mais aussi de salle de sport, de rugby, et d’un style, d’une façon d’être qui n’appartient qu’à lui) : à chaque fois, à chaque rencontre, à chaque regard, je suis ébahi par un nouvel éclat de cette bogossitude ; un simple regard posé sur Jérém, et je me sens comme pris au piège par tant de beauté masculine. La beauté est un piège que la nature tend à la raison.
    Mon Jérém est là, devant moi : mais alors que je m’attendais à le voir apparaître dans sa tenue habituelle – t-shirt bien ajusté, casquette à l’envers, short et baskets : bref, la tenue de p’tit con sexy par excellence – je me retrouve face à un putain de bogoss en chemise, cravate, et pantalon noir : bref, la même tenue habillée dans laquelle je l’ai sucé la veille.
    Mon regard se fige, tout mon corps se fige, j’ai l’impression que ma respiration et mon cœur vont s’arrêter.
    Ah, putaaaaaain ! Je l’ai rêvé, il l’a fait ! J’ai envie de pleurer, envahi par de tant d’émotion. Oui, j’ai envie de chialer, sans savoir d’ailleurs pour quelle raison en premier : pleurer pour la beauté et la sexytude de cette tenue, tout simplement ; ou bien pleurer en pressentant les nombreux plaisirs que le simple fait de le débarrasser de cette tenue va me procurer ; ou encore, pleurer pour le fait que ce soit non seulement la première fois qu’il se pointe dans sa tenue de serveur, mais qu’il le fasse pile le lendemain où je lui ai dit :
    « Qu’est-ce que tu es sexy avec ta chemise et ta cravate ! ».
    Oui, je crois que ce qui me touche le plus, c’est le geste de mon bobrun : je lui ai dit que je kiffais sa tenue, et ça n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd !
    Encore faut-il connaître les véritables raisons pour lesquelles il en est ainsi, peut-être tout simplement il n’a pas eu le temps de se changer. Evidemment, il est bien tentant de penser que le bogoss l’a fait exprès pour me faire « plaisir », et/ou parce qu’il a flairé qu’il y a là encore moyen de planifier une scène torride dans cette tenue.
    Chemise blanche toujours aussi bien ajustée, cravate longue et fine, pantalon noir bien moulant là où il le faut, baskets noires à semelle blanche : décidemment, mon Jérém dégage une classe infinie dans cette tenue, une tenue qui est la quintessence du code vestimentaire masculin. Et qu’est-ce qu’il fait « homme », mon Jérém, dans cette tenue : alors qu’il n’a que 19 ans ! Petit mec, déjà homme.
    Plus je le regarde, plus je me sens happé par le contraste entre cette tenue habillée et les tenues dans lesquelles je suis habitué à le voir débarquer. En fait, je réalise que si mon beau mâle brun maîtrise à la perfection les codes pour incarner le parfait p’tit con sexy, il peut également afficher sans effort une classe et une élégance folles.
    En fait il sait être les deux : un t-shirt, un short, des baskets, une casquette à l’envers et hop, ça y est, le voilà en mode « p’tit con sexy », prêt à me faire flancher au premier regard ; une chemise blanche, une cravate, un pantalon et des chaussures de ville : le voilà en mode classe internationale, prêt à… me faire flancher au premier regard aussi !
    Mais ce qui est le plus fascinant, dans un mec comme Jérém, c’est que même lorsque l’élégance se manifeste, le côté p’tit con ne disparaît pas tout à fait, mais il est en quelque sorte transcendé.
    Mais quelle que ce soit la « version » de mon Jérém, ce qui ne change jamais c'est son regard charmant charmeur, de braise, de baise. Ce qui ne change jamais c’est que ce mec, est le mec que j’aime.
    Mon bobrun n’est pourtant pas le seul à avoir eu l’idée de soigner son entrée en scène. Moi aussi j’y ai pensé. Sous la chemisette estivale que j’ai passée sans attacher les boutons, j’ai glissé un débardeur blanc : je sais qu’il kiffe ça, il m’avait demandé de passer cette tenue pour son kif de la semaine dernière. Là non plus, ça n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Et ce qui me fait extrêmement plaisir, c’est de voir dans son regard un petit frémissement, un petit sourire coquin, me laissant penser qu’il a remarqué mon geste et qu’il l’apprécie.
    Nos regards s’accrochent : dans ses yeux, cette étincelle que je lui connais si bien, une étincelle de mâle conquérant, assuré de son charme ; et aussi ce sourire coquin, insolent, impertinent, allumeur et brûlant qui crie, qui hurle le sexe ; ce sourire qui dit : « Laisse-moi rentrer, je vais te baiser ».
    J’ai envie de lui à en crever ; et lui, p’tit con, en chemise cravate mais p’tit con quand même, me regarde, il sourit, il semble même se marrer de ce désir qui doit s’afficher comme en grandes lettres clignotantes dans mon regard et dans mon attitude. Comme un néon sur Time Square.
    Je me décale pour le laisser rentrer ; le bogoss franchit le seuil avec sa démarche souple, comme un beau félin mâle avançant dans le territoire qui est désormais le sien.
    Je pousse la porte derrière lui, tout en prenant bien soin de la fermer correctement, ce coup-ci.
    Je ne lui laisse même pas le temps de se retourner ; je me précipite sur lui, je passe mes bras sous les siens, et je le serre très fort contre moi, je plonge mon visage contre son cou.
    J’aime par-dessus tout le contact avec sa peau, mais j’aime aussi le contact avec le tissu fin et doux de la chemise. C’est peut-être idiot, mais je trouve que ce tissu a quelque chose d’apaisant, de rassurant, c’est une vraie tenue d’homme : presque une définition d’« homme » par le vêtement.
    Je plonge mon visage dans le col, avide de respirer l’odeur de sa peau, impatient de lui faire tous les bisous que je n’ai pas eu l’occasion de lui offrir la veille.
    Le bogoss se laisse faire : et pendant que je couvre sa peau de bisous légers et insatiables, je sens sa respiration se faire de plus en plus profonde, ample, apaisée, comme une sorte de doux ronronnement de beau félin brun : comme s’il trouvait ça à la fois agréable et normal, comme s’il s’attendait tout simplement à ce genre d’accueil ; comme s’il était vraiment en demande de ces câlins et de cette tendresse.
    Qu’est-ce que c’est beau de voir chaque jour son armure se fendiller un peu plus, ses barrières de glace fondre et disparaître. Bien sûr, pour l’instant, ce n’est que moi qui fais des câlins et des bisous ; mais il me laisse faire et il semble vraiment apprécier !
    « Tu m’as manqué ! » je ne peux m’empêcher de lui lancer, fou de bonheur.
    « Depuis hier ? » se moque le bogoss.
    « Tu me manques toujours… ».
    Je ne vois pas son visage mais je sens son torse parcouru par un sursaut, comme l’amorce d’un petit rire moqueur qui le dédouanerait de toute réaction à ce que je viens de lui dire. Le bogoss essaie de se cacher derrière la raillerie, mais je sais qu’il aime que je lui dise ça.
    Je passe mes mains dans ses cheveux, je laisse pleuvoir des bisous dans son cou ; et je me laisse aller à mordiller ses oreilles, si belles, si tentantes.
    « Non, pas ça, ça va se voir… » je l’entends rapidement me balancer, tout en pliant brusquement la tête sur le côté pour se dégager de ma bouche.
    « Bah, tiens… moi aussi ça se voit… ma mère me l’a fait remarquer hier… ».
    « De quoi tu parles ? ».
    « Les marques que tu me laisses… ».
    « Où ça ? ».
    « Dans le cou, sur les oreilles… ».
    « Fais voir… » fait le bogoss, intrigué.
    Il se dégage de mon étreinte et me fait me retourner.
    « Ah ouaissssss… » il s’étonne, pendant que son doigt passe pile à l’endroit le plus sensible.
    « Oui, là… » je lui confirme.
    « Il n’y a pas été de main morte le type… » rigole le bogoss ; dans le ton de sa voix, j’ai l’impression de sentir comme un soupçon de fierté, comme s’il kiffait l’idée de m’avoir marqué de son sceau.
    « Ah, non… il n’y a pas été de main morte… c’est avec ses dents et sa barbe qu’il a fait ça… ».
    « Tu lui as dit quoi à ta mère ? ».
    « Je lui ai sorti une connerie… ».
    « Elle t’a cru ? ».
    « Oui, je pense… pourquoi ? ».
    « T’as dû le sentir passer le type… » continue le bogoss sans prêter attention à ma question.
    « Je ne te le fais pas dire… ».
    « Ah ouaisss… ? Il t’a fait jouir ? ».
    « Oh, putain, que oui… il m’a fracassé… ».
    « T’as qu’à faire une réclamation… ».
    « Ah, non, surtout pas ! ».
    « Il t’a fait jouir ? ».
    « Jamais un mec m’a retourné de cette façon… ».
    « C’est rien par rapport à ce que moi je vais te faire aujourd’hui… » je l’entends me lancer sur un ton de défi, mais un ton amusé ; d’ailleurs, le défi n’est que contre lui-même, ce qui doit le flatter et pas qu’un peu.
    « Je ne sais pas si tu vas y arriver… » je le cherche.
    « De quoi… ».
    « A faire mieux que lui… » je le cherche.
    « Tu vas prendre cher… » fait-il, en pressant et en frottant sa bosse déjà bien volumineuse par-dessus mon short, pile entre mes fesses.
    Le bogoss passe ses bras autour de ma taille, ses mains sous mon débardeur ; elles remontent le long de mon torse ; comme guidés par une balise, ses doigts trouvent mes tétons, les pincent, les caressent. Sa langue se pose sur mon cou et glisse sur ma peau, juste en-dessus des marques encore sensibles ; sa barbe frotte, chatouille, excite ; elle insiste sur la frontière entre ma peau et la naissance de mes cheveux. Pile là où ça me donne les frissons les plus inouïs.
    Je suis excité, je suis fou, je bande, j’ai envie de lui. Je suis amoureux.
    Je sens que je ne vais pas tenir longtemps, je sens que je vais vite me retourner et lui arracher ses fringues : le fait est que, dans l’état d’excitation qui est le mien à cet instant, je ne donne pas cher de l’intégrité des boutons de sa chemise.
    Oui, je crève d’envie de me retourner et de lui sauter dessus ; c’est une envie à l’évidence partagée car, alors que mes pieds sont sur le point de pivoter, le bogoss me fait retourner de son propre chef.
    Me voilà face à son regard intense, un regard contenant comme un ordre sensuel de mâle dominant, et qui semble clairement annoncer : « viens, je vais te baiser ».
    Dans son regard, je lis son envie, une envie qui pourtant ne s’exprimera pas si ce n’est pas moi qui vais la chercher : c’est comme s’il avait envie de m’embrasser mais qu’il attendait que ce soit moi qui prenne l’initiative… « viens… ».
    Les secondes s’égrènent, nos regards se jaugent toujours ; chacun de nous deux attend que l’autre fasse le premier pas. Non pas que je n’aie pas envie de faire le premier pas : mais pour une fois, j’ai envie que ça vienne de lui. C’est toujours moi qui me jette sur lui, j’ai envie qu’il se jette sur moi, qu’il me montre son envie.
    Je lui souris, avec un regard de défi ; il me sourit, avec son regard de baise. Je veux lui résister. Même si c’est inhumain de résister à ce genre de sourire brun et incendiaire.
    Le bogoss attrape mon avant-bras et il m’attire vers lui. Nos visages sont si proches que je peux sentir son haleine aux arômes de bière et de cigarette, délicieux mélange pour mes narines. Nos visages sont si proches qu’il suffirait d’un tout petit geste pour que ses lèvres se posent sur les miennes. Je l’entends pousser un soupir, tout en levant les yeux au ciel, en signe d’impatience ; puis, son visage semble enfin approcher du mien. Mon cœur tape à mille, à dix-mille, mes yeux se ferment, ma respiration s’emballe, mon corps tout entier est secoué par un frisson insoutenable : car oui, pendant une fraction de seconde, je crois vraiment que le bogoss va enfin braver l’inimaginable, m’embrasser de son propre chef.
    Pourtant, ce n’est pas ce qui va se produire. Au lieu de cela, ses lèvres attrapent ma lèvre inférieure et la mordillent, la tiraillent : c’est comme s’il réclamait des bisous qu’il ne sait pas aller chercher par lui-même. On dirait un jeune chien qui traîne un sac de croquettes encore scellé pour faire comprendre à son maître qu’il veut qu’on lui ouvre : insupportable. Et adorable en même temps.
    J’ai bien compris le message, il va encore falloir que je prenne le commandement des « Opérations Câlins ». Mais ce sera à ma façon. Je dégage mes lèvres, je claque un bisou rapide sur les siennes, comme un baiser volé ; le bogoss a l’air surpris, mais il reçoit déjà un autre bisou volé ; il me regarde, amusé ; encore un bisou volé ; un autre, et un autre encore ; je veux le pousser à bout, lui donner envie de m’embrasser à son tour. En attendant, j’adore ce petit jeu. Et il adore aussi. Il a l’air amusé.
    « Tu kiffes ? » je lui balance en le regardant droit dans les yeux.
    « Vite fait… ».
    « Tu peux m’embrasser aussi, c’est pas interdit… ».
    « Je n’embrasse pas… je baise… ».
    « Et tu fais ça divinement bien… mais j’aimerais vraiment que tu m’embrasses aussi… ».
    Et là, je vois mon Jérém s’élancer vers moi : ses bras m’attirent à lui, mon torse est percuté par le contact chaud et musclé de ses pecs puissants ; puis, pendant qu’il commence à mordiller mon oreille, je sens une de ses mains se glisser à nouveau sous mon débardeur ; alors que l’autre tente de faire tomber ma chemisette. Je crois bien que le bogoss est en train de tenter de faire diversion.
    Mais il ne m’aura pas comme ça. Je prends sacrement sur moi, mais j’arrive à le repousser.
    « Fais-moi un bisou, avant… ».
    « T’en as pas besoin… » il se moque.
    « Allez, un bisou… et après je vais te faire jouir comme un fou… ».
    « Suce… ».
    « Un bisou d’abord ! » j’insiste.
    « Tu me gonfles… ».
    Le bogoss vient de prononcer ses mots sur un ton excédé dans lequel j’ai du mal à distinguer où s’arrête le véritable agacement et où commence la mauvaise foi ; un instant plus tard, il me claque un bisou rapide et percutant comme une gifle.
    « T’es content ? ».
    « C’est un bon début mais peut mieux faire… il faut de l’application et de l’entraînement… ».
    « Tu rêves… ».
    Le bogoss se jette une nouvelle fois sur moi, m’arrache la chemisette d’un geste prompte et adroit.  Il soulève mon débardeur et il attaque mes tétons.
    Oui, il fait encore diversion ; mais à ce stade-là, je ne peux plus lui résister. Le fait est, qu’il caresse mes tétons, arme sensuelle non conventionnelle. Je ne peux rien faire d’autre que de laisser libre cours à mes envies : alors je l’embrasse, avec l’urgence de mon désir, de ce désir déchirant venant de chacune de mes fibres et criant à l’union sensuelle avec cette bombasse de mec. Ses lèvres sont toujours immobiles, du moins jusqu’à ce qu’elles laissent échapper une langue cherchant la bagarre avec la mienne.
    Je porte ma main sur sa braguette, je tâte la raideur de sa poutre à travers le tissu souple de son pantalon noir. Je la sens, je la reconnais ; elle a vraiment envie que je m’occupe d’elle.
    Une envie qui trouve écho dans les gestes précipités du bogoss : ses mains fébriles, impatientes se portent sur le nœud de sa cravate. Non, je ne peux pas lui laisser faire ça.
    « Non, laisse-moi faire ! » je lui balance sur un ton à la fois ferme et désespéré, à mi-chemin entre un ordre et une supplication, alors que mes mains se pressent pour arrêter les siennes.
    « C’est moi qui vais le défaire… » je précise devant son regard surpris.
    Je ne sais pas faire un nœud de cravate, mais alors le défaire, je pense que je vais m’en sortir comme un champion. C’est pourtant d’une façon plutôt gauche que je cherche à déboucler le nœud serré. Les mains moites, tremblantes d’impatience, rendent mes mouvements terriblement maladroits.
    « Tu t’y prends comme un pied… » fait le bogoss amusé.
    Putain… quand j’étais petit, j’étais champion de Rubik’s cube… et là je n’arrive pas à résoudre un Jérém’s tie…
    Je suis pressé par le temps, je sens que le bogoss est en train d’envoyer ses mains à la rescousse : et là, la petite bande de tissu finit par se défaire sous mes doigts affolés.
    Je commence à la faire glisser autour du col de la chemise ; mais très vite, je me ravise : j’attrape l’autre bout, je rééquilibre des deux côtés et je laisse pendouiller les deux longueurs de part et d’autre de son cou, sur les pans de tissu encore boutonnés, mais pas pour longtemps.
    Une « urgence » chassée, une autre se profile aussitôt à l’horizon. Je vois ses mains impatientes s’attaquer au deuxième bouton de la chemise ; mes mains repartent à l’assaut des siennes, les bloquent ; mes muscles tentent de contrer la puissance des siens. Je le regarde droit dans les yeux et je lâche :
    « Attends un peu, ne sois pas si pressé ! ».
    Ça me va bien de dire ça, alors que je suis, moi, plus que pressé : pressé de voir sa plastique de dingue, pressé de sentir les bonnes odeurs retenues par le tissu léger, pressé de voir si ses poils ont eu la chance de pousser ou s’ils ont été fauchés par un rasoir impitoyable.
    Le bogoss semble d’abord me résister. Je m’approche un peu plus de lui, je souffle dans son cou, pile sur son petit grain de beauté, dans le petit V ouvert en haut de sa chemise, grâce au premier bouton défait. Je sens alors la tension de ses muscles cesser presque d’un coup. Mes mains peuvent lâcher les sienne et partir s’occuper des boutons encore attachés.
    Le tissu de la bande verticale est doublé et assez rigide, il a l’air plutôt neuf, les fentes sont étroites ; le petit bouton glisse entre mes doigts affolés, je dois m’y reprendre plusieurs fois rien que pour défaire ce premier petit verrou d’une belle série me séparant du bonheur d’accéder à son torse.
    Lorsque je m’attaque au bouton suivant, je me rends compte que je ne suis pas au bout de mes galères ; le désir m’embrase, et mes doigts flageolants ne m’aident pas. Je dois vraiment m’y prendre comme un manche. Je commence à transpirer comme un malade. Je sens le bogoss s’impatienter et se marrer.
    « Tu trembles… » il s’amuse, pendant que je me bats toujours avec ce bouton récalcitrant ; et il continue, pour se payer ma tête, en reprenant ma phrase de petit allumeur « je ne suis pas sûr que tu vas y arriver… ».
    « Si, je vais y arriver… je pourrais faire sauter n’importe quel verrou pour te foutre à poil… ».
    « C’est tout toi, ça… ».
    « Plains-toi… ».
    Le bogoss rigole sous la moustache.
    « Mais ce sont des boutons anti viol ou quoi ? » je fais, toujours en galère.
    « Je vais t’aider… » fait le bogoss.
    Et là, joignant le geste à la parole, il renvoie ses doigts agacer mes tétons par-dessus le tissu de mon débardeur. Geste extrêmement plaisant, certes, mais pas le plus apte à m’aider dans ma tâche difficile.
    « Tu triches… » je rigole.
    « T’aimes pas ? ».
     « Ah, putain… c’est pas volé ! » je lâche lorsque ce maudit bouton cède enfin.
    « Un bogoss comme moi, ça se mérite… ».
    « Petit con, va… ».
    Après l’effort, le réconfort, c’est l’adage qui le dit : alors, après avoir crocheté les deux premiers verrous de ce coffre-fort de bogoss, je décide de m’offrir une petite pause bien méritée. Je ferme les yeux et j’attrape les deux bouts du col de la chemise et le les écarte, tout en plongeant mon nez et mes lèvres à l’intérieur.
    La première sensation qui monte à mon cerveau et vrille mes neurones, ce sont les effluves de mec qui se dégagent de sa peau chaude : odeur à la fois de propre et de bon, de douche et de peau, de déo et de mec ; surtout, petites odeurs de mec, si intenses, accumulées au fil des heures dans l’espace clos d’une chemise élégante.
    Et lorsque le bout de mon nez et mes lèvres atterrissent enfin sur sa peau, dans la vallée entre ses deux pecs rebondis, ils trouvent un comité d’accueil de rêve : c’est avec un bonheur immense que je retrouve les mailles de sa chaînette de mec posées sur une surface où la nature semble bel et bien continuer à reprendre ses droits. Je suis tout simplement fou. Et mes yeux réclament déjà leur part de bonheur. Ainsi, je m’éloigne un peu pour contempler le spectacle.
    Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!! Contrairement à ce qu’il avait annoncé samedi, le bogoss n’a pas rasé ! Le CSPB, le « comité pour la sauvegarde du poil de bogoss » dont je suis membre honoraire, est très satisfait…
     « T’as pas rasé finalement… » je ne peux m’empêcher de lui notifier.
    « Bah, non… ».
    « C’est juste magnifique… ».
    « Si tu le dis… ».
    « Merci d’avoir laissé pousser… ».
    « J’ai eu la flemme de couper… ».
    « Laisse pousser juste une fois jusqu’au bout, tu pourras toujours couper plus tard… ».
    « On verra… ».
    Mais déjà ma langue se délecte de ce contact doux et agréable, rassurant et masculin. Mon Jérém frissonne. Je sniffe une dernière bouffée d’odeur de torse de bogoss et je cours terminer mon casse. Je m’attaque au bouton suivant, alors que ses mains se faufilent à nouveau sous mon débardeur.
    Contre toute attente, ce nouveau verrou se montre un peu plus coopératif ; ou alors, c’est que je deviens bon à ce petit jeu. Plus que trois étapes avant d’accéder à la salle du trésor ; enfin, au chemin du trésor, au chemin du bonheur. Bouton suivant, quelques difficultés, mais rien de grave. Plus que deux.
    Une nouvelle pause s’impose ; pause au cours de laquelle mes mains se faufilent sous le tissu, caressent ses pecs, agacent ses beaux boutons de mec bien saillants, tâtent la puissance de sa musculature ; pause au cours de laquelle, mes doigts écartent grand les deux pans de la chemise, alors que mes lèvres, ma langue et mon nez se baladent à volonté, caressent, lèchent, hument insatiablement sa peau mate, chaude, parsemée de petits poils doux, adorables.
    Le bogoss n’a même plus l’air pressé ; au contraire, il semble adorer ces petits préliminaires.
    En cherchant à faire sauter à l’aveugle les deux derniers boutons de la chemise, mes doigts effleurent au passage l’alignement diabolique des petits poils reliant son nombril à son sexe, ainsi que l’élastique de son boxer qui dépasse légèrement du pantalon.
    Un jour, je me suis dit qu’il n’y a pas plus beau spectacle que celui de voir un bogoss ôter son t-shirt ; un autre jour, j’ai trouvé que voir mon bobrun ôter son t-shirt en vue de l’amour, avec moi, c’était vraiment le top ; le lendemain, j’ai trouvé qu’en fait, le chef d’ouvre absolu c’était le fait d’ôter moi-même le t-shirt de mon bobrun avant l’amour.
    En cet instant, je me rends compte qu’il faut que je revienne une nouvelle fois sur mon échelle de valeurs. En fait, je réalise que le meilleur des spectacles, un spectacle tout simplement divin, c’est celui qui s’intitule : « Ouvrir lentement la cravate et la chemise de mon bobrun en vue de l’amour ».
    Insatiables, mes doigts continuent sur leur lancée : ils défont sa ceinture, sa braguette, font glisser son pantalon et son boxer sur ses cuisses.
    Je suis à genoux devant lui, en train de le pomper avidement, les yeux rivés sur ses pecs et ses abdos finement poilus qui se dévoilent au gré des ondulations des pans de sa chemise, au fil de ses coups de reins se mélangeant à mes va-et-vient fougueux ; les yeux rivés sur les deux bouts de sa cravate noire qui pendouillent de part et d’autre et qui s’agitent eux aussi, comme un compteur mesurant l’intensité de nos plaisirs.
    Oui, je le suce, animé par l’urgence de le faire jouir au plus vite, de goûter une fois de plus à son jus de petit mec. Sa main maintient saisit ma nuque : et le bogoss envoie quelques bons coups de reins qui, sans être forcément très violents, n’en sont pas moins bien puissants.
    « Viens, on monte… » fait mon Jérém à un moment, tout en dégageant sa queue de ma bouche, en remontant son boxer et son pantalon, et en prenant le chemin de l’escalier devant moi.
    Je suis intrigué par ses mots, curieux de ses intentions : pourtant, ce qui me touche le plus, c’est son attitude, son aisance, comme s’il était vraiment chez lui.
    J’ai tout juste le temps de refermer la porte de la chambre, que déjà le bogoss tombe sa chemise, défait la ceinture et le bouton de sa braguette ; puis, il s’arrête et il me regarde fixement.
    Une fois de plus, je vois en lui l’attitude du mâle conquérant, sûr de lui, de sa force, de sa puissance, qui sait que sa virilité parle pour lui ; un mâle qui, en fait, n’a rien à faire pour me soumettre à ses envies : juste me regarder et défaire le bouton de sa braguette. Exactement comme il l’a fait.
    Je suis à nouveau à genoux devant lui. J’ouvre le zip, et je retrouve son boxer blanc bien rempli ; je pose mes narines sur le tissu, j’hume les bonnes petites odeurs de queue qui s’en dégagent ; j’agace son gland à travers le tissu. Impatient, le bogoss finit par libérer la bête de sa prison de coton et par la présenter directement entre mes lèvres.
    Et c’est pile à cet instant que la sonnerie de la porte d’entrée retentit à nouveau dans la maison. Impatient de recommencer à donner du plaisir à mon bobrun, je décide de ne pas y prêter attention. Ça doit encore être cette cassecouilles de voisine, pas question que ses conneries me détournent de ce moment de bonheur. Oui, tout peut attendre, ou presque, face à l’urgence de sucer mon bobrun.
    Hélas, je viens tout juste de reprendre sa queue entre mes lèvres, que ça sonne à nouveau, et de façon plus insistante.
    « Merde… » je laisse échapper, me souvenant soudainement que maman m’a donné pour consigne de ne pas rater le facteur, car elle attend un recommandé important.
    Me voilà contraint à l’inimaginable, quitter la queue de mon mâle brun.
    « Bouge pas, je reviens… ».
    Je passe la tête par la fenêtre et je vois le facteur qui s’apprête déjà à remplir l’avis de passage.
    « Bonjour, je lui lance… ne partez pas, j’arrive… ».
    Me voilà contraint à l’impardonnable, laisser mon Jérém en plan, la queue tendue en l’air, ce qui me frustre horriblement ; avant de descendre, je prends une nouvelle fois rapidement sa queue entre mes lèvres, je l’avale jusqu’à la garde. Je le sens gémir de plaisir.
    Je me redresse aussitôt pour aller voir le facteur.
    « Celle-ci, on ne me l’avait encore jamais faite… » se marre Jérém.
    « Tu ne perds rien pour attendre ! » je lui lance, taquin et canaille, pendant que je passe la porte de la chambre.
    Je descends les escaliers quatre à quatre, je signe le reçu ; j’attrape l’enveloppe, je la balance sur le meuble à l’entrée. Je remonte les escaliers tout aussi vite, je fonce dans ma chambre ; et là, une nouvelle, puissante claque visuelle m’attend.
    Voilà le bogoss assis sur ma chaise de bureau, installé à côté de la fenêtre, en train de fumer une cigarette ; assis, ou plutôt abandonné, le dos incliné sur le dossier, tout pecs et abdos saillants, le bassin bien en avant, les cuisses musclées écartées, une jambe nonchalamment allongée, l’autre plié, de sorte que le mollet de cette première est presque parallèle à celui de l’autre jambe ; son poignet droit, lorsqu’il n’est pas à proximité de ses lèvres pour lui permettre d’inspirer sa dose de nicotine, vient s’abandonner sur l’accoudoir ; ainsi, la main droite retombe négligemment sur l’avant, tenant la cigarette fumante.
    Pendant mon absence, le bogoss en a profité pour se débarrasser de tout vêtement. Ou presque. En effet, une casquette rouge, la mienne, qu’il a attrapée sur l’étagère, cache une partie de son anatomie : les doigts de sa main gauche sont en effet occupés à une mission plutôt insolite : celle de maintenir ma casquette rouge non pas sur sa tête, non, mais sur sa queue !
    Le petit con me regarde fixement, la tête légèrement penchée sur la droite ; il affiche ce regard de tueur sexy qui pue le sexe, l’air fier de sa trouvaille, une attitude qui est pure provoc : « Alors, mec, tu veux enlever la casquette, hein, tu veux voir ce qu’elle cache ? ».
    Puis, son petit sourire se fait narquois, son attitude insolente, presque arrogante : c’est lorsque ses doigts quittent la casquette, la laissant en équilibre instable, pour aller glisser dans les cheveux et les ramener vers l’arrière.
    Putaaaain de p’tit mâle allumeur, provocant, effronté, exhibant ce physique de p’tit con à hurler !
    Son attitude toute entière est un appel clair et irréfutable à aller le sucer sans autre forme de procès.
    Ça ne rate pas : je sens instantanément monter en moi une puissante, brûlante, déchirante envie d’être à ses genoux ; envie furieuse d'être front collé à ses abdos, soumis à ses coups de reins de p’tit mec ne pensant qu'à son plaisir ; envie sauvage de satisfaire son plaisir à lui, de n’être que l'objet de son plaisir, de le laisser exprimer toute la puissance de sa virilité, de procurer à ce corps de p’tit mâle parfait le plaisir le plus absolu qu'il mérite ; envie de le faire rugir son orgasme, comme si seul comptait cet orgasme, et l’ivresse de me sentir étouffé de sa queue, la gorge brûlée par son jus incandescent. Envie de boire sa semence à m’en rendre ivre.
    Je m’approche de lui, je me glisse entre ses cuisses, impatient de faire voler la casquette ; je tente de la dégager, mais ses doigts la retiennent fermement.
    De plus en plus impatient de lui faire plaisir, j’attrape la visière pour découvrir sa queue au plus vite : mais ses doigts s’emploient toujours pour m’en empêcher. Le bogoss a envie d’autre chose.
    Je n’insiste pas, j’attends de connaître ses intentions. Un instant plus tard, ses doigts font reculer un peu la toile, en découvrant l’arrondi de ses couilles.
    Voilà ce qu’il veut. Alors, je ne vais pas me faire prier. Je me penche, je pousse un peu plus la casquette, je découvre entièrement ses bourses, jusqu’à la naissance de sa queue ; et je me délecte à humer et à lécher ses couilles, comme il se doit, lentement, doucement.
    Le bogoss semble vraiment apprécier les caresses que je destine à ses boules bien rebondies et bien pleines. Je le sens de plus en plus excité : preuve en est que, dans la foulée, c’est lui-même qui balance la casquette, et il commence à se branler.
    Un instant plus tard, je porte ma main à la rencontre avec la sienne, demande silencieuse de prendre sa place : une demande qui est satisfaite sans vraiment opposer de résistance.
    Je saisis fermement son manche entre mes doigts : c’est tendu, doux, chaud, puissant, ça remplit ma main et ça me fait un bien fou ; j’entreprends de le branler lentement, tout en agaçant ses tétons à tour de rôle.
    Lorsque je le prends en bouche, Jérém a un sursaut d’excitation.
    Je le pompe et je malaxe ses pectoraux, je tâte ses épaules charpentées, se biceps musclés, ses pecs fermes, son cou puissant, ses tétons bien saillants ; je parcours inlassablement la fermeté de sa musculature, comme pour m’imprégner par le toucher de la beauté extrême de cette plastique de fou.
    Je le pompe et son parfum séduit mes narines avec toute sa puissance.
    Je le pompe et ses doigts se faufilent dans l’arrondi de mon débardeur, avec le but de rendre fous mes tétons.
    Je le pompe et la vue plongeante sur ses cheveux bruns, sur ses pectoraux, sur ses abdos ondulant au rythme de sa respiration calme et régulière me donne presque le vertige.
    Je le pompe et je sens sa respiration s’accélérer, devenir de plus en plus bruyante.
    Je le pompe et, très vite, je sens son corps se raidir sous la vague puissante de l’orgasme.
    Je le pompe et j’accueille avec bonheur les quelques bonnes giclées puissantes de son pur nectar de mec.
    Lorsqu’il revient à lui, le bogoss s’abandonne de tout son poids sur le dossier de la chaise, cherchant l’inclinaison maximale, tête vers l’arrière, épuisé ; j’adore sentir que je l’ai rendu fou de plaisir. Je m’assois par terre, entre ses jambes, j’appuie ma tête contre sa cuisse, le visage si proche de sa queue.
    Le bogoss attrape son paquet de cigarettes, qu’il a laissé sur le radiateur à côté de la fenêtre et il en extirpe une cigarette un peu différente de toutes les autres. Il la coince entre ses lèvres, il tente de l’allumer, il doit insister : c’est le genre de cigarette qui ne prend pas tout de suite. Lorsqu’il arrive enfin à la démarrer, une épaisse fumée blanchâtre s’en dégage, à l’odeur si typique. Le bogoss en tire une longue taffe ; puis, pendant qu’il l’expire lentement, il porte le tarpé sous mon nez, il me propose de le partager avec lui.
    Je n’en ressens pas particulièrement le besoin, j’accepte plus pour ne pas refuser ce partage que pour envie de planer : sa présence me fait bien assez planer, sans besoin d’en rajouter. Je tire une petite taffe, j’expire à mon tour et je lui rends son tarpé. Le bogoss recommence, il tire dessus deux ou trois fois et il me tend à nouveau le bout fumant.
    Je prends une nouvelle inspiration, plus profonde cette fois-ci. La fumée brûlante envahit mes poumons, elle m’est à la fois désagréable et séduisante. La fumée en elle-même ne me plaît pas, mais je commence à ressentir les effets apaisants, la petite ivresse de ce petit fourrage magique.
    Je tire une deuxième taffe et je passe à nouveau le tarpé à mon Jérém : je l’entends tirer dessus une fois de plus. L’air de rien, ses doigts se posent sur mes cheveux, les caressent doucement. Tout se passe en silence, mais tout semble si limpide entre nous à cet instant encore.
    « Merde, ça s’est éteint… » fait le bogoss.
    « Tu reprends à quelle heure ? » je me renseigne.
    « J’ai le temps… pas avant 18 heures… ».
    « T’as une longue pause aujourd’hui, c’est cool… ».
    « J’ai un paquet d’heures à récupérer… ».
    Soudainement, mes narines sont happées par l’odeur de jus de bogoss qui se dégage de son gland si proche. Instinctivement, je tourne la tête. Sa queue mi-molle est si proche, si tentante. Qu’est-ce qu’elle me fait envie, cette queue.
    « J’ai envie de toi… » je ne peux m’empêcher de lui glisser.
    « Encore ? ».
    « Oui, j’ai encore envie de toi… » je réponds, tout en tournant la tête et en le reprenant en bouche.
    « Ah, ouaisss… » je l’entends s’exciter, dès que ma langue commence à s’enrouler autour de son gland.
    « Ouaisss… » je lui confirme, en quittant sa queue pour le regarder droit dans les yeux.
    « Bah… alors… » fait-il, avant de s’arrêter net.
    « Alors quoi ? ».
    « Alors, montre-moi comment tu as envie de moi… ».
    « Comment ça ? ».
    « Vas-y, montre-moi dans quelle position t’as envie d’être à moi… ».
    Une bonne étincelle lubrique brille et brûle dans son regard brun. Non seulement le bogoss est partant, mais il me demande de quoi j’ai envie. Fabuleux.
    Je me relève, je m’allonge sur le lit, sur mon dos et je lui lance :
    « Viens… ».
    Je le regarde approcher, monter sur le lit, se faufiler entre mes jambes.
    « Viens sur moi… ».
    Jérém semble d’abord hésiter ; puis, il finit par s’allonger sur moi, et son bassin glisse sur le mien, sa queue frôle la mienne. En appui sur ses bras, les mains plantées sur le matelas d’une part et d’autre de ma tête, sa chaînette pendouillant au-dessus de mes pecs, le bobrun me regarde droit dans les yeux.
    « Tu veux que je te prenne comme ça ? ».
    « Allonge-toi, j’ai envie de te sentir contre moi… ».
    Jérém semble s’impatienter, se moquer de ce que je lui demande. Pourtant, il finit par fermer les yeux et se laisser glisser complètement sur moi, son torse épousant lentement le mien.
    Je porte une main dans son dos, je le serre fort contre moi, je porte l’autre sur son cou ; petit à petit, je sens sa tête glisser dans le creux de mon épaule. Je pose des bisous dans son cou.
    « Je suis tellement bien là… » je lui chuchote à l’oreille.
    « Je croyais que tu voulais te faire défoncer… ».
    « Aussi… mais c’est tellement bon de te sentir contre moi… ».
    « Ouaisss… mais moi je ne suis pas venu pour enfiler des perles… ».
    Et là, en joignant le geste à la parole, le bogoss se relève ; il attrape mes chevilles, écarte mes jambes. J’ai envie de jouer avec lui, avant de jouir avec lui. D’un geste sec, je replie mes genoux : pris par surprise, le bogoss n’a pas l’occasion de contrer mes mouvements, je dégage facilement mes chevilles. Je me retourne, je m’allonge sur le ventre, jambes écartées, prêt à accueillir mon mâle.
    « Ah, c’est comme ça que tu veux ? Je croyais que tu kiffais me mater pendant que je te baise… ».
    Il n’en faut pas plus pour que je ressente monter en moi une envie décuplée de lui faire plaisir, en lui offrant justement sa position préférée.
    « C’est vrai, j’adore ça… mais je sais que tu kiffes mieux en levrette… ».
    « Ma foi, c’est pas faux… ».
    « Je l'ai bien vu la semaine dernière, quand tu m'as fait ton kif… ».
    « T’as aimé mon kif, hein ? ».
    « Ah putain, que oui… et toi, t’as aimé le mien ? ».
    J’ai tout juste le temps de terminer ma question que déjà la réponse n’a plus d’importance.
    Ses mains saisissent mes fesses, les écartent ; sa langue se faufile dans ma raie, elle y glisse franco, elle rencontre mon ti trou, elle fait du forcing très musclé pour s’y insinuer : je sais qu’elle prépare la voie pour l’assaut de son manche. Je frissonne.
    « Jérém, j’ai vraiment envie de toi… ».
    « C’est de quoi que t’as envie ? » fait le bobrun en s’allongeant sur moi.
    « J’ai envie de toi… ».
    « T’as envie de te faire tringler ? » il me chuchote à l’oreille, sur un ton libidineux. C’est jouissif.
    « Oh, oui… autant que tu veux… ».
    Sa musculature puissante domine mon corps, sa raideur masculine titille mon ti trou, son souffle chaud brûle ma nuque et mes oreilles : il me fait languir. Et il me rend dingue ; envie de lui faire des choses de dingue ; envie de lui dire des choses de dingue :
    « Je veux être envahi par ta queue, j’ai envie de te sentir passer, j’ai envie de te sentir en train de me tringler… j’ai envie de te sentir prendre ton pied de mec… ».
    « T’as faim de ma queue… ».
    « J’ai la dalle… j’en ai besoin… ».
    « Ça fait à peine deux jours que je t’ai baisé… ».
    « Tu peux pas savoir comment c’est long… ».
    « T’es déjà en manque ? ».
    « Vas-y, prends-moi ! » je coupe court.
    Le bogoss se relève, il saisit à nouveau mes fesses, il les écarte à fond.
    « T’aimes ça… » fait le bogoss en visant ma rondelle avec son gland.
    « J’adore ça… parce que c’est toi ! ».
    « Ah ouaisss… » il me retorque, alors que la pression de son gland se fait de plus en plus forte.
    « Tu fais ça comme un Dieu… ».
    Et là, je sens mes chairs se détendre sous l’effet de la présence du mâle qui se presse pour faire valoir ses droits. Le bogoss me pénètre lentement ; son gland glisse en moi, sa queue m’empale, me remplit, me possède.
    « C’est de ça que t’as envie ? ».
    « Oui, tu me rends fou… ».
    Le bogoss s’abandonne sur mon dos et commence à coulisser en moi, tout en recommençant illico à mordiller mon oreille. J’ai gardé le débardeur blanc pour lui faire plaisir, je ne vais pas le regretter ; ses doigts jouent avec, glissent dessus, se faufilent dessous, jouent avec mes tétons.
    « Elle est bonne ma queue ? ».
    « Si tu savais… tu peux même pas imaginer comment tu me fais mouiller… ».
    « Oh si j’imagine bien… ».
    « Non, je te promets… vas-y, touche… tu vas voir l’effet que tu me fais… ».
    « Oh putain, c’est trempé ! » il s’exclame, alors que sa main vient de saisir ma queue.
    « Voilà l’effet que tu me fais ! ».
    Mais déjà ses mains attrapent mes hanches, m’obligeant à me mettre à quatre pattes, sans même que sa queue quitte ma rondelle. Le bogoss recommence à me limer avec puissance ; ses deux mains saisissent fermement mes épaules, ses biceps travaillent pour donner de l’appui à ses coups de reins, ses va-et-vient sont comme des coups de bélier assenés avec l’intention de s’enfoncer de plus en plus profondément en moi. Son gland recule jusqu’au au bord de ma rondelle ; puis, il s’enfonce à nouveau, rapidement, sa queue glisse jusqu’à la garde. Bonheur absolu de sentir ses cuisses claquer contre mes cuisses, ses couilles frapper lourdement mon entrejambe et mes couilles à moi.
    « J’adore quand tu fais ça… » je ne peux m’empêcher de laisser échapper, presque dans un état second.
    « De quoi ? ».
    « Quand tes couilles claquent bien contre mon entrejambe… ».
    « Ah ouaissss… ».
    Et là, le bogoss y va carrément franco, ses coups de reins se font plus rapides, ses coups de boules encore plus percutants. Il me défonce. Et je couine de bonheur.
    « Tu prends ton pied, là, hein ? » me lance Jérém : dans sa voix, je sens de l’excitation, de l’emportement animal, sensuel, de la fierté de mâle ; mais aussi le reflet de mon propre plaisir sur le sien.
    « Ah, putain, que oui !!! Oui… oui… oui… je prends mon pied ! » j’exulte.
    Le bogoss commence alors à me branler.
    « Et là ? ».
    Bien sûr que je prends mon pied ; bien sûr que j’aime me faire branler par mon bobrun. Mais j’adore par-dessus tout lorsqu’il me branle une fois qu’il a joui, ou juste avant : parce qu’il a envie de me voir jouir à mon tour, ou parce qu’il sait que ma jouissance va amplifier la sienne, à tous les niveaux ; j’adore jouir grâce à sa main, mais lorsque ma plus grande jouissance, celle que sa virilité sait si bien me procurer, retentit encore en moi ; en me branlant, sa main vient alors appeler en moi une toute autre envie, une envie « comme un mec » ; une envie qui, pendant le plus clair de nos ébats, est totalement éclipsée par le plus exquis des bonheurs, celui de m’offrir corps et âme au plaisir du plus bogoss de l’univers.
    Mais à cet instant précis, pendant que mon beau mâle brun est en train de coulisser en moi, de me faire vibrer de mille jouissances, j’ai besoin de me concentrer sur mon plaisir de passif pour en apprécier toutes les nuances, pour me régaler de toutes les saveurs, pour ne rien rater des sensations fabuleuses que le simple fait de le sentir prendre son pied sait m’apporter.
    « Tu vas me faire jouir si tu continues comme ça… vas-y, caresse-moi juste sous le débardeur… » je finis par l’aiguiller.
    Sa queue me comble, me chauffe, me fait sentir à lui comme jamais ; ses deux mains travaillent mes tétons : nos corps parfaitement emboités se donnent mutuellement un plaisir délirant.
    Je suis comme hypnotisé par les bruits des frottements de nos corps l’un contre l’autre, par la percussion de ses couilles sur mon entrejambe, par la cadence de nos respirations haletantes, de nos soupirs de plaisir ; je suis happé par la vibration, la résonnance, la symphonie de nos bonheurs sensuels. Je suis comme groggy de plaisir.
    Les bruits qui montent par la fenêtre ouverte, le vacarme de la circulation dans la rue, les quelques bribes de conversations perdues sur le trottoir, m’arrivent comme étouffés ; tout comme la caresse du vent d’Autan qui fait bouger les rideaux et effleure nos peaux.
    Oui, les bruits ordinaires du quotidien se mélangent à l’extase d’un moment de plaisir infini qui n’appartient qu’à nous deux, à l’insu de toutes ces gens qui s’agitent dehors, tout en étant à des années lumières de s’imaginer que, à quelques mètres d’eux et de leurs énervements, deux garçons sont en train de se faire du bien, vraiment du bien.
    C’est beau d’être emporté au point de se dire que le monde peut se déchirer dehors, et cela ne nous concerne pas, car nous sommes bien à l’abri ; mieux que ça, nous sommes carrément seuls au monde, seuls avec notre bonheur qui nous fait sentir forts, en sécurité, ce bonheur qui seul sait nous apporter la présence de l’être aimé, cette présence et ce bonheur qui nous suffisent en tout et pour tout.
    Le bogoss me chevauche en silence, et en puissance. Ses doigts n’arrêtent pas de jouer avec mon débardeur, de me caresser tantôt par-dessus, tantôt en dessous : décidemment, ce petit bout de coton blanc semble vraiment lui faire de l’effet.
    Son goût persistant dans la bouche, la puissance de ses coups de reins entre mes fesses, son odeur de mâle qui imprègne mes narines et ma peau, mon corps et mon cerveau secoués par le plaisir qui retentit de fibre en fibre, de neurone en neurone, je ne peux m’empêcher de lui balancer, ivre de lui :
    « T’es vraiment un putain de mec, toi… c’est bon de se faire défoncer par un mâle comme toi… t’es vraiment très actif, très puissant… et t’arrives à enchaîner… et en plus tu aimes vraiment ça… t’es vraiment fait pour ça… ».
    Le bogoss ne dit rien mais je sais que son ego est flatté.
    En attendant, mon ti trou et mes tétons sont les brasiers d’un feu qui me ravage de fond en comble : je pourrais même avoir déjà joui, je ne m’en serais peut-être pas rendu compte. Je suis dans un état second. Putain de mec…
    « Ah ce cul… » je l’entends lâcher à un moment.
    « Tu l’aimes, mon petit cul ? ».
    « Il est fait pour se faire baiser… ».
    « Il est fait pour te faire jouir… ».
    « Je vais jouir, t’inquiètes… ».
    « Tu vas me gicler dedans, hein ? ».
    « T’en as envie, hein ? T’as envie que je te fourre ton cul bien chaud… »
    « Ouiiiii ! Remplis-moi de ton jus de bogoss ! ».
    « Ah, putain, c’est bon… » je l’entends soupirer, complètement emporté par son plaisir.
    Je sais que ça le rend fou, et ça me rend fou.
    « Tu prends ton pied, là ? » j’ai besoin de lui demander.
    Sa réponse, ne sera autre que La meilleure des réponses :
    « Je vais jouir… ».
    « Vas-y, fais toi plaisir… ».
    « Je vais te fourrer le cul… ».
    « Oui, fais-moi de cadeau de mec… ».
    « Je vais te remplir… ».
    « Ouuiiiiii !!! ».
    « Prend ça et ça, et ça… » fait le bogoss, en hurlant son plaisir ; dans sa voix, la rage et la violence de son orgasme ; quel bonheur d’imaginer que chacune de ses exclamations est la traduction sonore d’une bonne giclée qu’il est en train d’envoyer bien au fond de moi.
    Dès sa jouissance passée, le bogoss s’abandonne sur mon dos de tout son poids. Lorsque j’amorce le mouvement pour m’allonger à la recherche d’une position plus confortable, le bogoss semble reculer son bassin pour se déboiter. Je porte mes mains sur ses cuisses, pour l’inviter à me suivre, tout en lui chuchotant :
    « Reste en moi, s’il te plaît… ».
    Le bogoss suit le mouvement et s’abandonne sur moi, épuisé et sa bouche revient instantanément agacer mon oreille ; l’écho de son plaisir fait toujours vibrer sa respiration, emballe les battements de son cœur, rend ses gestes nerveux, ivres.
    Puis, de but en blanc, je l’entends prendre une immense respiration et s’exclamer, dans une profonde expiration, comme une délivrance :
    « Ah putain, jamais je n’ai joui aussi… ».
    Ses mots s’arrêtent là, comme un coup de frein impromptu à un élan qui a dû lui paraître soudainement trop risqué.  Le silence qui suit est assourdissant. La frustration, insupportable.
    Puis, très vite, comme s’il se trouvait mal à l’aise, le bogoss se retire de moi, se lève, il repart fumer à la fenêtre.
    Je le regarde en train de fumer, l’épaule appuyée au montant de l’encadrement de la fenêtre ; et je suis happé par son dos, son cul musclé, ses cuisses puissantes, ses mollets de sportif.
    « Alors, le défi est relevé ? » je l’entends me balancer à brûle-pourpoint.
    Il me faut un petit instant pour comprendre qu’il fait référence à ma petite blague de tout à l’heure sur le « type » qui m’a fait des marques dans le cou ; oui, il me faut un petit moment pour réaliser de quoi il parle, d’autant plus que mon esprit tout entier bute désormais inlassablement sur ce début de phrase tronquée, comme un orgasme raté : « Ah putain, jamais je n’ai joui aussi… ».
    « Grave, tu te surpasses à chaque fois ! » je trouve le moyen de le flatter, lorsque je comprends enfin le sens de sa question.
    Je crois bien que le bogoss joue encore les diversions : ce qui n’apaise pas pour autant ma curiosité implacable. Si bien que, bien avant que sa cigarette ne soit arrivée au bout, je ne peux m’empêcher de lui demander :
    « T’as jamais joui aussi ? ».
    « Aussi quoi ? ».
    « T’as dit que t’as jamais joui aussi… ».
    « Je ne sais plus… ».
    Il m’énerve.
    « Ça t’arracherait la gueule de dire que t’as pris ton pied comme jamais ? » je feins de m’emporter, à moitié agacé.
    « Ça va les chevilles, toi ? » fait-il avec son rire moqueur.
    Mon bobrun est peut-être champion dans l’art de la diversion ; mais moi je suis en train de passer maître dans l’art de changer de fusil d’épaule. Nouvelle stratégie : flatter son ego de mâle, tout en frappant avec les mêmes armes que l’ennemi.
    « J’ai adoré tout ce que tu m'as fait pendant ton kif de l’autre jour, c'était puissant, c'était bon et… ».
    « Et… ? » fait le bogoss, curieux.
    « Tu vois, c’est chiant les phrases coupées… ».
    « T’as adoré comme je t’ai baisé… » fait le bogoss, sûr de lui.
    « J’ai adoré, oui… ».
    « Ça tu aimes, te faire baiser… ».
    « Me faire baiser par toi… ».
    « Je te baise bien… ».
    « Ca n’a jamais été aussi bon que pendant ce kif… et depuis ce kif… ».
    « Je t’ai baisé comme toutes les autres fois… ».
    « Non, c’était différent de toutes les autres fois… »
    Le bogoss se tait. Je décide d’y aller franco :
    « Tu m’as baisé et fait l'amour en même temps… ».
    « Si tu le dis… ».
    Le bogoss finit sa cigarette, l’écrase sur le rebord de la fenêtre et jette le mégot dans la poubelle à côté de mon petit bureau. Il s’étire. Il se retourne, il s’étire encore, tout en portant les mains derrière la tête ; les aisselles finement poilues se dévoilent, ses biceps se gonflent, se tatouages avec, ses pecs se bombent, les abdos se tendent. Nos regards se croisent. Il est beau à pleurer.
    Jérém revient s’allonger sur le lit, à côté de moi. Je cale ma tête sur ses abdos. Il pose sa main sur mon épaule. Nous restons ainsi, en silence, pendant de longs moments.
    « T’as kiffé hier dans la cave, alors… ? » j’ai envie de tester un peu plus notre complicité.
    « A ton avis ? » fait le bogoss, sur un ton nonchalant.
    Le bogoss est en train de se caresser la queue ; lorsque je me retourne, elle est à nouveau bien en forme.
    « T’as encore envie ? » je le cherche.
    « A ton avis ? » fait-il à nouveau, moqueur.
    « Je t’excite, alors… ».
    « Tu ferais bien de venir me sucer… » fait-il en titillant à nouveau mon téton.
    « Je t’excite ? ».
    « Tu me gonfles… ».
    « Ca, je sais… tu me le dis assez souvent… mais quoi d’autre ? ».
    « Tu me fais… ».
    « Allez, lâche le morceau… ».
    « … rien du tout… » assène le bogoss, en se marrant dans la moustache.
    « Si tu viens chaque après-midi, c’est que je dois bien de faire de l’effet… ».
    « C’est ça… » fait le bogoss, mais sur un ton tellement appuyé et dans lequel je ne saurais pas discerner l’affirmation de la raillerie.
    « Ah, tu vois, c’était pas si compliqué ! » je décide de le féliciter.
    « T’emballes pas et viens me sucer, j’ai pas toute la nuit… ».
    Un instant plus tard, j’approche mon nez et ma bouche de la queue de ce mec « à qui je fais de l’effet » : je ne peux pas résister à son injonction de le sucer encore. Mais d’abord, je ne peux résister à la tentation de me faufiler entre ses cuisses et de descendre le long de ses bourses, jusqu’à rencontrer sa jolie rondelle qua j’ai délaissé depuis un si long moment. J’ai envie de lui faire plaisir, vraiment plaisir.
    Titiller l’intimité ultime de mon bobrun c’est aller à la rencontre de mille bonheurs sensuels ; poser ma langue sur son petit trou et le sentir instantanément frissonner ; sentir sa main se poser lourdement, instamment sur ma tête, pour me forcer à y aller franco, m’encourager à bouffer son petit cul sans ménagement ; le sentir gémir, trembler, se tordre de plaisir ; le voir plier les genoux, planter les pieds sur le matelas, bien écarter ses cuisses, m’offrir son intimité sans plus aucune pudeur, pour que ma langue s’y insinue et le fasse vibrer de plaisir ; sentir sa main me retenir, alors que j’émerge un instant pour reprendre mon souffle, le sentir réclamer ce contact interdit et plaisant ; le sentir dangereusement excité, la main en train de branler sa queue gonflée à bloc, les veines bien apparentes, le gland bien rouge ; sentir qu’il est à deux doigts de jouir ; et ce, juste parce que je lui ai apporté ce plaisir que moi et moi seul lui ai fait découvrir.
    Lorsque j’arrive enfin à me dégager de la prise de ses mains qui voudrait me retenir encore pour que je m’occupe de ce petit plaisir exquis, je m’installe sur le flanc, positionné pour le sucer par le côté. Très vite, je trouve cette position bien agréable ; ce que j’ignore encore, c’est qu’elle peut être aussi « dangereuse ».
    Au gré de mes mouvements, mes genoux et mon bassin remontent vers l’oreiller, et je finis par me retrouver presque tête bêche par rapport à mon bobrun.
    Mon bobrun que, sans doute sous l’effet du petit détour de ma langue dans son entrecuisse, amplifié par le tarpé, je sens chaud comme la braise.
    Et là, alors que je continue de pomper avec l’envie de précipiter sa jouissance, je sens sa main attraper ma queue et commencer à la branler lentement. Puis, quelque chose de nouveau se produit : je ressens un étrange contact sur mon gland, comme une caresse légère… chaude… et… humide ; une caresse qui se répète une fois, deux fois, trois fois.
    Me voilà incrédule, abasourdi en essayant de tenter de comprendre ce qui est en train de se passer. Je suis tellement étonné que je tourne instinctivement mon regard ; et là, je vois mon Jérém, le visage tout proche de mon gland, les lèvres entrouvertes.
    Comme happé par mon mouvement, son regard se tourne presque instantanément vers le mien ; pendant un instant fugace, ses yeux sont ceux d’un enfant qui s’est fait choper avec la main dans le pot de confiture. Mais très vite, son regard se décroche du mien, comme pour le fuir, ce qui constitue une première absolue ; sa main quitte ma queue, le bogoss laisse tomber lourdement le dos sur le matelas.
    C’est là que je réalise que, sans même m’en rendre compte, j’ai arrêté de le sucer. Je me sens gêné, je sens mon Jérém gêné, je panique : tout ce qui me vient à l’esprit à cet instant c’est qu’il me faut trouver quelque chose pour faire cesser cette gêne, faute de pouvoir l’effacer. Je le reprends en bouche et je recommence à le sucer, comme si de rien n’était.
    Peine perdue. La magie de l’instant est rompue. Très vite, le bogoss tend ses abdos, relève son torse ; sa queue quitte ma bouche, ses mains m’attrapent, me font tourner sur le dos ; un instant plus tard, il atterrit à califourchon sur moi ; il attrape un coussin, il le glisse sous ma tête ; ses gestes sont fermes, rapides.
    Sa queue se presse entre mes lèvres ; je la laisse rentrer et il commence à me baiser la bouche. En appui sur ses genoux, le bogoss se tient bien droit, ce qui a pour effet de faire ressortir ses pecs de façon assez spectaculaire. Ses va-et-vient sont amples, puissants ; comme s’il cherchait le chemin le plus court pour l’orgasme ; comme s’il voulait réaffirmer son statut de petit macho actif pur et dur, comme pour effacer ce petit moment de faiblesse qu’il regrette déjà.
    Mais putain, Jérém ! Pourquoi c’est si difficile d’assumer ce que tu es, tes envies !
    Oui, la magie de l’instant est bel et bien rompue : mais ce qui me fait le plus peur c’est que, au fond de moi, je sais qu’il n’y a pas que la magie de cet instant qui risque d’être compromise. Je suis happé par l’angoissante sensation que ce petit « accident » puisse être de taille à remettre en question plein de choses, et notamment toutes les avancées des derniers jours.
    Quelques bons coups de reins, et de nouvelles giclées chaudes se répandent dans ma bouche ; avec ce goût, si à mon goût, si fort, si doux, si apaisant. Avec cette attitude que je trouve, en revanche, pas du tout rassurante.
    Un instant plus tard, le bogoss s’abandonne sur le lit à côté de moi, en position demi assise, les épaules appuyées à la tête de lit, la respiration haletante, les pecs et les abdos ondulant au gré des mouvements de son diaphragme. J’ai terriblement envie de le serrer dans mes bras : cependant, son regard perdu dans le vide, son silence insistant, m’en dissuadent.
    J’avais espéré – pendant que ses giclées chaudes percutaient mon palais et que de bons râles de jouissance s’échappaient de sa gorge – je m’étais dit que cette nouvelle jouissance en mode « mâle dominant », aurait le pouvoir de détendre mon bobrun. Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas.
    Le bogoss attrape le bout de son tarpé sur le radiateur et il le rallume ; il tire dessus plusieurs taffes, sans m’en proposer. Alors, c’est moi qui lui en demande.
    « Je peux tirer un dernier coup ? » je m’entends lui lancer. J’ai envie de retrouver un peu de notre complicité de toute à l’heure.
    Le bogoss tire une dernière fois dessus, avant de me tendre un chichon désormais réduit à sa simple expression.
    « Je dois y aller… » je l’entends alors lâcher froidement.
    « Déjà ? ».
    « Il est 17h40… » il me fait remarquer, sur un ton presque agacé.
    Le bogoss s’arrache du lit et attrape ses vêtements. Il passe ses chaussettes. Puis, le boxer blanc. Un instant plus tard, il est déjà en train de fermer sa braguette et de boucler sa ceinture, comme un rideau qui tombe lourdement sur la scène de nos ébats fougueux et complices.
    Je le regarde s’habiller, tout en l’écoutant s’habiller, avec ces bruits caractéristiques, le coton qui glisse sur la peau, le cliquetis de la boucle de ceinture, le crissement du cuir sur le cuir, le bruit léger des chaussures qui épousent le profil de ses pieds.
    Le bogoss attrape sa chemise par le col ; le mouvement est rapide, le bras droit est passé en premier, alors que le reste du tissu part loin derrière son dos sous l’effet de son mouvement ample et rapide ; comme dans une chorégraphie millimétrée, l’autre bras s’élance pour capter l’entrée de la deuxième manche pile au moment où celle-ci retombe à sa portée ; les deux bras repartent ensuite vers l’avant, les épaules ont un mouvement de rotation ; le tissu caresse déjà ses bras, tombe parfaitement autour de son cou, de ses épaules, les pans atterrissent en douceur autour de son torse sculpté ; le bogoss remonte le col, y glisse la cravate défaite ; il attrape son portable, son paquet de cigarettes, les fait disparaître dans ses poches.
    J’ai tout juste le temps de passer un short que je le vois s’apprêter à sortir de ma chambre, sans me regarder, en me lançant un « Bye » plutôt laconique.
    Il repart la chemise encore ouverte, le col remonté et deux bouts de la cravate pendouillant de chaque côté de son cou, comme un mannequin dans une pub pour un parfum de marque ; mais aussi, comme pressé de quitter ma chambre, et ma compagnie.
    Je le suis dans les escaliers, torse et pieds nus. Je ne veux pas qu’il reparte comme ça. Je sens que ça ne va pas. Je sens que dans sa tête, ce petit truc auquel il s’est laissé aller, ça le tracasse. Je dois trouver le moyen d’« arranger » ça. J’ai besoin d’un sourire, j’ai besoin de savoir que demain il reviendra.
    Nous sommes désormais dans l’entrée.
    « Et merde… » je l’entends pester, lorsqu’il se rend compte qu’il a fermé sa ceinture sans passer sa chemise dedans. Erreur de petit con, trop habitué au concept vestimentaire t-shirt, permettant de passer le bas tout en laissant le torse dans sa nudité le plus longtemps possible ; c’est d’ailleurs son habitude, en se rhabillant, de couvrir son torse en dernier.
    « Jérém attends… » je tente de le retenir.
    « Quoi ? ».
    Je le sens tendu, perturbé : ça m’arrache le cœur de voir que son visage a perdu ce beau sourire incandescent des derniers jours. Je le sens impatient de partir, et je ne veux pas qu’il parte comme ça.
    Je m’approche de lui, j’écarte les pans de sa chemise toujours ouverte, je le prends dans mes bras, je cherche le contact magique de son torse musclé, à la peau douce et bien chaude.
    « Viens là… » je tente de l’apaiser en le serrant fort contre moi.
    « Allez, Nico, il faut que j’y aille ! » fait le bogoss en se dégageant de mon étreinte.
    Oui, son torse est bien chaud, mais Jérém, lui, est froid et distant. Mais putain… tout ce qu’on a vécu depuis une semaine, ça ne peut pas se gâter comme ça… c’est pas possible !
    C’est avec une tristesse et une angoisse grandissantes que je le regarde défaire à nouveau sa ceinture, sa braguette, que je revois le boxer blanc refaire une dernière, petite apparition.
    Je le regarde fermer sa chemise, bouton après bouton, avec une vitesse et une aisance qui font écho par contraste avec la maladresse avec laquelle j’ai galéré à les défaire deux heures plus tôt.
    Je le regarde passer sa belle chemise dans le pantalon, refermer la braguette, sa ceinture.
    Je regarde ses doigts adroits combiner les deux bouts de la cravate pour réaliser un nœud parfait, le tout en une poignée de secondes, avec une assurance d’artiste, fingers in the nose.
    Je le regarde finir de s’apprêter, devant le miroir de l’entrée. Le bogoss ne semble pas se rendre compte d’un petit détail : sa chaînette de mec manque au tableau de sa perfection masculine. Je suis à deux doigts de le lui faire remarquer mais je décide sciemment de me taire : il a dû la perdre dans la chambre, je vais la chercher tranquillement après son départ. Ça nous fera un sujet de conversation pour demain. Ou, au pire, cette chaînette sera un prétexte pour se revoir, si jamais, comme je le pressens, les choses devaient à nouveau se compliquer entre nous.
    Le col rabattu, le premier bouton ouvert, le nœud un peu desserré, le bogoss passe ses doigts dans les cheveux pour les ramener vers l’arrière : le voilà prêt à l’emploi, classe et sexy à la fois, impeccable. Nos regards se croisent. Le sien a l’air désorienté. Dans un geste très rapide, le bogoss soulève les sourcils, comme une charmante diversion, comme un effort inutile pour cacher ce malaise dont il n’arrive pas à se défaire.
    J’ai de plus en plus envie de lui sauter dessus. Il est beau à pleurer. Je suis fou de lui.
    Je le regarde glisser une cigarette entre les lèvres et poser la main sur la poignée de la porte d’entrée. Il me manque déjà.
    « Jérém… » je tente de le retenir une fois de plus, désespérément, en l’attrapant par le bras ; avant de continuer « c’est trop bon ce qu’on vit depuis une semaine… tu es tellement… tellement… adorable… et… je… je… je… ».
    J’ai soudainement le réflexe de freiner ma langue, alors qu’elle était partie pour balancer ces trois petits mots qui riment si bien avec Jérém ; trois mots qu’elle porte sur son bout depuis très longtemps, mais qui ont besoin du bon moment pour être dits et, surtout, pour être entendus. J’ai l’intuition que ce n’est vraiment pas le cas à cet instant précis. Alors, je me rattrape de justesse :
    « Je… suis si bien avec toi… ».
    Une phrase qui resonne dans ma tête et dans mon cœur avec la même intensité que si je lui avais dit « Je t’aime ».
    C’est un cri du cœur qui me laisse vidé de toute énergie, la poitrine qui tape à tout rompre, la respiration coupée ; un cri qui n’a d’écho que le silence assourdissant de son destinataire, et son regard comme assommé, ébahi, figé.
    Les secondes s’enchaînent et son silence devient gênant, insupportable.
    « Tu ne dis rien ? » je finis par tenter d’obtenir une réaction de sa part.
    « Je dois y aller… ».
    « C’est tout ? ... Je dois y aller ? » je m’emporte.
    « Ne te monte pas la tête, Nico… » je l’entends lancer froidement, le regard absent.
    La douche est glaciale.
    « Je ne me monte pas la tête, mais je voudrais juste savoir où est-ce qu’on va tous les deux… parce que moi… moi je ne demande pas mieux que d’être à toi, et juste à toi… ».
    « Je dois y aller… » fait-il en mode disque rayé. Un bobrun en mode disque rayé est un bobrun qui est en train de se refermer sur lui-même.
    « On se voit demain ? » je tente de me rassurer.
    Je voudrais tant entendre en guise de réponse cet « On verra », accompagné d’un sourire charmant, comme la promesse inavouée de retrouvaille ; je voudrais tant retrouver cette réponse et ce sourire magique auxquels il m’a habitué depuis quelques jours. Mais ce sourire, hélas, a disparu.
    « J’en sais rien… » je l’entendrai lâcher, le regard fuyant, avant d’ouvrir la porte pour de bon et de se jeter dans le mouvement de la ville.
    La dernière image que je retiens de mon bobrun à la fin de cet après-midi, ce sera son regard crispé, mal à l’aise. Il ne me reste qu’à le regarder s’éloigner avec sa démarche bien mec, jusqu’à ce qu’il disparaisse au détour d’une traverse.
    Je regarde mon Jérém s’éloigner dans la rue, et j’ai l’impression de le voir s’éloigner de moi à nouveau, me fuir.
    Le vent d’Autan a encore augmenté d’intensité, des nuages très sombres, annonciatrices d’orage, s’amoncellent sur la ville Rose. Je sens une profonde tristesse s’emparer de moi.


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  • Dimanche 5 août 2001

    Pendant de longs instants, sa langue se balade nerveusement entre mes pecs, autour de mes tétons. Puis, elle descend, approche de mon nombril. Les va-et-vient de sa main sur ma queue augmentent encore en intensité. Débordé par le plaisir, je ferme les yeux. Un nouveau frisson géant s’empare de mon corps ; sa langue atterrit sur mon nombril ; elle s’y attarde, comme si elle hésitait à descendre encore.
    Je rouvre les yeux, je regarde le bogoss à moitié accroupi, sa bouche à quelques centimètres de sa main et de ma queue ; je regarde son beau brushing brun et dense et j’ai l’impression qu’il descend toujours, tout doucement.
    Dans ma tête, se joue une bataille à l’issue incertaine : mon excitation physique se démène pour que le bogoss aille au bout de ses envies nouvelles, tout en espérant que ces envies soient exactement celles que je crois deviner ; mais en même temps, une autre sorte d’excitation voudrait que mon Jérém n’ait pas ce genre d’envies ; c’est le désir que mon mâle reste Le Mâle, le seul véritable « mec » de nous deux, au pieu. Une excitation, cette dernière, qui s’accompagne de la crainte que mon bobrun regrette par la suite ce moment de curiosité sensuelle, qu’il ne l’assume pas, qu’il s’en veuille, qu’il m’en veuille, que cela nous éloigne à nouveau.
    Sa main sur ma queue, sa prise est ferme, douce, chaude, ses va-et-vient délicieux ; le contact de sa langue sur ma peau est fébrile : le bogoss se donne à fond, et cela semble l’exciter autant que ça m’excite.
    Je ne sais pas jusqu’où il a envie d’aller, jusqu’où il a envie d’approfondir la connaissance de mon anatomie : tout ce que je sais, c’est que je viens de franchir le seuil au-delà duquel l’appel du plaisir prend le pas sur la raison.
    Sa main ralentit ses va-et-vient, son souffle chatouille la peau hypersensible de mon gland : je me dis que s’il a envie de ça, je ne peux pas l’en empêcher ; je me dis que, oui, il a envie de ça, et que je m’apprête à découvrir un nouvel univers sensuel avec mon bobrun.
    Est-ce qu’il va le regretter ensuite, ça, je ne le sais pas ; et puis je m’en fiche : le bogoss y va de son plein gré, il est en train de me chauffer à blanc, mon corps réclame son plaisir et il n’y a rien de mal à découvrir et à laisser découvrir l’autre côté du plaisir masculin. Alors, je décide de le laisser faire, de me laisser faire. Ni l’en empêcher, ni l’encourager, juste le laisser faire.
    Mon Jérém est désormais à genoux devant moi, comme je l’ai tant de fois été devant sa virilité conquérante. Le temps est suspendu à l’hésitation du bogoss à assumer une envie qui me semble de plus en plus claire.
    Lorsque ses lèvres hésitantes se posent sur mon gland, lorsque sa langue humide commence à caresser doucement le frein, j’ai l’impression de décoller pour une autre dimension. Plaisir nouveau, jusque-là interdit, impossible, plaisir délirant. Jamais je ne l’aurais cru capable de ça, mon bobrun.
    Lentement, ses lèvres et sa langue glissent sur ma queue, jusqu’à ce qu’elle disparaisse complètement dans sa bouche. Ses va-et-vient s’amorcent : d’abord lents, hésitants, peu à peu ils se font plus musclés.
    Je me laisse faire, incapable de réagir, complètement dérouté. J’ai besoin de me remettre de l’immense surprise, de m’« habituer » au plaisir intense qui secoue mon corps ; et ce, avant de retrouver l’instinct de faire plaisir à mon bobrun.
    Quand mes mains se réveillent enfin, elles se précipitent sur son anatomie, impatientes, affamées : je caresse son cou, ses cheveux, ses épaules, ses pecs, ses tétons ; je le caresse pour lui faire plaisir, je sais qu’il aime ça ; je le caresse pour le « remercier » de ce qu’il est en train de faire.
    Sa main enserre la base de ma queue, ses lèvres et sa langue se concentrent sur mon gland ; son autre main s’en va caresser mes bourses, son doigt humide s’enfonce lentement dans mon petit trou.
    Très vite, je réalise que, tout comme chez moi, à rôles inversés, le contact avec ses tétons semble démultiplier chez mon bobrun l’envie de me faire plaisir. Plus je l’excite, plus il me suce avec entrain. Et j’adore ça, vraiment.
    J’ai beau avoir été jusque-là passif, passif à fond, heureux de l’être ; j’ai beau avoir pris des plaisirs délirants, j’ai beau avoir joui avec ma bouche, avec mon puit de bonheur et avec mon cerveau bien plus intensément qu’avec ma queue, au point d’oublier souvent de jouir de cette façon lors de nos ébats ; j’ai beau avoir cru que c’était la seule façon de jouir que je ne connaitrai à tout jamais avec mon bobrun.
    Quand mon Jérém s’affaire à éveiller ma virilité, je me découvre prêt à goûter à l’autre face du plaisir masculin. Mon bobrun me suce et ça réveille le petit mec qui est en moi : je redécouvre très vite que je peux jouir avec ma queue aussi.
    Mon bobrun me pompe vigoureusement ; je ne sais pas jusqu’où il veut aller mais je sais que je n’irai pas jusqu’à lui gicler dans la bouche.
    Pourtant, lorsque mon orgasme approche dangereusement, je sens ma raison flancher, mon instinct reptilien prendre le dessus : soudainement, j’ai tellement envie de jouir, de jouir dans sa bouche, envie qu’il m’avale comme je l’ai tant de fois avalé avec bonheur.
    Heureusement, ma raison connait un dernier sursaut de lucidité.
    « Jérém… je vais jouir… » je le préviens : dans ma voix, à la fois une supplication de me laisser aller au bout et la peur panique qu’il le fasse.
    Le bogoss continue à me pomper, comme s’il n’avait rien entendu.
    C’est au prix d’un effort presque inhumain que j’arrive à lui chuchoter, la voix écrasée par le plaisir qui me happe déjà :
    « Jérém arrête, je vais jouir… arrête… ».
    Instinctivement, je pose une main sur son épaule et je tente de le repousser, si faiblement.
    Non seulement Jérém n’arrête pas ; ses mains atterrissent sur mes tétons, ses doigts caressent, pincent : il veut vraiment me faire jouir : du moins, à cet instant précis. Je suis sûr qu’il le regrettera, mais tant pis, ma volonté n’est plus.
    Je perds pied. Et je gicle. Dans sa bouche. Je gicle en enfonçant fébrilement mes doigts dans sa crinière brune, en enserrant son biceps à hauteur de son nouveau tatouage en forme de dragon.
    Lorsque la jouissance vient, un mec perd toute morale, oublie toute bonne résolution. Je sais que je suis en train de foutre en l’air notre histoire d’amour naissante pour un instant de plaisir, mais tant pis. Tant pis !
    Sa bouche accueille mon jus tout en continuant ses va-et-vient ; le bogoss a l’air d’aimer ça, de prendre du plaisir… quand je pense que j’ai toujours cru que mon bobrun n’aurait jamais joui que par sa queue… je trouve bizarre ce tatouage en forme de dragon… je croyais que c’était un motif végétal de style tribal…

    Un instant plus tard, je me réveille, seul dans mon lit. Le radio réveil indique 8h02. Il est dimanche et je viens de faire un putain de rêve de fou. Je me réveille avec sa présence qui me hante, malgré son absence insupportable ; je me réveille, une main enserrée autour de ma queue trempée, les doigts de l’autre sur mon téton ; je me réveille, le torse et les draps humides de transpiration et de jouissance, le corps et l’esprit encore vibrants de plaisir.
    Putain de rêve… rêve qui me ramène à cette question qui me taraude depuis la veille : est-ce qu’il voulait vraiment me sucer, hier, dans l’entrée ? Je ne le saurai jamais. Pourtant, pourtant…
    Quand je pense qu’au début de nos « révisions » le bogoss s’en fichait de me voir jouir, ou même il préférait carrément ne pas me voir jouir, comme pour oublier que je n’étais pas une nana : la seule jouissance qu’il tolérait chez moi, c’était justement une jouissance « de nana », en me faisant secouer par sa queue ; quand je pense qu’il me traitait de « sale pute », de « trou à bite », de « vide couilles », semblant me considérer vraiment comme un pur instrument pour son plaisir.
    Que de chemin parcouru depuis !
    Ça a commencé par la découverte et l’« utilisation » de mes points sensibles. D’abord mes tétons : c’était sa façon d’augmenter mon excitation, pour augmenter la puissance et l’entrain de ma fellation ; puis, ma rondelle : c’était sa façon de mieux préparer ma soumission à sa pénétration ; puis, ma queue : d’abord l’effleurer, puis à l’empoigner de façon plus franche, la branler ; et, à la fin, à la branler jusqu’à la faire jouir : un jour, alors qu’il était en moi, le bogoss s’est rendu compte que les contractions de ma rondelle pendant ma jouissance lui offraient des sensations de fou, entrainant sa propre jouissance.
    Bref, au fil du temps, le bogoss a découvert l’astuce de me faire un peu plaisir pour se faire vraiment plaisir. Un investissement sensuel, en somme, comme une mise.
    Mais depuis quelques temps, le bogoss semble prendre de plus en plus de plaisir à me faire jouir : comme si, désormais, ma jouissance comptait pour lui, au-delà de son propre plaisir sexuel.
    Petit à petit, suivant une progression qui s’est quand-même bien accélérée depuis une semaine, le bobrun est passé du refus de ma jouissance, en passant par l’utilisation de ma jouissance pour démultiplier la sienne, jusqu’à la participation active à ma jouissance.
    Il me semble si loin le Jérém dominateur et macho des premiers jours ; le même Jérém qui a voulu un plan avec un bel inconnu levé au On Off, juste pour me montrer qu’il n’en avait rien à faire de moi, tout comme il n’en avait rien à faire qu’on soit fidèles l’un pour l’autre ; le même Jérém qui, deux semaines plus tôt, a voulu me « partager » avec son pote pour se prouver, me montrer, et en faire son pote le témoin, que je n’étais pour lui qu’un jouet sexuel.
    Au fait, nous n’avons jamais reparlé de Thibault après cette fameuse nuit. On dirait que nous avons quand-même réussi à l’apprivoiser, Jérém et moi, ou du moins réussi à la laisser derrière nous.
    Pourtant, Thibault semble demeurer un sujet tabou ; une seule fois j’ai tenté de lui en parler, et Jérém m’a clairement montré qu’il n’y tenait pas.
    En même temps, la seule fois où j’ai voulu lui en parler, Jérém n’était pas encore le Jérém qu’il l’est depuis une semaine : je n’ai pas tenté de demander des nouvelles de la cohabitation depuis. C’est peut-être con, mais quelque part, j’ai peur que le fait d’aborder le sujet « Thibault » puisse enrayer cette belle progression entre nous.
    Alors, j’évite d’en parler. Je ne sais rien de leur cohabitation. Ça fait une semaine que j’ai envie de passer voir le bomécano : alors, cette semaine je vais y aller, c’est décidé.
    Le corps engourdi par une douce torpeur, je me réveille en douceur, en humant son odeur qui flotte dans ma chambre, sur ma couette, sur moi.
    Après une coucherie avec mon bobrun, j’ai toujours l’impression, en dépit des douches, que mon corps tout entier est imprégné de sa présence de mâle ; pendant des heures, des jours entiers, j’ai l’impression que l’odeur et le goût de cette semence de bogoss qu’il dépose dans tous mes trous, persistent dans ma bouche, dans mon nez, sur ma peau ; l’impression d’être marqué durablement par sa virilité. À moins que tout ça ne soit que dans ma tête, que le simple souvenir suffise à raviver en moi toutes ces sensations de bonheur.
    Mon téléphone se met à vibrer : c’est ma cousine qui vient aux nouvelles. Nous échangeons quelques messages, et elle finit par m’inviter prendre un verre en ville l’après-midi même. Elle me précise qu’elle sera accompagnée par le très charmant Phil. Je trouve ça cool et dommage à la fois.
    Rien de personnel, j’adore ce gars ; et je suis heureux pour ma cousine, car c’est une histoire qui a l’air de bien rouler. Le revers de la médaille c’est que, du coup, Elodie est beaucoup moins disponible pour moi. J’ai très envie de lui parler de mon nouveau, immense bonheur avec Jérém, envie d’entendre son point de vue sur les derniers développements.
    Mais pour cela, il faudrait que je puisse la voir seul à seul : je sais pertinemment que, devant son mec, aussi sympa soit-il, je ne pourrai pas m’ouvrir de la même façon.
    De toute façon, même si je sais qu’elle pense toujours très fort à moi, je sais aussi qu’elle ne passera pas l’après-midi à me cuisiner ; par respect de Phil, et parce que d’autres choses, de bonnes choses, occupent son esprit, et c’est très bien comme ça.
    J’accepte quand-même l’invitation, j’ai envie de la revoir, de les revoir tous les deux, ensemble, heureux.
    Lorsque je redescends au petit dej, il est 9h30 passé.
    Maman est en train de préparer un bourguignon pour midi ; je me charge du ménage et de quelques repas pendant la semaine, mais le week-end elle tient quand même à faire de bons petits plats.
    Je bois mon café au lait pendant que maman découpe, fait saisir, remue, la viande, les légumes, les oignons. Les bonnes odeurs de cuisine maison et celui de mon café au lait se mélangent, ce qui n’est pas forcément très agréable.
    Maman se déplace pour aller chercher les carottes sur le meuble juste derrière moi.
    « C’est quoi ces marques dans ton cou ? » je l’entends alors me balancer à brûle-pourpoint, tout en sentant son doigt effleurer un endroit de ma peau assez sensible.
    Je sais exactement d’où viennent ces marques ; ce sont les traces laissées par les passages répétés des lèvres, de la barbe, des mordillements d’un beau brun en rut ; ce que je ne savais pas, c’est qu’elles soient si visibles, comme si Jérém avait inscrit sa marque sur ma peau.
    « De quoi ? » je tente de gagner du temps pour trouver une explication qui tienne un minimum la route. Putain, j’aurais dû y penser avant, préparer une connerie plausible, au cas où.
    « Des traces rouges… » fait elle, tout en revenant s’installer devant moi, sur sa planche à découper, les carottes à la main.
    « Ah bon ? » je feins de m’étonner pendant qu’elle a déjà commencer à débiter des rondelles.
    « Oui, j’ai déjà remarqué ça depuis deux ou trois jours, mais ça a l’air d’empirer… ».
    Quoi lui répondre ? Je cherche, il faut que je trouve un truc, vite fait ; je ne peux quand-même pas lui avouer que ces marques sont la trace laissé par le désir, le rut du mâle qui vient à la fois me saillir et me faire l’amour, chaque après-midi depuis une semaine !
    « Ca doit être les moustiques sur le canal… je me fais piquer souvent… ».
    « C’est bien rouge… ».
    « Ça gratte et je gratte… ».
    Maman a l’air de gober mes explications.
    « Mets-toi de la crème… et achète un répulsif ! ».
    « Ok maman… ».
    Il faut que je fasse gaffe : aucun moustique laisse des traces aussi visibles et aucune crème ne saurait soigner des blessures qui sont attaquées sans discontinuer ; tout comme il n’existe aucun répulsif pour des moustiques aussi musclés, aussi sexy, aussi sensuels, aussi chargés de testostérone ; et même s’il en existait, ce n’est pas moi qui m’en servirait : mon bobrun est le genre de moustique par lequel je veux être piqué encore et encore et encore.
    Lorsque je sors, en début d’après-midi, le ciel est bien gris au-dessus de la ville Rose. Les températures se sont drôlement rafraichies, la météo est maussade : je ne serai pas étonné de voir des gouttes tomber avant le soir.
    « Je suis contente de te voir, mon cousin, comment vas-tu ? » m’accueille Elodie, en me faisant la bise, toute guillerette.
    Son bobrun à elle est là, je lui serre la main : Phil est toujours aussi sexy avec sa belle chevelure souple et ondulée, ses lunettes de petit intello à bouffer, sa barbe d’une semaine, plus marquée que celle de mon bobrun à moi. Phil a la petite trentaine ; et le duvet de barbe à 20 ans et à 30, ça n’a souvent rien à voir.
    « Ma foi, ça va plutôt pas mal… » je réponds à ma cousine « j’ai presque fini les cours de conduite… normalement, je vais passer l’exam début septembre… ».
    « Cool, il va falloir fêter ça… ».
    « Attends un peu quand même… » je rigole « attends que je l’aie dans la poche… ».
    « Tu vas l’avoir haut la main… ».
    « J’espère… j’avais un très bon instructeur… ».
    « Hum, il devait être sexy aussi, non ? ».
    « Pas mal, non, pas mal… » je n’ai pas difficulté à admettre.
    « Tu m’as manqué mon cousin… » enchaîne Elodie.
    « Toi aussi… ».
    « C’est vrai qu’on se voit moins en ce moment… ».
    « A qui la faute ? » je la taquine.
    « J’ai un taf monstre… » fait-elle.
    « Oui, c’est ça… » je plaisante « t’as un mec, surtout ! ».
    Phil rigole dans son coin, tout en faisant des papouilles à Elodie ; définitivement, ce gars a l’air vraiment adorable.
    Je les regarde, si complices ; comme j’adorerais pouvoir un jour vivre ça un jour avec mon bobrun ; le vivre parce que nous en avons tous les deux envie, et sans avoir peur du regard des autres ; ou même le vivre déjà rien qu’en privé, se faire des papouilles, s’aimer sans réticences.
    Phil a l’air vraiment accro. Je me dis qu’elle a de la chance ma cousine, une chance presque inespérée. Elodie est très rigolote, et aussi un brin fofolle, c’est une pile électrique ; elle est aussi très indépendante, d’un naturel cash et déterminé, un peu trop même parfois ; elle peut être aussi du genre « j’agis et je réfléchis après ».
    C’est génial de se taper des délires avec elle. Mais, à côté de ça, je me suis parfois dit que ça ne doit pas être facile pour un mec de la suivre dans ses délires, et de lui tenir tête. Même moi, elle me fatigue parfois ! Ma cousine a un sacré petit caractère, avec des côtés qui, me semble-t-il, pourraient bien effaroucher un certain nombre de garçons. D’où, peut-être, la précarité de ses relations.
    Certes, elle a toujours aimé s’amuser avec les garçons, chose que je peux très bien comprendre ; elle est belle, et les garçons ne se font pas prier pour l’approcher : pour une nuit, du moins. Mais quand les garçons ne font que défiler et qu’aucun ne reste, surtout lorsqu’il arrive de le vouloir, au bout d’un moment, ce ne doit plus être si drôle. J’ai parfois senti que, en dépit de son moral toujours à la déconnade, ma cousine souffrait de ne pas avoir une épaule sur laquelle se poser.
    Je n’ai jamais osé lui faire la morale quant à la conduite de ses relations ; elles étaient d’ailleurs parfois si courtes que très souvent je ne connaissais même pas les garçons dont elle me disait un jour, toute guillerette : « Ce gars est génial ! » ; puis, le lendemain, l’air dépitée : « Je me suis encore fait avoir par un connard ! ». 
    De toute manière, je ne pouvais pas avoir la prétention de lui faire la morale, alors que je suis plus jeune qu’elle de plusieurs années, et que j’étais puceau jusqu’à encore il n’y pas si longtemps.
    Pourtant, ce coup-ci je l’ai fait, car j’ai trouvé d’entrée ce Phil vraiment adorable, fait sur mesure pour elle. Je lui ai dit d’y mettre du sien, et elle a l’air de suivre ma suggestion : ils ont l’air heureux tous les deux, et c’est beau à voir.
    « Mon pauvre cousin, je te délaisse… » elle se moque.
    « Ça me fait des vacances… » je la cherche.
    « Mais ta gueule… » elle me pique, avant d’enchaîner « sinon, raconte, t’en es ou avec ton Jérém ? ».
    « Ça va ça va… ça va mieux… » je résume, un tantinet gêné de parler de ce sujet devant son Phil.
    Ma cousine continue pourtant le plus naturellement du monde.
    « Il faut que je te raconte… jeudi dernier on a pris un verre dans la brasserie où il travaille… ».
    « C’est vrai ? ».
    « On passait par là et j’ai voulu monter à Phil le copain de mon cousin… ».
    « C’est pas mon copain… ».
    « Comment ça ? ».
    « Il n’est toujours pas prêt à assumer tout ça… ».
    « Vous êtes compliqués, les mecs… en tout cas, l’autre soir j’ai entendu un truc qui devrait te faire plaisir ! ».
    « C'est-à-dire ? »
    « Nous étions donc installés en terrasse… c’est pas lui qui nous a servi, c’est son collègue… mais à un moment Jérém est venu servir une grande table à côté de la notre… il n’y avait que des nanas… je apparemment c’était un anniversaire… peux te dire qu’il y avait de la sacré pétasse… elles avaient bien picolé… au début, c’était assez drôle, ça rigolait bien, mais à un moment il y en a une qui lui a carrément demandé à quelle heure il terminait son service… ».
    « Salope ! » je ne peux m’empêcher de lâcher, comme par réflexe pavlovien.
    « Et c’est pas fini… elle lui a carrément dit qu’il pourrait faire un autre genre de service chez elle… ».
    « Double salope… ».
    « C’était balancé sur le ton de la rigolade, mais très vite ses copines ont commencé à en rajouter ; ton mec répondait du tac-au-tac, il se foutait de leur gueule, plutôt taquin, mais sans jamais rentrer dans leur drague à deux balles ; mais elles n’arrêtaient pas, c’était la surenchère, et au bout d’un moment, on ne savait plus trop si c’était du lard ou du cochon… ».
    « De la cochonne, oui… » je commence à m’indigner, très heureux par ailleurs du professionnalisme de mon bobrun.
    « Mais le meilleur est à venir… » fait Elodie « au bout d’un moment, ton mec dégaine son plus beau sourire et leur balance : Désolé, les filles, je ne suis pas libre ! … Et là, celle qui lui faisait du rentre dedans, et que j’appellerai pudiquement « Peggy », lui balance :  T’as une copine ? … Et là, je te jure que c’est vrai, et Phil peut en témoigner, ton bobrun la regarde droit dans les yeux et lui envoie en pleine gueule : J’ai un copain… ».
    « Il a dit ça ? » je m’étonne, comme abasourdi après avoir reçu une claque en pleine figure.
    « Oui, oui, mot pour mot… ».
    « Je ne te crois pas… ».
    « Je te jure… je te jure… je te jure sur la tête de Madonna… hein, Phil, que c’est vrai ? » fait Elodie en cherchant le regard de son homme, alors que ce dernier hoche déjà de la tête.
    « Bah, ça alors… ».
    « Peggy avait l’air sciée… une de ses copines lui balance : Mais qu’est-ce que tu peux être cruche, tu ne vois pas qu’il se moque de toi ? … Pendant ce temps Jérémie se marrait en dandinant la tête, il se foutait vraiment de leur gueule ; l’autre cruche de Peggy n’arrivait pas à savoir à quoi elle devait croire, et elle balance : Tu aimes vraiment les mecs ? … La copine revient à la charge : Mais vraiment on te ferait gober n’importe quoi… mais tu l’as regardé ? Si lui il est PD, moi je veux bien être lesbienne !
    Moi j’étais morte de rire… je crevais d’envie de me lever et de lui dire que, déjà, de 1 : le mot « homo » c'est mieux que PD ; et, de 2, qu’elle pouvait se préparer à bouffer du minou ! A la fin, tout le monde a fini par comprendre que le beau serveur se foutait de leur gueule… ce qui était vrai d’une certaine façon… mais pas du tout dans le sens qu’elles l’ont compris… si elles savaient, les pauvres cruches ! ».
    « Il a dit ça juste pour s’en débarrasser… » je reviens les pieds sur terre.
    « C’est ce que je me suis dit aussi… mais enfin… reste le fait qu’il l’a dit, et qu’il a bien un mec dans sa vie, pour de vrai… ».
    « C’est vrai qu’on se voit souvent en ce moment, mais c’est pas pour ça que nous sommes ensemble… enfin… pas comme vous deux… ».
    « Va savoir si sa petite blague n’est pas le signe que quelque chose commence à mûrir dans son esprit… ».
    « J’aimerais tellement… mais c’est pas encore demain qu’on nous verra assis à une table en terrasse en train de faire des papouilles… ».
    « T’as envie de ça ? ».
    « Oui, mais c’est pas une obligation… ce que j’aimerais, c’est faire des choses avec lui, qu’il me laisse rentrer un peu plus dans sa vie… j’aimerais pouvoir l’inviter prendre un verre avec nous, papouilles ou pas, mais passer des moments ensemble… sans forcément crier sur tous les toits qu’on est ensemble, mais sans non plus avoir besoin de se cacher… ».
    N’empêche que ça me fait plaisir d’entendre cette petite anecdote au sujet de mon bobrun. Je suis vraiment touché. Je ne veux pas me faire des illusions, je m’oblige à me dire que cela n’est rien de plus qu’une moquerie ; pourtant je suis heureux.
    « Je vais avoir deux semaines de congés, du 13 au 26 août… » enchaîne Elodie « si tu es dispo, mon cousin, on pourrait partir quelques jours à Gruissan tous les deux… ».
    « Ce serait coooool… ».
    « Phil nous rejoindra certainement le week-end, ou plus, s’il peut se libérer… ».
    « Super plan ! » j’essaie de me montrer enthousiaste, même si j’ai un peu de mal avec l’idée de m’éloigner de mon bobrun ; je n’ai pas envie de casser cette belle progression, je veux profiter de lui un max.
    Il n’est que 16 heures lorsque nous nous séparons. J’ai envie de marcher, sans but ; j’ai envie de marcher seul, en repensant à mon bonheur. Pourtant, je sais que ça ne va pas être possible. Je le sais pertinemment : je peux essayer de m’imposer tous les détours possibles ; à un moment ou à un autre, mes pieds et mes jambes profiteront d’un instant d’inattention de mon esprit pour me conduire tout droit à Esquirol.
    Mon bobrun me manque, et aujourd’hui je ne peux même pas le recevoir pendant sa pause : ça va être dur. D’autant plus que la petite conversation avec ma cousine m’a donné encore plus envie de le revoir.
    En attendant, je flâne dans la rue d’Alsace-Lorraine, le regard aimanté par les bogoss traversant mon champ de vision : des bogoss trop souvent « encombrés » de leurs copines, en cette balade du dimanche après-midi.
    Croiser un bogoss dans la rue, émotion intense, bonheur immense, émouvant, bouleversant ; croiser un bogoss, et s’attarder inévitablement sur ses traits masculins, attirants, rassurants parce que masculins ; chercher son regard, puis le fuir : non seulement pour éviter de me faire remarquer, mais parce que, dès le premier contact, ce regard fait vibrer en moi des cordes sensibles.
    Croiser un bogoss et me laisser impressionner par son allure de mec, allure qui exprime la force, l’assurance ; allure parfois un peu brute, mais nature, sans sophistications, le genre qui m’attire le plus ; croiser un bogoss et me délecter parfois d’un parfum, d’une odeur qui me fait tourner la tête, comme la promesse d’un univers sensuel inconnu ; ou bien capter une voix, une vibration d’homme, une palette de sons qui est comme une caresse pour mon oreille et mon esprit.
    Croiser un beau garçon, et être touché à chaque fois par un ensemble de caractéristiques mâles suscitant le désir. Un désir violent, fait d’envies aussi intenses que fugaces : l’envie de me laisser envahir par sa puissance mâle, le besoin de lui offrir mon corps pour sa jouissance ; l’envie de le serrer dans mes bras, de lui faire des câlins ; l’envie d’en recevoir, des câlins, de me sentir en sécurité dans ses bras puissants ; l’envie de connaître son existence, tout simplement.
    Chaque « rencontre » avec un beau garçon m’inspire un mélange de toutes ces émotions, un mélange différemment dosé : chaque garçon, c’est une formule masculine unique ; chaque rencontre, un bonheur sans cesse renouvelé.
    Bonheur tellement puissant, débordant, capable de me faire croire souvent à la rencontre avec la perfection masculine absolue ; illusion passagère, aveuglement d’un instant pendant lequel le charme particulier d’un bogoss fait de lui l’exemplaire unique de l’une des infinies facettes de cette perfection masculine, mais avec son petit « truc » en plus : ce qui fait qu’à chaque fois, la rencontre avec un bogoss est une nouvelle découverte, un nouveau choc, une nouvelle révélation.
    La séquence est toujours la même : rencontre, bonheur des yeux, la respiration qui s’accélère, le cœur qui s’emballe, le désir impérieux, déchirant, la frustration assommante de ne pas pouvoir aspirer et emporter avec moi l’émotion d’un instant qui semble renfermer en elle la beauté de l’Univers tout entier ; frustration de ne pas pouvoir lui offrir le plaisir inouï que chacune de mes fibres voudrait lui apporter ; frustration de le voir disparaître aussitôt de mon horizon qu’il y est apparu, frustration qui me ronge, qui me déchire.
    Puis, si la chance m’offre la possibilité de contempler un beau mâle un peu plus longuement, l’émotion qu’il m’inspire commence à évoluer peu à peu, elle passe par d’infinies nuances, aussi nombreuses et aussi changeantes que les couleurs d’un coucher du soleil.
    Les minutes avancent, le désir est toujours là, intense, brûlant ; pourtant, peu à peu ma respiration se calme, mon cœur ralentit, la tempête passe ; je ressens une intense sensation de bien-être se répandre dans mon corps, dans mon esprit. Plus je regarde ce garçon, plus je me sens bien, en phase avec moi-même ; tout mon être est envahi par un bonheur et une douceur infinie, par un doux apaisement. Comme après un orgasme. C’est le bonheur de capter, sentir, respirer l’esprit masculin, expérience bouleversante à chaque fois.
    Une expérience qui ne survit pas longtemps, un désir qui commence à s’évaporer dès que son objet disparaît de ma vue et de ma vie, laissant derrière eux comme une trainée de bonheur indéfini, générique, mais intense, laissant dans mes yeux et dans mon esprit comme un petit arrière-goût de reviens-y.
    Jamais le fait de regarder une nana m’a provoqué la moindre question, la moindre émotion, la moindre excitation, le moindre désir sensuel, le moindre apaisement : non, rien de rien. Ça doit ça être la définition de pd (oui, quand on l’est, on a le droit de dire pd).
    Regarder un bogoss, ressentir le désir, intense, déchirant, et me sentir tellement vivant. Pourtant, le désir que je ressens pour mon bobrun éclipse tous les autres.
    Soudainement, je réalise que pendant que mon esprit était happé par mes réflexions, mes jambes en ont profité pour m’approcher dangereusement d’Esquirol. J’emprunte alors une traverse, j’amorce un détour par les petites rues pour retarder le bonheur ultime, l’instant où l’image de mon bobrun va pénétrer ma rétine.
    Un peu plus loin, je tombe sur une petite bande de mecs installés à une terrasse de bar. Ils doivent être une petite dizaine, ils ont l’air de petits rugbymen ; hypothèse qui semble se confirmer lorsque je réalise qu’ils sont en train de regarder (et de refaire en même temps, de façon plutôt musclée et bruyante) un match de ballon ovale.
    Dans le lot, il y a des bruns, des châtains, un blond très clair ; il y a des t-shirts ajustés, d’autres plus amples, des cols ronds, d’autres échancrés ; il y a des shorts, des survêts ; il y a des beaux mecs, des moins beaux, des charmants, des quelconque ; mais comme toujours, dans le bilan riche est complexe de la bogossitude globale d’une bande de mâles, l’ensemble vaut davantage que la somme des simples éléments ; certains spécimen ont, certes, tiré sévèrement de leur côté la couverture de la sexytude : l’ensemble de la meute profite de cette proximité masculine, de cette complicité, de cette passion commune, de cette bonne ambiance, de cette camaraderie, de ce mélange de différentes essences de testostérone.
    Je les regarde en me demandant si, sur les dix, il y en a au moins deux qui ont déjà partagé plus qu’un match de rugby et une bière. Pourtant, ce qui saute petit à petit aux yeux en les regardant, au-delà du côté bruyant de leurs échanges, ce que je ressens, au plus profond de moi, c’est surtout une profonde sensation de calme, de sérénité, de bien-être. Ce que je ressens, c’est l’envie d’être avec eux. Lorsque l’esprit masculin se révèle en meute, c’est le plus beau des spectacles.
    Et là, soudainement, je suis frappé par une idée qui s’affiche dans ma tête avec la clarté et la violence d’une révélation. Soudainement, la nudité de mon bobrun s’affiche dans mon esprit ; je ferme les yeux, je revois le lignes sobres et fermes dessinant le V de son torse, ses épaules, son cou ; je revois les lignes arrondies dessinant ses biceps, ses bras, le rebond de ses fesses.
    Oui, c’est comme une petite révélation qui vient de s’afficher dans ma tête, une révélation au sujet de l’absolue beauté du corps masculin.
    Le corps masculin, anatomie qui me parle, qui m’attire, qui m’est familière, agréable à regarder, à toucher ; le corps masculin, ce bonheur plastique composé de reliefs, de creux, de rebonds, de proportions, d’harmonie des formes ; le corps masculin, délicieux mélange de puissance et de douceur : de lignes fermes, droites, nettes, comme tracées à l’équerre, inspirant la solidité, la mâlitude, l’érotisme, la puissance sexuelle ; mais aussi de lignes, plus douces, courbes, arrondies, comme un rappel de sensualité, comme l’annonce de la douceur de sa peau, de la douceur de l’esprit tapie sous la carapace de mâle.
    Tout pris dans mes réflexions, je ne me suis même pas rendu compte que j’ai repris à marcher ; et que mon pilote automatique m’a amené direct devant la brasserie.
    J’ai atterri de l’autre côté de la route et très vite, je réalise que je n’ai plus le temps de me préparer, je ne peux plus rien faire pour l’éviter : un choc visuel inouï, inattendu, insupportable, m’attend.
    J’ai beau être préparé à la bogossitude de mon bobrun, elle semble se renouveler, devenir chaque jour plus aveuglante : et comme s’il ne suffisait pas sa prestance naturelle pour en mettre plein la vue, il faut que ses tenues choisies de bogoss soient mises à contribution.
    Oui, ce dimanche le temps s’est bien rafraichi ; ce qui autorise à abandonner provisoirement le t-shirt pour des tenues un peu plus habillées. Mais là, dans ce CAS précis, ce n’est pas juste habillé : sa tenue est une claque puissante à me faire tomber à la renverse. Je suis figé, comme assommé par l’image qui vient de traverser, bruler, violer ma rétine. Pendant un instant, je me dis que mon cœur va s’arrêter.
    Car mon regard est attiré, aimanté, happé, aveuglé, cramé par la vision de son torse, de ses épaules, de ses biceps, de son cou gainés, mis en valeur, sublimés dans une putain de chemise blanche tellement bien coupée qu’on la croirait taillée sur mesure ; elle tombe sur ses épaules, elle épouse sa plastique avec une précision redoutable.
    Le col rigide, cassant juste à la bonne hauteur, ni trop plié, ni pas assez, est rassemblé par une cravate noire au nœud assez lâche, tombant juste en dessous du dernier bouton ouvert : c’est une cravate plutôt longue, pas trop large sans être trop fine ; une cravate dont la pointe arrive jusqu’à sa belle et épaisse ceinture de mec en cuir noir, indiquant ni plus ni moins la direction de sa braguette, l’emplacement de sa virilité ; comme une invitation vers l’insupportable tentation, tentation cachée dans ce sublime pantalon noir, moulant son cul divin.
    Ses avant-bras sont dégagés, les manches retroussées juste au-dessus des coudes ; une jolie montre de mec habille son poignet. Ses baskets noires à l’épaisse semelle blanche semblent comme léviter au-dessus du sol pendant qu’il voltige entre les tables.
    Dans sa tenue habillée, le bogoss dégage une classe qui me déstabilise, me désarçonne ; il révèle une nouvelle et inattendue facette de sa pure et insaisissable bogossitude, une facette qui contraste tellement avec le petit con « t-shirt /casquette à l’envers » dans lequel j’ai l’habitude de le voir s’illustrer. C’est un contraste qui me rend dingue et qui enflamme mon désir.
    Le bogoss vient de servir des boissons à une table, il vole à une deuxième pour un encaissement ; il disparait ensuite à l’intérieur de la brasserie.
    Il réapparait quelques instants plus tard. Il s’arrête sur le seuil, les coudes pliés, les mains sur les flancs, le regard en mode radar, parcourant minutieusement l’espace de la terrasse. Puis, voyant que personne ne semble réclamer son intervention, il déplie les bras, il appuie son épaule contre le montant de l’embrasure de la porte, le bassin un peu en avant, l’attitude nonchalante et très très virile, position qui me rappelle certaines pauses cigarettes entre deux séquences de coups de reins. Le bogoss passe les doigts dans ses cheveux bruns pour les ramener en arrière ; puis, il finit par glisser les deux mains dans les poches.
    Une seule envie à cet instant, celle de lui arracher sa chemise et de me jeter sur sa braguette offerte, affamé de lui ; ou bien son parfait opposé, celle de défaire les boutons un à un, de découvrir petit à petit sa peau, ses petits poils qui repoussent, les délicieuses odeurs retenues par le coton boutonné ; de titiller sa puissance virile par-dessus le pantalon, de la sentir monter en puissance, de faire enrager la bête avant de la libérer et de la laisser exprimer toute sa fureur.
    C’est bien dommage que Jérém ne prenne jamais sa pause avec ses tenues du taf… qu’est-ce que j’aimerais le pomper dans cette tenue !
    Je le fixe tellement que le bogoss finit par remarquer ma présence. Je le vois plier le cou, plisser les yeux, jouer l’étonnement avec ses sourcils ; mais ce que je vois surtout, c’est son putain de sourire brun incendiaire, ce sourire qui réchauffe cette journée maussade à bloc, ce sourire qui ferait ressembler un mois de janvier au pôle Nord à un mois de juillet au Sahara.
    Le bogoss sourit et me fait signe d’approcher. Alors, je n’ai plus le choix, mes jambes m’amènent toutes seules, je m’engage pour traverser la route.
    Au fur et à mesure que j’approche, sa chemise dévoile d’autres détails de sa perfection. Les pans avant mettent en valeur ses pecs bombés, juste ce qu’il faut, pas trop moulés, mais bien suggérés, donnant à la fois une impression de coupe ajustée et agréable à porter. Voilà la magie provoquée par la rencontre divine d’une coupe parfaite et d’un corps divin.
    La tenue ne fait peut-être pas le moine, mais elle contribue sérieusement à mettre en valeur un bogoss. A moins que ce ne soit le bogoss qui met en valeur la chemise.
    Si elles savaient, ces pouffes (Pouffe = nana dont le seul et impardonnable défaut à mes yeux est son envie de se taper mon Jérém) qui le dévorent des yeux, qui lui tapent la discute ; si elles savaient le torse de fou, les merveilles plastiques et sexuelles qui se cachent sous cette belle chemise, si elles savaient à quel point je les connais par cœur ; si elles savaient à quel point cette bombasse de serveur me fait l’amour comme un dieu, et à quel point il prend son pied avec moi : ça les calmerait, et pas qu’un peu !
    J’approche et je suis de plus en plus ébloui par la couleur immaculée du tissu ; ébloui par le contraste saisissant avec sa peau mate et bronzée, avec sa crinière brune au brushing impeccable, avec son regard ténébreux mais souriant ; ébloui par la couleur noire de la cravate, du pantalon, des chaussures, comme un rappel du côté très brun de toute sa personne.
    Je suis désormais devant lui, nos regards se rencontrent, s’aimantent. Son sourire ne quitte pas son beau visage. Ça a l’air de lui faire plaisir que je sois là.
    « Salut ! » il lance en premier.
    « Salut… » je lui réponds « tu vas bien ? ».
    « Ouaissss… je cours… tu veux boire un truc ? ».
    « Euhhhh… je… si tu veux… ».
    « Allez, je t’invite… t’as qu’à t’installer à la petite table dans le coin là-bas… ».
    « Ok… merci… ».
    « Tu prends quoi ? ».
    « Une bière blanche… s’il te plaît… ».
    « Je reviens… ».
    Je le regarde repartir et je n’arrive pas à détacher les yeux de lui, de cet ensemble chemise-cravate, code masculin par excellence.
    Sa chemise est impeccablement repassée : qui l’a repassée ? Est-ce mon bobrun sait repasser ?
    Je l’imagine, torse nu et boxer, ou bien torse nu et pantalon noir, le matin, la peau fraîchement douchée, en train de repasser, avant de la passer, sa chemise ; j’imagine ses gestes amples de bogoss, son bras qui enfile la première manche, l’autre qui part vers l’arrière chercher la deuxième, le col qui atterrit sur son cou puissant, le haut qui se cale sur ses épaules, les pans encore ouverts qui retombent sur son torse musclé, caressant ses pecs, son dos, ses flancs, ses reins, le plis de son bassin.
    J’imagine ses doigts en train de boutonner les manchettes ou bien de les retrousser directement ; je l’imagine en train de fermer un à un les boutons sur le devant, tout en laissant sciemment le dernier ouvert ; je l’imagine relever le col rigide, faire glisser la cravate encore défaite ; s’attaquer au nœud : il sait aussi faire un nœud de cravate ? J’en suis incapable !
    Je l’imagine en train de passer la chemise dans le pantalon, ajuster sa ceinture, passer ses chaussures ; un dernier passage devant le miroir pour une dernière touche au brushing de bogoss et le voilà parti pour sa nouvelle journée. Je donnerais cher pour pouvoir assister à cela ne serait-ce qu’une fois.
    Lorsque je reviens de mes délires, je réalise que le plus irrésistible dans cette tenue est la façon qu’à mon bobrun de la porter ; sur mon Jérém, cette tenue fait à la fois élégante et décontractée, habillée et cool, traditionnelle et très jeune, soignée et impertinente, classique mais tellement vivante ; sur mon Jérém, cette tenue est relevée par sa prestance, sa présence, par une puissante touche de fraîcheur, de jeunesse, d’impertinence, d’effronterie et de sexytude : ce qui donne un mix explosif, tout ce qu’il y a de plus sexy.
    Dans sa tenue habillée, on dirait un jeune premier, un acteur, un mannequin, tous aussi à l’aise que s’il portait un t-shirt et un short. Il y a dans ses gestes, dans son allure, une aisance, une assurance, un naturel presque déconcertants. Il faut le voir marcher avec de grandes enjambées, le dos bien droit, les pecs bombés, le regard magnifique, la cravate qui part à gauche, à droite, qui se colle à son torse ou se penche dans le vide au gré et en réaction contraire de ses mouvements rapides et incessants.
    Tout dans sa tenue et dans son attitude semble vouloir exprimer : « Ok, je porte une chemise et une cravate ; tout le monde peut être élégant avec une tenue pareille ; mais moi, je vais être non seulement hyper classe avec, mais en plus je vais être ultra sexy, et même réussir l’exploit de faire ressortir mon côté « p’tit con » ; un « p’tit con » avec une chemise élégante et une cravate (délicieux oxymore) ; déjà, mon dernier tatouage va quand même dépasser ; ensuite, il suffit de desserrer un peu le nœud, de laisser le dernier bouton ouvert ; je laisse ma bonne petite gueule à hurler armée en permanence de mon regard charmeur et de mon sourire incendiaire… et hop ! Le tour est joué… ».
    Oui, le tour est joué : voilà Docteur P’tit con et Mister Classe dans une seule et unique bombasse.
    Le bogoss disparaît une minute à l’intérieur et réapparait avec un plateau chargé à bloc qu’il décharge presque entièrement à une grande table ; à l’exception d’un verre et d’une petite bouteille qu’il vient déposer devant moi.
    Pendant qu’il se penche vers moi, mon regard tombe tout naturellement dans ce petit triangle de peau mate au-dessus du nœud de cravate un peu desserré ; c’est délicieux d’observer les mouvements de sa pomme d’Adam sous la peau couverte de quelques poils de barbe ; j’arrive même à entrevoir son petit grain de beauté si mignon, si adorable, si sexy ; tout comme il l’est, sexy au plus haut degré, le haut de son tatouage sortant du col de la chemise et remontant à la verticale vers l’oreille.
    Mon bobrun est super classe dans sa tenue habillée, mais il dégage en même temps un truc vraiment animal, comme une odeur de mâle baiseur : un baiseur classe, brûlant. Putain, qu’est-ce que j’ai envie de lui !
     « Voilà, monsieur est servi ! ».
    « Merci, monsieur… ».
    J’aimerais tant qu’il puisse rester un peu avec moi. Prendre un verre avec moi. Je rêve. D’autant plus que la terrasse est bondée et que le bogoss semble seul à cette heure de la journée.
    « Eh merde, il me faut encore courir… je reviens… » fait le bobrun sur un ton agacé, alors qu’une main vient de se lever à une table à l’opposé de la terrasse.
    Dommage. Je me console en appréciant à sa juste valeur l’incroyable l’évolution de mon bobrun, dans ses attitudes, ses gestes, sa façon d’être, son comportement vis-à-vis de moi : il n’y a encore pas très longtemps, s’il m’avait surpris en train de « roder » autour de la brasserie, il m’aurait regardé en travers, ou même carrément jeté ! Et là, il me fait installer en terrasse, il m’offre à boire, il a l’air content de me voir.
    Je le regarde repartir et j’en profite pour me pencher sur l’« envers du décor ». Côté dos, la chemise redessine tout aussi divinement sa plastique : le col immaculé frôle par moments la naissance de ses cheveux bruns, souligne le V de son torse, la ligne de ses épaules. Parfois, lors de certains mouvements, lorsqu’il se penche sur une table pour récupérer des verres, par exemple, le tissu se tend sur ses omoplates, envoyant de très belles images de son dos puissant, laissant parfois furtivement entrevoir les mailles brillantes de sa sexy chaînette de mec. Et ce pantalon, putain, c’est juste à hurler tellement il épouse le profil délicieux de son magnifique cul musclé et rebondi de rugbyman.
    Puis, quelque chose attire mon regard. Mon bobrun s’est arrêté à une table ; les secondes passent, et il semble s’y attarder, longtemps ; s’y attarder, non pas pour prendre une commande ou pour encaisser mais plutôt pour taper la discute, l’air de bien rigoler.
    Autour de la table, deux petits mecs, 18-20 ans je dirais ; le premier, un châtain clair à l’air sympa est plutôt mignon ; l’autre, une pure bombasse atomique.
    Très brun, la peau mate, les cheveux souples, ondulés, un peu en bataille, retombant en mèches rebelles sur son front, sauvage crinière de jeune loup ; les yeux naturellement plissés, perçants, donnant à son regard une intensité troublante, des yeux "sabre laser", dégageant un érotisme permanent, comme des flammes de sexytude bouillante.
    Le jeune wolf est habillé avec un t-shirt blanc col en V avec échancrure affolante ; t-shirt soulignant un torse élancé et très bien bâti, échancrure laissant dépasser une chaînette fine et assez courte, tombant à hauteur de sa clavicule : bref, très beau mec, très beau et très mec.
    Jérém a l’air tout particulièrement complice avec ce dernier ; je les vois rigoler, je le vois lui mettre une tape sur l’épaule, passer sa main dans ses cheveux comme pour les ébouriffer : je me dis que ça doit être un de ses potes du rugby que je ne connais pas ; pourtant, je ressens une pointe de jalousie remonter de mon bas ventre. Mais c’est qui ce mec ?
    Quelques instants plus tard, les deux gars se lèvent ; debout, les deux dévoilent définitivement une plastique plutôt avantageuse qui semble témoigner d’une activité sportive ou physique indéterminée mais capable de sculpter un beau physique de mec. Jérém leur fait la bise, tout en posant une main sur l’épaule du beau brun, en lui parlant face à face, très très proche de lui. Les trois rigolent une dernière fois, et se séparent.
    Les deux potes quittent la terrasse et traversent la route pour aller rejoindre deux filles qui les attendent à côté de l’entrée du métro. Le mec châtain fait la bise à la première, tandis que le petit brun embrasse l’autre sur la bouche. Les quatre commencent à discuter sur place.
    Jérém vient dans ma direction, sans pour autant quitter des yeux la scène qui se déroule de l’autre côté de la route ; son regard est comme doux, attendri.
    Soudainement, ça fait tilt dans ma tête, je crois que je viens de comprendre le topo. Putain, Nico, t’es long à la détente…
    Je ne peux quitter mon Jérém des yeux, je le trouve tellement adorable à cet instant, émouvant. Je le fixe et il finit par s’en rendre compte ; et là, en accompagnant ses mots par un petit sourire touchant, il me lance :
    « C’est mon petit frère Maxime… ».
    « Le brun, j’imagine… ».
    « C’est lui… ».
    « Je m’en doutais un peu, il y a bien un air de famille… ».
    « Il est beau… » fait Jérém, le regard toujours fixé sur ce qui se passe de l’autre côté de la route.
    « Tout comme son frère… ».
    « Ils sont venus sur Toulouse fêter le permis de son pote Gildas… » il enchaîne comme s’il n’avait pas entendu mes mots « il vient tout juste de l’avoir… Maxime va le passer dans pas longtemps… ».
    Je me trouve ridicule à avoir ressenti de la jalousie en assistant à cette complicité et à cette déconnade qui n’étaient en fait que des retrouvailles de frérots.
    « Vous êtes très proches ? ».
    « Mon petit frère est toute ma famille… il est tellement adorable mon Maxou à moi… ».
    « Il est beaucoup plus jeune ? ».
    « Tout juste deux ans… ».
    Les quatre jeunes finissent par prendre la direction du centre-ville ; en marchant, le beau Maxime tient sa copine par la taille et lui pose un bisou dans le cou.
    « Regarde-le s’il n’est pas mignon… un vrai petit mec… » fait Jérém, attendri et touchant au possible.
    « Il a l’air adorable, oui… il fait quoi dans la vie ? ».
    « Il va aller à Paul Sabatier à la rentrée, il va être ingénieur, c’est une tronche lui… ».
    Un client l’appelle.
    « Je reviens… » fait-il en détalant aussi sec.
    Je suis vraiment touché par la petite scène qui vient de se dérouler : je suis ému par les regards, les mots, les intonations de la voix trahissant l’affection et la tendresse infinies que mon bobrun éprouve pour son petit frère. C’est beau quand la tendresse s’exprime dans le regard d’un mec tel que Jérém.
    Une tendresse qui ne fait qu’amplifier encore l’infinie sexytude que dégage mon bobrun dans sa putain de chemise blanche.
    La chemise blanche, tout comme le t-shirt blanc, autre grand basique, ou classique, du vestiaire masculin.
    D’ailleurs, les deux vont souvent ensemble, et si bien ensemble ; j’adore deviner, sous une chemise blanche, ou d’autre couleur d’ailleurs, la marque des manchettes d’un t-shirt blanc ; ou bien, dans le creux de un, deux, trois, boutons ouverts, découvrir le col arrondi, le coton immaculé qui s’arrête juste en dessous de la clavicule, détail si sexy à mes yeux ; tout comme je trouve furieusement sexy de voir les deux pans de la chemise ouverts, en dehors du pantalon, dévoilant tout le t-shirt blanc, lui aussi en dehors du pantalon, tenue débraillée de fin de soirée où la pipe est dans l’air.
    Mais nous sommes en été, et nous sommes à Toulouse. Et même si le temps est un peu maussade, cela ne justifie pas la superposition de deux couches de coton sur son beau torse.
    Mais quand-même… qu’est-ce que j’adorerais voir le col rond d’un t-shirt blanc dépasser du col de la chemise, deviner la ligne des manchettes du t-shirt sous le tissu de la chemise ; ou, encore, voir sa tenue complétée par une putain de veste, une veste de jeunz, avec une coupe à la fois élégante et sportive. J’imagine tout cela, sans même savoir si je serais capable d’encaisser le choc supplémentaire.
    Je me sens bander. Mais putain, même sans t-shirt et sans veste, qu’est-ce que j’ai envie de le pomper dans cette tenue !
    Le bogoss revient me voir. Je viens tout juste de finir ma bière.
    « C’est chaud le dimanche après-midi… » je lui lance.
    « Ce soir ça va être encore pire… ».
    « T’es tout seul à servir ? ».
    « Mon collègue rembauche à 18 heures… ».
    « T’as pas eu de pause ? ».
    « J’ai commencé à 13 heures… ».
    « Qu’est-ce que tu es sexy avec ta chemise et ta cravate ! » je laisse échapper, comme un cri du cœur.
    « Tu veux boire autre chose ? » il trace, ignorant une fois de plus mon compliment. Pourtant, un petit frémissement dans son regard fait office à mes yeux de notification de bonne réception du message.
    C’est en prononçant ces mots, que le bobrun se rend compte du double sens que je pourrais y voir, et que j’ai vu : il sourit, il est beau.
    « Laisse-moi réfléchir… » je me marre, tout en regardant instamment sa braguette ; je remonte ensuite mon regard le long de la cravate noire, jusqu’à accrocher le sien ; dans ses yeux, une bonne étincelle lubrique a fait son apparition.
    « Oui, j’ai envie d’un… » je le cherche.
    « Jus… » il me suit.
    « De… ».
    « Je ne suis pas certain qu’on ait ce parfum en stock… » il me taquine.
    « Quel dommage, je croyais que l’établissement mettait un point d’honneur à satisfaire le client… ».
    « Pour en avoir le cœur net, il faudrait aller voir dans la remise de l’arrière-boutique… » il me lance en joignant un sourire de malade, une moue de défi, chaude comme la b(r)aise ; son regard est comme transperçant, et ce semblant de petit hochement de tête qui semble dire « t’as envie de moi, hein, t’as envie ? » est juste insupportable. Putaaaaaaaain de mec !
    Son regard est perçant comme une flèche, sauvage et puissant comme ses coups de reins. Un seul regard brun et sexy et tout de suite il est Le Mâle ; un seul regard et, tout de suite, je suis à lui ; un seul regard et, dans ma tête, je suis déjà à genoux devant lui.
    La perspective de le sucer dans l’arrière-boutique et dans cette tenue, me plait grave. Est-ce qu’il est juste en train de me chauffer ou bien il a une idée derrière la tête ?
    « Je ne connais pas les lieux… » je le teste.
    « La remise c’est la porte juste après les toilettes… ».
    « Je ne pense pas être autorisé à y aller… ».
    « Je t’y autorise… ».
    « C’est peut-être dangereux… ».
    « Il n’y a que moi qui y ai accès… ».
    Putain, il ne rigole pas.
    « T’es sérieux, là ? » je m’assure.
    « A ton avis… » fait-il alors que l’étincelle lubrique dans son regard s’est transformée en incendie polisson.
    « Vas-y d’abord, commence à chercher, je vais venir t’aider dans une minute… » fait le bogoss, l’air complètement sûr de lui.
    Apparemment, il me reste qu’à suivre ses instructions pour trouver mon bonheur. Putain de mec !
    Je rentre dans la brasserie, je suis l’indication toilettes.
    « J’encaisse la 8 et la 12 et je vais m’en cramer une… » j’entends le bogoss lancer à son patron.
    « Ok, tu en profiteras pour ramener du café de la réserve, s’il te plait… » lui retorque ce dernier.
    « Ok… ».
    Je me retrouve dans un couloir, je passe les toilettes, je trouve la porte indiquée ; je l’ouvre, elle donne sur une petite cour intérieure ; un peu plus loin, sur la droite, je vois une autre porte, je la pousse : c’est la remise, un petit local assez sombre, encombré de futs de bière, de packs de sodas, de café, de friandises. J’hésite à m’y engouffrer, préférant attendre l’arrivée de mon bobrun.
    Mon attente ne sera pas longue : le bogoss déboule au pas de course, la cigarette au bec.
    « Viens ! » il me balance, en me précédant dans le petit local ; il avance jusqu’à une nouvelle porte, il l’ouvre, il allume la lumière et nous nous retrouvons dans une cave remplie de bouteilles. Le bogoss referme la porte derrière nous, la cigarette coincée entre les lèvres, en train de se consumer à vide. Ses gestes sont rapides, empressés : je trouve très excitante cette précipitation.
    Le bogoss saisit sa cigarette, fait tomber la cendre déjà en équilibre instable.
    « J’ai pas trouvé le jus qui me convenait… » je le titille.
    « On n’a pas ça en bouteille… seulement à pression… ».
    « Comme la bière ? ».
    « C’est ça ! ».
    Sur ce, le bogoss pose la cigarette au coin des lèvres ; ses mains s’empressent de défaire la braguette ; pas la ceinture, juste la braguette : et là, en-dessous de la pointe de sa cravate qui semble indiquer précisément le bon endroit pour trouver le meilleur des jus, sa queue bondit, pas encore complètement tendue, mais déjà frétillante. Le bogoss récupère sa cigarette, il expire, fait tomber les cendres ; il se branle à peine et très vite la bête s’éveille.
    Je me peux résister à la tentation de me jeter sur lui et de l’embrasser sur le cou, tout en portant mes mains sur ses biceps, et en appréciant le contact avec le tissu de sa belle chemise.
    « Dépêche-toi, je n’ai que 5 minutes ! ».
    « Ça va être court… » je commente.
    « Grouille ! » fait-il, moitié en rigolant, moitié sérieux, directif, pressé de repartir et impatient de jouir, une main à sa cigarette, une autre sur mon épaule, comme une sommation à me mettre à genoux.
    C’est entre une rangée de bouteilles de Côtes du Rhône et une autre de Jurançon que j’entreprends de sucer mon bobrun.
    Je le pompe en frottant mon nez contre le tissu de son pantalon à chaque va-et-vient, je le pompe en caressant ses couilles que je vais aller titiller en passant les doigts dans la braguette ouverte ; je le pompe les yeux rivés sur sa tenue d’homme que je trouve hyper sexy ; je le pompe en me disant à quel point ce serait cool d’avoir le temps de défaire sa cravate, d’ouvrir un à un les boutons de sa chemise, de sentir une à une les petites odeurs de mec se dégager de sa peau, de son cou jusqu’à sa queue.
    Mais il n’y a pas le temps pour tout cela. Alors, je le pompe vigoureusement, décidé à le faire jouir au plus vite, décidé à obtenir la plus douce des boissons.
    Pendant ce temps, les mains du bogoss ont trouvé chacune leur rôle ; pour l’une, celui de gérer la cigarette ; pour l’autre, celui de caresser mon cou, mes épaules, ma nuque, d’enfoncer les doigts dans mes cheveux, de pourchasser mes tétons.
    Je commence à m’habituer à ce genre de caresses, elles m’excitent terriblement ; mais il est d’autres « caresses », des « caresses » que nous avons un peu laissé de côté ces derniers temps, des « caresses » d’un tout autre genre mais furieusement excitantes ; des « caresses » que mon bobrun ne semble pas avoir oublié pour autant.
    Ainsi, lorsque sa main se pose sur ma nuque et commence à imprimer le rythme et l’amplitude qui lui conviennent le mieux ; puis, lorsque sa main maintient fermement ma tête, alors que ses coups de reins envoient son gland loin dans mon palais : là, je suis fou d’excitation, mais aussi rassuré de voir que l’instinct de mon beau mâle brun ne disparaît pas malgré ses changements par ailleurs.
    Je suis au comble du bonheur sensuel : il me semble que la douceur et une certaine animalité peuvent tout à fait coexister, s’alterner, se compléter dans les relations sexuelles.
    Ses doigts écartés maintiennent ma nuque, alors que ses coups de reins, puissants mais contrôlés, se succèdent, rapides, entre mes lèvres.
    Un instant plus tard, je sens son corps se crisper ; j’entends un râle étouffé résonner dans ses poumons, je sens ses doigts se contracter nerveusement et s’enfoncer dans mes cheveux, presser mon cuir chevelu.
    C’est en toussotant, en balançant violemment ce qui reste de sa cigarette, certainement pour cause d’avoir avalé la fumée de travers dans la précipitation de l’orgasme ; c’est en tenant bien fermement ma nuque que le bogoss envoie de longs traits chauds et épais dans ma bouche.
    Voilà le meilleur des jus, du bon jus de mâle brun.
    J’ai envie de lécher son gland à la recherche de la moindre trace de cette boisson divine, mais déjà le bogoss range le matos, il boutonne la braguette.
    Je me relève, je regarde son visage au front moite, les joues un brin rougies, la respiration rapide : c’est beau un mec qui vient de jouir, le physique et esprit encore secoués par l’écho de l’orgasme.
    C’est là que je réalise que regarder un bogoss, c’est un bonheur absolu qui se décline pourtant à plusieurs niveaux.
    Regarder un bogoss inconnu, et ressentir la sensation d’un tambour de machine à laver en phase d’essorage dans le ventre. Puis, petit à petit, l’apaisement.
    Regarder une bande de potes, ça fait un bien fou.
    Mais regarder le garçon que j’aime, à fortiori lorsqu’il vient de jouir, ça fait comme des popcorns qui explosent en rafale dans mon cœur. Et je ne connais pas bonheur plus intense.
    « Alors, le client est satisfait ? » se moque le p’tit con.
    « C’est le meilleur jus que je n’ai jamais goûté ! ».
    Je tente de lui faire un bisou dans le cou.
    « J’ai pas le temps ! » il se dégage, tout en prenant la peine de poser une caresse rapide sur mes cheveux.
    Le bogoss rouvre la porte de la cave, la referme derrière nous ; il traverse la remise, sort dans la petite cour et s’apprête à emprunter le couloir et à disparaître dans la brasserie.
    « Jérém, le café ! » je lui lance.
    « Ah oui ! » fait-il en faisant demi-tour.
    Pendant qu’il va chercher le café, je me planque dans l’entrebâillement de la porte des toilettes ; le bogoss arrive comme un fou, je bondis sur lui par surprise et je pose un bisou dans son cou.
    « Tu peux pas t’en empêcher, hein ? » fait-il, tout en traçant son chemin.
    « Non, vraiment pas… » je lui réponds du tac-au-tac, juste avant qu’il disparaisse dans la salle.
    J’attends quelques secondes et je sors à mon tour dans la salle ; mon bobrun est en terrasse ; je m’avance pour sortir dans la rue et je me retrouve face à face avec au sexy serveur.
    « A demain ! » je lui lance discrètement en me faisant violence pour ne pas lui sauter dessus et le couvrir de bisous devant tout le monde.
    « On verra… » fait-il avec sa réplique habituelle, pourtant accompagnée par ce sourire brun, incendiaire qui pour moi, comme toujours, vaut promesse de retrouvailles sensuelles pour le lendemain.
    Je quitte la brasserie sans pouvoir le quitter des yeux. Je n’ai jamais vu quelqu’un porter une chemise et une cravate de cette façon, avec cette aisance, cette sexytude, cette bogossitude.

    Le soir même, dans mon lit, sous ma couette, je repense à la distance parcourue depuis le premier jour du lycée. Ce jour-là, le premier regard échangé avec ce magnifique félin mâle, un regard animal et indomptable, sauvage et insaisissable, m’avait donné la définition exacte de ce que pour moi l’idée de « bobrun ténébreux » veut dire : un regard dégageant un côté « sombre », comme un mystère qui l’entoure, qui semble vouloir instaurer une distance ; une intention qui, paradoxalement, au lieu d’éloigner, m’avait attiré et fasciné.
    Par la suite, j’allais vite découvrir que, de la distance, le bogoss en gardait dans toutes ses relations, masculines et féminines, à une exception près : son pote Thibault, celui qui, je le découvrirai bien plus tard, semblait être le seul détenir une bonne partie du mode d’emploi du beau Jérémie.
    Dès le premier jour, j’avais été percuté par cet érotisme incandescent, palpable, qui semblait comme l’envelopper en permanence ; un érotisme conforté par sa réputation de sérial-baiseur, chaud de la queue mais froid et sans états d’âme dans ses relations avec les filles : des relations tout aussi nombreuses qu’éphémères, des pures relations de Q.
    Oui, Jérém semblait vouloir garder de la distance : une distance qu’il semblait imposer à fortiori à ceux qui n’étaient pas admis dans son périmètre de potes et de groupies.
    Pendant longtemps, ce périmètre m’a semblé totalement inaccessible : comment imaginer de rentrer ne serait-ce que dans le cercle fermé de ses amitiés, alors que nous n’avions à priori absolument rien en commun ? J’avais de bonnes notes, il avait des blâmes ; il aimait boire, je ne supportais pas l’alcool ; il aimait le rugby, j’aimais les rugbymen. Il aimait toutes les filles du lycée, je n’aimais que lui.
    Puis, juste avant le bac, il y a eu nos « révisions ». J’ai découvert alors un petit macho impulsif et un tantinet égoïste, habitué à toujours obtenir ce qu’il voulait, ni plus ni moins, au pieu comme dans la vie ; un petit con dont les envies sont à prendre ou à laisser, ne s’intéressant qu’à son propre plaisir : des attitudes que j’avais trouvés furieusement excitantes.
    Oui, Jérém était avec moi comme il avait toujours été : bon baiseur, mais froid et distant ; il l’avait été avec chacune des filles qu’il avait mis dans son lit, et il l’était à fortiori avec moi, un pd qui lui offrait un plaisir inattendu, l’obligeant à se regarder en face, le forçant à admettre des envies inavouables ; lui demandant sans cesse, directement ou indirectement, une tendresse pour laquelle il n’était pas prêt, à laquelle il ne voulait pas céder, par crainte de se perdre.
    Mon Jérém, le « feu » au lit, la « glace » dans la vie. Très bandant de se laisser dominer par ce p’tit mâle et par ses envies si claires, si puissantes : le plaisir est là, le corps jouit, et même bien au-delà de ce qu’il avait osé rêver ; cependant, dur dur de se contenter de ça quand le cœur bat très fort et réclame chaque jour avec un peu plus d’insistance sa part de bonheur.
    Pendant longtemps, j’ai été confronté à un p’tit con prêt à me mettre à la porte dès qu’il avait pris son pied. Cependant, j’ai toujours senti que sous son côté froid, fermé et insondable, derrière cette sexualité animale et implacable, semblait frémir une sensualité bouillonnante : comme de la lave en fusion dans les entrailles de la terre, prête à jaillir dès qu’elle en aurait l’occasion.
    Oui, j’ai toujours pensé que, dans la définition de ténébreux, il y a la notion de feu qui se cache sous la glace, un côté sensuel volcanique prêt à sauter à la gorge, comme un loup.
    De même, je savais que sous la glace de sa carapace, un cœur battait. Je savais que sous la glace de son armure il y avait un être sensible, un garçon à qui la vie n’a pas toujours fait de cadeau, un être blessé.
    Une sensibilité, la sienne, qui s’est manifestée parfois, brièvement, dans certaines occasions, comme ces rigoles de lave qui coulent parfois en Islande, terre de feu et de glace elle aussi, et qui disparaissent dans la mer, ou se font arrêter par la glace.
    Oui, par le passé, le volcan « Jérém » a grondé par moments, et il en est violemment jailli des caresses, des attitudes qui ont tout aussi vite disparu.
    Et elles ont refait surface cette semaine, plus intenses, plus puissantes que jamais : le feu tapi en lui a jailli à nouveau au travers des glaces épaisses de ses barrière mentales ; et le phénomène semble d’une envergure capable de transformer en profondeur et durablement le paysage « Jérém », ses attitudes, notre relation.
    J’ai l’impression de ressentir comme une sorte d’impérieux besoin de tendresse chez Jérém, comme l’expression d’une puissante nécessité, comme un besoin trop longtemps inassouvi, une envie trop souvent refoulée, un trop plein qui ne peut plus être contenu et qui doit s’exprimer.
    Tout n’est pas encore gagné, mais ça semble vraiment bien avancer. Je me dis que le jour où mon Jérém laissera sa sensualité exploser complément, sans bride, sans entraves, sans retenue, ce sera un véritable feu d’artifice, un truc insoutenable.
    En attendant, que de chemin parcouru, en si peu de temps, après que les choses aient autant patiné entre nous. Peut-être que finalement tout devait se passer ainsi.
    Mais désormais, sn me montrant enfin un peu de sa sensibilité, c’est un bonheur intense qu’il m’apporte ; quand je suis avec lui, je suis tellement heureux que j’ai envie de crier, de pleurer ; mon être tout entier connaît en sa présence le sens précis du mot « bonheur ».
    J’ai de plus en plus envie de lui dire à quel point je l’aime. Lui dire « Jérém, je t’aime » : couplet parfait, ça rime, ça sonne si bien, comme la plus douce des mélodies, comme une évidence.
    Lui dire « Jérém, je t’aime » : oui, mais à quel moment ? Dans le feu de l’excitation, avant nos ébats ? Sur l’oreiller, après cette jouissance des corps et des esprits qui sait rendre ces derniers plus réceptifs ou bien plus réfractaires ?
    Lui dire « Jérém, je t’aime » et après ? Attendre à qu’il me dise « je t’aime » en retour ? Je ne suis pas sûr qu’il en soit là dans sa tête, et surtout pas qu’il soit prêt à le formuler avec des mots si précis.
    Lui dire « je t’aime », et avoir son silence pour toute réponse : c’est ce qui me pend au nez, un grand moment de solitude que je n’ai pas envie d’affronter.
    Ou alors, le lui dire pile au moment de se quitter, juste avant qu’il passe la porte, comme une espèce de bouteille lancée à la mer, lui donnant le temps de « digérer » le message avant de se retrouver. Mais comment se retrouver, que vais-je ressentir s’il ne va pas aborder le sujet par lui-même par la suite ?
    Je ne veux surtout pas l’effaroucher en parlant sentiments. Pourtant, un jour, il va bien falloir apprivoiser le sujet : je m’attache de plus en plus à ce bel animal et j’ai besoin de savoir où nous allons, si nous allons pouvoir un jour nous demander d’être fidèles l’un envers l’autre. Le fait de l’avoir vu en terrasse de sa brasserie se faire mater par des filles, rigoler avec des filles, voilà qui réveille ma jalousie, qui me pousse à m’interroger sur cela.
    Non, tout n’est pas encore gagné, mais je suis confiant. Je pense que nous sommes en bon chemin. Je sais qu’il faut laisser le temps. Je me dis que quand la lave coule, même si elle refroidit, elle crée des avant-gardes, elle fait avancer les terres, petit à petit.
    En attendant, demain, lundi, mon bobrun va revenir me voir ; malgré son énième : « On verra… », je suis persuadé que le résultat sera le même que les autres fois. Son sourire était là, témoin du fait que, tout comme pour moi, lui aussi a été marqué par le bonheur sensuel hors normes des derniers jours.
    Est-ce qu’il aura coupé ses beaux poils ? Ou est-ce qu’il les aura gardés pour me faire plaisir ?
    Est-ce qu’il voulait vraiment me sucer, samedi, dans l’entrée ? Je ne le saurai jamais. Si seulement j’avais fermé la porte, j’en aurais le cœur net…
    Oui, je suis confiant. La glace va partir. Le feu va prendre le dessus. L’hiver est fini. Le printemps avance.
    L’été va venir.


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