•  
    Ce récit, bien qu’il se veuille réaliste, n’en demeure pas moins une fiction. En aucun cas les agissements des personnages ne doivent constituer un exemple de conduite. Tout rapport sexuel entre garçons doit être protégé, à moins d’avoir pleine confiance en l’autre. En aucun cas, on ne peut se contenter de déclarations de l’autre pour coucher sans protection. Y compris lorsqu’il s’agit de quelqu’un qu’on connaît, qu’on apprécie, qu’on aime.

    Dans la petite maison au pied de la montagne, le crépitement du feu se mélange aux doux claquements de nos baisers incessants.
    Je suis conscient que sommes tous les trois en train de nous engager dans une voie dangereuse. Car cet instant où tout est en train de basculer entre nous, me rappelle une autre nuit où tout a basculé. Et je me souviens des conséquences de cette fameuse nuit, de la gueule de bois qui nous attendait le matin suivant. Je ne veux surtout pas commettre les mêmes erreurs, notamment vis-à-vis de Thibault.
    Et pourtant, je continue d’embrasser les deux potes, sans pouvoir m’arrêter. Je sens que nous allons très bientôt passer le point de non-retour. A moins que nous l’ayons déjà passé…

    Jérém est le premier à se retirer de ce jeu délicieux. Thibault arrête à son tour de dispenser des bisous. Est-ce qu’ils regrettent déjà d’être allé trop loin ? Est-ce qu’ils se sont arrêtés juste à temps, avant que ce ne soit trop tard ? Est-ce que nos retrouvailles sensuelles vont s’arrêter là ?
    Je me retrouve dans les bras de mon bobrun, et je me sens un peu con. Mais, très vite, il recommence à poser des bisous dans mon cou, et son souffle sur ma peau m’apporte de nouveaux frissons. Des frissons qui montent en puissance, et de façon exponentielle, lorsque je sens un autre souffle sur ma peau, d’autres lèvres, d’autres bisous, dans mon cou, sur ma joue, sur mon oreille.
    Mon cœur s’emballe, et mon excitation avec.
    Evidemment, je pense à Ruben, évidemment je culpabilise. Evidemment, je pense à Thibault, et je ne sais pas si c’est une bonne idée de remettre ça.
    Et pourtant, je me laisse transporter par l’appel du bonheur qui semble s’annoncer.

    Les bras de Jérém enlacent mon torse, ses mains défont lentement ma braguette. Je suis dans un état d’excitation extrême. Le bobrun sort ma queue raide de mon boxer et commence à la branler. La douce pluie de baisers dans mon cou vient de cesser. J’entends dans mon dos les clapotis de lèvres qui se rencontrent, qui se séparent, et qui se cherchent encore.
    Je suis emporté par le plaisir que m’offre sa main, mais aussi par l’excitation de savoir les deux potes en train de s’embrasser. Je me laisse dériver dans ce bonheur.
    Dans ma tête, mille envies – et mille et un scenarii pour les assouvir – se bousculent. Et lorsque je réalise que l’autre main de Jérém est en train de branler la queue de Thibault, je sens émerger en moi un fantasme fou qui fait grimper mon ivresse à des sommets vertigineux. Tout cela m’approche dangereusement de l’orgasme.
    « Doucement, Jérém, je lâche, la voix cassée par l’émotion, en essayant de me retenir.
    —    Allons sur le lit » fait le bobrun, la voix basse.
    Puis, il se lève lentement, il traverse la petite pièce et se débarrasse de son t-shirt blanc. Dans la foulée, Thibault se libère de son débardeur. Les deux bas-reliefs sculptés que sont leurs torses respectifs, l’un comme l’autre délicieusement poilus, ne sont que deux variantes d’un bonheur viril divin. Jérém ouvre sa braguette, il envoie son jeans et son boxer dans le décor. Sa belle érection est une tentation gourmande. Thibault dévoile à son tour sa virilité au garde à vous, nouveau et irrésistible délice viril. Les deux potes s’installent côte à côte, s’embrassent fougueusement, se branlent mutuellement. C’est beau, et c’est furieusement excitant.
    Je m’approche d’eux et je caresse, j’embrasse leurs plastiques incroyables – épaules, biceps, pecs – débordé de désirs, sans savoir où donner de la tête en premier. Je m’attarde sur leurs tétons saillants, je les fais frissonner. Jérém prend ma bouche et m’embrasse, tout en me branlant avec son autre main. La main de Thibault me caresse, m’attire vers lui. Le jeune pompier m’embrasse à son tour, alors que Jérém me branle toujours.
    Je lance mes mains à la rencontre de leurs queues, à l’aveugle. Je les trouve sans effort. Je branle, les deux potes tout en les embrassant à tour de rôle. C’est terriblement bon.
    Mes lèvres se dérobent aux baisers pour s’occuper de leurs queues. Ma bouche s’affaire, ma main joue les jokers, mes lèvres et ma langue ne pouvant hélas se prévaloir du bonheur de l’ubiquité.
    Très vite, le fantasme qui m’a traversé l’esprit lorsque nous nous câlinions à côté de la cheminée revient me hanter. Il est fort, il est beau, il est extrêmement excitant. Et il est terriblement dangereux. Alors, bien que toutes mes fibres tirent sur mon esprit pour le pousser à lâcher prise, un dernier verrou en moi m’empêche de me lancer. Je n’ose pas. J’ai peur de remuer d’anciens malaises entre les deux potes fraîchement retrouvés, j’ai peur de tout gâcher. Je ne veux surtout pas ça.
    Alors, je tente de le chasser, en me plongeant dans le plaisir présent. Dans la petite maison au pied de la montagne, je pompe longuement les deux potes à tour de rôle, je les fais frissonner à l’unisson, comme la première fois dans l’appart de la rue de la Colombette. Les deux rugbymen, quant à eux, s’évertuent à me caresser là où ma peau est la plus sensible, en particulier au niveau de ma nuque et de mes tétons.
    Mais la montée d’excitation que cela provoque ne fait que me ramener Le fantasme sans cesse. Et alors que les deux potes ahanent de plaisir, pendant que chacune de mes mains les branle en parfaite synchronisation, je finis par leur lancer, le regard fixé sur leurs queues frémissantes :

    « Montrez-moi ce qui s’est passé entre vous la dernière fois… »

    Voilà, c’est sorti, d’un coup. Comme le jet de vapeur sort de la valve d’une cocotte-minute qui laisse s’échapper un trop plein de pression pour éviter l’explosion. Mais à l’instant même où ces mots sont sortis de ma bouche, je les ai regrettés. Le silence qui suit est lourd comme le plomb. Je sens mon cœur taper dans ma poitrine, dans ma gorge, dans ma tête. Je n’ose même pas les regarder.

    « Enfin… si ça vous dit… » je tente de rattraper le coup.

    Le silence se poursuit et mon malaise grandit encore. De toute façon, je ne peux plus faire marche arrière. Les, mots, comme autant de dés jetés à leur destin, ont été jetés. Inutile de cacher la main qui les a lancés. Alors, autant découvrir les faces qui sont sorties et en avoir le cœur net. Je décide d’affronter les regards des deux jeunes rugbymen. Je lève la tête, et je rencontre d’abord celui de Jérém. Il est un tantinet alcoolisé, fumé au tarpé, rempli de volupté et de lubricité, illuminé par un petit sourire canaille. Sa langue qui se glisse furtivement entre ses lèvres est d’un érotisme insoutenable.
    Quant au regard de Thibault, il est moins fier, moins exubérant, moins assuré que celui de son pote. Malgré l’alcool et le joint, il a l’air un brin désorienté, déstabilisé par ma sortie. Il ne semble pas vraiment à l’aise. Visiblement, ce qui s’est passé entre Jérém et lui est toujours quelque chose de sensible dans son esprit. Je le savais, j’ai tout gâché. J’ai encore perdu une magnifique occasion de la fermer.
    Jérém semble se rendre compté lui aussi du malaise de son pote. Il lui passe un bras sur l’épaule, lui caresse le cou avec sa main, doucement. Avec l’autre, il le branle à nouveau. Il lui fait des bisous dans le cou, et Thibault frissonne. Je croise le regard du jeune pompier. C’est un regard rempli à la fois d’ivresse sensuelle et d’incrédulité. Un regard dans lequel une petite étincelle aux nuances voluptueuses vient de s’allumer. Et de commencer à pétiller intensément.

    Mais avant, en ce dernier instant où je peux encore réfléchir, je tiens à mettre une nouvelle fois les choses au point. C’est dur à faire, mais c’est nécessaire.
    « Cet été j’ai eu quelques aventures, mais n’ai pas pris de gros risques, je commence.
    —    Moi j’ai passé tout un tas d’analyses il y a un mois avant d’entrer au Stade et j’étais clean explique Jérém.
    —    Moi j’ai pas eu d’aventure, alors j’imagine que je suis clean ! »
    Voilà ce qu’inconsciemment je m’attends à entendre Thibault dire. Au lieu de quoi, je l’entends nous glisser :
    « Moi aussi je me suis toujours protégé. Et puis on nous fait faire des analyses tout le temps dans l’équipe.
    —    Avec des nanas ? le questionne Jérém sans détours, en ignorant sa dernière phrase.
    —    Non, pas de nanas… »

    Ah, ça c’est une nouvelle ! Thibault que j’avais laissé il y a six mois en plein doute, aurait finalement osé franchir le pas vers les garçons. Mais avec qui ? Dans quelles circonstances ? Je ne vois pas Thibault avoir des aventures. J’avoue que j’aimerais bien savoir…

    C’est idiot, mais le fait de découvrir que ton pote Thib a eu des aventures te laisse interloqué, Jérémie. Tu te dis que c’est bien qu’il ait réussi à tourner la page des sentiments qui l’attiraient vers toi. Et pourtant, tu ressens au fond de toi un étrange mélange de sentiments, entre le soulagement et une déception qui ressemble bien à une nuance de jalousie.

    Puis, tout s’emballe.
    Thibault se penche sur la queue de Jérém et entreprend de la sucer. Je ne perds pas une miette de ce délicieux spectacle, mon beau brun en train de se faire tailler une pipe par son meilleur pote. Je ne peux décoller mon regard de ce corps qui exprime son plaisir, de ce torse qui se bombe, qui vibre sous les frissons incessants, de sa tête qui se lève, le visage qui vise le plafond, les paupières qui tombent, la bouche qui s’entrouvre, la respiration qui s’accélère, l’excitation qui grimpe, le souffle qui devient bruyant et chargé de plaisir.
    Je ne perds pas une miette non plus du magnifique tableau offert par cet autre torse, cet autre cou, cet autre garçon, encore plus solide, encore plus bâti, qui s’affaire à prodiguer à son pote les caresses qui font du bien.
    Le jeune papa pompe son meilleur pote avec une fougue, un entrain dans lequel j’ai l’impression de voir se libérer, s’évaporer enfin des années de frustration, des années passées à refouler ses sentiments et ses désirs, ainsi que de longs mois de remords, après cette nuit qui a failli avoir raison de leur amitié.
    Je regarde l’adorable Thibault en train de se faire plaisir en donnant du plaisir à son Jéjé. C’est beau d’assister à ces retrouvailles sensuelles qui viennent sceller les retrouvailles amicales entre les deux potes. Thibault se sent en confiance, et se laisse aller pleinement à ce bonheur, sans craintes, sans peurs, l’esprit libre. C’est magnifique.
    Je m’installe à côté de Jérém et ce dernier m’embrasse illico, avec une animalité inédite. Et le fait de savoir d’où vient l’excitation qui provoque cette ardeur ne fait que décupler la mienne. J’ai envie de contribuer à leur plaisir. Alors, je lèche, je suce les tétons, je tâte, je caresse les épaules, les cous, les pecs, ceux de Jérém, ceux de Thibault. J’ai très envie de faire l’amour avec Jérém. Mais j’ai également très envie de toucher la nudité du jeune pompier, de goûter à sa virilité. Depuis le temps que nos désirs se frôlent sans oser se déclarer !

    Si c’est déjà fabuleusement beau de voir Thibault sucer Jérém, c’est encore plus incroyable de voir le beau demi de mêlée s’allonger sur le ventre et écarter ses cuisses musclées pour s’offrir au bel ailier brun.
    Jérém se glisse alors sur lui. Ses mouvements sont lents, doux. Il passe ses bras sous le torse de son pote et le serre très fort contre lui. Il pose des bisous dans son cou, intenses, fébriles. Son bassin produit de légères ondulations, sa queue raide caresse lentement la raie de son pote. Ce dernier frémit d’excitation.
    Jérém se relève, crache sur ses doigts, les envoie entre les fesses de Thibault préparer ce nouveau câlin que ce dernier lui réclame et qu’il est heureux de pouvoir lui offrir. Puis, il essaie de se laisser glisser entre les fesses de Thibault, mais ce dernier semble accuser une certaine souffrance. Il se retire, sans attendre.
    « Désolé, ça fait longtemps…
    —    T’inquiète…
    —    Je n’ai pas recommencé ça depuis… » finit par lâcher Thibault.

    Jérém crache une nouvelle fois sur ses doigts et revient caresser, détendre, plus longuement, plus doucement. Quelques instants plus tard, il réussit enfin à se glisser dans l’intimité du jeune pompier et le pilonne sous mon regard aimanté.

    J’ai maintenant la réponse aux questionnements demeurés sans réponse depuis plus d’un an, depuis que Thibault m’avait parlé de ce qui s’était passé entre Jérém et lui, dans la cafétéria de l’hôpital de Purpan, alors que mon bobrun était dans un état grave suite à une bagarre. Je me doutais que ça s’était passé de cette façon, entre eux, lors de cette fameuse nuit.
    Et si sur le coup la jalousie m’avait poignardé dans le dos sans pitié, voilà que très vite, l’idée que Jérém ait pu faire l’amour à Thibault m’avait parue non seulement très probable, mais aussi et surtout très excitante. Mais entre le fait d’imaginer la scène, et celui de savoir qu’elle s’est réellement produite, et encore plus la voir se répliquer sous mes propres yeux, le bonheur sensuel n’est pas du tout le même.
    Jérém coulisse entre les fesses du jeune papa prenant appui tour à tour sur ses épaules, sur ses hanches, sur ses cuisses. C’est beau à se damner.
    Je croise son regard, assommé de plaisir. Dans la fixité de ce regard, je vois qu’il kiffe que je le mate en train de prendre son pied avec un autre gars. Ça a toujours été le cas dans chacun de nos plans à trois, mais ça ne l’a jamais été aussi intensément qu’aujourd’hui. Parce que Thibault, c’est Thibault. Il l’est pour Jérém, et il l’est pour moi aussi. Thibault n’est pas un amant d’une nuit. Thibault est quelqu’un de spécial, pour lui, et pour moi. Je sais que Jérém ressent plus que de l’attirance pour Thibault et il sait qu’il en est de même pour moi. Ce n’est pas vraiment de l’amour, mais ce n’est pas que de l’amitié. C’est un sentiment complexe où se mêlent l’attirance, le désir, la bienveillance, la complicité, l’affection, l’intimité. Bromance.
    C’est tellement beau de voir deux si beaux garçons se faire du bien ! Et ce qui est sublime par-dessus tout, c’est cette harmonie des corps et des envies, ce plaisir partagé, sans domination, sans réticences, en parfaite bienveillance. Les deux potes sont en train de faire l’amour, il n’y a pas d’autre mot.
    Je pourrais être jaloux, mais je ne le suis pas. Je me sens à l’aise. Je sais que ce bon moment que nous sommes en train de nous offrir est une expérience qui fera du bien à chacun, sans qu’il y ait de conséquences fâcheuses comme ça a été le cas la première fois.
    Parce qu’il n’y a plus de non-dits entre nous, plus de faux semblants, plus d’inquiétudes. Parce que Thibault a pu exprimer ce qu’il ressent, et aller de l’avant. Parce que Jérém assume enfin sa sexualité. Parce que j’ai confiance en Jérém et Thibault. Et parce que je sais que si j’aime énormément Thibault, et qu’accessoirement il me fait sacrément envie, la place que Jérém occupe dans mon cœur, personne d’autre n’est près de la prendre. Même pas Ruben.
    D’ailleurs, c’est à lui que je pense, pendant un instant, alors que je caresse sans discontinuer les deux rugbymen emboîtés pour le plaisir, tout en regardant Jérém glisser inexorablement dans la pente qui va l’amener à celui qui promet d’être un très bel orgasme.

    Puis, tout s’arrête d’un coup. Mon bobrun s’immobilise, il gonfle ses pecs et prend une longue inspiration. Il se déboîte lentement de son pote. Ses mains saisissent ses hanches, l’invitent à changer de position. Thibault se retourne, et cherche son regard. Il le rencontre, et ne le quitte plus.
    Jérém saisit les cuisses de son pote, les soulève, et se laisse une nouvelle fois glisser en lui. Thibault accuse cette nouvelle pénétration avec un frémissement de bonheur. Jérém, le beau mâle à la plastique toute en muscles, à la toison brune et aux tatouages bien virils, à la peau mate et moite de transpiration, envoie à nouveau de bons coups de reins entre les superbes cuisses de son pote, tout en prenant appui tour à tour sur ses hanches aux plis fabuleusement saillants, sur ses biceps puissants, sur ses pecs sculptés et délicatement velus.
    Je suis aimanté par cette chaînette qui oscille lentement au gré de ses va-et-vient, miroir des foulées du dernier galop vers l’orgasme. Je suis assommé par la façon dont leurs regards sont verrouillés l’un sur l’autre, par les étincelles qui se dégagent de ce contact.
    J’ai envie d’apporter une dernière touche à ce tableau de maître. Je me glisse derrière Jérém, je passe mes bras de part et d’autre de son torse, je caresse ses tétons. Je le sens frissonner intensément.
    Mais cela ne dure pas longtemps. Jérém arrête à nouveau ses coups de reins, et me lance sèchement :
    « Arrête, Nico !...S’il te plaît… » il se corrige, sur un ton plus doux.
    Je retire mes mains et je le regarde. Je le vois fermer ses yeux, expirer lentement et bruyamment. Je sais ce que cela signifie, je sais ce que cela annonce.
    « Ça va ? le questionne Thibault à voix basse.
    —    Oh, oui ! fait le beau brun, en s’essuyant le front avec le revers de la main. Mais si je continue…Je vais jouir… » il lâche, après un court instant d’hésitation, tout en nous regardant, à tour de rôle, Thibault et moi.
    Jérém me regarde, et Thibaut aussi, comme si l’un et l’autre cherchaient la même chose dans mon regard, mon aval à l’accomplissement de ce bon câlin entre potes. Je suis touché par leur attitude. Mais bien évidemment, je ne pourrais jamais les priver de cela, je ne pourrais jamais empêcher ce fabuleux feu d’artifice de se produire. J’amorce un léger sourire et je leur fais un signe de la tête pour leur montrer que tout va bien pour moi. Et pour préciser encore ma pensée, je finis par lâcher :
    « Faites-vous plaisir, les gars !
    —    Fais toi plaisir, Jé… » j’entends l’ancien mécano glisser à son pote.

    Les mains à plat sur les pecs de Thibault pour donner plus d’amplitude à ses va-et-vient, mon beau brun augmente progressivement la cadence et la puissance de ses assauts virils. Très vite, son corps superbement musclé se tend vers le point de non-retour.
    Voir sa belle petite gueule traversée par le frisson ultime, voir tout son être secoué par l’onde de choc de l’orgasme, voilà qui est toujours un spectacle magnifique, même lorsque sa jouissance ne vient pas de moi, ni en moi. Et savoir qu’il est en train de jouir entre les fesses de son meilleur pote, ce pote qui en même temps caresse fébrilement ses tétons pour décupler son plaisir, c’est une expérience incroyable et magique.

    Jérém s’affale sur son pote, le visage enfoui dans le creux de son épaule. Thibault glisse ses bras puissants autour de son torse et le serre très fort contre lui. Il enfonce ses doigts dans ses cheveux bruns, l’embrasse dans le cou, fébrilement.
    Les deux potes demeurent ainsi, emboîtés et enlacés, pendant un petit moment. Lorsque Jérém se relève, il embrasse le jeune stadiste toulousain. Puis, sans se retirer de lui, il se met à le branler.
    Je trouve cela à la fois beau et frustrant. Terriblement frustrant. Intolérablement frustrant. Mille envies se bousculent dans ma tête, mille façons de prendre et de dispenser le plaisir dont cette main va se charger et, de ce fait, me priver. Même si ça part d’un bon sentiment de la part de Jérém, celui de renvoyer l’ascenseur à celui qui lui a tant offert de plaisir, je ne peux pas laisser faire ça.
    « Attends ! » je m’entends lui lancer.
    Jérém stoppe ses caresses, et me regarde.
    « Attends, je répète. Laisse-moi faire » je précise.

    Jérém se retire de son pote. Il m’embrasse, il passe une main sur mon épaule, et me sourit. Je sais qu’il a compris ce dont j’ai envie. Et je sais que l’idée lui plaît bien. Ah, putain, qu’est-ce que beau de sentir cette parfaite complicité entre nous trois, cette nuit !
    Un instant plus tard, je me glisse entre les cuisses musclées du beau demi de mêlée, et je retrouve avec bonheur le beau gabarit et la douceur de son bel engin. Je le pompe lentement, très lentement. Mais, assez vite, ma bouche dérive. Ma main prend le relais, l’enserre bien au chaud, la caresse très doucement. J’ai envie de faire retomber son envie pressante de jouir à son tour. Je descends lécher ses boules bien rebondies, bien pleines. Et je descends encore, encore, encore. L’excitation a raison de mes réticences les unes après les autres. Ma bouche est irrépressiblement attirée par sa rondelle, par ce trou dans lequel mon Jérém vient de jouir longuement. En glissant ma langue entre les fesses de Thibault, je rencontre le ravissement de faire vibrer le jeune stadiste toulousain d’une façon inattendue, de sentir toutes les fibres de son corps se tendre, et ses poumons lâcher de longs et sonores souffles de bonheur. Mais aussi celui de retrouver l’odeur prégnante et le goût intense du jus de Jérém. Je me plonge avec délectation dans ce bonheur olfactif et gustatif, comme assommé par une drogue puissante.
    Je bande comme un âne, j’ai envie de faire l’amour. Le premier garçon avec qui je vais faire l’amour cette nuit, ce sera Thibault. Oui, depuis le temps que nos désirs se frôlent sans oser se concrétiser, ça fait un bien fou de pouvoir se laisser aller enfin. C’est ce à quoi je pense en me mettant à cheval sur Thibault, en me laissant glisser sur son manche raide, lorsque je me laisse envahir par sa virilité.
    Je monte et je descends lentement, tout en prenant appui avec mes mains à l’arrière pour seconder mon effort. Thibault semble bien apprécier. Et, en même temps, il a toujours autant envie de me faire plaisir. Il ne cesse de caresser mes tétons, et son doigté est toujours si magistral. Je regarde Jérém en train de fumer à côté de la cheminée. Il nous mate fixement, tout en se caressant. Il n’a pas débandé d’un iota depuis qu’il s’est retiré de son pote.
    Puis, à un moment, mon bel amant veut changer de position. Je me laisse faire, et je me retrouve sur le dos, divinement tringlé par ce jeune mâle puissant. Sa beauté est aveuglante, sa virilité débordante. Thibault est un merveilleux amant, à la fois puissant, doux et inventif. Sa façon de chercher sans cesse le contact avec mon corps, que ce soit avec ses mains, ou bien en s’allongeant sur moi et en me couvrant de bisous, sa façon de me caresser tout en me faisant sentir bien à lui, ses attitudes à la fois bien viriles et extrêmement douces donnent une intensité particulière à ces instants de partage de plaisir.
    Ça me brûle de rendre hommage à cette beauté, à cette virilité. Ça me brûle de lui montrer à quel point le plaisir qu’il m’offre est intense. Je caresse, j’agace ses tétons, je seconde les va-et-vient de ses coups de reins, je veux le rendre fou. Mais ce sont ses biceps qui aimantent mes doigts. Ils sont tellement puissants, ces biceps. Je ne peux me résoudre à les quitter.

    Thibault prend son pied, j’en tiens pour preuve la montée en puissance de ses ahanements. Quant à Jérém, toujours assis à côté de la cheminée en train de fumer et de se branler, tous pecs, abdos, tatouages, peau mate dehors, sa chaînette de mec brillant au reflet des flammes, il est vraiment bandant.
    J’ai envie de faire l’amour avec Thibault, mais j’ai tout autant envie de faire jouir mon beau brun. Quand je le vois en train d’astiquer son manche, je me dis qu’il va peut-être se faire jouir tout seul. Il en serait capable, le coquin, comme cet après-midi en voiture au retour du Pont d’Espagne ! Et ce serait vraiment un beau gâchis !
    Je voudrais tellement lui offrir du plaisir en même temps que j’en offre à son pote ! J’ai envie de lui dire de nous rejoindre, mais je ne le fais pas. Au fond de moi je me dis que je suis déjà en train de lui offrir du plaisir, en réalisant son fantasme de me regarder en train de faire l’amour avec son pote. Et mon bonheur sensuel se trouve décuplé par son regard insistant et concupiscent.

    Mais le bobrun a une autre idée en tête. Après avoir jeté sa cigarette dans le feu, et alors que son pote continue de me pilonner, il vient présenter sa queue devant mon nez. C’est exactement à ça que je pensais. L’odeur intense de sa jouissance récente me rend dingue.
    Je laisse son manche raide se glisser entre mes lèvres et coulisser lentement entre celles-ci. Et je laisse les deux potes aller au bout de cette envie qu’ils avaient ressentie la première fois que nous avions couché ensemble, la première fois où je m’étais retrouvé dans cette position, dans cette configuration, envahi par leurs deux virilités bouillonnantes. Je les regarde se pencher l’un vers l’autre, je vois leurs visages s’approcher, leurs lèvres se rencontrer. Je les regarde s’embrasser. Je regarde Jérém agacer les tétons de Thibault. C’est terriblement excitant. D’autant plus que ce dernier s’étant pas mal penché vers son pote, ses abdos frôlent régulièrement et dangereusement mon frein.
    Puis, une nouvelle fois, cette mécanique du plaisir s’arrête d’un coup. Thibault, en nage, la respiration bruyante, finit par lâcher :
    « Je vais pas tarder à venir… il nous prévient, il nous regarde, Jérém et moi. Je peux encore sortir, si tu veux » il enchaîne.
    Pour toute réponse, Jérém recommence à caresser ses tétons. Thibault accuse ce nouveau contact par d’intenses frissons. J’interprète ce nouveau contact comme un aval, un encouragement tacite.
    « Fais-toi plaisir » je lui glisse alors.
    Le jeune pompier y va avec une nouvelle fougue, celle qui n’a plus d’entraves, lancé à toute vitesse vers une jouissance désormais très proche. Et, très vite, il perd pied.
    Je me délecte de sa façon d’appréhender l’onde de choc de l’orgasme, avec de longs soupirs, le corps traversé par des spasmes répétés. Ah, putain, qu’est-ce que c'est beau de voir le jeune papa vibrer de plaisir en jouissant en moi !

    Thibault me branle pour me finir. Je sais que je ne vais pas tarder à venir. Et pile au moment où je sens mon excitation s’envoler vers des sommets extrêmes, j’entends Jérém souffler, tout en posant sa main sur l’épaule moite de Thibault :
    « Attends ! »
    Je suis terriblement frustré, car j’étais vraiment à deux doigts de jouir. Mais en même temps, je crois savoir ce que Jérém a en tête, et rien ne pourrait me rendre plus heureux à cet instant que la manifestation de cette envie soudaine. Ainsi, je me réjouis d’être encore en pleine excitation pour pouvoir l’apprécier pleinement.

    Jérém vient en moi, il glisse en moi comme dans du beurre, il trempe sa queue dans le jus que son pote vient de lâcher en moi. Il me remue avec ses gros bras, et il me pilonne avec une ardeur intense. Ses va-et-vient ont quelque chose de sauvage, d’animal. Quant aux ondulations de son torse, ça me donne le tournis tellement c’est beau et sensuel. Je suis happé par les ondulations de sa chaînette, les mêmes que j’avais observées un peu plus tôt, alors qu’il était en train de limer son pote. Ça me rend dingue. Je caresse et j’agace ses tétons, je veux le rendre dingue, lui aussi. Mais, là aussi, ce sont ses biceps qui aimantent mes doigts, tout comme ceux de Thibault. Ils sont tellement puissants, ces biceps. Comme ceux de Thibault.
    Et c’est une magnifique perspective de biceps, de pecs, d’épaules solides, de proximité sensuelle entre potes qui se présente à mon regard lorsque Thibault vient se placer derrière mon beau brun, lorsqu’il glisse ses mains sous ses aisselles pour atteindre ses tétons. Jérém sursaute de plaisir. Quelques coups de reins encore, et il mélange son jus à celui de son pote, en moi.
    Ah, putain, qu’est-ce que ça m’a manqué, en dépit de ce que j’ai affirmé à Ruben pendant des semaines, de me sentit bien possédé par un mec viril ! Avec deux tels mâles je redeviens complètement passif et heureux.

    La tempête des sens passée, le bobrun s’allonge sur moi. Il m’embrasse, tout en continuant d’envoyer de petits coups de reins, qui ont pour effet de provoquer des petits frottements de ses abdos contre mon frein. Un contact bien suffisant, dans l’état d’excitation qui est le mien à cet instant précis, pour me faire lâcher de nombreuses giclées sur nos abdos.

    Le jus de deux magnifiques rugbymen en moi, l’écho de leurs assauts virils, de la vibration de leurs orgasmes – et du mien, particulièrement intense – retentissant toujours dans ma chair, je récupère pendant quelques instants.
    Les deux potes se rejoignent au pied de la cheminée. Jérém fume une clope, Thibault avale quelques gorgées de bière. Je les rejoins, je me glisse entre eux. Installé entre les deux superbes jeunes mâles, entouré par leurs muscles, par leurs virilités, je suis très vite enivré par les parfums de déo et de gel douche qui se dégagent de leurs corps. Mais également par d’autres petites odeurs plus naturelles, plus masculines, et tout aussi délicieuses. Celles de leurs transpirations, et celles de leur jouissance.
    Entouré par tant de mâlitude, je ne peux résister au besoin profond de chercher un contact encore plus étroit. Je passe mes bras autour de leurs épaules puissantes, je pose mes mains sur leurs biceps. Ils sont tellement rebondis que je ne peux les enserrer, je peux juste les tâter. Et ça me rend dingue. Vraiment, les biceps, c’est probablement le détail de l’anatomie masculine qui me fait le plus d’effet.
    Nous échangeons des bisous, des caresses, nous laissons nos mains et nos lèvres se promener au gré de leurs envies. Nous les laissons nous faire du bien. Nous nous autorisons à nous faire du bien, à volonté, sans nous prendre la tête.

    Tous les trois nus devant la cheminée, nous partageons des discussions diverses, des rires complices. Je suis tellement heureux que notre belle entente demeure intacte après ce qui vient de se passer. Je pense qu’elle le demeure justement parce que ce n’était pas que du sexe. C’était de l’amour, de l’amour que nous avons partagé à trois, sans peurs, sans craintes, en toute confiance.
    Bien évidemment, je ne peux m’empêcher de comparer cette nuit avec celle que nous avions passée ensemble l’an dernier dans l’appart de la rue de la Colombette. Cette nuit, plus de jalousie, plus d’égo mal placé de la part de Jérém, plus de brutalité. Plus de besoin de montrer à Thibault que je n’étais qu’un plan cul parmi d’autres. Cette nuit, Jérém ne cache plus ses sentiments pour moi.
    Cette nuit me fait aussi penser à celle que nous avons partagée avec Jonas il y a quelques mois. Elle lui ressemble, mais elle a quelque chose en plus. Et ce plus, c’est le fait que cet adorable Thib, nous l’aimons vraiment beaucoup, Jérém et moi. Jérém n’a pas caché son désir et ses sentiments à son égard, tout comme il ne m’a pas empêché de montrer les miens, sans pour autant se montrer jaloux.
    Nous vivons une nuit de plaisir et de tendresse, une nuit de désirs assumés et de confiance. Et c’est ça qui en a fait, jusqu’à cet instant, toute la beauté. Mais ce que j’ignore encore, c’est que cette nuit va être également une nuit de confidences.

    « Alors, t’a couché avec des gars ? » j’entends Jérém demander à Thibault.
    De toute évidence, cette « bombe » lâchée par Thibault juste avant notre câlin l’intrigue autant qu’elle m’intrigue. Mais à la différence de moi, Jérém ose demander, et sans y aller par quatre chemins.
    « Oui… deux gars, en fait.
    —    Et tu les as levés dans les bars ?
    —    La première fois c’était dans ta rue…
    —    A la Ciguë ?
    —    Oui, c’est ça.
    —    Un plan cul ?
    —    On va dire…
    —    Et l’autre ?
    —    Tu vas rire… c’est un gars que j’ai croisé en pédiatrie. C’est un médecin.
    —    Plan cul aussi ?
    —    Non, c’était autre chose. Ce gars est très sympa…
    —    Vous vous êtes revus ?
    —    Quelques fois…
    —    Il s’appelle comment ?
    —    Paul.
    —    Et il a quel âge ?
    —    29.
    —    C’est sérieux entre vous ?
    —    D’une certaine façon, oui.
    —    Vous allez vous revoir ?
    —    C’est pas simple, parce qu’il travaille beaucoup. Et moi, entre le rugby et Lucas, je n’ai pas vraiment le temps non plus. Mais on essaie. On ne s’est rien promis, on profite à fond du temps que nous passons ensemble.
    —    Fais gaffe quand même…
    —    Faire gaffe à quoi ?
    —    Si on vous voit ensemble, les rumeurs peuvent vite circuler…
    —    On n’a pas écrit "pédé" sur le front ! se marre le demi de mêlée.
    —    Oui, mais les gens bavent, et ça peut vite foutre le bordel. Je le dis pour toi, Thib, je ne veux pas que tu aies des emmerdes.
    —    Oui, Papa !
    —    Tu as su quand que tu aimais les mecs ? enchaîne Jérém, le regard dans le vide, après avoir posée sa bouteille de bière désormais vide sur le plan de la cheminée.
    —    Je pense que je l’ai su en même temps que toi. Je ne sais pas si tu t’en souviens de cette nuit. On avait 13 ans, on était dans une tente, en camping…
    —    Avec tes parents, à Gruissan, complète Jérém.
    —    Je croyais que tu avais oublié tout ça.
    —    Comment veux-tu que j’aie oublié ?
    —    Nous n’en avons jamais reparlé.
    —    Je sais…
    —    Cette nuit-là, j’ai su que j’avais envie de toi. Mais aussi que j’étais amoureux de toi.
    —    C’est pour ça que j’ai fait comme s’il ne s’était rien passé. Déjà, je n’assumais pas d’avoir pris mon pied avec un autre mec. Et en plus, c’était avec toi. Et en plus tu avais des sentiments. Ça m’a fait peur. Je ne voulais pas être "pédé". Je ne voulais pas gâcher notre amitié.
    —    Moi non plus je ne voulais pas mettre notre amitié en danger. Et comme tu n’en as jamais reparlé, j’ai fait comme toi, j’ai fait comme si ça ne s’était jamais passé. J’ai mis ça sur le compte des bières de cette nuit-là. Mais en vrai, je n’ai jamais arrêté d’y penser.
    —    Même quand nous avons commencé à coucher avec les nanas ?
    —    C’est surtout toi qui couchais avec des nanas. Et pendant un temps, je me suis dit que ce qui s’était passé entre nous ce n’était qu’une bêtise, et que tu étais vraiment hétéro. J’ai essayé de me convaincre que je l’étais aussi.
    —    Si j’ai couché avec autant de nanas, c’était pour essayer d’oublier que certains gars me faisaient de l’effet, et toi en premier. J’avais honte d’être comme ça.
    —    Cette nuit n’a jamais cessé de me hanter. Et encore plus, quand j’ai su pour toi…
    —    Et tu as su quand, au juste ?
    —    Tu te souviens, il y a deux ans, quand nous sommes partis à Gruissan pour fêter ton permis ?
    —    Oui, très bien…
    —    Une nuit, je t’ai vu avec ce gars dans le chalet…
    —    Ah ! Mais tu ne m’en as jamais parlé !
    —    Et ça aurait servi à quoi ? A part à te mettre en rogne et à foutre le bordel entre nous ? Nos potes n’auraient pas compris qu’on se fâche pendant les vacances.
    —    Alors t’as gardé ça pour toi, mon Thib…
    —    Oui…
    —    C’était ma première fois, admet Jérém.
    —    Je m’en doutais.
    —    Ça a dû être dur pour toi d’assister à ça, alors que tu étais à fond sur moi.
    —    Ça l’a été, oui.
    —    J’aurais dû être plus discret.
    —    Tu as fait ce que tu as pu, considère Thibault, tout en passant doucement les doigts dans les cheveux de son pote.
    —    Et puis Nico est arrivé, poursuit l’adorable pompier.
    —    Et puis Nico est arrivé, oui, confirme Jérém.
    —    Il a bien foutu le bordel, ce petit Nico, il enchaîne, tout en posant un bisou sur ma joue et passant sa main dans mon dos.
    —    Plains-toi ! je le cherche.
    —    J’étais vraiment content pour vous, fait Thibault. Mais pour moi, ça a été encore plus dur. Parce qu’avec Nico, c’était diffèrent, hein ?
    —    Oui, c’est vrai, finit par admettre mon bobrun. Très différent.
    —    Je l’ai su dès la première fois où je vous ai vus ensemble » conclut le jeune pompier.

    En réalité, je n’apprends par grand-chose au sujet de la vie sexuelle et sentimentale de Jérém avant que nous devenions « Jérém et Nico », car je suis au courant de la plupart de ces évènements par la bouche de Jérém lui-même. Il n’empêche que cette évocation pique un peu dans mes oreilles et dans ma tête. C’est idiot d’être jaloux du passé, mais je ne peux pas m’en empêcher. Mais dans ces souvenirs-confessions entre potes, je découvre également le vécu de Thibault, et c’est beau et émouvant. Et je redécouvre également la place particulière que j’ai dans le cœur et la vie de Jérém.
    « Parce qu’avec Nico, c’était diffèrent ». Thibault l’avait remarqué. Jérém l’a confirmé. Et ça me touche immensément. Et ma jalousie s’évapore au soleil rayonnant de ce moment de bonheur.

    « Pourtant, j’ai tout fait pour te faire penser le contraire, fait Jérém, jusqu’à t’entraîner à coucher avec nous pour te montrer que ce n’était qu’un plan cul !
    —    Je pense que c’est surtout à toi que tu voulais montrer ça.
    —    Certainement…
    —    Cette nuit-là j’ai vu avec mes propres yeux que Nico avait pris la place que je n’aurais jamais dans ta vie. Il me fallait cet électrochoc pour m’aider à tourner la page.
    —    Après mon expulsion, je n’aurais pas dû venir m’installer chez toi.
    —    Et pourquoi pas ?
    —    Si je n’étais pas venu, ça aurait été plus simple pour toi.
    —    T’étais en galère, je n’allais pas rester les bras croisés sans rien faire !
    —    T’es un véritable pote, Thib ! Je suis vraiment désolé pour ce qui s’est passé. Et je m’en veux surtout d’être parti comme un voleur, comme un con.
    —    Tu n’as pas à être désolé pour ce qui s’est passé, j’en avais autant envie que toi. Je savais que c’était probablement la seule fois que ça arriverait. Je savais que tu étais amoureux de Nico et que vous vous retrouveriez. Ce qui m’a fait le plus mal, c’est que tu te barres après, comme si tu étais dégouté par ce qui venait de se passer entre nous.
    —    Mais non, mais non, je n’étais pas dégouté. C’est juste que je n’ai pas assumé. Je savais que tu étais toujours à fond sur moi, et j’avais tellement peur que tu penses que j’avais profité de toi. J’avais peur de t’avoir fait du mal et que tu ne me le pardonnes jamais.
    —    Je crois que ce qui s’est passé était une façon de nous dire au revoir, considère Thibault. Après cette nuit, j’ai su que j’avais vraiment besoin de prendre de la distance pendant un certain temps.
    —    Mais après ton départ de mon appart, il continue, j’étais inquiet de te savoir seul avec ton mal-être, et de ne plus rien pouvoir faire pour t’aider. J’ai demandé à Nico de veiller sur toi. Quand j’ai su pour ton accident, j’ai cru que j’allais crever, tellement j’avais mal.
    —    Tu es vraiment incroyable, Thib.
    —    Et maintenant, je crois que je suis prêt à renouer avec notre amitié et à te voir aimer Nico, explique le jeune pompier. J’ai avancé dans ma vie, et la vie m’a même devancé. Je ne m’attendais pas à être papa, et surtout pas si tôt. Ça a changé pas mal de choses dans ma tête.
    —    Tu n’es plus amoureux de moi ? fait Jérém, avec un sourire béat.
    —    Je t’aimerais toujours, Mr Tommasi, toujours. Mais je sais que ce ne sera pas toi mon prince charmant. Tu seras toujours quelqu’un de très spécial pour moi. Parce que tu es mon meilleur pote. Et tu le resteras toujours, quoi qu’il arrive. Et aussi parce que tu as été le premier gars dont je suis tombé amoureux.
    —    Moi aussi, je t’aimerai toujours, Thib ! »

    Les deux potes se prennent dans les bras et se serrent très fort l’un contre l’autre.

    « Si on m’avait dit, il y a encore un an, que nous aurions ce genre de conversation, considère Jérém, et que nous finirions tous les deux pédés, je me serais énervé. Trèèèèèèèèèèès énervé, même !
    —    Il faut un temps pour tout. Un temps pour savoir qui on est. Un temps pour assumer qui on est. Un temps pour apprivoiser les obstacles et la pression. Un autre encore pour nous pardonner du fait de ne pas être ceux que nous voudrions être. Et un dernier, le plus important de tous, pour nous dire que nous sommes très bien tels que nous sommes.
    —    Ta sagesse m’a toujours sonné » fait Jérém, visiblement admiratif.

    Ce que vient de dire Thibault est vraiment beau. Mais une note dissonante vient aussitôt se glisser dans la parfaite symphonie de ces mots.

    « T’imagine ce qui se passerait si nos coéquipiers, nos staffs ou nos supporters nous entendaient discuter en ce moment ? lâche Jérém, le regard perdu quelque part dans le feu de la cheminée. Ou pire, s’ils savaient ce qu'on vient de faire ? Ce serait fini pour nous. On serait morts !
    —    Il ne faut pas penser à ça ! réagit Thibault.
    —    On se fait du bien et on ne fait de mal à personne, j’abonde dans son sens.
    —    Exactement ! s’exclame le jeune stadiste toulousain, et ça ne regarde que nous.
    —    Mais si ça se savait… insiste Jérém. Je n’arrête pas d’y penser et ça me mine.
    —    Je pense que tu te fais du mal pour rien, Jérém.
    —    Ne me dis pas que ça ne te fait rien quand tu entends "pédé" quand quelqu’un rate un passage, une réception, un essai, un point, ou je ne sais quoi d’autre ! Dans les vestiaires, les gars n’ont que ce mot à la bouche !
    —    Si, et ça me casse les couilles ! Parce que ce mot assimile les gars comme nous à une idée négative, à la faiblesse, à l’incapacité. Comme si être gay c’était être nul. Ça s’appelle de l’homophobie. Et cette homophobie banalisée est une violence infligée à tous les gars comme nous.
    —    Pour avoir la paix, il m’arrive de participer aux blagues de pédé et d’en rajouter…
    —    Moi je ne peux pas. Je n’ai pas encore le cran de recadrer ceux qui en font trop, parce que je suis encore trop nouveau dans l’équipe. Mais je ne peux pas seconder des insultes qui me visent, même indirectement.
    —    S’il n’y avait que les insultes ! lâche Jérém, sans vraiment prêter attention aux mots de son pote. J’ai entendu dire qu’il y a des mecs en ville qui montent des expéditions pour aller casser du pédé sur les lieux de drague ou à la sortie des boîtes gay ! »

    [En fait, tu as vu ça de tes propres yeux, un soir, où tu te promenais dans un bois parisien pour voir comment se passent les rencontres entre garçons dans ces endroits. Quatre gars avec des battes de baseball, des enculés de première, des minables, des lâches qui s’en sont pris à deux gars comme toi qui s’étaient rencontrés dans la pénombre. Et ça t’a bien refroidi d’y retourner].

    « C’est ahurissant qu’il y ait de tels cons. Ces gars ont été bercés trop près du mur, mais pas assez ! fait Thibault. C’est profondément injuste qu’on soit obligé de vivre cachés pour qu’on nous fiche la paix.
    —    C’est ce qui m’a détruit l’an dernier, explique Jérém. La peur et la honte. J’avais peur de me mettre tout le monde à dos. Je me suis senti seul. Je pensais tout le temps à ça. Ça me stressait. Ça me bouffait. C’est devenu une obsession. Je ne dormais plus. J’ai décroché, je jouais de plus en plus mal. Plus ça allait, plus je perdais confiance en moi. J’ai fini la saison fatigué, complètement démotivé. J’étais fracassé. J’ai failli me ramasser plus d’une fois. Dieu sait comment j’ai échappé à une blessure grave. »

    Ça me touche beaucoup que Jérém s’ouvre de cette façon, car cela me permet de mesurer toute l’ampleur de son malaise.

    « Quand l’esprit n’est pas en paix, le corps finit toujours par trinquer, lâche le sage Thibault.
    —    Avec les gars, fait Jérém, on est ensemble du matin au soir, aux entraînements et aux matches. On gagne ensemble, on perd ensemble. Bien sûr, il y a des jalousies, parce qu’on nous met tout le temps en compétition les uns avec les autres. Mais on se respecte, et on devient des potes. Et ce secret me donne l’impression de leur mentir en permanence.
    —    On ne peut avoir des rapports authentiques qu’en connaissant les autres et en les laissant nous connaître, considère Thibault.
    —    C’est exactement ça, fait Jérém. Le plus dur, c’est de mentir sur qui je suis. Parce que ça empêche de se faire de vrais potes. J’ai eu la chance de m’en faire un, qui m’a beaucoup soutenu. Mais ça n’a pas empêché de me sentir toujours comme une pièce rapportée.
    —    Nos préférences sexuelles ne concernent personne d’autre que nous. Le vrai problème ce n’est pas nous, le vrai problème c’est l’homophobie, j’avance.
    —    Dans le sport, personne ne parle de l’homophobie, fait Jérém, ni des gars comme nous, sauf pour s’en moquer. Alors on reste cachés.
    —    Et pourquoi en parler, il continue, si c’est pour risquer de tout perdre ? Les clubs n’aiment pas les gars qui foutent le bordel, et le fait d’avoir un pédé dans l’équipe passerait mal. Sortir du placard ce serait signer notre propre arrêt de mort. On nous pousserait direct vers la sortie.
    —    Ils renonceraient à des bons joueurs parce qu’ils sont gays ? je demande, naïf.
    —    Ils se gênerait, tiens ! Les entraîneurs ont des piles entières de CV de bons joueurs qui n’attendent qu’à être appelés.
    —    Tout ça est vrai, confirme Thibault. Mais moi je n’en peux plus de faire semblant. Ça demande trop d’énergie. Avoir des secrets est une source de peur constante. Je ne veux plus vivre ça.
    —    Pour toi c'est plus simple. Tu as une nana et un gosse, personne ne peut te traiter de pédé.
    —    Pour l’instant, oui. Mais qu’est-ce qui va se passer si j’ai envie de faire ma vie avec quelqu’un ?
    —    Avec ton médecin ?
    —    Avec lui, ou avec quelqu’un d’autre. Je ne veux pas avoir à me cacher toute ma vie. Personne n’a le droit de juger quelque chose qui ne le concerne pas. Les gars comme nous existent depuis toujours, et la haine n’y changera rien, elle ne fait que provoquer de grandes souffrances vraiment inutiles.
    —    Mais en pratique, nous ne pouvons pas changer les mentalités. Je viens de changer d’équipe, je suis en train de retrouver un bon niveau de jeu, et je gagne jour après jour la confiance de l’entraîneur et le respect de mes coéquipiers. Mais je sais pertinemment que s’ils savaient ce qui vient de se passer entre nous cette nuit, plus rien de tout cela ne compterait, je ne serais plus qu’un sale pédé et je serais mis à l’écart.
    —    Alors, non, je n’ai pas le choix, il continue, si je veux être respecté, je dois rester hétéro aux yeux de tout le monde. Il faut qu’ils me voient de temps en temps avec une nana canon. Peu importe que je la baise ou pas, l’important c’est qu’ils le croient.
    —    Moi j’ai décidé d’arrêter de me cacher, considère Thibault. Je me concentre sur le rugby, j’essaie d’être à la hauteur de la chance qui m’a été donnée. J’essaie d’être un bon joueur, un bon coéquipier, un bon pote. Je ne vais pas avoir des regards déplacés, ni des mots, et encore moins des gestes. Mais si un jour j’ai envie de me balader en ville avec un gars, je le ferai. Et si on me rejette à cause de ça, je m’en irai avant qu’ils ne me virent. De toute façon, je ne pourrai pas côtoyer des gars par qui je me sentirais trahi. Je reprendrai mon taf de mécano, j’aurai plus de temps pour le SDIS. Si ma place n’est pas dans le rugby, elle sera ailleurs.
    —    Tu es un gars solide, Thib, beaucoup plus que moi.
    —    Tu te trompes, Jé. Tu es bien plus solide là-dedans que tu ne le penses, fait-il, en pointant son index sur la tempe de son pote. C’est vrai que nous ne pouvons pas faire tout ce que nous voulons et comme nous le voulons. Mais je pense aussi que l’important c'est ce que nous faisons nous-même avec les contraintes qu'on nous impose. Et puis, tu sais, même si nous sommes loin, ça ne change rien pour moi. Je serai toujours là pour toi. Et je sais que tu seras toujours là pour moi. Si on a un coup de blues, on s’appelle et on essaie d’arranger ça ensemble, comme au bon vieux temps.
    —    Maintenant que nous nous sommes retrouvés, on ne se quitte plus, ok ? fait Jérém, en passant le bras autour du cou de son pote.
    —    Évidemment, fait Thibault, en se penchant vers le bobrun pour le prendre dans ses bras.
    —    Ne nous quittons plus, je ne peux me retenir de répéter.
    —    Plus jamais, font Jérém et Thibault, tout en ouvrant chacun un bras et en m’attirant dans leur étreinte entre garçons.
    —    Nous ne nous quittons plus jamais et soyons toujours là les uns pour les autres, lance Jérém.
    —    Ça me va, fait Thibault.
    —    Ça me va aussi » je fais à mon tour, ému.

    Nous scellons notre promesse dans une longue et tendre accolade à trois.

    Les deux jeunes rugbymen, drapés dans leurs nudités sculpturales, me font encore envie. Les voir s’enlacer, m’enlacer avec eux, sentir leurs corps musclés contre le mien, tout cela provoque en moi un émoustillement intense. J'ai envie de refaire l'amour avec chacun d’entre eux, et de les voir faire l’amour.
    Et pourtant, il y a un autre sentiment encore plus fort qui m’envahit à cet instant. Ce sentiment est une immense tendresse, si immense qu’elle prend même le pas sur le désir irrépressible que ces deux magnifiques apollons m’inspirent.
    Ce soir, ils ont ouvert leurs cœurs, ils ont parlé de leurs doutes, leurs blessures, leurs souffrances. Alors, plus que de recommencer à faire l’amour avec l’un et l’autre, je ressens une immense envie faire durer cette accolade le plus longtemps possible, de m’abandonner dans cette chaude douceur virile.

    Cette nuit, le sac de couchage de Thibault ne servira pas. Nous nous installons dans le petit lit, moi dans les bras de Jérém, Thibault dans les miens. Nos trois souffles se mélangent, tout comme nos chaleurs corporelles, et les petites odeurs de nos corps. Il est déjà tard. Les deux potes sont fatigués par leurs matches, et moi par la route. Nous nous endormons enlacés, repus, reconciliés, heureux. En paix l’un avec l’autre et avec nous-même.

    Lorsque je me réveille, les deux potes dorment toujours. J’entends leurs respirations légères, je trouve leur présence rassurante. Je ne sais pas quelle heure il est, mais il fait toujours nuit dehors. Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi, certainement pas longtemps, mais je me sens reposé. Dans la cheminée, le feu est en train de s’éteindre. Je me glisse discrètement hors du lit, en faisant attention à ne pas réveiller les deux rugbymen qui roupillent à poing fermés. Je rajoute du bois dans le foyer, je remue un peu les braises, je fais repartir les flammes.
    Le crépitement du bois apaise mon esprit tout autant que le feu réchauffe ma peau nue. Je m’assois sur le bord de la cheminée et je regarde les deux fringants garçons en train de dormir. Dans cette petite maison, devant ce feu, je me sens rudement bien. Je voudrais que cette nuit ne se termine pas. Je voudrais rester ici, avec Jérém et Thibault, je voudrais que nous soyons tous les trois heureux comme cette nuit, et pour toujours. Car je sais que dès l’instant où nous quitterons cette maison, ce bonheur ne sera plus si parfait. Chacun reprendra sa route. De centaines de bornes nous sépareront physiquement, et nos quotidiens respectifs nous éloigneront.
    Nous nous sommes promis que nous ne quitterons plus jamais et que nous serons là l’un pour l’autre, quoi qu’il arrive. Ça me rassure, un peu. Mais au fond de moi, je sais que même avec la meilleure volonté de chacun, ce bonheur, cette plénitude amicale agrémentée de sensualité nous ne la ressentirons pas à travers de simples coups de fil.
    Je ne peux m’empêcher de penser à ce qui m’attend dans quelques heures. D’abord, quitter Thibault, le garçon le plus gentil et le plus profondément bon que je connaisse. Puis, une nouvelle séparation avec Jérém, sans savoir quand je le reverrai. Après ces nouvelles retrouvailles, de quoi va être fait notre avenir ? Est ce qu’il veut qu’on se revoie, est ce qu’il veut vraiment que je sois à nouveau son Ourson ?
    Nous n’avons pas vraiment eu le temps de parler de tout ça, mais il va bien falloir qu’on affronte le sujet avant de nous quitter. J’ai peur de savoir. Quelles que ce soient ses attentes et ses dispositions, d’ailleurs.
    S’il envisage une relation plus suivie, comment vais-je me comporter avec Ruben ?
    Ruben, que je viens de tromper non pas seulement avec Jérém, mais avec Thibault aussi. Je m’en veux de l’avoir trompé. Mais en même temps, je sais que si c’était à refaire, je n’hésiterais pas plus que je l’ai fait quelques heures plus tôt.
    Mais maintenant que c’est arrivé, est-ce que je devrais tout lui avouer, et le quitter, pour qu’il puisse rencontrer un gars qui tomberait vraiment amoureux de lui comme il le mérite ? Ce serait l’option la plus honnête. Et pourtant, ce n’est pas celle que mon cœur a envie de choisir à cet instant précis.
    Maintenant que Jérém est revenu dans ma vie, je sais que je vais tout faire pour qu’il n’en sorte plus. Est-ce que je vais réussir ?
    Et si jamais ça déconne à nouveau avec lui, si je quitte Ruben de façon précipitée, j’aurais tout perdu. C’est égoïste comme attitude, mais je sais que ce que je veux éviter à tout prix, plus encore que de prendre le risque de blesser les gens que j’aime, c’est de me retrouver seul à nouveau.
    Mais comment vais-je gérer cette éventuelle période de « mise à l’épreuve » de ma relation avec Jérém ? Comment vais-je faire cohabiter Jérém et Ruben dans ma vie ? Je sais que je vais devoir mentir, à Ruben autant qu’à Jérém, et vivre dans le risque permanent que ma « double vie » soit découverte par l’un ou par l’autre et que tout cela me pète à la figure. Ça me fait peur, mais je ne vois pas d’autre choix.

    Reste à savoir comment je vais retrouver Ruben. Ces retrouvailles me font peur. Je crains qu’il finisse par se douter de quelque chose, et j’ai peur de sa réaction. J’appréhende ses soupçons, j’appréhende de devoir me justifier, car je ne sais pas comment je vais pouvoir m’en sortir.

    Je décide d’arrêter de penser à demain et de profiter au maximum de ces derniers instants de bonheur parfait dans la petite maison. Je retourne au lit, je me faufile entre les deux potes et je m’installe allongé sur le dos. Je frôle au passage le bras de Thibault. Ce dernier se retourne, ouvre les yeux. Son regard est complètement dans les vapes.
    « Il est quelle heure ? il me demande, la voix pâteuse.
    —    Je ne sais pas, il fait encore nuit. »
    Ma réponse pourtant vague semble lui suffire, car il n’insiste pas et il se contente de se tourner sur le flanc, vers moi, et de poser l’un de ses bras musclés en travers de mon torse. Ce simple contact provoque en moi une intense montée d’ivresse sensuelle. Je bande au quart de tour. J’ai envie de me branler, j’ai envie de jouir à nouveau. J’ai envie de faire l’amour.
    Entravé par le bras de Thibault et par la crainte de réveiller les deux rugbymen, je n’ose pourtant bouger une oreille. C’est une situation particulièrement inconfortable que d’être entouré de beaux garçons qui nous font un effet de dingue et de devoir se retenir.

    Mais le « salut » arrive par la main de Thibault. Au gré de mouvements plus ou moins involontaires dans son sommeil, son revers effleure mon érection. Je l’entends prendre une profonde inspiration. Puis, sa main vient volontairement caresser mes tétons. Je frissonne. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. Thibault se laisse glisser vers le fond du lit et vient me sucer. Il me pompe avec une délicatesse extrême, avec une douceur exquise.
    Jérém dort toujours. J’aimerais bien qu’il se réveille et qu’il nous regarde faire. Je pense que je trouverais ça plutôt excitant de sentir son regard lubrique sur moi, sur nous. A contrario, le fait de faire ça pendant qu’il dort, ça me donne presque l’impression de faire ça « dans son dos ».
    Mais le plaisir finit par m’accaparer totalement, et à m’ancrer dans l’instant présent. Mais aussi par m’amener assez vite en vue du précipice de l’orgasme.
    Mais avant que cela n’arrive, j’invite Thibault à s’allonger sur le dos. Je me faufile entre ses cuisses musclées et je m’applique à pomper sa belle queue bien raide à la lumière mouvante des flammes. Le beau pompier apprécie mes caresses. Il prend de profondes inspirations, intercalées par des ahanements de plus en plus rapprochés.
    Du coin de l’œil, je vois Jérém remuer de son côté. Sans cesser de pomper le jeune papa, je glisse aussitôt ma main sur sa queue. Elle n’est pas au garde à vous, pas encore. Mais elle est prometteuse. Je sens son regard engourdi braqué sur moi. Mon bobrun est dans les vapes. Mais elles se dissipent rapidement, au fur et à mesure qu’il réalise ce qui est en train de se passer dans le lit, à quelques centimètres de lui. Très vite, l’émoustillement réveille ses sens. Ses doigts rencontrent les miens, sa main prend rapidement la place de la mienne sur sa queue et il commence à se branler.
    « Vas-y, pompe-le bien, comme ça, oui » j’entends Jérém me glisser, avec une voix basse, marquée par sa respiration saccadée, alors que sa main libre atterrit sur mes tétons et provoque en moi un séisme de frissons.
    Ses mots, ses caresses, son attitude me rendent fou. Alors, je mets encore plus d’entrain à faire vibrer le jeune pompier.
    « Vas-y, fais plaisir à Thibault… suce-le bien, regarde comment il kiffe ce que tu lui fais… »
    Jérém caresse désormais le torse, les pecs, les tétons de son pote. Ce dernier frissonne intensément.
    Quant à moi, je suis chauffé à bloc par ses mots, par ses encouragements coquins. Et mon seul but à cet instant, c’est de faire jouir le beau Thibault. Avant de faire jouir Jérém, bien évidemment.
    « Elle est bonne sa queue, hein ? » il me glisse, alors que je reprends mon souffle.
    Mon bobrun profite de cette pause pour saisir la queue de son pote, pour l’enserrer dans sa main. Il la branle doucement, sans la quitter du regard, comme s’il voulait la sucer. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’il va le faire. Et puis, non.
    « Vas-y, pompe-le, ne le fais pas attendre, il a très envie de jouir » il me lance, tout en se branlant vigoureusement.
    Je ne me fais pas prier pour reprendre le beau pompier dans ma bouche et pour le pomper à nouveau, pour le finir. Ce qui ne tarde pas à arriver.
    « Je vais jouir… lâche Thibault, la voix coupée par l’approche de sa jouissance.
    —    Fais lui plaisir, j’entends Jérém me glisser, tout en caressant les tétons de son pote.
    —    Fais toi plaisir » je l’entends enchaîner, tout en caressant désormais les miens.
    Un ahanement plus long et plus profond est le signal que le jeune pompier vient de perdre pied.
    « Vas-y, avale bien » soupire Jérém, happé par l’excitation, tout en posant sa main chaude à la limite de mon cou et de ma nuque.
    Il n’y a pas de contrainte dans son geste, mais un dernier délicieux encouragement. C’est bouleversant, enivrant. La main de Thibault atterrit sur mon épaule, son contact est à la fois doux et viril. Chacun de ses muscles se tend comme un arc de violon jouant une sonate de plaisir intense.
    Et pendant que les doigts de Jérém se faufilent dans mes cheveux, comme une caresse douce et excitante, de bonnes giclées de son pote percutent mon palais, glissent lentement sur ma langue, puis au plus profond de moi.

    Je viens tout juste d’émerger du bonheur de retrouver le goût intense du beau rugbyman toulousain, lorsque je réalise que Jérém, visiblement très excité, est toujours en train de se branler de façon plutôt musclée. Comme s’il voulait se faire jouir seul. Non, je ne peux pas le laisser faire ça, non plus. Je le prends en bouche à son tour et je me mets à le pomper. J’y vais tout en douceur, je tente de ralentir l’arrivée de son orgasme. Mais c’est déjà trop tard.
    « Je vais jouir, j’entends le magnifique bobrun m’annoncer.
    —    Vas-y, avale ! » il ajoute, sur un ton monocorde et péremptoire, alors que l’orgasme l’envahit.
    D’autres giclées de jeune mâle envahissent ma bouche, un autre goût ravit mes papilles et fait pétiller mon palais de bonheur. Je savoure chaque giclée, avant de l’avaler lentement.
    Lorsque je me relève, le « spectacle » qui se présente à moi est renversant. Deux magnifiques garçons, tous pecs et abdos et queues toujours raides dehors, assommés par le plaisir que je viens de leur offrir. C’est un « spectacle » insoutenablement beau.
    Mais la vision de ce paysage masculin renversant ne dure pas longtemps. Jérém vient se coller à moi, et se laisse glisser en moi, sa queue me remplit. Il caresse mes tétons d’une main, alors que l’autre saisit ma queue et me branle. Puis, c’est Thibault qui vient me branler, alors que Jérém envoie ses deux mains mettre le feu à mes tétons. Je jouis très fort, et mes giclées atterrissent en partie sur les abdos du jeune stadiste toulousain.

    Lorsque j’émerge à nouveau, il fait jour et je suis seul dans le petit lit. Le bruit de l’eau qui coule dans la douche m’informe quant à la position de l’un des garçons. La porte qui s’ouvre et qui laisse rentrer une brouette pleine de bois, m’informe de la position de l’autre.
    « Eh, t’es réveillé ? me demande mon bobrun avec un sourire magnifique.
    —    Je ne vous ai pas entendus vous lever…
    —    Tu dormais comme un loir. »
    Jérém referme la porte sur la fraîcheur matinale et vient me faire un bisou.
    « Bonjour les gars » fait Thibault, en sortant de la douche, les cheveux encore humides, dégageant un délicieux bouquet de frais, de bon, de propre. Il est juste habillé de ce débardeur blanc que je trouve sexy à mourir et d’un boxer bleu dont la poche avant est bien remplie par son équipement viril au repos.
    « Salut Thib, fait Jérém, en s’avançant vers son pote pour lui claquer la bise.
    —    Tu sens vraiment bon ! » s’exclame le bobrun.
    Thibault sourit, et son sourire est magnifique.
    « Salut, Thibault » je fais, tout en claquant à mon tour la bise au beau pompier.
    C’est vrai que le parfum qui se dégage de sa peau, mélange de gel douche et d’un parfum capiteux est intense et délicieux.
    « Je passe vite à la douche, et après on va passer chez Charlène. Thib, tu peux faire le café ?
    —    D’accord !
    —    Si le sol est portant, j’aimerais faire faire un petit tour à cheval. Ça vous dit de monter, les gars ?
    —    Pourquoi pas, je me lance.
    —    Si j’ai un cheval, oui ! fait le beau pompier.
    —    Charlène t’en prêtera un.
    —    D’accord, alors. »

    Pendant que Jérém est sous la douche, je discute un peu avec Thibault. Le demi de mêlée me questionne sur ma vie à Bordeaux. Je lui parle de la fac, de ma nouvelle « passion » pour le vélo. Je lui réponds en cachant pas mal de choses. Puis, je le questionne sur la sienne à Toulouse. Il me parle de son nouveau quotidien de papa comblé, de ses matches à venir, de son engagement au SDIS. Mais pas de son médecin, de ce gars qui a quand même dix ans de plus que lui, ni de quel genre de relation est en train de naître entre eux. J’ai envie de lui poser plein de questions, mais je ne veux pas l’embêter. S’il veut m’en parler, il y aura d’autres occasions.
    En discutant avec Thibault, je me sens heureux. Je le suis, car ce matin, tout est comme la veille. Ce matin, il n’y a pas de gueule de bois. Thibault n’est pas parti au petit matin, comme après la nuit que nous avions passée ensemble dans l’appart de la rue de la Colombette. Certes, il n’aurait pas pu. Ou plus difficilement. Nous sommes loin de tout et il fait un froid de canard.
    Mais le fait est que ce matin je trouve un Thibault bien différent de celui que j’avais entrevu dans un bar ce matin-là, un Thibault pensif et hanté par des sentiments douloureux. Ce matin, Thibault a l’air heureux et apaisé. Tout comme Jérém. Même si nous n’en parlons pas directement, je sens que nous assumons tous les trois ce qui s’est passé cette nuit. Ça nous a fait du bien, et ce matin nous sommes bien.

    Jérém revient de la douche alors que le gargouillement de la cafetière nous avertit que nous allons bientôt pouvoir boire notre café. Il se pointe habillé d’un t-shirt noir et d’un boxer blanc, lui aussi bien rempli par son équipement viril au repos.
    Lorsque je regarde les deux potes, lorsque je mate ce débardeur bien tendu sur des épaules et sur un torse solides, ce t-shirt noir moulant des pecs et des biceps de fou, ces deux poches de boxer bien remplies, je ressens à nouveau l’excitation s’emparer de moi. Mais je sais que ce n’est pas de ça que nous avons besoin à cet instant précis. J’ai beaucoup aimé ce qui s’est passé cette nuit. Parce qu’à travers le plaisir, nous nous sommes montrés à quel point nous nous aimons.
    Ce que nous avons vécu cette nuit est fort et nous avons besoin d’atterrir en douceur, en partageant une activité de « potes ». Comme une petite balade à cheval, justement. Il y a un temps pour tout. Un temps pour le plaisir, un temps pour la tendresse, un temps pour l’amitié.

    Nous prenons notre café sans nous presser, comme si nous essayions de retarder au maximum le moment de refermer la petite maison sur le bonheur que nous avons partagé pendant quelques heures. Et c’est avec un bon petit pincement au cœur que je regarde Jérém tourner la clé dans la porte en bois et la glisser dans sa poche. Au revoir, petite maison, j’espère de tout mon cœur de te revoir bientôt.

    Au centre équestre, Thibault appelle son entraîneur pour l’avertir qu’il a eu un empêchement et qu’il ne pourra rentrer à Toulouse qu’en fin de journée.
    Comme prévu, Charlène lui propose de monter l’un de ses chevaux en pension. Jérém monte son Unico, et je retrouve Téquila. Charlène nous accompagne avec son Little Black.
    JP et Carine débarquent alors que nous sommes sur le point de partir et se joignent à nous.
    Nous faisons une petite boucle dans la forêt, et je retrouve la magie de mes premières balades un an plus tôt. Jérém et Thibault sont très sexy sur leurs montures respectives. Leur façon de se tenir en selle, le dos bien droit, le regard vers l’horizon, la position de leurs cuisses, écartées par la selle elle-même, les ondulations du bassin pour accompagner les mouvements des chevaux, ça leur donne une allure folle. Une allure bien virile.
    JP nous enchante avec le récit de son expérience sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Je me sens vraiment bien, je suis heureux comme je l’ai rarement été. En fait, je suis heureux comme je ne peux l’être qu’à Campan.

    Nous prenons un déjeuner rapide chez Charlène et nous partons en début d’après-midi.
    « Bonne chance à tous les trois, les garçons, nous lance JP en nous serrant à tour de rôle dans ses bras affectueux et rassurants.
    —    Thibault, toujours au top comme la dernière saison, direction le Brennus…
    —    Eh, c’est moi qui vais lever le Brennus au mois de juin ! s’insurge Jérém.
    —    Je suis certaine que l’un de vous deux va le soulever dès cette saison », s’avance Charlène.
    Elle ne pouvait bien évidemment pas deviner à ce moment-là que même si l’un des deux Stades allait effectivement gagner le championnat quelques mois plus tard, ni Jérém ni Thibault ne soulèverait le fameux bouclier à cette occasion.
    « Je vous le souhaite à tous les deux, même si vous ne pourrez pas le faire la même année ! plaisante JP.
    —    Mais je sais que vous allez tout donner, il continue. Alors, que le meilleur gagne !
    —    Et pour Nico, bien du courage pour les études ! » il conclut.

    Après ces au revoir pleins de bienveillance, nous prenons la route en direction de Toulouse. Jérém se propose de conduire. Je m’installe à côté de lui, Thibault sur la banquette arrière. Le trajet est ponctué par les conversations entre les deux potes portant principalement sur la saison qui s’ouvre et qui autorise tous les espoirs, toutes les attentes.
    Je ne participe pas vraiment à ces échanges, mais je bois leurs mots, leur enthousiasme, leur bonheur. Et leur complicité, leur amitié retrouvées m’enchantent.
    Mais mon bonheur et mon insouciance sont de courte durée. Dès que nous passons le péage de Saint Gaudens, mon téléphone, se met à vibrer dans ma poche. « Appel Ruben ». Je le glisse à nouveau dans ma poche, tout en espérant que Jérém, occupé à la conduite et à déconner avec Thibault, n’ait pas prêté attention à cela.
    Mais mon téléphone se remet à vibrer alors que nous venons de passer la sortie de Cazères. Puis, lorsque nous arrivons au péage de Muret. Je ne le ressors plus de ma poche, je sais que c’est toujours Ruben. Je ne veux pas inquiéter Jérém. Mais ce faisant, c’est moi qui suis de plus en plus inquiet.

    Aux Minimes, Thibault nous invite prendre un café chez lui. Nathalie nous accueille avec le petit Lucas dans les bras. C’est l’occasion pour moi de constater à quel point il a grandi depuis la dernière fois, et pour Jérém, de faire sa connaissance.
    « Il est costaud comme son papa », il plaisante, en le tenant dans ses bras.
    Au moment de se quitter, les deux potes se serrent fort dans les bras l’un de l’autre.
    « Plus jamais on se quitte, ok ? fait Jérém, la voix étranglée par l’émotion.
    —    Plus jamais, plus jamais, tente de le rassurer l’adorable Thibault.
    —    Je suis vraiment content qu’on se soit retrouvés, lâche Jérém, les yeux humides. Je suis content de voir que tu vas bien !
    —    Moi aussi je suis content de t’avoir retrouvé et de voir que les choses s’arrangent pour toi. Tu as tellement changé, Jé ! Je suis… oui, je suis fier de toi !
    —    Il reste du chemin à faire…
    —    Certainement… mais au moins maintenant tu sais qui tu es. Tu ne veux pas que ça se sache, et je le comprends. Mais tu sais qui tu es. Et c’est le principal. C’est par là qu’il faut commencer si on veut espérer d’être heureux dans la vie. Et puis, tu sais que Nico t’aime et tu l’aimes. N’oublie jamais la chance que tu as. »

    A la gare Matabiau, je me gare en double file en attendant que Jérém se renseigne pour les trains au départ pour Paris.
    « Il y en a un dans 15 minutes, il m’informe, lorsqu’il revient à la voiture. Mince, alors… ça nous ne laisse même pas le temps d’aller prendre un café.
    —    On se revoit quand, Jérém ? je ne peux m’empêcher de le questionner.
    —    Je ne sais pas…
    —    Dans six mois ! je plaisante.
    —    Nico, je voulais te demander un truc… il lâche, à brûle pourpoint.
    —    Quel truc ?
    —    Depuis hier j’ai l’impression que quelque chose te tracasse…
    —    Rien ne me tracasse, je suis heureux d’être avec toi !
    —    Par moments, tu as l’air ailleurs… tous ces mystères…
    —    Mais où tu as vu des mystères ?
    —    Tous ces coups de fil… Dis-moi, Nico… est-ce qu’il y a quelqu’un qui t’attend à Bordeaux ? »
    Touché, coulé.
    « Mais qu’est-ce que tu vas chercher ?
    —    Je t’ai laissé tomber pendant trop longtemps… »
    Je me souviens l’avoir déjà entendu prononcer ces mots, c’était hier, devant la cheminée du relais, avant que les cavaliers ne débarquent.
    « Alors, je me dis que tu aurais pu rencontrer quelqu’un… il conclut, comme un coup de massue.
    —    J’ai eu quelques aventures, je te l’ai dit, mais rien de sérieux… les coups de fil, c’était ma mère !
    —    Moi je pense que c’est un gars qui essaie de te joindre depuis deux jours… »
    Ça me déchire le cœur de lui mentir. Et pourtant, je ne me sens pas le courage de lui raconter la vérité. Je ne peux pas lui parler de Ruben et de ce que nous avons construit ensemble en quelques semaines. Je ne peux pas lui dire que je n’ai pas eu la force de lui faire confiance, de l’attendre.
    Je ne sais plus trop quoi lui répondre, et mon silence « m’accuse » de plus en plus lourdement à chaque instant qu’il dure.
    « C’est un gars, hein ? il revient à la charge, la voix voilée par une certaine tristesse.
    —    Oui, c’est un gars, je finis par admettre. Mais ce n’est rien de sérieux. Du moins, pour moi. On s’est vu deux ou trois fois, et il s’est entiché de moi. Et comme j’ai fait la bêtise de lui filer mon numéro de portable, il continue de m’appeler. Je lui ai dit d’arrêter, mais il continue. Il faut que je regarde dans mon téléphone si je peux le bloquer… »
    Jérém n’a pas l’air convaincu. La tristesse que je lis dans mon regard me fait un mal de chien.
    « Je te dis que ce n’est personne. S’il comptait un tant soit peu pour moi, je ne serais pas venu te rejoindre à Campan. Tu es le seul qui compte pour moi, le seul. Ne nous quittons plus, Jérém. Ne me laisse plus des mois sans de tes nouvelles. Je t’aime comme un fou, Jérémie Tommasi ! »
    Jérém semble enfin se décrisper. Je le prends dans mes bras et je l’embrasse.
    « On se reverra vite, je lui glisse.
    —    Oui, on se reverra vite » il répète, tout en enfonçant sa main dans mes cheveux. Puis, il m’embrasse avec une précipitation dans laquelle je ressens son amour, mais aussi son inquiétude.
    Je le regarde traverser la petite place devant la gare et disparaître dans le grand hall. Et j’ai envie de pleurer. Seul dans ma voiture, je suis triste, infiniment triste. Je m’en veux de mentir à Ruben, et plus encore de mentir à Jérém, si touchant, si adorable, si amoureux.

    Je suis heureux de passer voir Maman, comme un sas de décompression entre le bonheur de ce week-end et les moments délicats qui m’attendent dès mon retour à Bordeaux. Dans ma chambre, j’en profite pour écouter enfin le message de Ruben.
    Je trouve d’abord un sms, au ton laconique et inquiétant.
    « Tu ne donnes pas de nouvelles.»
    Puis le message vocal qu’il m’a laissé lors du dernier coup de fils au péage de Muret.
    « Salut. Je n’ai pas de nouvelles depuis l’autre soir et je ne sais pas quoi penser. Tu m’avais dit que tu m’appellerais quand tu serais à Toulouse, mais tu n’as donné aucun signe de vie. J’ai essayé de t’appeler plein de fois, mais tu ne réponds pas. Tu dois être occupé. Tu me manques, Chaton ».

    Le petit Poitevin semble inquiet, et à plus d’un titre. Pour moi, mais aussi pour « nous ». Je sens au ton de sa voix qu’il a besoin d’être rassuré, de savoir que je vais bien. Mais aussi qu’il peut me faire confiance. Et si je peux facilement le rassurer sur le premier point, je sais qu’il me sera bien plus difficile de le faire sur le second. Je sais que je ne peux plus me dérober à un coup de fil, mais j’ai peur de me lancer.
    Je prends une grande inspiration et je le rappelle. J’essaie de renouer en lui expliquant mes problèmes de communication, tout en lui répétant à quel point il m’a manqué. Je le sens suspicieux. J’essaie de sonder son état d’esprit en essayant de le faire rire. Je le sens distant, sur la réserve. Je tente de le rassurer, mais je sens que je n’y arrive pas.

    « On se voit demain soir ? je lui propose.
    —    Je ne sais pas, on verra. »

    Je sens que ce n’est pas gagné, pas du tout. Je me sens comme un homme politique qui a déçu ses électeurs et qui veut quand même briguer un nouveau mandat. Je sens que je vais devoir déployer des trésors de mensonges, de mauvaise foi et de promesses (sans savoir si je vais pouvoir les tenir) pour rattraper le coup. Je me sens déjà épuisé rien que d’y penser.
    Papa fait toujours mine de ne pas me voir, comme si j’étais transparent. Heureusement, Maman est là, et discuter avec elle me fait du bien, m’apaise, me fait oublier pendant un instant mes tracas.
    Un message de Jérém « Bonne nuit, Ourson », me rassure au moins sur ce « front sentimental ».

    Le lendemain matin, le voyage vers Bordeaux est particulièrement pénible. La solitude est propice aux cogitations, à la culpabilité. Je repense à ce qui s’est passé avec Jérém et Thibault, et l’idée d’avoir trompé Ruben me prend la tête. Le pire, c’est que je ne regrette pas. Si c’était à refaire, je ne changerais rien. En fait, ce qui me prend la tête, ce n’est pas tant le fait d’avoir trompé Ruben. Ce sont plutôt les conséquences que cela peut entraîner. J’ai peur qu’il imagine, qu’il se doute, qu’il comprenne que je l’ai trompé.
    Je pense pouvoir faire confiance à Jérém et Thibault quant au fait qu’ils étaient « clean ». Mais comment en être sûr à 100% ? La moindre MST déclarée sur moi ou, pire, transmise à Ruben, serait très délicate à justifier. Je ne veux pas exposer Ruben au moindre risque. Comment le convaincre de ne plus avaler mon jus jusqu’au test, alors qu’il adore ça, alors que j’adore ça ? Comment justifier le fait qu’il faudrait désormais décaler le dépistage qu’il attend avec impatience de novembre à fin décembre ?
    J’ai peur de le perdre, et de le faire souffrir. J’ai peur aussi de me retrouver seul à Bordeaux si jamais avec Jérém ça devait capoter à nouveau. Je suis confiant, ça n’arrivera pas. Mais, au cas où…
    Je me sens terriblement égoïste, je découvre une facette de ma personnalité dont je ne soupçonnais pas l’existence. Et elle ne me plait vraiment pas.
    Comment vais-je retrouver Ruben après ce week-end, après l’avoir laissé deux jours sans nouvelles, après l’avoir trompé ? Et surtout, après que mon cœur a recommencé à battre très fort pour l’amour, pour l’homme de ma vie ?
    Mais en amont de tout cela, la question qui me taraude l’esprit est une autre. Comment va être la suite de ma relation avec Jérém ?


    Notes de l’auteur :

    1/ Ce récit, bien qu’il se veuille réaliste, n’en demeure pas moins une fiction. En aucun cas les agissements des personnages ne doivent constituer un exemple de conduite. Tout rapport sexuel entre garçons doit être protégé, à moins d’avoir pleine confiance en l’autre. En aucun cas, on ne peut se contenter de déclarations de l’autre pour coucher sans protection. Y compris lorsqu’il s’agit de quelqu’un qu’on connaît, qu’on apprécie, qu’on aime.

    2/ Ce texte est une pure fiction. Les noms des équipes citées ont été choisis uniquement pour illustrer les prestigieuses carrières professionnelles des personnages. Ainsi, les échanges entre ces mêmes personnages, notamment au sujet de leur ressentis vis-à-vis de l’homophobie dans le milieu sportif, ne décrivent en aucun cas des faits avérés dans les équipes citées à l’époque du récit, mais plutôt une réalité diffuse dans les sports professionnels, telle qu’elle a pu être décrite par de nombreux sportifs de tous horizons.


    Je vous souhaite de très bonnes fêtes de fin d’année. Que la nouvelle année puisse apporter avec elle le meilleur pour vous tous et pour ceux qui comptent pour vous. Et la santé en premier. Puis l’amour. Tout le reste n’est que détail.

     

     Tu peux contribuer à l'aventure Jérém&Nico !

     

    via Tipeee : Présentation  ou Résultat de recherche d'images pour "logo paypal", sans engagement, montant au choix en cliquant sur le bouton suivant :



    Jérém et Nico revient en janvier 2022.

     

     


    8 commentaires
  •  

    0311 Des retrouvailles peuvent en cacher d’autres.




    Lorsque je me réveille, le jour rentre par la petite fenêtre. Jérém n’est plus dans le lit. Un joli feu flambe dans la cheminée. Sur la plaque en fonte, la cafetière est en train de gargouiller et de diffuser le délicieux arôme qui fait qu’un matin commence sous les meilleurs auspices. Sur la table, du pain et de la confiture.
    Je regarde l’heure sur mon portable, il est 8h26.
    Il est des réveils plus agréables que d’autres. Et ce genre de réveil, dans la maison et dans le lit de Jérém, devant ce joli feu, avec un bon petit déjeuner en perspective, c’est aussi beau qu’un rêve.
    La porte d’entrée s’ouvre, et le bobrun débarque avec les bras pleins de bois, qu’il dépose bruyamment au pied de la cheminée.
    « Salut, toi ! » il me lance, en voyant que je suis réveillé.
    Il referme la porte d’entrée, il enlève la cafetière de la plaque, et vient me faire un bisou.
    « T’as bien dormi ?
    —    Oui, très bien, merci.
    —    C’est pas une question ! T’as roupillé comme un ours en hibernation !
    —    Je suis un Ourson !
    —    Tu parles d’un Ourson !
    —    J’étais fatigué.
    —    Je sais, j’étais fatigué aussi.
    —    Alors, on fait quoi aujourd’hui ? il enchaîne, sans transition.
    —    Je ne sais pas, à toi de me dire.
    —    J’aurais bien fait du cheval, mais avec ce qu’il a plu, je crois bien que c’est raté. On va passer dire bonjour à Martine et à Charlène, on va voir ce qu’elles ont prévu pour ce soir.
    —    Mais avec plaisir ! »

    Chez moi, je n’ai pas faim le matin, et je n’ai pas non plus le temps de petit-déjeuner. En fait, je ne prends pas le temps de petit-déjeuner. Mais là, en compagnie de Jérém, je prends le temps. Je tartine de la confiture sur le pain, je bois du café, et je recommence.

    Dès que nous passons la porte de la superette, nos tympans sont soumis à la rude épreuve des manifestations très sonores de Martine nous signifiant ainsi sa joie de nous revoir.
    « Ooooooohhhhhhhhhhhh les voiiiiiiiiiilàààààààààààààààà, mes deux gars préférés !!! Mais vous êtes encore plus beaux que la dernière fois ! elle s’exclame en crescendo, tout en nous prenant dans ses bras à tour de rôle, en nous serrant très fort, et en nous claquant des bises bien sonores.
    —    Ça fait combien de temps que je ne vous ai pas vus ?
    —    Depuis début janvier ! lâche Jérém.
    —    Ah, les vilains ! Vous ne venez pas voir Tata Martine assez souvent !
    —    Ça a été une année compliquée…
    —    Je sais, je sais, mais tout va bien maintenant ! Le Stade, je te jure ! Tu fais pas les choses à moitié, mon grand !
    —    J’ai eu un bol terrible !
    —    A mon avis, ce n’est pas que du bol ! Tu es un très bon joueur à ce qu’on dit !
    —    C’est ce qu’on va voir dans les prochains mois. Au fait, tu sais quelque chose pour ce soir ?
    —    Je sais qu’on va bouffer et picoler et chanter !
    —    C’est un beau programme !
    —    C’est Charlène qui s’occupe de tout, il faut voir avec elle…
    —    Ok, je vais aller la voi…. »
    Jérém est interrompu par l’arrivée bruyante de deux autres visages connus.
    « Ehhhhhhhh ! Salut Jérémie, salut Nico ! lance Ginette sur un ton enjoué. Ça fait plaisir de vous revoir dans nos montagnes ! »
    La doyenne des cavaliers nous fait la bise et son mari Éric nous serre la main.
    Moi aussi je suis super content de les revoir.
    « Le plaisir c’est pour nous, je considère. Elles nous ont manqué vos montagnes, et vous aussi.
    —    Ah, qu’il est mignon, ce petit. Tu l’as bien choisi, Jérém ! Garde le bien près de toi, tu n’en trouveras pas un autre si mignon !
    —    Je sais, je sais ! Mais lui aussi il a de la chance d’être avec moi, fait le bobrun en se marrant.
    —    C’est vrai, c’est vrai… »
    Nous nous regardons et nous nous sourions.
    « Alors, il semblerait qu’on a un truc à fêter ce soir…
    —    Il paraît, oui, fait Jérém.
    —    Félicitations le stadiste !
    —    Merci, merci. Allez, on file chez Charlène pour lui filer un coup de main. On se voit ce soir !
    —    Je fais une potée…
    —    Hummmm…. On va se régaler ! s’exclame Martine. On va se faire péter le bide !
    —    Avec modération quand même, il faut que je reste en forme ! fait Jérém.
    —    Mais ta gueule. Tu vas pas nous faire chier ! » lâche Ginette.
    C’est drôle d’entendre ces mots abrupts sortir de la bouche d’une femme de son âge, à l’allure aussi respectable que la sienne. Mais ce qui est encore plus drôle, c’est le ton très poli, pas un mot plus haut que l’autre, avec lequel elle les débite.
    « En vrai, je ne raterais la potée de Ginette pour rien au monde ! finit par admettre le bobrun, mort de rire.
    —    Ah, tu me rassures ! »

    Nous retrouvons Charlène en train de nourrir les chevaux au pré.
    « Ah, te voilà mon grand ! fait la cavalière en serrant son "poulain", désormais devenu "étalon", dans ses bras.
    —    Mais tu ne m’avais pas dit que tu ramenais Nico ! elle enchaîne, en m’embrassant à mon tour.
    —    Je ne savais pas s’il… s’il pouvait se libérer… à la dernière minute…
    —    A d’autres, oui ! Dis plutôt que tu lui as encore fait la misère et que t’avais peur de te prendre un râteau ! C’est pas vrai ?
    —    Mais ta gueule !
    —    C’est pas vrai, Nico ? elle insiste.
    —    C’est une façon intéressante de voir les choses, je plaisante.
    —    Tu sais pas la chance que tu as d’avoir quelqu’un qui t’aime… »
    Jérém sourit, l’air rêveur.
    « Sinon, ils sont où mes chevaux ? il enchaîne aussitôt.
    —    Ils sont dans le pré derrière le bois… »

    Avant de nous y rendre, nous aidons Charlène à terminer son astreinte. Les box nettoyés et paillés, nous marchons une bonne dizaine de minutes pour rejoindre le pré en question. Nous sommes encore loin de la clôture lorsque Unico commence à s’agiter.
    « Mon Unico m’a vu ! Regarde-le comment il s’excite, je lui ai manqué !
    —    Il n’y a pas qu’à lui que t’as manqué !
    —    Je sais, je sais. Je ne sais pas assez bien m’occuper de ceux que j’aime. »

    A leur tour, Tequila et Bille commencent à faire les cent pas au pas de course devant la clôture. Lorsque nous arrivons à portée d’encolure, nous ne sommes pas trop de deux pour absorber le déluge de câlins envoyé par les trois équidés.
    Par chance, j’ai pensé à acheter un appareil jetable chez Martine. J’ai 24 clichés à disposition pour immortaliser ce week-end. J’en utilise deux pour essayer de fixer le bonheur de Jérém en train de faire des câlins avec ses chevaux.
    « J’aurais vraiment voulu monter, ça fait chier qu’il ait autant plu ! il proteste.
    —    Peut-être demain…
    —    Non, ce sera toujours trempé. Et puis, il faut que je reparte demain en fin de matinée. Depuis Tarbes, il me faut du temps pour arriver à Paris.
    —    Je te ramène à Toulouse, si tu veux.
    —    Mais tu ne repars pas à Bordeaux ?
    —    Si, mais je peux faire un crochet par Toulouse. J’en profiterai pour passer voir Maman.
    —    Et avec ton père, ça s’est arrangé ?
    —    Non, pas vraiment. On ne se parle pas et il me fait toujours la gueule. Quand il me parle, c’est pour me rabaisser. Alors j’y vais de moins en moins. Maman me manque, mais l’ambiance est trop pénible.
    —    La mienne aussi me manque, depuis dix ans.
    —    Désolé, je lâche, en réalisant ma maladresse.
    —    Ton père doit être fier de toi, maintenant que tu es dans une équipe du Top 16… j’enchaîne pour faire diversion.
    —    Je ne sais pas trop, il ne m’a jamais montré qu’il était fier de moi.
    —    Je suis sûr qu’il va finir par te montrer qu’il est fier de toi.
    —    J’aimerais surtout qu’il me montre qu’il m’aime tel que je suis, et qu’il m’aimerait quoi qu’il arrive. Je crois que c’est ça que j’aimerais m’entendre dire par mon père. »

    Qu’est-ce qu’il peut être adorable et touchant mon beau brun ! Je suis ému par ses mots, des mots qui me montrent à quel point le manque du pilier du soutien familial est une blessure toujours ouverte dans son cœur.

    —    T’as vu quelle belle journée ? il enchaîne sans prêter attention à mes excuses.
    —    Oui…
    —    Tu sais ce que j’ai envie de faire ?
    —    Dis-moi !
    —    J’ai envie de monter au Pont d’Espagne !
    —    On devait y aller l’an dernier…
    —    Oui, je sais. Et j’ai envie de marcher jusqu’au lac de Gaube.
    —    C’est loin ?
    —    Une heure de marche, je pense. Ça te botte ?
    —    Allez !
    —    T’as des chaussures de marche ?
    —    Je n’ai que ces baskets…
    —    On va demander à Charlène si elle n’a pas une paire de chaussures à te prêter. »

    « Ah, zut, je me faisais une joie de vous garder à midi… j’avais même fait un gâteau, elle réagit à l’annonce de nos projets pour la journée.
    —    Ah, fait Jérém, l’air dépité.
    —    Qu’est-ce que c’est facile de te faire culpabiliser ! fait Charlène, taquine.
    —    Pffffff…
    —    Allez vous amuser, les gars, je garde le gâteau pour ce soir.
    —    Au fait, y a besoin de quoi pour ce soir ? demande Jérém.
    —    Y a besoin que vous soyez là !
    —    Allez, qu’est-ce que je ramène ?
    —    Côté bouffe, tout le monde amène un truc comme d’hab. Je pense qu’il y en aura plus que nos ventres peuvent en contenir. Amène de la boisson, si tu veux. »

    Jérém se propose de prendre le volant et j’accepte avec plaisir. Un choix qui me paraît de plus en plus judicieux au fur et à mesure que nous nous approchons de notre destination.
    Depuis Cauterets, en effet, la route virevolte en une succession de lacets à la pente de plus en plus prononcée et de virages de plus en plus serrés et ponctués de cascades.
    L’eau, sa puissance indomptable, son rugissement impressionnant, c’est l’essence même de ce site si particulier qu’est le Pont d’Espagne. Elle nous suit, nous entoure, nous fait nous sentir tout « petits ». Même les passerelles et le grand pont en pierre qui nous permettent d’enjamber sa rage, nous paraissent si humbles face à la force inouïe qui coule sans discontinuer en contrebas. Les balcons à flanc de montagne nous permettent d’approcher un peu plus l’inépuisable vigueur de l’élément aquatique qui s’engouffre comme une furie dans le canal en pierre creusé par des millénaires de course sans répit. Au plus près du courant et de son écume, j’ai l’impression de plonger dans son hurlement assourdissant et impérieux.
    Il est midi lorsque nous rejoignons le seul restaurant sur place. Nous faisons une halte pour prendre des sandwichs et des boissons. Devant la grande cascade, je tente de prendre Jérém en photo. Une nana s’arrête et me propose de nous prendre en photo tous les deux. J’accepte avec grand plaisir. J’ai si peu de photos où nous sommes tous les deux ! Je m’installe à côté de lui et je sens sa main se glisser sous mon t-shirt à hauteur de mes reins. Je suis si heureux.

    Nous laissons les cascades derrière nous et nous mangeons nos sandwichs en marchant, direction le lac de Gaube. Le petit chemin qui relie les deux sites démarre avec un certain nombre de hautes marches en pierre, avant de continuer dans la forêt. Nous traversons ensuite une région plus ouverte, où des vaches grises à cornes paissent en toute quiétude et ne lèvent même pas la tête à notre passage. Je ne suis pas rassuré, je me rapproche de mon bobrun qui trace son chemin comme s’il ne les avait même pas vues.
    Il n’y a pas trop de monde, et nous avançons vite.
    Le chemin continue ensuite dans différents décors, tantôt à flanc de pente, tantôt à l’abri de la végétation boisée, tantôt dans des passages encaissés, puis dégagés. Au bout d’une bonne heure de marche assez prenante, notre petit périple débouche enfin sur un théâtre naturel majestueux.
    Un petit lac d’eau turquoise est posé entre deux pentes de roche et de pins blancs, comme un diamant incrusté dans un bijoux précieux.
    Au loin, trois isards pâturent dans la pente et semblent nous surveiller du coin de l’œil. Sur le fond, une grande montagne clôt la vallée. Nous nous arrêtons un instant devant ce spectacle naturel saisissant.


    0311 Des retrouvailles peuvent en cacher d’autres.
     

    « Tu sais quelle est cette montagne, au fond ? je questionne mon beau guide.
    —    Je crois que c’est le Vignemale. C’est le plus haut sommet des Pyrénées.
    —    Mais tu sais tout, mon Jérém !
    —    C’est l’une des rares choses que mon père m’a apprises, avant que nous commencions à nous détester » il lâche, avant de continuer vers le rivage.
    Une fois arrivé près de l’eau, il s’assoit sur une grande pierre. Il s’installe de trois quarts par rapport au lac, une jambe allongée, pied au sol, l’autre repliée contre son torse, enserrée dans ses bras, le menton posé sur le genou, la tête tournée vers la vallée, le regard au loin, contemplatif. Il est beau et touchant à en pleurer.

    0311 Des retrouvailles peuvent en cacher d’autres.



    Des vaguelettes incessantes caressent le rivage caillouteux, tout comme moi j’ai envie de caresser mon bobrun à cet instant précis. Je voudrais passer ma vie entière à le câliner comme la nuit passée.
    En dépit de la pluie de la veille, le ciel est bleu, et un beau soleil distribue dans ce somptueux tableau naturel des couleurs à couper le souffle. Les pentes opposées se reflètent dans les eaux, des eaux limpides mais aux nuances changeantes suivant le point d’où on les regarde et l’intensité des rayons du soleil.
     

     

    0311 Des retrouvailles peuvent en cacher d’autres.


    J’ai envie de prendre mon Jérém en photo devant ce cadre somptueux. Je sors mon appareil et je l’appelle.
    « P’tit Loup ! »
    Et là, le bobrun tourne sa tête. Et il me sourit. Et son sourire doux est tellement beau que j’engage pas moins de quatre poses pour être certain de l’immortaliser, pour capturer cet instant de bonheur. Car je suis certain que cela va donner un cliché magnifique.
    Il n’y a personne aux alentours, je le rejoins près de la pierre où il est assis. Le bobrun me fait m’asseoir entre ses jambes et me prend dans ses bras. Je me contorsionne pour lui faire un bisou, qu’il me rend plusieurs fois, avec un sourire qui me fait fondre. Je me laisse bercer par cet instant précieux et magique, par ce paysage de montagnes, d’eau, de forêt et de pierre. Et par cette douce accolade, par ses bisous intarissables, dans le cou, sur les oreilles, sur la joue, par sa barbe qui râpe doucement le bas de la nuque, par son souffle chaud qui me donne des frissons. Je suis infiniment heureux.
    Soudain, je pense à un autre instant, un an plus tôt, où j’étais dans ses bras, face à un autre majestueux spectacle offert par les Pyrénées. C’était sur la butte devant la grande cascade de Gavarnie. Et c’était juste avant qu’il m’annonce qu’il venait d’apprendre qu’il était recruté par le Racing et qu’il devait partir dès le lendemain.
    Cette fois-ci aussi il doit repartir le lendemain. Mais j’espère qu’après ces nouvelles retrouvailles, notre « séparation » sera moins difficile, et moins pleine d’incertitudes pour la suite de notre relation. Et surtout, surtout, surtout, j’espère que lorsque nous redescendrons à Campan, Charlène ne nous annoncera pas une nouvelle catastrophe à l’autre bout du monde.
    Je repense à sa tête lorsqu’elle nous avait ouvert la porte il y a un an. Je repense à l’incrédulité, puis à l’effroi devant la tour en feu. A la douleur mentale et presque physique lorsque le deuxième avion avait percuté la deuxième tour. Je repense à l’horreur, au sentiment d’impuissance, à la peur panique.
    L’horreur du drame de Manhattan s’invite dans le bonheur de cet instant magique en le rendant presque obscène.
    Oui, je pense à Manhattan. Et je pense à Kaboul. Un air de musique se fraie un chemin dans mon esprit.

    Petit Portoricain…

    Et la culpabilité s’invite elle aussi dans mon esprit. Heureusement, Jérém se charge de m’arracher à mes états d’âme.
    « Tu sais ce que j’aime en toi ? »
    Ah, j’aime bien cette entrée en matière qui annonce la réponse à une question que je me pose depuis toujours.
    « Dis-moi…
    —    C’est que tu es un gars… disons… tout terrain… tu n’as jamais fait du cheval, tu te lances. Tu n’as jamais marché en montagne, tu ne recules pas.
    —    Tu me donnes envie de te suivre au bout du monde.
    —    Et tu me donnes envie d’y aller… »
    J’ai envie de pleurer. Je me retourne et je l’embrasse. Hélas, mon élan est stoppé net par les circonstances.
    « Arrête, arrête, il y a du monde… »
    Je tourne le regard et je capte en effet deux randonneurs, un homme et une femme à quelques dizaines de mètres de nous, à la sortie du petit chemin. Et là, animé d’un élan inattendu, je bondis de la pierre, je me retourne vers lui, je le regarde droit dans les yeux et je lui lance, sur un ton de défi :
    « Je croyais que tu venais de me dire que je te donnais envie d’aller au bout du monde… »
    Le beau brun lève la tête vers le ciel et éclate dans un rire sonore. « Il ne faut rien te dire à toi !
    —    J’enregistre tout…
    —    Touché… »
    Et là, il m’attrape par le pull, m’attire vers lui avec un geste brusque et m’embrasse. Et pas un simple bisou, non. Un long baiser bien appuyé, bien gourmand.
    « Monsieur est satisfait maintenant ?
    —    Monsieur pense que c’est un bon début mais qu’on peut sans doute mieux faire…
    —    Ta gueule ! Monsieur n’a qu’à embrasser un caillou ! »
    Je me marre avec lui et je me rassois à côté de lui. C’est là que je remarque que la dame et le monsieur sont en train d’approcher. Ils ont l’air d’avoir une soixantaine d’années. Jérém les regarde fixement.
    « Qu’est-ce qu’ils veulent, ceux-là ? il chuchote dans le vide, l’air pas vraiment commode.
    —    Bonjour, les gars, nous lance le type, en s’arrêtant à deux mètres de nous. La dame nous salue à son tour.
    —    Bonjour, je lâche.
    —    Bonjour, fait Jérém, sèchement.
    —    Nous… nous… vous… bafouille le mec, l’air vraiment mal à l’aise.
    —    Nous vous avons vus tout à l’heure, finit par lâcher la dame.
    —    Qu’est-ce que vous avez vu ? fait Jérém en sortant ses griffes.
    —    Nous vous avons vus vous embrasser.
    —    Donc, vous n’avez vu rien qui vous regarde ! Ce ne sont pas vos oignons ! Allez, circulez ! surenchérit le bobrun en hérissant le poil et montrant les crocs, tout en bondissant de la pierre avec une attitude bien agressive.
    —    Non, non, non, nous ne venons pas vous faire la morale, pas du tout ! réagit le type, en tendant les bras devant lui, mains ouvertes, en signe d’apaisement. Vous avez l’air heureux ensemble, il continue. En fait… nous venons vous voir parce que mon épouse et moi venons d’apprendre que notre garçon est… comme vous, disons.
    —    Il est gay ? appuie Jérém.
    —    Oui, c’est ça. Nous l’avons appris par hasard. Mais il ne le sait pas. Nous avons été très surpris de découvrir ça. Ça nous a vraiment chamboulés. Nous voudrions affronter le sujet avec lui mais nous ne savons pas comment nous y prendre. Je sais que ça peut paraître idiot, mais nous venons prendre conseil auprès de vous.
    —    Je ne comprends pas ce que vous attendez de nous, fait Jérém, visiblement agacé.
    —    C'est tout nouveau pour mon épouse et moi. Alors, nous voudrions savoir comment vous vivez votre vie, ce qui vous préoccupe.
    —    Il a quel âge votre fils ? je les questionne.
    —    Vingt-sept ans, me répond le monsieur.
    —    Il n’habite plus avec vous, j’imagine ?
    —    Non.
    —    Vos parents sont au courant ? fait la dame, sans transition.
    —    Les miens le sont.
    —    Comment ça s’est passé pour vous ?
    —    Ma maman l’a appris par hasard, elle aussi. En fait, elle a assisté à une dispute entre nous deux. Mais elle l’a super bien pris et elle me soutient à fond. Quant à mon père, c’est moi qui lui ai annoncé. Et il l’a super mal pris. Bon, je n’ai jamais été le fils dont il a rêvé, et il me l’a toujours fait sentir. Mais depuis que je lui ai annoncé que je suis gay, il ne m’adresse plus la parole. Ça fait un an.
    —    Et vous ? fait la dame, à l’attention de Jérém.
    —    Moi je n’ai pas de mère et mon père me tuerait s’il savait.
    —    C’est pas simple d’être… comme vous êtes. La vie doit mettre pas mal d’obstacles sur votre chemin…
    —    Oui, des obstacles il y en a tous les jours. Et le premier obstacle c’est le besoin de vivre cachés. Mais nous faisons avec, et à deux c’est bien plus facile d’affronter tout ça.
    —    Mon fils a couché avec des nanas, nous raconte la dame, il a même failli être père très jeune.
    —    Moi aussi j’ai couché avec nanas, réagit Jérém. Mais c’était pour ne pas regarder les choses en face. Et pour faire comme les copains, pour que personne ne se pose de questions sur moi.
    —    J’imagine que l’amour ne se commande pas, considère le monsieur.
    —    C’est exactement ça, je confirme.
    —    Qu’est-ce que vous attendez de vos parents ? nous questionne la dame.
    —    D’être compris, soutenu, accepté. Et surtout pas jugé…
    —    Perso, je m’en fiche d’être accepté, me coupe Jérém. Moi j’ai juste besoin qu’on me fiche la paix !
    —    Je comprends, fait le type.
    —    Nous n’allons pas vous déranger plus longtemps, nous annonce la dame. Merci d’avoir accepté de nous parler, ça nous a fait du bien. Je vous souhaite tout le bonheur possible. »

    Je suis très touché par la démarche de ce couple traversé par plein questionnements et d’inquiétudes au sujet de leur enfant.

    Je ne me lasse pas de contempler le paysage féérique autour de ce petit lac, et je crois que je pourrais y passer des heures, surtout en compagnie de mon beau brun.
    Je quitte le site à contrecœur, et je suis Jérém dans le chemin du retour vers le Pont d’Espagne. Nous repassons devant les cascades, par-dessus les cascades, et leur vrombissement imposant m’impressionne toujours autant.
    Cette fois-ci, c’est moi qui prends le volant. Pendant la descente en voiture vers Campan, je me prends de plein fouet le retour de bâton du bonheur que je viens de vivre. Je pense à Ruben, et je réalise que je ne lui ai pas donné de nouvelles, alors que je lui avais promis de lui en donner « dès que j’arriverais à Toulouse ». Je me dis qu’à l’heure qu’il est, il doit trouver mon silence bizarre, s’inquiéter et se poser des questions.
    Je sais, ça ne fait même pas longtemps que je suis parti. Hier matin encore, quelques heures avant de partir pour Pau, je me suis réveillé à ses côtés. Mais notre relation s’est ainsi bâtie depuis le début. Nous nous voyons presque chaque jour, et nous nous donnons des nouvelles très souvent. En amour, un brusque changement des habitudes peut très vite apparaître suspect. Aussi, lorsqu’on se vautre dans le mensonge, on imagine toujours les pires scenarii.
    Je dois absolument trouver un moment pour l’appeler. J’ai besoin de le rassurer, et aussi de me débarrasser non pas de ma culpabilité, car je n’y arriverai pas, mais au moins de mon inquiétude. Mais pour cela, il faut que deux conditions soient réunies : que mon téléphone capte, et ce n’est pas évident dans la montagne, et que je puisse être loin de Jérém. Autant dire, un alignement d’astres particulièrement difficile à obtenir.
    Oui, je culpabilise à bloc. Vis-à-vis de Ruben, évidemment. Mais aussi vis-à-vis de Jérém. Je m’en veux de lui mentir. Mais avant de prendre une éventuelle décision irréversible vis-à-vis de Ruben, j’ai encore besoin d’être rassuré par Jérém. Avant de quitter le bateau « Ruben », que je sais stable et confortable, car il navigue en des eaux calmes, je dois être certain que le voilier « Jérém », que je sais plus mouvementé car il navigue dans des eaux plus turbulentes, ne chavire pas à nouveau à la première tempête.
    Soudain, je réalise que je commence à envisager cette option. Je ne veux pas faire souffrir Ruben. Mais si Jérém a vraiment envie d’aller au bout du monde avec moi, comme il vient de me le dire devant le lac de Gaube, comment pourrais-je renoncer à le suivre ?

    Là encore, c’est mon bobrun qui se charge de me tirer de mes cogitations. Et d’une façon totalement inattendue.
    « Ça va ? il m’interroge.
    —    Oui, ça va… et toi ?
    —    Tu sais de quoi j’ai envie ?
    —    Non, dis-moi…
    —    J’ai envie de jouir…
    —    Quoi ? Là… maintenant ?
    —    Ouais…
    —    Tu veux qu’on cherche un endroit ?
    —    Non, roule… »
    Et là, le bogoss dézippe son pull à capuche, il s’en débarrasse et dévoile son beau t-shirt blanc.
    « Là, tu me donnes envie de te sucer…
    —    Je sais…
    —    Petit con, va ! »
    Jérém ouvre sa braguette, il sort sa bite et commence à se branler.
    « Mais ça va pas ?
    —    Pense à conduire ! » il me lance, alors que je suis obligé de freiner brusquement à l’entrée d’un virage serré.
    Mon regard est happé par les mouvements du bas de son t-shirt qui monte et descend au gré de ses va-et-vient, mouvements qui dévoilent, puis dissimulent sans cesse le bas de ses abdos et les petits poils qui descendent de son nombril en direction de son pubis.
    Jérém continue de se caresser comme s’il était seul dans son lit, tout en me jetant des regards lubriques de temps à autre. La route est étroite et sinueuse, je ne vois aucun endroit pour m’arrêter et m’occuper de lui. En fait, je suis tellement happé par sa branlette inopinée, que je raterais une place d’armes au bord de la route. Je me vois contraint de conduire, alors que Jérém se fait du bien tout seul juste à côté. C’est terriblement frustrant et furieusement excitant.
    « Tu peux pas attendre qu’on arrive à Campan ?
    —    Non, j’ai envie maintenant. J’ai envie de me branler et te regarder avoir envie de me sucer…
    —    Petit salaud !
    —    Tu as envie de la prendre en bouche, hein ?
    —    Très envie !
    —    Très, très trèèèèèèèèèès envie, je pense, il me chauffe.
    —    Putain, c’est peu de le dire ! »
    Une voiture arrive en face et Jérém cache sa queue raide sous son pull qui était stratégiquement positionné sur le côté pour parer à cette éventualité. La voiture croisée, il ressort aussitôt son bel engin fièrement tendu.
    « Et tu penses à moi ? je le questionne, excité comme un fou, alors que ma queue presse sauvagement contre ma braguette. Tu t’imagines comment c’est dur de te voir te branler sans pouvoir te prendre en bouche ?
    —    Je sais… c’est ça qui est excitant !
    —    Je bande comme un âne !
    —    Hummmmm ! » fait le bogoss, en tâtant brièvement ma braguette rebondie et brûlante.
    Jérém accélère ses va-et-vient sur sa queue et frémit de plaisir. Fou d’envie, j’allonge ma main droite vers son entrejambe. Immédiatement, sa main lâche l’affaire et laisse la mienne s’en saisir, et apporter quelques caresses rapides. Le bobrun frissonne.
    « Tu t’es trompé de levier… celui des vitesses est plus proche de toi ! il me cherche.
    —    T’es vraiment qu’un petit con ! Mais putain, qu’est-ce que j’ai envie de toi !
    —    Hummmmmm » il commente, de plus en plus excité.
    J’ai du mal à quitter sa main du regard, cette main qui est en train d’amener sa queue vers la jouissance, me privant ainsi d’un bonheur certain.
    « Attention à la route ! me lance sèchement Jérém, alors que je manque de peu une bite de signalisation.
    —    T’as envie d’avaler ? il enchaîne, le regard et l’intonation de ses mots de plus en plus lubriques.
    —    Mais évidemment que j’ai envie d’avaler ton jus. Ça fait tellement longtemps que je n’y ai pas gouté !
    —    Ça te manque, hein ?
    —    Oh putain, que oui !!! J’ai envie que tu m’étouffes avec ta queue et que tu gicles direct dans ma gorge ! »
    Et là, après un dernier puissant frisson accompagné d’un ahanement prolongé, j’entends mon bobrun grogner son orgasme. Je le vois lâcher un certain nombre de bonnes giclées qui atterrissent sur son t-shirt blanc. Ah, putain, qu’est-ce que c’est beau ! Et en même temps, quel immense gâchis !

    Jérém vient de jouir et il tire aussitôt le pull sur sa queue. Il gît nonchalamment abandonné, enfoncé dans le siège passager, les yeux fermés. Je regarde le coton blanc bombé par les pecs saillants, parsemé des traces brillantes de sa jouissance, je le regarde onduler au rythme de sa respiration rapide après l’effort. Je regarde sa pomme d’Adam s’agiter nerveusement, son petit grain de beauté frémir dans le creux de son cou, juste au-dessus du col du t-shirt. Les yeux fermés, mon bobrun profite de la plénitude des premiers instants après l’explosion du plaisir, un état de grâce absolu dans lequel le corps et l’esprit connaissent un bonheur intense.
    « Alors, t’as bien joui ? je le questionne quelques instants plus tard, lorsqu’il rouvre les yeux.
    —    Ah, c’était terrible ! En fait, une bonne branlette c’est aussi bon qu’une baise !
    —    Et moi je me la mets sur l’oreille… »
    Le bobrun sourit, et son sourire est si beau et coquin qu’il me donne envie de l’embrasser et le gifler tout en même temps.
    Et lorsque je le vois en train de vouloir essuyer ses doigts pleins de jus dans le t-shirt blanc, je ne peux m’empêcher de lui balancer :
    « Attends ! »
    Non, je ne peux pas lui laisser faire ça.
    « Quoi ?
    —    Attends… » je lui répète, plus calmement, alors que je viens de repérer l’embranchement d’un chemin qui me paraît prometteur.
    C’est lorsque je mets le clignotant que Jérém comprend enfin mes intentions.
    « Tu veux goûter ? il me glisse, en portant sa main à hauteur de mon nez.
    —    Evidemment que je veux goûter ! » je souffle, étourdi d’excitation, alors que l’odeur forte de son jus saisit mes narines et provoque un feu d’artifice dans mon cerveau.

    Le chemin tient ses promesses, et je trouve rapidement un endroit pour me garer à l’abri des regards. J’arrête la voiture, j’ouvre ma braguette. Je saisis en même temps sa main et ma queue et je commence à me branler tout en allant chercher entre ses doigts et dans le creux de sa main son délicieux nectar de mec. Je prends le temps de tout explorer, de tout nettoyer. Et lorsque je ne trouve plus son goût entre ses doigts, c’est sur son t-shirt que je vais le chercher, tache brillante après tache brillante. Sa main qui se faufile sous mon t-shirt et qui part à l’assaut de mes tétons finit par précipiter mon orgasme. J’ai tout juste le temps de soulever son pull et de prendre enfin sa queue dans ma bouche pour retrouver une dernière fois son goût de mâle, et je perds pied.
    Je jouis, et c’est incroyablement bon.
    « T’as aimé ? il me demande.
    —    C’était dingue !
    —    Moi aussi j’ai kiffé un max.
    —    Mais ne me fais plus jamais ça ! Je ne peux pas supporter de te voir te branler à côté de moi sans pouvoir m’occuper de ta queue ! je lui lance, en parfaite mauvaise foi, alors que je sais que c’est justement ce petit jeu qui a rendu nos jouissances aussi intenses.
    —    C’était excitant, non ?
    —    C’est vrai, j’admets.
    —    Coquin, va !
    —    Mais c’est qui le coquin ?
    —    Toi, je te dis !
    —    Et c’est qui qui a sorti sa queue à l’improviste ? »
    Jérém sourit et je l’embrasse une dernière fois avant de reprendre la route.

    Nous nous arrêtons prendre un café et Jérém me remplace au volant. Il est 17 heures 30 lorsque nous traversons Bagnères. C’est là que mon téléphone se met à sonner. Je le sors de ma poche, je regarde le petit écran. Et mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
    Appel entrant Ruben
    Je suis pris de panique, je ne sais vraiment pas quoi faire. Si Ruben m’appelle, c’est qu’il est sur le point de s’inquiéter. Si je ne réponds pas, il va vraiment s’inquiéter. Mais je ne peux pas répondre devant Jérém. Ah, putain, qu’est-ce qu’elle est compliquée cette situation ! Par dépit, j’appuie sur le bouton rouge pour refuser l’appel.
    « C’était qui ? me questionne Jérém.
    —    C’était… Maman, je mens.
    —    Et tu ne lui réponds pas ?
    —    Si je lui réponds, elle va me garder longtemps. Je la rappellerai plus tard.
    —    Tu sais qu’une fois qu’on sera sortis de Bagnères tu ne vas plus avoir de réseau…
    —    C’est pas grave, je l’appellerai demain quand on sera sur l’autoroute.
    —    Ok… » fait le bobrun, l’air pas vraiment convaincu.
    Ce coup de fil improviste m’a complètement déstabilisé. La peur que Jérém commence à se douter de quelque chose me tétanise. Un malaise persistant m’envahit, m’empêchant de lancer une quelconque conversation. Jérém demeure silencieux lui aussi, ce qui fait encore grandir mon malaise. Je cherche dans ma tête un sujet à lancer, mais je bugge. Mais pas mon téléphone, qui se remet à sonner.
    « Elle est chiante ! » je mens de façon éhontée, tout en refusant une nouvelle fois l’appel. Je sauve ainsi les apparences, tout en creusant mon passif vis-à-vis des explications à donner à Ruben lorsque je le reverrai.
    Je ne suis pas sûr que l’excuse du manque de réseau sera une bonne idée, d’autant plus que je suis censé être sur Toulouse, et sur Toulouse il y a du réseau. Quant au fait de refuser ses appels, va expliquer ça !
    « Tu devrais peut-être répondre, elle a peut-être un truc à te dire…
    —    Il n’y a pas trop de réseau, je prétexte, on ne va même pas se comprendre. »

    Je finis par éteindre mon téléphone, pour éviter de nouvelles sonneries et de nouvelles questions. Je m’en veux de mentir à Ruben, tout comme je m’en veux de mentir à Jérém. J’ai peur d’être découvert, et de perdre la confiance de l’un et de l’autre. J’ai peur de faire du mal à tout le monde, j’ai peur de perdre tout le monde. Avoir le cul entre deux chaises, c’est une situation particulièrement inconfortable.

    Nous passons chez Martine pour récupérer les boissons, nous passons à la petite maison pour nous doucher, nous changer et nous filons au relais. La grande salle est encore déserte et Jérém se dépêche d’allumer le feu. Une fois une belle flamme lancée, il s’allume une cigarette et il la fume face au feu, en silence, l’air pensif.
    « A quoi tu penses, Jérém ? je l’interroge pour tenter d’apaiser mes inquiétudes.
    —    Je pense que je t’ai tenu à distance trop longtemps.
    —    Pourquoi tu penses à ça ?
    —    Parce que je m’en veux d’être aussi con !
    —    L’important c’est que nous nous sommes retrouvés, et qu’on ne se quitte plus, ok ? »
    Jérém demeure pensif, l’air triste.
    « Eh, Jérém ! je lui lance, tout en le saisissant par les épaules et en l’obligeant à se tourner vers moi. J’en ai bavé, oui, mais je n’ai jamais cessé de t’aimer, tu entends ? Tu n’as jamais cessé d’être mon P’tit Loup, tu entends ? »
    Jérém m’embrasse, et me serre très fort dans ses bras.
    « On ne se quitte plus, ok ? il me lance, la voix cassée par l’émotion.
    —    Non, on ne se quitte plus, plus jamais. »

    Nous sommes toujours enlacés lorsqu’un bruit de conversation nous parvient de l’extérieur. Nous avons tout juste le temps de quitter les bras de l’autre et d’essuyer notre émotion, lorsque la porte s’ouvre et qu’un petit groupe de cavaliers débarque dans la salle. Jean Paul et Carine sont là, ainsi que Satine, visiblement accompagnée par un mec, la cinquantaine, inconnu au bataillon.
    « Et voilà le champion ! » s’exclame Jean Paul, les bras ouverts, en s’avançant d’un pas décidé vers Jérém. Il enveloppe mon beau brun dans ses bras rassurants et lui claque deux bises affectueuses. Sa barbe a pris quelques poils blancs de plus, mais sa profonde amabilité demeure intacte.
    « Super heureux de te revoir, Nico, tu vas bien ? Les études ? »
    Jean Pierre me prend dans ses bras à mon tour, et me claque deux bonnes bises. Je n’arrive toujours pas à réaliser à quel point les gens d’ici sont vraiment simples et chaleureux. Nous échangeons la bise avec Carine et Satine et nous serrons la main du monsieur inconnu que cette dernière nous présente comme étant son nouveau compagnon.
    « Alors, champion, raconte-nous ta nouvelle aventure dans le club le plus glamour du top 14…
    —    Champion, champion… attends quelques mois pour en être sûr ! fait Jérém, modeste.
    —    Mais moi j’ai pas besoin d’attendre des mois pour savoir que tu es un champion. Je t’ai vu jouer quelque fois à Toulouse et je sais que tu l’es !
    —    Ça n’a pas vraiment été le cas l’année dernière.
    —    Le passé c’est le passé, et il n’y a que l’avenir qui compte. Je sens que tu vas faire des merveilles dans cette nouvelle équipe.
    —    J’espère être à la hauteur…
    —    S’ils t’ont engagé, c’est qu’ils ont vu du potentiel en toi. Tu crois qu’une équipe comme le Stade embauche des ânes pour en faire des chevaux de course ? Moi je ne le crois pas…
    —    L’an dernier j’ai vraiment morflé.
    —    Il faut que tu retrouves confiance en toi, et la confiance que t’accorde cette nouvelle équipe est un bon point pour repartir du bon pied et de mettre toutes les chances de ton coté.
    —    En vrai, je me sens beaucoup mieux dans cette équipe que dans l’ancienne.
    —    Tu vois ? La rencontre entre un joueur et une équipe, c’est comme la rencontre entre un homme ou une femme. Ou entre un homme et un homme, d’ailleurs. L’un et l’autre peuvent être des êtres formidables, parfois il y a l’étincelle, et parfois pas. Ce n’est la faute à personne, si aucune affinité ne se manifeste. Il faut alors savoir se séparer avant de se déchirer, il faut savoir se séparer pour pouvoir chercher et trouver celui ou celle qui nous correspond.
    —    C’est une jolie façon de voir les choses, admet Jérém.
    —    D’ailleurs, il enchaîne, merci pour le feu dans la cheminée et le pain. »

    Au fil des minutes les autres cavaliers arrivent les uns après les autres. Martine arrive en fanfare et salue les présents avec sa gouaille habituelle, en remplissant la salle de ses rires et de sa voix à la fois fine et grave. Marie Line et Bertrand les suivent de très près, talonnés par Daniel et Lola.
    A son tour, Daniel félicite chaleureusement Jérém pour son nouveau recrutement, puis l’interroge sur ses premières semaines dans la nouvelle équipe. Le grand passionné de rugby et entraîneur d’équipe amateur veut tout savoir des coulisses de cette institution rugbystique. La curiosité passionnée de Daniel est sans limites, et Jérém répond à toutes ses questions.
    Ginette et Éric débarquent en portant une grande marmite en fonte à quatre bras. La fameuse potée est là et elle atterrit au coin du feu. Ce n’est que lorsque JP réclame au nom des présents le début de la troisième mi-temps, que Daniel consent à interrompre la conversation avec Jérém pour lancer l’apéro.
    « Reste par-là, jeune homme, j’ai encore des trucs à te demander » fait Daniel.
    Charlène arrive en compagnie de Nadine, au rire toujours aussi sonore, ainsi que d’une autre nana d’une trentaine d’années qu’elle me présente comme étant sa fille Stéphanie. Cette dernière commence aussitôt à me questionner sur mes études, et sur ma relation à distance avec Jérém. Elle est curieuse, mais plutôt sympa. Florian, l’ex de Loïc, se pointe avec son adorable Victor. Les deux garçons ont l’air de bien s’entendre et ils semblent heureux. Ça me fait vraiment plaisir.
    La petite bande de cavaliers est là, bruyante et anarchique, joyeuse et bonne vivante, accueillante et chaleureuse. La retrouver à côté de la grande cheminée, d’un beau feu, autour d’une table généreusement garnie, en plus avec Jérém à mes côtés, c’est un bonheur inouï.
    L’apéro bat son plein, les tournées s’enchaînent, on trinque à la réussite de Jérém. Les conversations partent dans tous les sens, des petits groupes se forment, les joyeux décibels des mots et des rires remplissent le grand espace jusqu’au haut plafond.
    « On peut commencer à passer à table ! La potée va être prête ! lance Ginette en levant sa voix pour se faire entendre.
    —    On n’attend plus personne ? demande Martine.
    —    Si, on attend encore Maxime… fait Jérém, l’air soudainement inquiet.
    —    Il devrait déjà être là ? demande JP.
    —    Il m’a dit qu’il serait là à 19 h…
    —    Et il est… 20h45… ah oui…
    —    Il a dû être retardé, lance Satine. Tu as essayé de l’appeler ?
    —    Je n’ai pas de réseau…
    —    Quelqu’un a du réseau ? » lance Martine en mode sirène d’ambulance.
    Les propriétaires de portables sortent leurs appareils et vérifient leur couverture.
    « J’ai du réseau, un peu, s’exclame Martine, elle-même, les yeux rivés sur son appareil.
    —    C’est cool, je te donne mon numéro. »
    Martine est en train de tapoter sur le clavier de son téléphone, lorsque la porte du relais s’ouvre une nouvelle fois. Le petit brun apparaît dans l’embrasure, encore plus beau et assurément plus « mec » que dans mon souvenir. Mais la porte ne se referme pas de suite derrière lui. Car Maxime est venu accompagné. Dans son sillage, voilà qu’un autre garçon, un tantinet plus costaud, et très beau lui aussi, fait son apparition.
    Jérém m’a dit que toutes les personnes qui comptent seraient présentes à cette soirée, alors ça me paraît normal qu’il soit là. Je trouve juste étonnant qu’il n’ait pas pensé à me l’annoncer. Est-ce qu’il voulait m’en faire la surprise ?

    Maxime et Thibault sont à leur tour chaleureusement accueillis par cette bande de joyeux lurons que les apéros à répétitions ont par ailleurs mis de fort bonne humeur.
    Ça fait près de six mois que je n’ai pas vu le jeune pompier. Et je trouve qu’il y a eu du changement chez lui aussi. Une nouvelle façon d’arranger les cheveux, pour commencer, un peu plus longs et un peu plus en bataille, portés avec une certaine négligence mais néanmoins maîtrisée avec une touche de gel.
    Aussi, je trouve une élégance inédite dans sa façon de s’habiller. Son blouson en cuir marron lui va comme un gant, et il met bien en valeur ses épaules qui me semblent encore plus solides qu’avant. Quant à sa belle chemise à carreaux de couleur rose, blanche et bleue, avec le col qui remonte bien le long de son cou puissant, elle est du meilleur effet. Deux boutons sont laissés ouverts, permettant au regard d’entrevoir la naissance de ses pecs, et quelques poils délicieux. Au gré de ses mouvements, un petit point blanc flotte tout en bas, le soupçon de l’arrondi d’un débardeur, je suppose.
    Aussi, un petit brillant vient de faire son apparition dans le lobe de son oreille droite. J’ai toujours trouvé ce genre d’accessoire rudement sexy chez un beau garçon. C’est la marque, j’imagine, d’un garçon qui fait attention à son apparence et qui veut se faire remarquer. Et chez Thibault, chez qui je ne me serai pas attendu à trouver ce genre de goût, ça me fait encore plus d’effet.
    Mais au final, le changement le plus marquant semble se situer ailleurs. Au-delà de ces petites évolutions dans son apparence, j’ai comme l’impression de déceler chez le stadiste toulousain comme une envie de se mettre un peu plus en valeur, comme un début de prise de conscience de son charme, de sa sexytude. Mais pas d’une façon criarde pour autant. Plutôt d’une façon discrète. Et pourtant, bien affirmée. Thibault devient un homme, et il commence à s’en rendre compte. Aussi, le savoir papa me fait toujours un drôle d’effet. Tout cela réuni le rend à mes yeux terriblement séduisant.

    « Salut frérot ! » fait Jérém, en prenant Maxime dans ses bras et en lui claquant la bise.
    Puis, il réserve le même accueil chaleureux à son pote Thibault. Les deux rugbymen se serrent très fort et longuement dans les bras. L’émotion est forte.

    Qu’est-ce que tu es content, Jérémie, de revoir ton Thib ! Qu’est-ce que ça t’a manqué de sentir sa présence rassurante, et ce bien être que seul savait t’apporter son amitié ! Car, avec Thib, vous aviez cette complicité unique et si particulière de ceux qui ont grandi ensemble, qui ont tout partagé et qui se connaissent par cœur. Thib savait comme personne apprécier tes qualités et pardonner tes défauts, y compris celles et ceux dont tu ne soupçonnais même pas l’existence.
    Ça fait près d’un an que tu ne l’as pas vu, mais tu as suivi son parcours au Stade Toulousain tout au long de la saison précédente. Tu as été heureux que ça se passe bien pour lui. Un peu jaloux, bien sûr, mais heureux pour lui.
    Ce soir, tu le retrouves plus en forme que jamais. Et ça te fait tellement plaisir !
    Tu t’en es beaucoup voulu pour ce qui s’est passé ce soir-là, sur son clic-clac. Et tu t’en es encore plus voulu d’être parti, de ne pas avoir assumé. Tu t’en es voulu parce que tu sais que tu l’as fait souffrir. Pendant un temps, tu as cru avoir fichu en l’air votre amitié. Puis, tu as commencé à espérer qu’il puisse te pardonner un jour. Et ce soir, dans ces retrouvailles, tu as envie de voir cette réconciliation que tu as appelée de toutes tes forces depuis plus d’un an.
    Sinon… entre son nouveau brushing, sa belle chemise, son blouson en cuir – il a encore pris de la masse, non ? – qu’est-ce que tu le trouves beau, ton pote !

    « Finalement t’as pu venir ! Je suis tellement content ! finit par lâcher Jérém, en posant les deux mains sur les épaules solides de son pote, l’air heureux et fébrile comme un gosse à Noël.
    —    Moi aussi je suis content d’être là.
    —    Alors, il va mieux le petit Garcia ?
    —    Beaucoup mieux depuis ce matin, merci. »

    Ah, d’accord. Apparemment, Lucas était malade. En fait, si Jérém ne m’a pas parlé de la venue de Thibault, c’est qu’il n’était pas certain qu’il puisse venir.

    Ça fait près d’un an que tu n’as pas vu ton Jéjé, et qu’est-ce que ça te fait plaisir de le retrouver !
    Pendant cette année, tu as souvent repensé au « bon vieux temps », à cette saison de votre vie où vous jouiez dans la même équipe de rugby à Toulouse. Tu as repensé aux entraînements, aux matches, aux troisièmes mi-temps, aux sorties entre potes, à la Bodega, au Shangay, au KL, vos repères de jeunes mecs célibataires. Mais, surtout, surtout, ce qui t’a le plus manqué, ce sont tous ces moments passés avec ton pote à partager ce qui fait qu’une amitié est une Amitié.
    Après ce qui s’est passé ce soir-là sur ton clic-clac, tu as eu besoin de faire un point sur les sentiments que tu ressentais pour lui. Tu as eu besoin de prendre de la distance. Ça t’a pris un an pour que tout cela s’apaise peu à peu. Du moins, c’est ce que tu croyais.
    Car lorsque ton pote t’a appelé pour t’inviter à cette soirée, tu as su que tu n’avais rien oublié. A l’approche de Campan, tu frémissais d’impatience. Tu appréhendais de le revoir. Dès que tu l’as aperçu, tu as su que tes sentiments n’avaient pas changé.

    Maxime vient me dire bonjour et Thibault en fait de même dans la foulée.
    « Eh, Nico, quel plaisir ! » il me lance en me prenant dans ses bras solides. Ce qui me donne l’occasion de découvrir qu’il a également changé de parfum, le petit coquet.

    Tu admets sans difficulté, Thibault, que Nico est l’autre garçon qui te fait de l’effet. Sa timidité, sa gentillesse, sa douceur t’ont touché depuis la première fois que tu l’as croisé. Et à côté de ça, tu as toujours trouvé qu’il dégageait une intense sensualité. Ce soir, tu ressens encore plus clairement ce que tu avais déjà pressenti lors de votre dernière rencontre, six mois auparavant. Tu as l’impression que Nico est en train de prendre de l’assurance, et tu trouves que ça lui va super bien.

    « Je suis content que tu aies pu venir ! je lui lance.
    —    J’aurais vraiment regretté de ne pas pouvoir être là.
    —    Alors, il paraît que Lucas était malade ?
    —    Hier il avait beaucoup de fièvre. La nuit dernière on a été aux urgences. Mais cet après-midi il allait mieux.
    —    Ah, ça me fait plaisir !
    —    Et Nathalie va bien ?
    —    Elle est un peu débordée, mais ça va…
    —    Mais quelle belle surprise ! Ça fait longtemps qu’on t’a pas vu, Thibault ! nous interrompt Jean Paul, impatient de dire bonjour au jeune Toulousain.
    —    C’est vrai, le temps passe vite, considère Thibault, tout en ôtant son blouson en cuir et en dévoilant toute l’élégance de sa belle chemise, ainsi que la perfection avec laquelle sa coupe redessine sa plastique de fou.
    —    A qui le dis-tu ! Au fait ! Félicitations pour ta saison au Stade Toulousain ! fait Daniel, tu t’es débrouillé comme un chef la saison dernière ! Et ça a l’air de redémarrer plutôt fort cette année, non ?
    —    Je ne peux pas me plaindre…
    —    Je vais refaire une tournée d’apéros, annonce Daniel
    —    Toi non plus tu ne bouges pas d’ici, il s’empresse d’ajouter, toi aussi tu vas avoir droit à un interrogatoire au sujet des coulisses du Stade !

    —    Ça fait combien d’années que tu n’es pas venu nous voir ? le questionne Martine.
    —    Depuis l’été 1999…
    —    Ah, quand-même, ça fait plus de trois ans…
    —    On t’a quitté alors que tu n’étais encore qu’un jeune garçon et là on te retrouve devenu un homme ! commente JP.
    —    Alors, ce soir on a deux choses à fêter, constate Daniel, le recrutement de Jérém au Stade à Paris et les exploits de Thibault pendant sa première saison au Stade Toulousain !
    —    Mais Thib n’a pas que ça à fêter ! lance Jérém.
    —    C’est-à-dire ? » fait Carine, curieuse.
    Thibault sourit timidement et finit par lâcher :
    « Je… je suis devenu… papa…
    —    Quoi ? fait Martine.
    —    J’ai eu un petit gars, il y a six mois. Il s’appelle Lucas.
    —    Mais c’est formidable ! fait Satine.
    —    Tu dois être heureux ! lâche Ginette.
    —    Je suis fou de ce petit gars ! » fait le jeune papa, tout en sortant une photo de son portefeuille et en la passant à cette dernière. La photo passe de main en main et les félicitations fusent.

    « Un futur stadiste ! s’exclame Daniel. Allez, fêtons ça !
    —    Maintenant je peux te le dire, fait Stéphanie, la fille de Charlène, à qui les apéros à répétition ont mis des couleurs sur ses joues. J’espère que tu ne vas pas mal le prendre… de toute façon, je m’en fous… j’ai toujours été amoureuse de toi ! »
    Thibault sourit, visiblement mal à l’aise. Et pendant que tout le monde rigole de la sortie inattendue de Stéphanie, j’entends derrière moi une voix masculine glisser discrètement :
    « Moi aussi je peux le dire maintenant, j’ai toujours été amoureux de lui. Si seulement il n’avait pas été hétéro… »
    Je me retourne, et Fabien me lance un petit clin d’œil. Je crois que je suis le seul à avoir entendu ses mots, car je crois qu’il a voulu que je sois le seul à les entendre. Victor est loin, en train de discuter avec Martine et Nadine. Je lui lance un sourire complice pour lui faire comprendre que je suis complètement d’accord avec lui, que Thibault est un garçon dont on ne peut pas ne pas tomber amoureux. Je voudrais pouvoir lui dire qu’il se trompe, que Thibault n’est pas hétéro, et qu’ils auraient fait un joli couple tous les deux. Mais ce ne serait pas correct. D’abord, parce que Fabien a l’air d’être heureux avec Victor. Aussi, parce que c’est à Thibault de choisir quand, comment et avec qui faire son coming out.

    Une nouvelle et dernière tournée d’apéro est servie. L’ambiance au relais est festive. Comme d’habitude, mais plus encore que d’habitude. Les deux rugbymen sont célébrés par les cavaliers avec un enthousiasme et une bienveillance certains. Comme il l’a souhaité, Jérém est entouré de tous les gens qui l’aiment et qu’il aime, ses amis, son Thib, son frérot Maxime. Et moi, d’après ce qu’il m’a dit. Et son bonheur est vraiment beau à voir.

    A table, Thibault, Jérém et Maxime s’assoient côte à côte, dans cet ordre. Je m’installe juste en face. Je peux ainsi partager leurs conversations, assister à la complicité émouvante entre les deux frères, voir les deux potes heureux de retrouver leur amitié d’avant. Je suis tellement heureux pour eux.
    Je sors mon appareil, et je les prends en photo. J’ai besoin d’immortaliser leur beauté, leur jeunesse, leurs rires, leur bonheur de cet instant.
    En regardant cette photo tant d’années plus tard, je me dis qu’à cet instant précis, dans cette phase de leur vie, Jérém, Thibault, et Maxime étaient sur une trajectoire ascendante vers l’accomplissement de leurs mâlitudes. Est-ce qu’ils se rendaient compte à quel point chaque jour qui passait les rendait plus sexy ? Je me pose cette question car à ce moment-là je devais être moi aussi, dans une certaine mesure, dans cette trajectoire. Mais moi, je ne m’en rendais pas vraiment compte.

    La potée est enfin servie et c’est un délice.
    « Quand plus personne ne parle, c’est que la bouffe est bonne ! fait JP, en soulignant la soudaine réduction de décibel concomitante au remplissage des assiettes.
    —    Un grand merci à Ginette et Eric !
    —    MERCI GINETTE ET ERIC ! fait la tablée tout entière, en cœur et en rires.
    Jérém et Thibault discutent à bâtons rompus. Les deux potes sont si enthousiastes, si pleins d’énergie, si insolemment heureux, qu’ils finissent par attirer les regards.
    « J’aimerais bien me souvenir ce que ça fait d’être si jeune, fait Daniel, l’air rêveur.
    —    On ne peut pas être et avoir été, déclame Martine.
    —    C’est certain. Mais quand on les regarde, avec toute leur vie devant eux, avec une belle carrière sportive en perspective, ça donne envie de remonter le temps, fait JP.
    —    Parce qu’on se dit qu’on n’en a pas assez profité quand on avait leur âge, abonde Daniel.
    —    Mais vous en avez bien profité ! s’insurge Lola. Notre génération en a bien profité ! Je vous rappelle que nous avons été jeunes dans les années ’60 et ’70, et à l’époque on s’éclatait vraiment.
    —    C’est vrai, fait Charlène. A cette époque, il n’y avait pas de chômage, tout le monde avait de l’argent, et la croissance semblait ne jamais devoir s’arrêter.
    —    Tu idéalises un peu, je crois, tempère JP.
    —    En plus, il y avait de la bonne musique, il y avait ABBA ! continue Charlène sur sa lancée.
    —    Gimme gimme gimme a man after midnight… entonne Daniel.
    —    On fumait à bloc, on baisait comme des lapins, et le SIDA n’existait pas !
    —    Ah, ça c’est vrai. Mais on ne profite jamais assez de la vie. C’est pour cela que j’aimerais avoir à nouveau leur âge, ne serait-ce que pour un jour, insiste Daniel.
    —    Et tu ferais quoi si tu pouvais avoir à nouveau leur âge ? le questionne JP sur un ton de défi.
    —    Je ferais la fête.
    —    Je te reconnais bien, là ! fait Lola, l’air faussement exaspérée.
    —    Mais pas que, il tempère, l’air plus sérieux. J’aimerais ressentir à nouveau ce sentiment d’avoir toute la vie devant moi, et de ne pas en voir la fin. J’aimerais retrouver la sensation de pouvoir tout faire, sans que mes articulations me rappellent que je suis vieux. Je voudrais réapprendre à toujours regarder en avant, sans jamais me retourner. J’aimerais retrouver l’assurance, l’insouciance, l’inconscience de ma jeunesse. J’aimerais à nouveau me sentir libre, et immortel.
    —    Hier ne reviendra plus, fait JP. Ce qui compte, c’est aujourd’hui.
    —    C’est vrai. Le fait est que plus on vieillit, plus on se met à réfléchir. Et quand on réfléchit trop, on n’a plus le temps d’être heureux, considère Satine.
    —    Sinon, vous comptez nous saper le moral pendant toute la soirée ? lance Martine, les décibels à fond la caisse.
    —    Mais pas du tout ! fait Daniel. Je vous donne mon mot de la fin : TOURNEE GENERALE !!!
    —    Profitez bien les gars, profitez à fond ! fait JP, en saisissant la bouteille de rouge et en servant copieusement les convives. »

    Le gâteau de Charlène, une tarte aux fruits et à la chantilly faite maison, atterrit sur la table sous les applaudissements des cavaliers.
    Entre le gâteau et le café, je pense à ressortir mon appareil jetable. Je fais quelques photos de la tablée, j’essaie d’immortaliser les convives, les sourires, la bonne humeur de cette belle soirée.
    Je crois que j’ai réussi. Car je retrouve le souvenir vibrant de ce bonheur, bien que voilé d’une grande nostalgie et d’une certaine tristesse, en regardant ces photos près de vingt ans plus tard, alors que le temps a emporté à tout jamais certains de ces visages et de ces sourires.

    Martine m’attrape l’appareil des mains et me prend en photo avec Jérém et Thibault. Elle a toujours de très bonnes initiatives, cette nana.
    La soirée se poursuit sur les notes de la guitare de Daniel accompagnant le cœur de cavaliers toujours égal à lui-même. C’est à dire tour à tour dissonant, charmant, entraînant, émouvant.

    Vers minuit, je profite d’une envie de pipi pour sortir du relais et rallumer mon portable. Comme je m’y attendais, il n’y a pratiquement pas de réseau. J’attends un peu, et l’écran finit par afficher « 6 appels en absence Ruben », en plus de l’icône du message vocal. Un intense malaise, doublé d’une grande inquiétude s’empare instantanément de moi. J’ai besoin d’écouter son message, mais j’ai peur de le sentir fâché, blessé, suspicieux, accusateur.
    Je lance le répondeur, une, deux, dix fois, mais impossible de m’y connecter. Je lui écris un message :
    Salut, Ruben. J’ai vu que tu as essayé de m’appeler, mais mon téléphone déconne depuis hier. Là je suis dans un bar avec ma cousine. Je t’appelle demain, sans faute. Bisous.

    Lorsque je retourne à l’intérieur du relais, la fin de soirée s’annonce. Daniel joue toujours de la guitare, mais plus personne ne chante, mis à part lui-même. Ça me fait penser à l’histoire des musiciens du Titanic qui continuaient de jouer alors que le paquebot était en train de couler.
    La plupart des cavaliers est en train de débarrasser la grande table, de ranger, de nettoyer. Thibault est en train de balayer et Jérém lui facilite la tâche en écartant les bancs sur son passage. Les deux potes font le ménage en équipe, tout en déconnant joyeusement.
    Lorsque Daniel finit par arrêter de jouer, je sais que la soirée vit ses derniers instants. Les premières bises d’au revoir sont échangées. En quelques minutes, le relais se vide. Zut, alors, les bons moments passent si vite !
    Jérém, Maxime, Thibault, Charlène et moi sommes les derniers à quitter les lieux.
    « Maxime et Thibault, vous venez dormir à la maison, fait Charlène, en refermant derrière elle la porte du relais, ainsi que cette belle soirée.
    —    On avait prévu des sacs de couchage, fait Maxime.
    —    N’importe quoi, vous serez mieux dans un lit, quand même !
    —    C’est pas faux ! admet Thibault.
    —    Ça m’a fait vraiment plaisir que tu aies pu venir, Thib, fait Jérém.
    —    J’aurais aimé avoir plus de temps.
    —    Et… pourquoi tu ne viendrais pas à la maison ? rebondit Jérém sur un ton enjoué. On va se boire un dernier coup, fumer un pétard et discuter.
    —    Euh… bah… je ne sais pas…
    —    On a un an à rattraper, et plein de choses à se raconter !
    —    Tu pars à quelle heure demain matin, Maxime ?
    —    J’ai cours à 9 heures, je dois partir à 6h30.
    —    Tu passeras me chercher ?
    —    Pas de problème.
    —    C’est d’accord, alors, fait Thibault.
    —    Tu peux pas prendre une demi-journée ? revient à la charge mon bobrun. Je remonte à Toulouse demain avec Nico, et tu pourrais faire le voyage avec nous. Hein, Nico, il pourrait faire le voyage avec nous ?
    —    Mais, oui, bien sûr !
    —    Bah, alors, pourquoi pas ! Je dirai que ma voiture était en panne, sourit le jeune pompier.
    —    Maxime, ça t’embête pas de faire le voyage seul demain matin ?
    —    Pas du tout » fait le petit brun, adorable.

    Thibault récupère son sac de couchage dans la voiture de Maxime et nous rentrons. Pendant les quelques minutes que dure le trajet entre le relais et la petite maison en pierre, les deux potes discutent de tout et de rien. Et pourtant, je sens que ces échanges à l’apparence anodins, et pourtant incessants, presque fébriles, sont l’expression d’un besoin irrépressible de continuer à « alimenter » cette complicité retrouvée. Comme si chacun des deux potes avait besoin de continuer de s’assurer de la stabilité de ce « pont de l’amitié » qui avait subi d’importants dégâts un an plus tôt et qui vient tout juste d’être remis en service. Je sens que ces mots ordinaires en remplacent d’autres plus difficiles à prononcer.

    Tu as observé ton pote Jéjé pendant toute la soirée. Et ce qui t’a le plus frappé, Thibault, c’est son changement d’attitude, d’état d’esprit. Tu l’as connu impulsif, à fleur de peau, inquiet, perdu, en colère contre la Terre entière, et surtout contre lui-même. Tu l’as connu tendu et agressif lorsqu’il refoulait sa véritable nature. Et là, tu le retrouves beaucoup plus serein, apaisé, bienveillant, en phase avec lui-même.
    Tu réalises que ton pote a avancé dans sa vie. Tu ressens un pincement au cœur, tu te dis que tu aurais voulu être là pour assister à tous ces changements. Mais tu es heureux qu’ils se soient produits, que ton Jéjé se débrouille seul et que ça lui réussisse plutôt pas mal.
    Ça te fait plaisir de voir que Nico fait toujours partie de sa vie, et qu’ils ont l’air heureux ensemble. Ça te fait plaisir de le voir avec Nico à Campan, de le voir cesser d’avoir honte. Tu as constaté que le regard amoureux de Nico sur Jéjé n’a pas changé. En revanche, ce qui a changé, c’est le regard de Jéjé sur Nico. Il n’y a pas de doute, ces deux-là s’aiment.
    En fait, Jéjé avait tout simplement besoin de tomber amoureux. Il en avait besoin pour commencer à faire la paix avec lui-même, pour dompter ses démons, pour grandir.

    Depuis le début de la soirée, je ne cesse de me répéter à quel point ça me fait plaisir que Thibault et Jérém se retrouvent enfin. En revanche, à l’approche de la petite maison en pierre, je me dis que je ne suis pas convaincu qu’inviter le jeune pompier à dormir à la petite maison soit une bonne idée.
    La simple idée que Jérém et moi allons dormir dans le même lit, alors que Thibault va dormir dans un sac de couchage, me met mal à l’aise. Car ça me paraît indélicat comme situation. Je ne sais pas où en est Thibault de ses sentiments pour Jérém. Mais je ne veux pas lui balancer notre bonheur à la figure. Je ne sais pas si Jérém a pensé à tout ça en invitant Thibault à rentrer avec nous. Vu son état d’ivresse, il est possible qu’il n’ait pas évalué tous les pour et les contre.

    A la petite maison, le feu est éteint, et seul quelques timides braises persistent dans la cheminée. Jérém s’empresse de rajouter du bois et de refaire une belle flambée. Puis, il attrape des bières et sort un joint de la poche de sa veste. Il l’allume, en tire une longue taffe et le passe à Thibault. Ce dernier tire dessus à son tour et me le tend. Je le saisis et je tire dessus aussi. La fumée me brûle la gorge, je ne trouve pas ça agréable du tout.
    Au fil des taffes, les échanges entre les deux potes glissent vers l’évocation des souvenirs de Toulouse, de leurs potes, de leur enfance. C’est tellement émouvant d’assister à ça, à deux potes en train de rattraper le temps perdu après que leurs chemins se sont séparés pendant un temps.

    Le joint vient de tirer sa révérence, lorsqu’un gros morceau de bois glisse dans la cheminée. Jérém se lève pour le ranger. Thibault, toujours aussi serviable, se lève à son tour. Le regard rivé sur le feu, mon bobrun sort mécaniquement le paquet de cigarettes dans sa poche et en attrape une. Il tend ensuite le paquet vers Thibault, qui décline la proposition. La clope dans une main, le briquet dans l’autre, Jérém demeure immobile, comme s’il n’avait en réalité pas envie de fumer et que la cigarette n’avait été qu’une tentative de partager quelque chose encore avec son pote.
    Preuve en est qu’un instant plus tard, il la jette dans le feu et range le briquet dans sa poche.
    « Qu’est-ce que tu fais, Jé ? demande le jeune pompier, le regard amusé.
    —    Tu m’as manqué, Thib, fait Jérém, visiblement ému.
    —    Toi aussi tu m’as manqué ! »
    Les deux potes se prennent dans les bras, se serrent très fort l’un contre l’autre. Dans la pénombre, je sais que les deux garçons ont les larmes aux yeux. Et moi aussi.

    Lorsque leur étreinte prend fin, Jérém ôte son blouson d’étudiant.
    « Je crève de chaud ! »
    Le t-shirt blanc propre qui a remplacé celui qui a fait les frais de notre petit jeu coquin de l’après-midi épouse sa plastique d’une façon scandaleusement sexy.
    « Ooooh, s’exclame Thibault, visiblement impressionné par la façon dont le coton immaculé dévoile malicieusement ce qu’il est censé cacher, comment t’es bâtiiiii ! T’as de ces biceps, mon pote ! »

    Ses biceps, son torse, son sourire t’ont toujours rendu fou de désir. Et force est de constater qu’il te fait toujours autant d’effet. Et plus encore.

    « Toi aussi, t’as pris du muscle, je crois, fait Jérém, en tâtant le biceps du jeune papa par-dessus le blouson.
    —    Je ne sais pas… fait Thibault, l’air un brin gêné.
    —    Montre ! » enjoint Jérém, visiblement désinhibé par le tarpé et l’alcool.
    Thibault semble hésiter, mais il finit par tomber son beau blouson en cuir.
    « Allez, montre ! » insiste Jérém, visiblement pas satisfait.
    Thibault s’attèle alors à l’ouverture de sa belle chemise à petits carreaux. Bouton après bouton, le débardeur blanc dont j’avais deviné la présence se dévoile dans toute sa splendeur, magnifiquement tendu sur ses épaules solides, sur ses pecs saillants, autour du V puissant de son torse. Dans l’arrondi du col, des jolis poils soulignent une intense mâlitude. Quant à ses biceps, ce sont deux œuvres d’art plastique. C’est beau à en pleurer !
    Cette vision spectaculaire me rappelle instantanément l’attirance que j’ai ressentie lors de nos dernières rencontres à Toulouse. Je pourrais culpabiliser de ressentir autant d’attirance pour un autre garçon que celui que j’aime. Mais on ne peut pas être insensible à tant de beauté masculine, sauf en mentant à soi-même. On peut se maîtriser, éviter la tentation, ne pas y céder. Mais il faudrait être de marbre pour ne pas être ému par un gars comme Thibault.
    Ceci étant, je dois rester correct et vigilant dans mes regards. Je ne veux pas mettre Thibault mal à l’aise ni rendre Jérém jaloux. Nous nous sommes déjà disputés une fois à ce sujet, je ne veux surtout pas que ça recommence. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de repenser à la nuit à trois que nous avons passé ensemble un an plus tôt.

    « Ah, ouais, ouais, je savais bien que ça avait bien progressé de ce côté-là, fait Jérém en tâtant à nouveau les biceps de son pote enfin dénudés.
    —    Pas tant que ça…
    —    Si, si, tant que ça, je confirme.
    —    Eh, sinon, ça fait longtemps que tu t’es percé l'oreille ? enchaîne mon bobrun en portant le bout de ses doigts autour du petit bijou, en caressant le lobe auriculaire du jeune pompier.
    —    Quelques semaines…
    —    Ah ouais… »

    Les épaules solides de ton pote Thib aimantent ton regard et tes doigts. Ses gros bras, comme ceux d’Ulysse, te donnent envie de t’abandonner dedans. Quant à ce brillant à l’oreille, tu ne sais pas bien pourquoi, mais il t’excite grave. Tu ne veux pas mettre Thibault mal à l’aise, ni rendre Nico jaloux. Et pourtant, tu ne peux t’empêcher de repenser à la nuit à trois que vous avez passée ensemble un an plus tôt. Et à celle que vous avez partagée tous les deux…

    « Ça ne me va pas, c’est ça ?
    —    Tu rigoles ? T’es bandant ! »
     
    Bandant, oui, c’est le mot.

    « Tu parles !
    —    C’est vrai, je confirme à nouveau.
    —    Merci… »

    Jérém s’allume une clope. Puis, il se rassoit contre la cheminée. Thibault en fait de même. Après avoir expiré une longue traînée de fumée, mon bobrun passe le bras derrière le cou de son pote et attire délicatement sa tête contre son épaule.
    Les regards sont traînants, voluptueux, caressants. Les gestes sont lents. Ils traduisent la fatigue, l’ivresse, la désinhibition, la primauté, provisoire mais toute-puissante, des sens sur l’esprit.
    L’ancien mécano prend une inspiration profonde, et passe à son tour son bras autour du cou de Jérém. Qu’est-ce qu’ils sont beaux, tous les deux !
    Le bobrun pointe son regard de braise vers moi, il me vise droit dans les yeux et me lance :
    « T’as pas chaud avec ton pull ?
    —    Si ! j’admets, tout en m’en débarrassant.
    —    Viens là, Nico, viens avec nous. »

    Qu’est-ce que tu kiffes, Jérémie, le petit torse de Nico que tu devines sous ce t-shirt noir ajusté ! Sans parler de son beau petit cul enserré dans le jeans, et de sa gueule d’amour !

    Qu’est-ce qu’il te fait de l’effet, Thibault, le joli corps élancé de Nico ! Tu ressens pour lui une attirance très différente de celles que tu ressens pour Jéjé, mais pas moins intense.
    A chaque fois que tu l’as revu, tu as repensé à cette fameuse nuit à trois. Au plaisir que tu as pris avec lui. Mais aussi, et surtout, à sa tendresse, à son besoin d’affection, au bonheur de le tenir dans tes bras.

    Jérém m’invite à m’asseoir entre ses cuisses. Puis, il passe sa main sous mon t-shirt, il plaque sa paume chaude sur mon nombril et me colle contre son torse. Un instant plus tard, je sens son nez décrire des frottements légers à la base de ma nuque. Ce sont des petites caresses à la fois douces et sensuelles, et elles provoquent en moi une tempête de frissons. J’ai terriblement envie de l’embrasser, mais je suis toujours et encore gêné par la présence de Thibault. Je ne veux pas qu’il ait l’impression de tenir la chandelle.
    Mais Jérém ne me facilite pas la tâche. Son nez s’aventure jusqu’à ma joue. Ses lèvres s’approchent dangereusement de la commissure des miennes. Je crois qu’il a lui aussi très envie de m’embrasser, mais que, comme moi, il se retient par respect pour Thibault.
    Lorsque nos lèvres finissent par se frôler, Jérém a un brusque reflexe de recul.

    « Eh, vous pouvez vous embrasser les gars, il n’y a pas de problème ! » fait Thibault.

    Et qu’est-ce qu’il est beau le petit sourire, mi-gêné et mi-amusé, que Jérém lui envoie en retour !

    Jérém m’embrasse enfin, doucement, longuement. Et lorsque nos lèvres se séparent, une surprise de taille m’attend. Car elles atterrissent dare-dare sur celles de Thibault !
    L’ancien mécano est pris au dépourvu, et il a l’air complétement perdu.

    Tu as passé un an à te dire que tu ne dois plus interférer avec leur histoire. Que tu dois rester correct avec ton pote Jéjé par respect de Nico, et avec Nico par respect de Jéjé.
    Mais il suffit d’une certaine proximité, d’un peu d’intimité, d’un câlin, d’un baiser, et tout reflambe en toi ce soir. Et ce baiser fait voler en éclat toutes tes résolutions. Tu n’aurais pas dû accepter l’invitation de ton pote. Et pourtant, tu es heureux d’être là.

    Mais Thibault finit par lâcher prise très vite. Les deux potes s’embrassent, et c’est très beau à voir, et très excitant.
    Puis, c’est à mon tour de découvrir la douce sensualité des lèvres du stadiste toulousain, alors que Jérém pose d’incessants baisers dans mon cou. Pendant un long moment, le crépitement du feu se mélange aux doux claquements de nos baisers incessants.
    Je suis conscient que nous sommes en train de nous engager dans une voie dangereuse. Car cet instant où tout est en train de basculer entre nous, me rappelle une autre nuit où tout a basculé. Et je me souviens des conséquences de cette fameuse nuit, de la gueule de bois qui nous attendait le matin suivant. Je ne veux surtout pas commettre les mêmes erreurs, notamment vis-à-vis de Thibault.
    Et pourtant, je continue à embrasser les deux potes, sans pouvoir m’arrêter. Je sens que nous allons très bientôt passer le point de non-retour. A moins que nous l’ayons déjà passé…

    Jérém est le premier à se retirer de ce jeu délicieux. Thibault arrête à son tour de dispenser des bisous. Est-ce qu’ils regrettent déjà d’être allé trop loin ? Est-ce qu’ils se sont arrêtés juste à temps, avant que ce ne soit trop tard ? Est-ce que nos retrouvailles sensuelles vont s’arrêter là ?
    Je me retrouve dans les bras de Jérém, et je me sens un peu con. Mais, très vite, le bobrun recommence à poser des bisous dans mon cou, ce qui m’apporte de nouveaux intenses frissons. Des frissons qui montent en puissance de façon exponentielle lorsque d’autres lèvres commencent à poser d’autres bisous dans mon cou, sur ma joue, sur mon oreille.
    Mon cœur s’emballe, et mon excitation avec.
    Evidemment, je pense à Ruben, évidemment je culpabilise. Evidemment, je pense à Thibault, et je ne sais pas si c’est une bonne idée de remettre ça.
    Et pourtant, je me laisse transporter par l’appel du bonheur qui semble s’annoncer.


    Notes de l’auteur.



    1/ Les échanges entre Jean Paul et Daniel au sujet de la jeunesse sont largement inspirés de la chanson « ¿Qué Se Siente Al Ser Tan Joven? » du groupe espagnol « La Casa Azul ».





    2/ Ce texte est une pure fiction. Les noms des équipes citées ont été choisis uniquement pour illustrer les prestigieuses carrières professionnelles des personnages. Ainsi, les échanges entre ces mêmes personnages ne décrivent en aucun cas des faits avérés dans les équipes citées à l’époque du récit.

    3/ Le prochain épisode, le dernier de l’année, est prévu pour le 31 décembre 2021.

     

    Merci à FanB pour son travail de correction et de révision des épisodes.

    Merci à Yann pour les images animées de vœux sur le site.

    Merci aux lecteurs/trices, aux tipeurs, à ceux qui laissent des commentaires.


    6 commentaires
  •  
    Est-ce que Ruben est amoureux de moi ? Ou bien, est-ce que nous sommes tous deux amoureux de ce que nous nous apportons l’un à l’autre, à savoir une présence qui nous empêche de nous noyer dans le chagrin de nos amours perdues ? Je ne sais pas répondre à ces questions, et au fond de moi je ne sais pas si j’en ai envie.
    Nous sommes deux meurtris de la vie et que nous avons besoin du réconfort et de la douceur que nous avons trouvés dans les bras de l’autre. Ruben a été ma bouée de sauvetage, et j’ai probablement été la sienne. Lorsqu’on se noie, on ne refuse pas une main tendue.
    Je me souviens très bien de l’instant où je me suis fait ces réflexions. C’était un soir, un samedi soir plus précisément, et c’était la veille de mon anniversaire. Et c’était aussi la veille du jour où « un coup de tonnerre » allait faire dangereusement vaciller mon fragile équilibre sentimental.

    Dimanche 15 septembre 2002.

    Un anniversaire, et en particulier celui de ses 20 ans, devrait être une journée heureuse. Elle ne l’est pas vraiment pour moi. Dès le matin, je suis d’une humeur morose. Car en ce jour, encore plus que les précédents, la nostalgie tenaille mon cœur et elle ne me lâche pas d’une semelle.
    En fait, ça fait des mois qu’elle m’assiège. Et, malgré la présence de Ruben dans ma vie, elle n’a cessé de me harceler un peu plus chaque jour. Dès que je me retrouve seul, je ressasse le bonheur passé. Le bonheur perdu.
    A une époque où le plus puissant des moteurs de recherche n’était pas là pour nous rappeler en images sur un écran ce que nous faisions un an plus tôt, c’était notre cœur qui nous le rappelait.
    Il y a un an, jour pour jour, j’étais à Campan, et je venais de retrouver Jérém après notre clash dans la maison de mes parents. Il y a un an, je découvrais un nouveau Jérém. Je le découvrais entouré d’un cadre nouvel et inattendu – la montagne, les chevaux, et une sorte de grande famille aimante composée d’une bande de joyeux lurons, les cavaliers de l’ABCR. Un garçon beaucoup plus simple et naturel que celui que j’avais connu à Toulouse. Je faisais la connaissance de la petite maison en pierre, et de l’amour qu’il portait à ses grands-parents. En connaissant son histoire, ses peurs, ses faiblesses, je tombais une deuxième fois amoureux de Jérém. J’avais été fou d’un petit con sexy en diable, je tombais véritablement amoureux d’un garçon touchant.
    Je repense aux balades sur le dos de Tequila, je me rappelle la bienveillance de Charlène, la bonne humeur de Martine, la sagesse et l’humour de Jean-Paul. Je repense aux fins de soirée rythmées par la guitare et par les blagues de Denis. Je repense aux belles discussions avec ces gens ouverts. Je me souviens du coming out de Jérém devant tout le monde.
    Et je me souviens surtout d’un Jérém tendre, attentionné, amoureux. Je me souviens d’à quel point ce Jérém m’a touché, ému, bouleversé. Je me rappelle qu’il y a un an, nous nous câlinions devant le feu dans la petite maison, nous faisions l’amour plus tendrement que nous ne l’avions jamais fait. Je me souviens qu’il y a un an, j’étais heureux.

    Je mentirais si je disais que je suis complètement malheureux aujourd’hui. Je suis heureux aussi, d’une certaine manière. Après un mois de juillet au fond du trou, j’ai retrouvé une certaine sérénité, un équilibre relatif depuis que Ruben est entré dans ma vie.
    Et pourtant, au fond de moi je sais que mon cœur est resté ailleurs. J’ai eu beau essayer de lui imposer de changer de cap. Le cœur ne sait tendre ailleurs que dans la direction qu’il a choisie de son propre chef. Oui, parfois notre raison voudrait lui imposer des choix. Parfois ils se bagarrent. Mais la raison a beau s’acharner, elle n’a jamais remporté le moindre le duel. Il y a un seul Pôle Nord Magnétique, il y a un seul Pôle Magnétique du Cœur. Et Jérém, c’est le mien.

    Le matin de mon anniversaire, j’ai reçu deux coups de fil. Le premier de Maman, l’autre de ma cousine Élodie. Ruben m’a souhaité bon anniversaire avec plein de bisous et un petit déj soigné. Tous mes proches, du moins ceux qui connaissent ma date d’anniversaire, se sont manifestés. Je devrais être comblé. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de me prendre la tête avec le « bon anniversaire » qui est le grand absent en ce jour.
    Je sais que je ne devrais même pas y penser. Parce que, de toute façon, ça ne viendra pas. Je sais qu’il n’y pensera pas. Et que même s’il y pensait, il se dirait qu’il vaut mieux faire profil bas. Et une partie de moi se dit qu’il est mieux ainsi.
    Et pourtant, quand je pense au bonheur que j’avais ressenti il y a un an lorsque Jérém m’avait appelé pour cette occasion spéciale, j’ai envie de pleurer. Et je ne peux m’empêcher, pendant toute la journée, de guetter régulièrement l’écran de mon téléphone en espérant y trouver l’arrivée d’un message ou l’apparition d’un appel en absence (après les appels de Maman et d’Élodie, j’ai mis le téléphone en mode « silence », pour éviter de devoir rendre des comptes, au cas où).

    C’est une belle journée et Ruben m’entraîne dans une longue boucle à vélo avec les cyclistes de l’asso. Le soir de mon anniversaire, nous la passons évidemment en amoureux. Pour le dîner, il me prépare un bon petit plat de chez lui, un délicieux farci poitevin. Je suis vraiment touché par ses attentions. Cuisiner pour quelqu’un est une belle façon de lui montrer qu’on l’aime. Je lis dans ses gestes, dans son regard, son bonheur de me faire plaisir.
    J’ai même droit à un cadeau. Un jour le titre « The Scientist » était passé à la radio et je lui avais dit que j’aimais bien. Le soir de mon anniversaire, le cd « A Rush of Blood to the Head » apparaît sous le papier cadeau.
    « Merci beaucoup, Ruben
    —    De rien… chaton…
    —    Chaton ?  je m’étonne en l’entendant m’appeler pour la première fois de cette façon.
    —    Tu n’aimes pas ?
    —    Si, si, c’est juste que je m’y attendais pas…
    —    Il va falloir que tu trouves un petit nom pour moi aussi, maintenant…
    —    Oui », je le seconde, sans avoir la moindre idée de quoi je pourrais bien trouver. Le seul petit nom qui me vient en tête, c’est… « P’tit Loup ». Mais jamais je ne pourrais l’appeler de cette façon, jamais.
    « Chaton » marque un pas supplémentaire dans notre intimité. « Chaton » me rapproche un peu plus de ces trois petits mots que je crains de m’entendre dire un jour à Ruben, ces trois petits mots qui engagent et qui me font peur. « Chaton » rime bien évidemment avec Ourson, et ça me ramène une fois de plus à mes souvenirs, à ma nostalgie, à ma tristesse.
    Après le repas, nous passons la soirée à nous faire des câlins avec mon cadeau d’anniversaire en fond sonore.



    La tendresse laisse peu à peu la place à la sensualité. Ruben finit par me prendre en bouche et me sucer longuement. Je le suce à mon tour, j’essaie une fois de plus de lui faire apprécier ce plaisir. Mais, une fois de plus, sans grand succès. Je sais qu’il préfère que ma langue aille titiller doucement sa rondelle. S’il n’est pas prêt à ce que je vienne en lui, il a peu à peu appris à apprécier ce plaisir intime. Je suis content de le sentir vibrer sous les caresses de ma langue.

    Après plusieurs nuits passées sur son clic clac moyennement confortable, j’ai du sommeil à rattraper. Le lendemain nous avons cours tous les deux, alors nous décidons de dormir séparément. Je rentre donc chez moi peu avant minuit.
    Je retrouve mon appart, et son empreinte olfactive caractéristique, un mélange entre l’odeur persistante de cigarette très probablement laissée par l’ancien locataire et celle de la lessive que j’utilise pour laver mes fringues.
    Et je « retrouve » mon portable, qui demeurait au fond de ma poche, en panne de batterie depuis midi. C’est l’autre raison qui m’a poussé à rentrer chez moi ce soir. Le besoin de le rallumer, pour savoir, au cas où…
    Je le branche au chargeur, et je l’allume. J’attends quelques secondes, les yeux rivés sur le petit écran. J’attends qu’il ait complètement démarré, j’attends de voir si je n’ai pas loupé un message important. Lorsque le téléphone affiche le nom de l’opérateur et les cinq barres de réseau, j’attends encore de longues secondes. Mais rien ne vient. Je finis même par composer le numéro de la messagerie pour voir si un message y a été déposé sans être notifié.
    « Vous n’avez aucun message ». Par l’intermédiaire d’une voix enregistrée sans émotion et sans empathie, la sentence tombe comme une lame de couperet, arrachant de mon esprit les derniers espoirs d’un « miracle ». Frustré, déçu, malheureux, j’ai du mal à accuser le coup. Je balance le téléphone sur la table de nuit comme si je voulais le punir de ne pas m’annoncer ce que j’attendais secrètement au fond de moi.
    Je prends une douche, je me brosse les dents, je me glisse sous la couette et j’éteins la lumière. Ce n’est qu’à ce moment-là que je remarque que la petite led verte de mon téléphone signalant l’arrivée du message clignote impatiemment dans le noir. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
    J’attrape le téléphone, j’allume le petit écran. Et là, je n’en crois pas mes yeux.

    23h41 « Appel en absence Jérém ».

    Le téléphone était resté en mode « silence » depuis le matin, et la sonnerie n’a pas retenti. En haut de l’écran, l’indication de l’heure affiche 23h45. Merde, merde, merde, je l’ai raté, je l’ai raté de peu, de si peu ! Et à côté de l’heure, l’icône du message vocal clignote de façon insistante.
    J’ai le souffle coupé, et le cœur sur le point d’exploser.

    PUTAIN ! Il y a pensé !!!

    Ça me fait un plaisir fou, et ça me remplit de joie. Mais à côté de ça, ça me terrorise, ça me donne envie de chialer. Ça fait près de deux mois que je n’ai pas de ses nouvelles. Deux mois que j’essaie de faire le deuil de notre relation avortée, que j’essaie de l’oublier. Près de deux mois que j’essaie de me convaincre que Ruben me comblerait.
    Et là, il suffit de voir son nom s’afficher sur mon portable pour sentir tout remonter, mes sentiments, mes espoirs, mes peurs. Pour que mon cœur se mette à battre un rythme qu’il n’a pas joué depuis des mois, celui de la Chamade.
    Le portable toujours enserré dans mes doigts tremblants, je fixe l’icône de message clignotant sur l’écran. J’ai terriblement envie de l’écouter, et j’en ai peur en même temps. J’ai envie d’entendre sa voix, mais j’ai peur de connaître la raison de son appel. J’ai envie de croire que Jérém a tenu parole, que ce coup de fil annonce sa volonté de revenir vers moi, et pour de bon. Mais j’en ai peur aussi. J’ai peur de le retrouver poli et distant, comme un amant qui nous a regardés un jour avec les yeux de l’amour et qui ne nous regarde désormais qu’avec une bienveillance meurtrière. J’ai envie de le retrouver, et j’ai peur de souffrir encore.
    En fait, je me retrouve dans la même situation qu’un an plus tôt, lorsqu’il m’avait rappelé après notre clash pour que j’aille le rejoindre à Campan. Il y a un an, j’avais répondu à son appel. Je nous avais donné une deuxième chance, en mettant de côté mon amour propre blessé.
    Cette fois-ci, ce n’est pas que mon amour propre blessé et le besoin de me protéger qui me retiennent de me laisser aller à un élan inconditionnel vers lui. Il y a aussi le fait que j’ai commencé à me reconstruire, et que j’ai commencé à me bâtir une nouvelle vie. Je ne veux pas trahir Ruben, je ne veux pas lui faire du mal. Je ne veux plus que Jérém vienne à nouveau tout chambouler dans ma vie avant de disparaître encore en laissant des ruines fumantes derrière lui.

    Mon esprit tangue ainsi pendant de longues minutes entre l’envie d’écouter ce message et celle de l’effacer sans l’écouter, et de poursuivre ainsi mon nouveau chemin.
    Je laisse le petit écran du téléphone s’éteindre. Mais la petite led verte au sommet de l’appareil ne cesse de clignoter et de me balancer sournoisement : « Vas-y, il y a un message, vas-y, écoute-le, je ne vais pas arrêter de clignoter et de te casser les couilles tant que tu ne l’auras pas écouté ! »
    Soudain, je me dis que si ça se trouve, il vient de m’appeler pour m’annoncer quelque chose de grave. Peut-être qu’il a une galère, et qu’il a besoin de moi. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Oui, j’ai besoin de savoir s’il va bien. C’est en prétextant ce genre d’arguments dans mon esprit, que je trouve le courage d’écouter enfin le message.
    Je me glisse sous les couvertures, je ferme les yeux et je lance le répondeur.

    « Salut Nico. »

    Deux petits mots et déjà sa voix mâle me fait vibrer. Entendre mon prénom dans sa bouche me met dans tous mes états. Une petite pause suit ces premiers mots, comme une hésitation que je trouve terriblement touchante. When you call my name…

    « Je sais qu’il est tard. Je voulais t’appeler plus tôt, mais je n’y arrivais pas… tu vois, j’ai dû boire un bon peu pour y arriver. J’espère que tu vas bien, Nico. Je…. »

    Une nouvelle fois il prononce mon prénom, une nouvelle fois je sens mes trips se vriller. Sa voix sent le degré d’alcoolémie relativement avancé, et la sincérité et la clairvoyance que cet état peut donner à l’esprit. Une nouvelle fois, ses mots semblent suspendus à une grande hésitation.

    « Écoute, Nico, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je sais que je n’ai pas été cool la dernière fois. Par du tout, même. J’avais besoin d’être seul, et je t’ai encore jeté, alors que tu avais été vraiment génial après l’accident. Cet été j’étais vraiment très mal… je sais, ça n’excuse pas mon comportement. Parce que je me suis encore comporté comme un con avec toi… oui, comme un con, il n’y a pas d’autres mots. J’espère que tu vas pouvoir me pardonner et que tu voudras au moins me reparler. Bonne soirée, et j’espère à bientôt… au fait… bon anniversaire, Ourson. »

    An, non, pas Ourson ! Il n’a pas le droit de m’appeler de cette façon alors qu’il ne m’a pas appelé ainsi depuis des mois ! Il ne peut pas évoquer l’Ourson, et prétendre qu’il se ranime au quart de tour après avoir été jeté dans un coin, comme s’il ne servait plus à rien, pendant des longs mois !
    Et pourtant, qu’est-ce que ça me fait plaisir d’entendre cela ! Car ce petit nom « dans sa bouche » ça ouvre plein d’espoirs, tout un nouvel horizon. Est-ce qu’il voudrait que je sois à nouveau son Ourson ? Est-ce que je vais accepter de l’être à nouveau ? Et Ruben dans tout ça ?

    J’ai les larmes aux yeux, j’ai très envie de l’appeler de suite.
    Le rappeler, pour lui dire quoi ? Pour lui dire à quel point il m’a manqué et à quel point il me manque toujours ? Pour l’engueuler pour m’avoir autant fait souffrir à nouveau ? Pour lui dire qu’un Ourson n’est pas fait pour être câliné, aimé, puis jeté, délaissé, oublié, puis repris quand ça lui chante ?
    Caché sous ma couette, je cherche un abri. Un abri de moi-même, un abri de mes peurs. Mon pouce glisse tout seul sur le bouton vert et le dernier contact s’affiche. « Jérém », appel manqué à 23h41.

    Je regarde cette mention fixement, longuement, jusqu’à ce que l’écran s’éteigne à nouveau. Je rappuie alors sur le bouton vert, l’écran se rallume, la même mention s’affiche à nouveau. Je répète l’opération une bonne dizaine de fois. Juste avant que l’écran ne s’éteigne pour la dernière fois, j’ai lu l’heure : 00h14. Ça fait donc une demi-heure que je fixe l’écran et son prénom en essayant de me décider au sujet de quoi faire. Chacune des options semble me demande un effort surhumain.
    Et pourtant, ne rien faire, ignorer son coup de fil et son message, ignorer ses mots et ses hésitations, son humilité et son mea culpa, me paraît encore plus inimaginable. Je ne pense qu’à ça, je ne pense qu’à lui. Dans ma tête, dans mon cœur, dans mon ventre, ça tourbillonne méchamment.
    Puis, à un moment, je ferme les yeux, je prends une grande respiration, je porte le téléphone à mon oreille. Et j’appuie sur le bouton vert d’un geste précipité, presque violent. Parfois il faut arrêter de penser et agir.
    La première sonnerie retentit dans mon oreille. J’ai l’impression que mon cœur va exploser. J’ai l’impression de faire une connerie, j’ai l’impression de trahir Ruben, et je m’en veux. Et pourtant, je laisse sonner.
    Chaque sonnerie dans le vide est un nouveau coup de poing dans le ventre. Je suis comme en apnée, je me demande bien ce que je vais pouvoir lui dire, et de quelle façon. J’ai envie de raccrocher, mais je n’ose pas, c’est trop tard. Je commence à espérer tomber sur sa messagerie. C’est trop dur tout ça, trop difficile, trop douloureux. Je me dis que ça va être plus simple de parler à une machine qu’au gars que j’aime.

    « Écoute Jérém, ça fait des mois que tu ne m’as pas donné de nouvelles. J’ai respecté ton besoin d’être seul, et je commence à m’en faire une raison. Alors, ne gâche pas tout. Ne me donne pas de nouveaux espoirs que tu briseras un jour ou l’autre. Ne m’appelle plus, s’il te plaît. Je t’ai beaucoup aimé, et je t’aimerai toujours. Mais à l’évidence, je n’arrive pas à te rendre heureux. Alors, essayons d’être soyons heureux chacun de notre côté. Bonne chance, P’tit Loup. Enfin, non, bonne chance Jérém. »

    Mais le destin en décide autrement.

    « Ah Nico ! C’est cool que tu me rappelles… »

    C’est au bout de nombreuses sonneries que ça décroche enfin. J’ai l’impression que mon cœur a cessé de battre, j’ai l’impression de m’étouffer. J’ai la tête qui tourne.

    « Désolé de t’appeler si tard… je t’ai pas réveillé au moins… ?
    —    Non ça va.
    —    Bon anniversaire ! »
    J’ai envie de pleurer, et je me retiens de justesse.
    « Merci…
    —    Comment tu vas ?
    —    Ça va… » j’arrive à lui glisser, complètement en apnée.
    Après quoi, mon cerveau se met en mode veille et je n’arrive plus à construire la moindre phrase dans mon esprit ni à débiter le moindre mot. Je suis en état de paralysie de l’élocution. Le silence s’installe et devient vite gênant.
    « Nico… je sais que je n’ai pas donné de nouvelles depuis un bail je comprends que tu m’en veuilles… »
    Oui, je lui en veux de m’avoir laissé des mois sans nouvelles et de revenir ainsi dans ma vie, alors que je commençais à faire mon deuil. Je lui en veux de raviver mes sentiments, de les refaire flamber de but en blanc de leurs propres braises, alors que je commençais à tourner la page avec un gars adorable comme Ruben. Et pourtant mon cœur est en fibrillation et je ressens au fond de moi un bonheur inouï.
    « Pourquoi je t’en voudrais ? je coupe court, sans faire attention à ses excuses que je n’ai pas envie d’entendre, même si elles me font du bien.
    —    Je ne sais pas… il fait, comme déstabilisé.
    —    Et toi, comment ça va ? j’arrive à enchaîner.
    —    Moi, ça va aussi.
    —    Heureux de l’apprendre.
    —    Tu me manques, Nico…
    —    Ah bon ? On l’aurait pas dit jusque-là !
    —    C’est pourtant vrai. Ça fait trop longtemps qu’on s’est pas vus…
    —    A qui la faute ?
    —    A moi, à moi, à personne d’autre. Tu me manques et tu m’as toujours manqué. Si j’ai voulu te tenir à distance, c’est pour ne pas te faire de mal.
    —    Me tenir à distance C’EST me faire du mal !
    —    Je sais mais je me connais et je sais que quand ça va pas, je suis insupportable.
    —    Et là ça va mieux, alors tu me rappelles et moi je devrais faire comme si on s’était quittés hier en se faisant des bisous ?
    —    Je suis désolé d’être comme ça…
    —    T’as que ça à balancer ? Des excuses, avant de disparaître à nouveau ?
    —    Tu as raison, je me comporte toujours comme un con avec toi…
    —    Tu travailles toujours à la brasserie ? j’enchaîne pour faire diversion de cette conversation qui devient de plus en plus pénible.
    —    Non, pas vraiment…
    —    Tu t’es fait virer ?
    —    Non, j’ai démissionné…
    —    Et t’es au chômage ?
    —    Non, j’ai trouvé un autre taf…
    —    Et tu fais quoi alors ?
    —    Je joue au rugby…
    —    Ah bon ? Ils t’ont repris au Racing ?
    —    Non… »
    Mon cœur fait un bond. Je me mets à cogiter à vitesse grand V et je pars vite en besogne.
    « Mais tu as quitté Paris ?
    —    Non, je suis toujours à Paris. »
    Soudain je crois saisir. Et ce que je crois comprendre est tellement énorme que j’ai du mal à l’admettre.
    « Ne me dis pas que t’as été pris au Sta…
    —    Au Stade… Si ! Si ! Si !
    —    Mais c’est fabuleux !
    —    C’est plus que ça même, j’ai pas de mots. C’est juste WAOOOUH ! Depuis un mois, je suis comme sur un nuage…
    —    Un mois ?!?! Et tu pouvais pas me l’annoncer avant ?
    —    J’ai attendu de passer la période d’essai, au cas où ça foire. Tu es la première personne à qui je l’annonce, je ne l’ai même pas encore dit à Maxime. Il va halluciner, et ensuite il va m’engueuler de ne pas le lui avoir dit avant.
    —    Mais le Stade c’est l’une des équipes les plus fortes du top 16, non ?
    —    C’est le top du top du rugby. C’est une chance inouïe pour moi, et c’est grâce à Ulysse. Il a fait des pieds et des mains, et il a même accepté une baisse de salaire la première année pour les convaincre de me donner une chance. »
    Une partie de moi a toujours envie de le pourrir, mais une autre partie est heureuse pour lui. Et émue, très émue. Ça me fait tellement plaisir de le sentir heureux, et je me laisse transporter par sa joie. J’ai l’impression de retrouver le Jérém de Campan, le Jérém enthousiaste que j’aime tant.
    « Je suis content pour toi. Et ça se passe bien ?
    —    Très bien, vraiment très bien. Ça ne fait que quelques semaines que j’y suis, mais je me sens bien, comme à Toulouse. Depuis que je suis à Paris, je ne me suis jamais senti à ma place. Et là, j’ai l’impression d’y être à nouveau. Les gars sont sympas, et le coach aussi. Je me sens bien et je joue beaucoup mieux. Je sais que j’ai tout à prouver une nouvelle fois. Mais là, j’ai l’impression que je vais y arriver. J’ai l’impression de courir enfin dans la bonne direction, Nico ! »

    Je le laisse parler et je suis de plus en plus bouleversé par mes sentiments contradictoires. Je suis heureux pour lui, mais aussi triste que nous soyons loin, physiquement, sentimentalement. Je ne sais même pas si nous sommes toujours ensemble. J’ai envie de pleurer.
    Je ne sais pas comment ce coup de fil va se terminer, ce qu’il a en tête. J’ai à la fois envie et peur de le découvrir. J’ai envie qu’il me propose de monter à Paris et de fêter ça avec lui. J’ai envie qu’il se cantonne à ça, à me donner ces bonnes nouvelles, et à me dire « à l’un de ces quatre », comme il le ferait avec un pote. J’ai envie d’être à nouveau son Ourson et j’ai envie de continuer à l’oublier. Dans cette tempête d’attentes contraires, les mots me manquent.
    « Au fait, je ne t’ai jamais remercié comme il se doit pour ce que tu as fait après l’accident. Tu as été génial, Nico. Tu m’as vraiment sorti de la panade.
    —    Je ne pouvais pas te laisser tomber.
    —    Tu aurais pu. Rien ne t’obligeait à mentir et à prendre le risque d’avoir des soucis à cause de moi. Tu m’as sauvé la vie ! Je ne l’ai pas oublié et je ne l’oublierai pas.
    —    C’était aussi de ma faute, ce qui s’est passé…
    —    Non, c’était de la mienne. J’avais bu et j’avais fumé, et je n’avais pas à prendre le volant. Je n’avais pas non plus à te sortir ce que je t’ai balancé en voiture. C’est moi qui ai provoqué cette dispute. Alors, merci encore.
    —    De rien, de rien…
    —    Au fait, tu as des nouvelles du gars du scooter ?
    —    Oui, la Police m’a rappelé quelques temps après pour me dire que « mon » dossier d’accident était clos sans poursuites, car il était en tort. Et ils m’ont dit aussi que son opération au genou s’est bien passée, qu’il fait de la rééducation et qu’il devrait le retrouver presque comme neuf…
    —    Je suis soulagé, vraiment. Tu peux pas savoir comment je m’en suis voulu de l’avoir blessé…
    —    Tu n’as pas tous les torts, il a quand-même grillé une priorité…
    —    Nico…
    —    Quoi ?
    —    Samedi prochain l’équipe joue à Pau. Je ne serai pas titulaire, mais je serai du voyage. »
    Je commence enfin à entrevoir où il veut en venir. Mon cœur s’emballe, et je sens une immense et irrépressible joie teintée de panique m’envahir.
    « J’aurai deux jours de repos après et j’ai prévu de les passer à Campan. »
    Rien qu’en entendant le mot « Campan », je sens une joie immense m’envahir, comme un réflexe pavlovien. Car Campan est un mot magique, le plus magique de tous, celui qui évoque le bonheur avec Jérém, le bonheur le plus parfait.
    « Et je me demandais, il continue, hésitant… si tu voudrais venir me rejoindre…
    —    Je ne sais pas… » je ne trouve pas mieux à répondre.

    Car, si je pense à la joie qu’éprouverait Ourson à retrouver P’tit Loup dans sa douce tanière au pied de la montagne, je pense aussi à sa souffrance de l’été et à la rancœur qu’il en a gardée.
    Et je pense à Ruben, que je n’ai pas envie de trahir.
    Et je pense à Ruben, à qui je ne saurais pas comment expliquer cette absence.
    Et je pense à Ruben à qui je serais obligé de mentir.
    Et je pense à Ruben, et à comment je pourrais lui mentir sans qu’il ne se doute de rien.
    Et je pense au bobard que je devrais lui servir pour partir tout un week-end, et à la façon dont je pourrais gérer ses éventuels appels pendant mon absence.
    Et je pense à comment je pourrais faire pour que non seulement Ruben ne se rende compte de rien de ce qui se passerait à Campan, mais aussi sans que Jérém se rende compte de ce qui se passe à Bordeaux. Car non, je ne veux pas que Jérém sache non plus. Je ne veux pas qu’il sache que son Ourson est devenu Chaton pendant qu’il le délaissait.

    « Je comprends que tu hésites, je l’entends galérer, je me suis vraiment mal comporté avec toi.
    —    On peut dire ça oui…
    —    Nico, je vais fêter ça avec les cavaliers. J’espère qu’il y aura Maxime. Il y aura toutes les personnes qui comptent le plus pour moi. Et si tu ne viens pas, ce ne sera pas pareil…
    —    Pourtant, tu t’es bien passé de moi pendant des mois !
    —    Tu m’as manqué chaque jour. »

    J’ai envie de pleureur.
    J’ai envie de pleurer parce que je le crois sincère.
    J’ai envie de pleurer parce nous avons gaspillé tout ce temps, parce que j’ai souffert pour rien, parce qu’il aurait suffi d’attendre.
    J’ai envie de pleurer à cause de tout ce qui nous sépare, l’intolérance, l’homophobie, l’ignorance.
    J’ai envie de pleurer parce que je sais qu’il suffirait de si peu pour que nous soyons heureux ensemble.
    J’ai envie de pleurer parce que j’ai l’impression que tout est pareil entre nous, malgré la distance et les mois sans se voir, sans se parler. Et pourtant j’ai l’impression que plus rien ne sera plus jamais pareil.

    Samedi 21 septembre 2002.

    Un week-end chez mes parents à Toulouse. Voilà le mensonge que je sers à Ruben pour justifier mon départ, alors qu’il se faisait une joie de le passer avec moi. Ce garçon me touche, vraiment. Je m’en veux de lui mentir, alors que hier soir encore nous nous sommes câlinés, embrassés, offert du plaisir. Et pourtant, je lui mens et je prends la route en direction des Pyrénées Atlantiques.

    En partant de Bordeaux, je me dis que c’est la dernière fois que je laisse Jérém bouleverser ma vie, la dernière fois que je reviens vers lui après m’être fait jeter, après avoir souffert, après avoir cru que je ne le reverrai plus jamais.
    En fait, je réalise que Jérém ne m’a jamais quitté. Je repense à ses mots à Paris, lorsqu’il m’a demandé de rentrer chez moi parce qu’il avait besoin d’être seul. « Laisse-moi un peu de temps, le temps que je me sorte de cette merde, le temps que je me retrouve ». Et aussi : « Encore merci, vraiment merci, pour ce que tu as fait pour moi l’autre soir ». Certes, le fait de me demander de partir était difficile à encaisser pour moi. Mais ce n’était pas un adieu. D’autant plus qu’il semblait vraiment touché par ce que je venais de faire pour lui.


    C’est son long silence, ainsi que la rencontre avec Ruben, qui a fait que j’ai cru que c’était vraiment terminé entre nous.
    Je me demande ce qui se va se passer pendant ces deux jours. Est-ce que nous allons nous expliquer ? Est-ce que nous allons nous serrer très fort et nous faire plein de câlins ? Est-ce que nous allons faire l’amour ? J’en ai tellement envie.

    Aujourd’hui, tant d’années plus tard, je me dis que le problème fondamental entre Jérém et moi, c’était que nous avions deux manières différentes de ressentir les choses, deux manières différentes d'aimer et de réagir aux difficultés de la vie. De plus, nous avions du mal à communiquer, ce qui nous conduisait régulièrement à des crises inévitables.
    J’avais du mal à appréhender les fantômes qui peuplaient son esprit, à suivre les soubresauts de son âme changeante, à seconder son immense euphorie lorsqu’il se sentait bien, comme à ce moment-là, après son recrutement inespéré par le Stade Français, et à comprendre son désarroi profond, ses crises quand il devait faire face à des moments plus difficiles.
    Certaines crises ne sont que le signe de quelque chose à l'intérieur qui crie pour sortir. Ainsi, ses sautes d’humeur étaient les signes d’un tourment qui peinait à se faire jour. Car, sous ses airs de petit frimeur, Jérém cachait bien des fêlures. Il les cachait, car on lui avait appris qu’un vrai mec ne montre pas de faiblesse.
    Jérém m’aimait, mais il n’arrivait pas à s’ouvrir à moi quand il n’allait pas bien. Quand il souffrait, il préférait essayer d’oublier son mal-être. Son besoin de faire la fête, de se sentir intégré, accepté, admiré, en cachait un autre plus profond, celui d’oublier ses tourments et ses peurs. Jérém avait besoin de se sentir entouré. C’est la peur d’être seul qu’il cherchait à noyer dans l’alcool, le joint, le sexe, l’admiration.
    J’aurais aimé que ma présence suffise à Jérém pour être bien, pour éloigner ses fantômes. Mais ce n’était pas possible, pas toujours. Et cela me faisait énormément souffrir.
    J’ai réalisé plus tard, avec plus de maturité et plus de recul, que j’étais « beaucoup » pour lui, mais que je n’étais « pas assez ». En tout cas, pas toujours. Et que si Jérém avait parfois besoin de prendre le large, il ne cherchait pas à me fuir. Je n’aurais pas dû avoir peur de le voir s’éloigner, car il finissait toujours par revenir vers moi. Parce que, comme il me l’avait dit une fois à la gare à Paris, j’étais « spécial » pour lui. Je n’étais peut-être pas toujours suffisant pour faire son bonheur, mais j’étais nécessaire.
    A ce moment-là, ses blessures étaient trop profondes pour espérer les soigner avec l’amour, si grand soit-il. Le seul remède efficace pour en venir à bout, était le temps. J’aurais dû être plus patient. Mais quand on a 20 ans et qu’on a pourtant tout le temps devant soi, on ne sait pas attendre, pas encore.

    Ainsi, à cet instant précis, pendant ce voyage nocturne entre Bordeaux et Pau pour retrouver le garçon que j’aime, je me jure à moi-même que c’est la dernière fois que je le laisse faire le Yo-yo avec mon cœur, la dernière fois que je fais mon deuil de notre histoire, de mon amour pour rien.
    Je me promets d’être cool avec lui. Je ne veux même pas me prendre la tête pour essayer de savoir ce qui s’est passé dans sa vie et dans sa braguette depuis la dernière fois que nous avons fait l’amour. Je vais accepter de continuer à être un couple ouvert, je vais accepter de le voir quand il peut. Mais j’ai besoin de sentir que je compte pour lui. Je veux qu’il me parle, même quand ça ne va pas.
    Mais je sais maintenant où sont mes limites et ce que je peux endurer. Si Jérém me fait encore souffrir, je ne reviendrai plus vers lui.

    En attendant, je n’arrive toujours pas à réaliser que je vais retrouver Jérém. Je n’y croyais plus, vraiment plus. Je suis heureux d’aller le retrouver, et ma joie s’embrase kilomètres après kilomètres. Je suis impatient de le prendre dans mes bras. J’ai tellement envie de l’embrasser. Rien que d’y penser, je frissonne. J’ai envie de faire l’amour avec lui. Rien que d’y penser, je bande.
    Dans cette mélodie du bonheur, une note dissonante s’invite pourtant à chaque mouvement. Je pense à Ruben, au fait que je suis en train de trahir sa confiance, au fait que très probablement je vais le tromper. Il ne mérite pas ça ce petit bonhomme.
    Si j’aime Jérém à la folie, je commence à avoir des sentiments pour Ruben. Comment vais-je pouvoir être à la fois « Ourson » et « Chaton » ? Comment ces retrouvailles vont-elles affecter mon histoire avec Ruben ? A quel point vais-je culpabiliser au moment de le retrouver après ce week-end ?

    Pourtant, je ne peux m’en empêcher, je ne peux pas imaginer un seul instant refuser l’invitation de Jérém sous prétexte que j’ai peur des conséquences. Si je me privais de ce bonheur, je serais très malheureux, et mon histoire avec Ruben en ferait probablement les frais. A la fin de ce week-end, j’aurais certainement des remords. Alors, il vaut toujours mieux avoir des remords que des regrets. Aujourd’hui, c’est aujourd’hui, et demain c’est demain.

    Ma cassette de tubes de Madonna compilée maison vient d’arriver au bout, et la radio prend le relais. Je cherche une station qui capte à peu près bien, et je tombe sur une émission qui parle de la catastrophe d’AZF. Dans le rush de mon départ pour Bordeaux, je n’ai pas réalisé qu’hier, c’est-à-dire il y a encore une demi-heure à peine, avant minuit, nous étions le 21 septembre.
    Le journaliste parle des nombreux morts, des blessés, des traumatismes qui mettront des années à guérir (je pense à ce qu’a enduré Thibault, au-delà de ses blessures physiques), et de ceux qui ne guériront pas (je pense à ma cousine, et à ses problèmes d’audition permanents). Et je pense aussi aux traumatismes psychologiques de tous ceux qui ont eu un proche blessé, ou qui ont perdu un proche. Je pense à ceux qui ont vu la mort de près ce jour-là, et qui ne sont pas près de s’en remettre.
    Le journaliste parle également des dégâts matériels, des stigmates toujours visibles dans la Ville Rose, de la reconstruction qui prendra des années, et de l’enquête en cours.
    J’ai le cœur serré par l’évocation de cette catastrophe. Et pourtant, mon bonheur ne fait que croître minute après minute. Et lorsque le panneau « Pau 14 km » apparaît dans les phares de la voiture, je suis fou de joie. Je me dis que la vie est courte, et fragile, et qu’il faut profiter des cadeaux qu’elle nous apporte.

    Avec la nuit, je galère à trouver la place Clemenceau, lieu du rendez-vous. J’appelle Jérém, mais lui non plus ne sait pas bien m’expliquer le chemin depuis la sortie d’autoroute. Il finit par me passer un gars, probablement un joueur de l’équipe de Pau. Avec sa voix grave de mâle et son intense accent béarnais, le type me guide patiemment à destination.
    Je retrouve Jérém devant les Galeries Lafayette en compagnie d’un gars, certainement mon GPS d’un soir. Mon beau brun est planté là, un gros sac de sport posé à terre à côté de lui. Dès que je le vois, mon cœur a des ratés. Je prends de profondes inspirations et j’essaie de contenir mon émotion. Son blouson d’étudiant américain blanc et bleu ouvert sur un t-shirt blanc col rond embrase mes neurones l’un après l’autre. Le beau sourire avec lequel il m’accueille me fait fondre. Je descends de la voiture en état d’apnée avancée.

    A cet instant précis, tu es heureux, Jérémie. Car tu as attendu ce moment depuis un long moment. Il te tardait vraiment de revoir Nico. Avoue-le, tu as eu la trouille qu’il ne vienne pas, et tu aurais été triste et peiné qu’il ne soit pas là pour fêter ton bonheur actuel avec toi.
    Oui, tu as eu peur de l’avoir perdu pour de bon. Tu as eu peur qu’il ait rencontré quelqu’un d’autre capable de le rendre plus heureux que toi. Tu as eu peur qu’il t’oublie.
    Alors, tu es tellement heureux qu’il soit là ! Ses cheveux, ses grands yeux, son regard amoureux, son cou sensuel, son petit physique bandant, tout te plaît en lui.
    Tu as envie de lui faire mille câlins, tu as envie de lui faire l’amour, tu as envie de le voir prendre son pied. Parce que le voir prendre son pied rend le tien vraiment dingue. Et tu as également envie qu’il soit en toi, car Nico est le seul garçon avec qui tu te sens assez à l’aise pour te donner de cette façon. Car jamais tu ne t’es senti aussi bien après avoir joui que dans ses bras et dans son regard. Comparé à tout ça, les aventures à Paris, ce n’est rien, rien du tout, juste un moyen de se vider les couilles de temps à autre.
    Tu as envie de retrouver ton Ourson, car lorsqu’il est avec toi, tu te sens bien, et la vie te semble vraiment plus simple. Tu as envie de le retrouver, et de le retrouver à Campan. Car tu sais que vous n’êtes jamais aussi bien que là-haut.

    « Salut… » me lance Jérém, tout en s’approchant de très près pour me claquer une bise très appuyée. J’ai capté dans son regard ému son bonheur de me voir arriver, j’ai senti qu’il crève d’envie de m’embrasser. Je crève aussi d’envie de l’embrasser, mais il faut préserver les apparences.
    Je suis heureux de remarquer qu’il porte toujours la chaînette que je lui avais offerte pour son anniversaire l’an dernier. Ce n’est peut-être rien, mais ça compte beaucoup pour moi. Je suis heureux et ému à un point que j’ai du mal à retenir mes larmes.
    « Salut », me lance son « pote », une belle bête brune à peine un peu plus âgée que nous, une montagne de muscles avec une sacrée gueule virile qui me fait la bise à son tour, pendant que Jérém fait les présentations.
    « Nico, Laurent, un joueur de Pau, Laurent voici Nico, un pote.
    —    Au plaisir, fait le beau Laurent. Alors, j’ai pas été trop brouillon pour t’expliquer la route ?
    —    C’était parfait. D’ailleurs, merci. Je n’aurais pas trouvé tout seul.
    —    C’est pas simple quand on ne connaît pas, surtout avec la nuit.
    —    C’est clair, merci encore.
    —    Allez, on ne va pas traîner, on a encore de la route, fait Jérém, en attrapant son gros sac de sport pour le fourguer dans la malle de ma voiture.
    —    Salut, Laurent, fait-il en claquant la bise à son pote, et au plaisir de te retrouver sur le terrain…
    —    Je suis sûr que tu vas bientôt être sélectionné… les quelques minutes où je t’ai vu jouer, je t’ai trouvé formidable.
    —    Ah, mais tu as joué finalement ? je demande, l’air surpris.
    —    C’était pas prévu, mais j’ai remplacé un gars en fin de match…
    —    Et alors, qui a gagné ? je veux savoir.
    —    Personne n’a gagné, fait Laurent, taquin.
    —    On vous a écrasés, fait Jérém.
    —    Tu parles… deux points d’écart… c’est pas une victoire, c’est une ruse de Parigot…
    —    Je ne suis pas Parigot !
    —    Pardon, pardon, le Toulousain ! Allez, bonne chance à toi, Jérémie, je suis sûr que tu as une belle carrière devant toi.
    —    Je l’espère… »

    « Tu as fait bonne route ? me questionne Jérém, alors que je viens tout juste de redémarrer.
    —    Pas mal, ça roulait bien. »
    Nous venons de laisser la place derrière nous, lorsqu’il me lance :
    « Tu veux bien te garer, Nico ?
    —    Me garer ? je fais, interloqué.
    —    Oui, tiens, regarde il y a des places là…
    —    Pourquoi tu veux que je me gare ?
    —    Parce que je crois que j’ai oublié un truc…
    —    Quel truc ?
    —    Gare-toi, s’il te plaît…
    —    D’accord, d’accord. »
    Les places vides sont nombreuses, je me faufile facilement entre deux voitures. Jérém coupe le contact, se tourne vers moi et me lance, la voix cassée par l’émotion :
    « Tu ne peux pas savoir comment je suis heureux que tu sois là… »
    Et sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit, il glisse ses bras autour de mon torse, il se penche vers moi, il m’attire vers lui, et m’embrasse comme un fou.
    J’ai envie de pleurer, et je pleure de bonheur. Nous nous embrassons longuement, nous nous caressons, nous nous câlinons et ça nous fait un bien fou.
    « Moi aussi je suis content d’être là ! » j’arrive à lui glisser lorsque nos lèvres se décollent enfin.

    Pendant la petite heure que dure le voyage vers Campan, Jérém me parle de sa nouvelle équipe, de ses nouveaux potes, et du nouveau départ qu’il est en train de prendre dans le rugby grâce à cette chance merveilleuse.
    « Je ne sais pas encore quand je vais être titulaire dans un match de championnat, mais je me sens prêt, et ça me tarde ! Aujourd’hui, quand j’ai fait ce petit remplacement, tu peux pas savoir comme j’étais heureux ! »
    En effet, il a l’air heureux comme un gosse à Noël, et c’est beau à voir.

    « Je peux fumer ?
    —    Oui, bien sûr… »
    Jérém sort le paquet de clopes, il en attrape une, puis l’allume. Dans sa main, je reconnais le briquet que j’avais acheté dans la superette de Martine à Campan au moment de nous séparer, il y a un an, jour pour jour. Ça aussi, ça compte beaucoup pour moi.

    « Je n’y croyais plus, tu sais ? il enchaîne. Ça faisait des mois que je me disais qu’en vrai j’étais nul au rugby et que je ne serai jamais un joueur pro ! Ulysse a vraiment été formidable, encore une fois !
    —    Je suis vraiment heureux pour toi, Jérém !
    —    Merci Nico.
    —    Au fait, tu crèches toujours chez Ulysse ?
    —    Oui, mais plus pour longtemps.
    —    Tu as trouvé un autre appart ?
    —    L’équipe m’en a trouvé un dans le 17ème. J’emménage le week-end prochain.
    —    C’est cool ! Tu as besoin d’aide ? » je lui demande, dans un élan irrépressible.
    Un élan qui ne tient ni compte du fait que je ne connais pas encore ses intentions pour « nous » à l’avenir, ni du grand mal que j’aurais à expliquer à Ruben un nouveau week-end « à Toulouse ». Mais depuis ces distances, distance physique de Ruben, distance temporelle du week-end prochain, et porté par le bonheur de l’instant, tous les options me paraissent possibles et envisageables.
    « Non, tu sais, je n’ai pas grand-chose à déménager… ça tient largement dans ma voiture ! »
    Eh oui, il y a ça aussi, c’est pas comme s’il avait des meubles à faire suivre.
    « C’est vrai, je suis bête.
    —    Non, Nico, tu n’es pas bête. Et je suis touché par ta proposition » fait le bobrun, en posant sa main chaude sur ma cuisse. Ce petit contact me fait frissonner.
    Jérém incline un peu son siège et se cale contre le dossier, la nuque posée contre l’appui-tête. Puis, il lâche un grand soupir, et ferme les yeux.
    « Ça va ? je le questionne.
    —    Très bien. Je suis juste fatigué. En vrai, je suis vraiment naze. Je ne me souviens pas d’avoir été aussi naze…
    —    C’est l’âge, monsieur, je le charrie…
    —    Quoi ?
    —    Bah oui, bientôt 21…
    —    Mais ta gueule ! C’est surtout les entraînements et la muscu, oui ! Cette semaine je n’ai pas arrêté. Et puis, j’ai trop bu ce soir… je suis KO.
    —    On est bientôt arrivés, je pense…
    —    Moi non plus, je n’y croyais plus, tu sais ? j’enchaîne de but en blanc.
    —    Je t’ai beaucoup fait attendre, je sais, fait le bobrun en saisissant parfaitement le sens de mes mots.
    —    Ne me fais plus un coup comme ça, Jérém.
    —    Promis, Nico, promis ! »

    Lorsque le panneau Campan apparaît dans le cône de lumière de mes phares, il pleut. Je regarde Jérém et je réalise qu’il s’est assoupi. Je rate l’embranchement du chemin qui mène à ce Paradis sur terre qu’est la petite maison en pierre, et je me retrouve au village. La pluie tombe sur la petite place comme il y a un an. Sur ma gauche, l’allée bordée d’arbres où je me suis garé il y a un an. La masse solennelle de la grande halle s’impose à mon regard malgré une illumination publique faible.
    Et mon esprit est happé par les souvenirs. Je me vois descendre l’allée, le cœur prêt à exploser, je me vois marcher vers la halle, vers le garçon que j’aime, tiraillé entre le bonheur de le retrouver et la colère qu’il ait fallu tant morfler avant cet instant inespéré. Je me souviens de notre baiser, son véritable premier baiser.
    Un an plus tard, le scénario se répète. Qu’est-ce que ça me fait mal à chaque fois le voir s’éloigner de moi, et penser que je vais le perdre. Et pourtant, qu’est-ce que c’est bon, à chaque fois, ces retrouvailles ! Je regarde Jérém assoupi dans la pénombre de ma voiture, beau comme un enfant. J’écoute sa respiration, et je suis heureux, tellement heureux.

    Je fais demi tout et je reprends la route. Je roule doucement, je repère enfin le fameux embranchement, et je m’engage dans la petite route. Je reconnais chaque virage, je retrouve chaque émotion. J’arrive dans la petite cour, et je me gare. Et là, à ma grande surprise, alors que je m’attendais à retrouver la petite maison complètement plongée dans le noir, je remarque une lueur mouvante à travers les vitres des petites fenêtres.
    Jérém dort toujours. Ça me fait mal au cœur de le réveiller, mais il le faut pourtant.
    « Jérém…
    —    Quoi ? il marmonne en se retournant de l’autre côté.
    —    Nous sommes arrivés… »
    Aucune réponse vient de sa part.
    « Jérém !
    —    Laisse-moi dormir !
    —    Tu seras mieux dans la maison et dans un lit, non ? »
    Un grognement prolongé est sa seule réponse.
    « En plus, j’ai l’impression que la cheminée est allumée…
    —    Quoi ? fait le bobrun en se redressant d’un bond. Ah tiens, oui c’est vrai…, il fait hagard, d’une voix pâteuse.
    —    Quelqu’un a dû l’allumer, je considère.
    —    J’ai ma petite idée, fait le bobrun en ouvrant la porte de la voiture.
    —    Mais putain, il pleut toujours ici ! » il s’exclame, agacé.
    Nous sortons de la voiture et nous courons vers le petit appentis devant la maison. L’odeur de bois qui brûle saisit mes narines, « and I feel like home ».
    Jérém attrape la clé cachée dans un trou entre deux pierres du mur de façade et ouvre la porte. Une intense chaleur nous accueille, nous enveloppe.
    Jérém essaie d’allumer la lumière, mais rien ne se passe.
    « Merde, il y a encore une couille ! »
    Il s’avance vers la table, d’un pas titubant. Un petit papier y est posé, bloqué par une baguette. Je le lis avec lui :

    Charlène m’a dit que tu voulais à tout prix dormir chez toi, alors je me suis dit qu’un peu de chaleur et une baguette pour le petit déj te seraient agréables. A demain, champion. Jean Paul.

    « Ça fait du bien d’avoir des potes », il lâche, la voix basse. Puis, il se dirige vers la cheminée, et il ajoute quelques bûches par-dessus les braises.

    L’appel du sommeil est plus fort que tout. Un instant plus tard, le bobrun est assis sur le bord du lit en train de se déshabiller machinalement. Je le regarde quitter son blouson d’étudiant, faire apparaître son t-shirt blanc divinement ajusté à sa plastique, ses biceps, ses tatouages. C’est beau à en pleurer. Je le regarde quitter ses baskets, son jeans, garder son boxer à la poche bien remplie et se glisser direct sous la couette.
    Je me déshabille à mon tour et je le rejoins. Je le prends dans mes bras, je le serre très fort contre moi, je l’embrasse comme un fou. Je n’arrive pas encore à croire que je suis avec Jérém, à Campan, dans la petite maison, et que nous nous sommes retrouvés.
    J’ai envie de lui. Je glisse mes mains sous son t-shirt, je rencontre ses poils, je cherche ses tétons. Le bobrun frissonne. Je soulève le t-shirt, je plonge mon nez dans ses beaux poils bruns, je m’enivre de la délicieuse fragrance de sa peau mate. Puis, sans plus attendre, ma langue et mes lèvres sont attirées par ses tétons somptueux.
    « Nico… je ne vais pas pouvoir ce soir… »
    Ah, zut…
    « Ça ne fait rien, je lui glisse sans hésiter.
    —    Je suis désolé…
    —    Je te dis que ça ne fait rien, vraiment.
    —    Mais tu en as envie…
    —    Bien sûr que j’en ai envie, mais le plus important, c’est de t’avoir à côté de moi.
    —    Moi aussi, j’en ai envie… mais là, je suis vraiment HS…
    —    On s’en fout !
    —    J’ai froid…
    —    Viens par là… je lui glisse, tout en remettant le devant du t-shirt à sa place, et en le serrant un peu plus fort encore dans mes bras.
    —    Merci Nico…
    —    Je suis heureux.
    —    Moi aussi. »
    Jérém se tourne sur le côté, et je me cale contre son corps musclé et chaud, je plonge mon visage dans ses cheveux bruns. C’est tellement bon que j’ai envie de pleurer.
    Jérém glisse très rapidement dans un sommeil profond. Je reste un bon petit moment à écouter sa respiration, à humer le bouquet olfactif qui se dégage de sa peau, à considérer le doux bonheur de cet instant magique.

    Lorsque j’émerge de mon sommeil, il fait toujours nuit. Je cherche Jérém dans le lit, mais je ne le trouve pas. Je balaie la petite pièce du regard et je le trouve assis contre la cheminée en train de fumer.
    « Je t’ai réveillé… désolé, il me glisse à mi-voix.
    —    J’ai un sommeil léger… »
    Le bobrun jette son mégot dans le feu. Puis, il se lève, ôte son t-shirt d’un geste nonchalant et pourtant chargé d’un érotisme fou, me claque à la figure ses pecs et ses tablettes de chocolat, et vient me rejoindre au lit. Il se glisse sous la couette, puis se glisse sur moi. Il me regarde droit dans les yeux, il passe sa main dans mes cheveux, il me caresse doucement. Ses lèvres cherchent les miennes, nos langues se rencontrent. C’est doux et terriblement excitant.
    Peu à peu, les baisers deviennent plus coquins, les mains plus audacieuses. Nous sommes emportés par le désir fougueux. Jérém soulève mon t-shirt. Le contact direct avec sa peau chaude et sa douce toison mâle embrase mes neurones. J’ai envie de tout avec lui, de le sucer, de l’avoir en moi, mais aussi de me faire sucer et d’être en lui. J’ai envie de lui à un point indescriptible, et je ne saurais pas choisir quoi faire en premier.
    Et c’est Jérém qui se charge de trancher. Au bout d’un long moment de câlins de plus en plus sensuels, le bobrun passe « aux choses sérieuses ». Pendant qu’il lèche fougueusement mes tétons, sa main se faufile dans mon boxer, saisit ma queue raide et commence de la branler.
    Ses lèvres glissent le long de la ligne médiane de mon torse, en ponctuant ce délicieux petit voyage d’un chapelet ininterrompu de doux bisous. Le bobrun baisse mon boxer et me prend en bouche. Je frissonne. Il me pompe avec une douceur extrême, il me suce comme un mec amoureux, et c’est divinement bon. Je suis obligé de lui demander de ralentir pour ne pas jouir trop vite.
    Mais ça n’y fait rien. Le simple fait de sentir sa langue s’enrouler autour de mon gland et ses lèvres enserrer ma queue me met dans un état d’excitation qui m’approche inexorablement de l’orgasme. Pour ralentir sa venue, je n’ai pas d’autre choix que de me faire violence, me retirer de sa bouche, alors que tout mon corps crie son envie de jouir. Mais je ne veux jouir si vite. Car il y a tant de plaisirs urgents qui se pressent à mon esprit avant l’apothéose des sens.
    Comme le sucer, déjà. A mon tour, j’agace ses tétons, je m’attarde dans sa belle toison mâle brune entre ses pecs, je tâte ses pecs, ses biceps et ses abdos d’acier. Et je retrouve enfin, après des mois d’éloignement, sa belle queue raide et conquérante. J’ai eu quelques aventures, mais jamais je n’ai trouvé une queue aussi belle, aussi appétissante. Ça fait tellement de temps que je ne l’ai pas touchée, que le simple fait de la tenir dans ma main, dure, gonflée à bloc, brûlante, me bouleverse. C’est comme si je la voyais et l’empoignais pour la première fois.
    Et en même temps, lorsque je la prends en bouche, ma langue et mes lèvres reconnaissent instantanément son gabarit, la texture de sa peau fine, le relief des veines qui la parcourent, le profil de son gland délicieux. C’est une sensation étonnante, que ce bonheur après une si longue privation.
    Je le pompe comme un fou, excité par ses mains qui ne cessent de caresser mes tétons avec un doigté magique, ainsi que par le petit goût d’excitation qui ne cesse de suinter de son frein, comme un petit cadeau de retrouvailles.

    « Attends, Nico, tu vas me faire jouir ! » je l’entends me glisser.
    Et je continue de le pomper, car je veux le faire jouir, je veux retrouver son goût de mec, je veux m’enivrer de la puissance de ses giclées.
    « Je ne veux pas jouir de suite, il insiste, tout en se retirant de ma bouche.
    —    J’en ai trop envie ! je proteste.
    —    Viens ! », il me lance, tout en écartant ses cuisses musclées, s’offrant à moi sans réserve. Le bogoss crache sur ses doigts et prépare son entrejambe pour se faire pénétrer.
    Un instant plus tôt j’avais envie de recevoir son jus dans la bouche. Et là, en une fraction de seconde, mon envie a complètement changé de signe. Désormais, j’ai envie de pénétrer, de coulisser et de gicler dans son magnifique cul.
    Au milieu de cette excitation de fou, mon esprit arrive quand-même à m’envoyer un flash de raison.
    « Dis-moi, Jérém…
    —    Quoi ?
    —    Est-ce que tu as pris des risques ?
    —    Non… enfin, pas trop, en tout cas. Et puis, à mon arrivé au club, j’ai eu droit à tous les bilans de santé qui existent. Tout était bon. Et… toi ?
    —    Non, je n’ai pas pris de risques… je… je me suis toujours… protégé…
    —    J’ai envie de toi, Nico…
    —    Moi aussi, j’ai envie de toi… »

    Un instant plus tard, ma langue caresse son trou avec gourmandise. Le bobrun vibre d’excitation.
    Je culpabilise par rapport à Ruben, je me sens mal à l’idée de lui mentir et de le tromper. Même si c’est avec Jérém. Et pourtant je ne peux pas ne pas m’abandonner à ce bonheur parfait.
    Lorsque je sens mon gland vaincre la résistance de ses muscles et ces derniers enserrer ma queue, lorsque je retrouve la chaude douceur de son intimité, lorsque je me sens glisser en lui, là encore je ressens cette double impression de retrouver un Paradis perdu et d’en découvrir un tout nouveau.

    Voir ce corps de dieu grec, ce torse, ces pecs, ces abdos, ces poils et cette gueule, sa belle petite gueule, ce jeune mâle imposant prendre manifestement du plaisir au gré de mes va-et-vient, l’entendre ahaner, gémir même, de bonheur, c’est juste inouï. Pour me convaincre que c’est bien réel, j’ai besoin de tâter ses biceps, ses pecs, de l’embrasser, de caresser ses cheveux, sans cesse.
    En nous ayant longuement sucés à tour de rôle, nous nous sommes largement chauffés auparavant. Alors, lorsque Jérém plaque ses mains sur mes tétons et que ses doigts commencent malicieusement de les pincer, je me sens décoller. Mon orgasme se ramène au grand galop. J’arrive à le stopper, en arrêtant brusquement mes coups de reins.
    « N’arrête pas, m’encourage le bobrun.
    —    Si je continue, je vais jouir…
    —    N’arrête pas… »
    Je me penche sur lui et je l’embrasse. Le contact de mon torse avec ses poils est le frisson de trop, celui qui me fait perdre pied. Je me relève, alors que l’orgasme m’envahit. Je rencontre son regard, fixement braqué sur moi. Les yeux dans ses yeux, je jouis comme un malade.

    Tu n’iras pas voir un autre gars pour faire ce que tu ne peux pas faire avec moi ?
    Les mots et le regard de Ruben transpercent mon esprit pendant que je jouis.

    Puis, assommé par l’intensité du plaisir qui a traversé mon corps comme une décharge de courant, je m’affale sur le torse de mon bobrun, j’atterris sur sa douce toison mâle, et je cherche l’apaisement dans le creux de son épaule. Ses bras se referment autour de mon corps, et je suis aux anges.
    « Encore aujourd’hui je n’arrive pas à croire qu’un mec aussi viril que toi ait envie de ça, avec moi…
    —    T’es le seul avec qui j’ai fait ça… t’es le seul parce que t’es un beau petit mec… et parce que je me sens bien avec toi. »
    Je le serre fort dans mes bras et j’ai envie de lui dire à quel point je l’aime, mais je me retiens. Je ne suis pas encore prêt, je ne sais pas si j’ai le droit de lui dire de tels mots.
    « Tu as envie de jouir ? je le questionne.
    —    Et comment !
    —    Fais-moi l’amour, alors, je lui glisse, en me retirant de lui.
    —    Tu as envie, là, tout de suite ?
    —    Oui, grave ! »

    Je m’allonge sur le dos et Jérém passe l’oreiller sous mes fesses. Ses mains écartent fermement mes cuisses alors que ses lèvres et sa langue donnent l’assaut à mon trou.
    Son gland prend rapidement le relais, mais sans me pénétrer tout de suite. Je crève d’envie de le sentir venir en moi, de le sentir en moi, de le sentir coulisser en moi. Il le sait, et il me fait languir.
    Lorsque sa queue essaie de se frayer un chemin en moi, il rencontre quelques difficultés. Je suis serré, et je ressens intensément chaque millimètre gagné par son bel engin. A un moment j’ai mal. Je n’ai pas besoin de le lui dire, il le ressent à la crispation de mon corps, et il se retire aussitôt. Il pose de nouveaux baisers sur mes lèvres, et un peu plus de salive entre mes fesses. Et il revient en moi. Cette fois-ci, il s’enfonce jusqu’à la garde. Je kiffe à fond me sentir rempli par ce beau manche bien chaud et bien raide. Et je kiffe tout autant voir mon Jérém frissonner de plaisir.
    Le beau brun commence de me limer. Je le sens bien coulisser en moi, et c’est divinement bon. Son torse bien droit dégage une sensualité virile renversante. Je suis happé, hypnotisé par la puissance, la souplesse et la nonchalance de ses coups de reins. Tous mes sens sont en ébullition. L’amour avec Jérém, c’est un bonheur visuel, olfactif et sensuel inouï. Et lorsque ses mains se posent sur mes tétons, j’ai l’impression de décoller.
    Et alors que je viens tout juste de gicler en lui, le beau brun n’a pas son pareil pour me faire me sentir à lui. J’ai envie qu’il me défonce, qu’il me baise pendant toute la nuit, j’ai envie qu’il gicle en moi, qu’il me remplisse. Mais ce n’est pas assez. Je ressens une envie déchirante de lui montrer à quel point sa virilité m’impressionne. Je tâte fébrilement ses biceps, ses pecs, une sorte d’hommage animal à la puissance sexuelle qui me rend dingue.
    Puis, nos regards se happent, se verrouillent. Le sien est à la fois animal et tendre. Jérém me baise comme le plus chaud des amants, et en même temps il me fait l’amour les yeux dans les yeux, comme un garçon amoureux. L’animalité, la sensualité, la tendresse fusionnent dans un mélange de plaisir explosif.

    « Je vais jouir, Nico… » je l’entends m’annoncer, la voix basse, alors que déjà son visage est traversé par la vague de l’orgasme.
    Là encore, une note dissonante retentit dans cette parfaite symphonie du bonheur. Je réalise que même si Jérém me garantit d’être clean, ce qui est en train de se passer repousse mon test avec Ruben à la mi-décembre. Car au fond de moi je sais que je ne peux pas lui faire ça, je ne peux pas l’exposer à un risque, aussi minime soit-il, en plus de le tromper. Comment vais-je lui annoncer tout cela, alors qu’il est impatient de faire ce test (en fait, je commence à penser que si Ruben attend ce test avec tant d’impatience, c’est pour se sentir à l’aise pour se donner à moi) ?
    En attendant (en attendant quoi ? Est-ce que je vais oser recoucher avec lui, après avoir refait l’amour avec Jérém ? Est-ce que je ne vais pas avoir d’autre choix que de le quitter ?), je devrais même lui demander d’arrêter d’avaler. Comment vais-je pouvoir lui expliquer cela, alors qu’il kiffe à fond et que je kiffe à fond ?

    Mais aujourd’hui, c’est aujourd’hui, et demain, c’est demain.

    « Vas-y, fais toi plaisir…
    —    Je vais te remplir le cul…
    —    Autant que tu veux, beau mec ! »
    Jérém jouit, le regard planté dans le mien. Puis, il s’abandonne lourdement sur moi et me fait plein de bisous dans le cou. J’écoute sa respiration profonde, les battements rapides de son cœur. Je sens sa peau chaude et humide contre la mienne, je sens son poids sur moi, sa virilité en moi, et je suis bien.
    Nous venons de faire l’amour, nous venons de nous faire l’amour l’un à l’autre. J’ai l’impression que nous venons carrément de donner un nouveau sens à l’expression « faire l’amour ».
    Et pourtant, mon bonheur n’est pas parfait. Car il est une fois de plus parasité par le fantôme de Ruben, par la culpabilité et les remords. Pourvu que Jérém ne se rende pas compte qu’une partie de moi est ailleurs…
    Si seulement je pouvais être certain que ce bonheur est le début d’un bonheur en CDI avec lui, si seulement Ruben pouvait m’oublier en l’espace d’une nuit…

    Il se passe un bon petit moment avant que le beau brun se relève et se retire de moi, l’air complètement à l’ouest, comme ivre.
    « Ça va, Jérém ? je le questionne.
    —    Très bien… c’était trop bon… tu m’as assommé… toi, t’es une tornade au pieu !
    —    Et toi, donc !
    —    Moi, c’est normal, je suis un dieu du sexe !
    —    Petit con, va !

    —    T’as eu beaucoup de mecs cet été ? » il me questionne, de but en blanc.
    Je suis étonné et gêné par sa question directe, sans détours. Je ne sais pas si j’ai envie de parler de ça avec lui. Je suis pris au dépourvu, je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas jusqu’où vont aller ces retrouvailles, mais ce que je sais, c’est que je ne veux pas risquer de les faire capoter en lui parlant de Ruben.
    « Je t’ai laissé tomber comme un idiot, et je ne peux pas imaginer que tu m’aies attendu sagement depuis tous ces mois…
    —    Pourquoi tu veux savoir ?
    —    Je pense que c’est mieux savoir que d’imaginer des choses. Après, c’est comme tu veux… »
    Je suis impressionné par la logique implacable de son raisonnement et par son ouverture d’esprit. Au fond, je sais qu’il a raison. Mais je ne peux m’empêcher de cogiter sur le fait que Jérém n’a pas l’air jaloux. En amour, nous avons un rapport ambigu avec la jalousie. Lorsqu’elle se manifeste à notre égard, nous nous sentons souvent étouffer. Mais lorsqu’au contraire elle ne se manifeste pas, nous nous sentons aussitôt délaissés.
    Est-ce que Jérém veut savoir pour moi parce qu’il culpabilise vis-à-vis des aventures qu’il a eues ? Est-ce qu’il se dit que si moi aussi je me suis lâché, il culpabiliserait moins ? Ou bien, tout comme moi, certaines questions le taraudent et il veut en avoir le cœur net ? Vaut-il mieux faire semblant, garder chacun nos questions pour nous et les laisser empoisonner nos retrouvailles ? Ou bien vaut-il mieux savoir, et nous accepter tels que nous sommes ?
    « Oui, ça m’est arrivé » je finis par admettre.
    Bien évidemment, même si je pense à lui à cet instant précis, je me garde bien de lui parler de Ruben.
    « Beaucoup de mecs ?
    —    Quelques-uns. Et toi ?
    —    Et c’était que des plans ?
    —    Oui, que des plans…
    —    Rien de plus ? Jamais il y a eu un mec qui…
    —    Non, non ! J’ai rencontré des gars juste pour baiser. »
    Je m’en veux de lui mentir, et je m’en veux aussi de renier le bonheur que j’ai vécu avec Ruben, de le piétiner de cette façon. Mais je n’ai pas le courage de lui dire que mon cœur a sautillé pour un autre garçon.
    « Et toi, tu as fait des rencontres ? je détourne cette conversation qui commence vraiment à devenir embarrassante.
    —    Ça m’est arrivé aussi…
    —    Avec des nanas ou des mecs ?
    —    Les deux… »
    Je prends ces deux petits mots comme un coup de poing dans le ventre. Au fond de moi, je m’en doutais. Mais l’entendre me le dire me fait un mal de chien.
    « Tu as toujours envie de coucher avec des nanas ?
    —    Pas du tout !
    —    Et donc ?
    —    Et donc, quand je suis arrivé au Stade, j’ai eu besoin de me faire des potes tout de suite…
    —    Et ça passe par le fait de baiser avec des nanas ?
    —    Ça passe par les sorties avant tout. Mais oui, baiser des nanas qui nous tournent autour pendant les soirées, et en parler après dans les vestiaires, ça en fait partie aussi. Si je ne faisais rien avec elles, ils se poseraient des questions. Je ne veux pas que les rumeurs recommencent à circuler. Me forcer à coucher avec des nanas, c’est une façon de me protéger.
    —    Tu ne pourras jamais arrêter de coucher avec des nanas, alors…
    —    J’ai besoin de leur en mettre plein la vue, maintenant. Après, quand j’aurai gagné leur respect, je me calmerai.
    —    Et les gars, il y en a eu beaucoup ? j’enchaîne.
    —    Quelques-uns… mais pareil que pour toi, ce n’était que du cul. Personne ne compte à part toi, Nico… »

    Oui, Jérém, les quelques gars que tu as levé dans certains bars, tu les as baisés sans même te souvenir de leur prénom au moment où tu jouissais dans leur bouche ou entre leurs fesses.
    Après, il y a bien un gars qui te fait craquer bien plus que les autres. Un gars qui t’inspire des branlettes quasi quotidiennes. Mais ce gars, ce blond magnifique, ce barbu bien viril au regard d’ange, tu sais qu’il t’est inaccessible.

    « Tu es quelqu’un de spécial pour moi… et personne ne peut prendre ta place dans mon cœur… »

    Tu sais qu’au fond, c’est la vérité. Parce qu’avec Nico, tu te sens vraiment bien. Parce qu’il te fait te sentir bien. Et pourtant, quand tu es avec Ulysse, tu te sens bien aussi. Parce que lui aussi sait te faire te sentir bien. Parce qu’il est profondément bon avec toi. Et parce que tu te dis que dans ses bras tu te sentirais en sécurité, et que plus jamais tu aurais peur, parce qu’il saurait apaiser la solitude intérieure qui te hante.

    Ses mots me touchent profondément. Et même si je ne peux m’empêcher de repenser au bonheur que j’ai ressenti avec Ruben à certains moments, le bonheur de cet instant est si grand, si fort, et si aveuglant, qu’il fait tout disparaître derrière lui.
    « Toi aussi tu es le seul qui fait battre mon cœur de cette façon, je lui glisse, en saisissant sa main avec la mienne et en la posant sur ma poitrine.
    —    Mon petit Nico, mon Ourson ! » s’exclame Jérém, tout en me prenant dans ses bras et en me serrant très fort contre lui.
    Mon bonheur est si fort que je ne peux que l’exprimer avec les mots les plus forts qui existent, les larmes aux yeux :
    « Je t’aime, P’tit Loup ! »


    Notes de l'auteur.


    1/ Les réflexions de Nico pendant le voyage vers Campan sont inspirées du texte de la chanson « Vedi cara » de Francesco Guccini. Merci à FanB pour m’avoir fait découvrir cette très belle chanson.

    https://www.youtube.com/watch?v=GuXbAC5zsEc

    Merci FanB pour ton travail de correction et ton regard positivement contradictoire sur mes textes.


    2/ Le chat Discord de Jérém&Nico est toujours ouvert et Yann y poste régulièrement des sujets aussi intéressants que variés.

    Merci Yann pour ton travail.

    https://discord.com/channels/717731300680925277/717736066915762207


    3/ Médecins gay friendly.

    Dernièrement, Yann a fait un focus sur Discord (lien ci-dessus) au sujet des médecins gays friendly.

    Il n’est pas toujours aisé de raconter son intimité à un médecin, notamment ce qui touche à la sexualité, et encore moins la sexualité homosexuelle, et aux maladies inhérentes. On a parfois peur de « se taper la honte ».

    Or, si on ne peut pas tout dire à son médecin, on ne peut pas être bien soigné.

    C’est là que le médecin gay friendly peut intervenir.

    Le médecin gay friendly est un interlocuteur bienveillant avec lequel une personne gay pourra s’exprimer en toute confiance sur ce qu'il a de plus intime sans aucune retenue et sans crainte de jugement négatif.

    Parce qu'il y a un réel besoin, des professionnels de santé se sont regroupé partout en France au sein du réseau Médecin Gay-Friendly, partenaire de AIDES, dans le but d'offrir la meilleure reconnaissance en matière de spécificités de santé liées à l'homosexualité.

    Il est important de savoir qu'un médecin gay-friendly sera au fait de toutes les nouveautés concernant les maladies qui touchent beaucoup de gays.

    https://www.medecin-gay-friendly.fr/

    Pour Paris, il y a aussi "Le 109" : https://fr-fr.facebook.com/Le190centredesante/

    Il existe aussi des Centres Gratuits d’information, de Dépistage et de Diagnostic (CGIDD) pour les infections et les maladies sexuellement transmissibles. Les dépistages du VIH, des hépatites et des IST y sont gratuits et anonymes pour ceux qui le souhaitent.  On peut aussi y rencontrer une assistante sociale, un psychologue ou un sexologue.


    4/ Je tiens à remercier tous les lecteurs et les lectrices au rendez-vous à chaque épisode. La barre des 3 millions de vues tous épisodes confondus est largement dépassée. Merci à vous tous pour votre fidélité.

    Fabien.

     


     


    6 commentaires

  • Malgré la présence de beaux spécimens sur la plage de Gruissan et dans la ville, je finis par m’ennuyer. Je n’ai plus envie de sortir, je n’ai plus envie d’aventures qui ne m’apportent rien à part un frisson passager et une solitude encore plus épaisse après. Alors, au bout de quelques jours, je rentre à Toulouse.
    A Toulouse je m’ennuie tout autant, j’étouffe toujours autant. Je recommence à sortir pour tromper l’ennui, et je finis par m’engueuler avec mon père.

    16 août 2002

    Le jour du 44ème anniversaire de Madonna, je pars à Bordeaux. J’ai besoin de me retrouver seul, mais dans un environnement familier. Mon petit chez-moi fera l’affaire. Mes propriétaires m’aideront à ne pas me sentir trop seul en attendant la reprise des cours. Les balades le long de la Garonne et les livres feront le reste.
    Mais une fois seul dans mon appart, le manque de Jérém se fait sentir plus cruel que jamais. J’ai envie de l’appeler, mais je n’ose pas le faire. Il m’a dit qu’il le ferait quand il serait prêt, quand il aurait arrangé « tout ce bordel dans sa vie ».
    A chaque fois que je pense à Jérém, je revis nos adieux déchirants. Je le revois quitter l’appart d’Ulysse, sans me regarder. Je le revois passer la porte et le battant se refermer derrière lui. Je me souviens de sa présence, puis de son absence un instant plus tard, de son parfum qui était toujours là, alors qu’il était parti. Je me souviens de mes sanglots incontrôlables. Et j’ai à nouveau envie de pleurer.
    C’est dur de penser à quel point je l’aime, de savoir qu’il m’aime aussi, et de ne rien pouvoir faire pour l’aider, pour faire avancer notre relation. Mais visiblement, l’amour ne suffisait pas au bonheur, ni au mien, ni au sien. Nous nous retrouverons peut-être un jour. Peut-être. Cette « date » indéfinie et hypothétique est un abysse devant lequel ma raison échoue, laissant une sensation d’immense désolation m’envahir. Et cette désolation ne fait que se creuser, s’amplifier chaque jour qui vient et qui passe sans avoir de ses nouvelles.
    Entre les deux suggestions de Charlène, celle de m’accrocher et celle de prendre du recul et de la distance, j’ai choisi cette dernière. Est-ce que, en respectant son besoin d’être seul, je fais le bon choix ? Ou est-ce que je ferais mieux de me manifester, de lui montrer que je suis là pour lui ? Ça, il le sait déjà, j’ai pu lui montrer à l’occasion de ce malheureux accident de voiture. Alors, quoi faire de plus ?
    Il me manque tellement ! Je donnerais je ne sais quoi pour pouvoir le prendre dans mes bras, pour le serrer fort contre moi, pour sentir sa présence dans mes bras, sa tendresse, pour retrouver notre complicité.

    Le jour même de mon arrivée à Bordeaux, je me rends à la bibliothèque municipale pour trouver de quoi varier mes lectures. Et c’est au détour d’un rayonnage que l’imprévisible se produit à nouveau.
    « Salut Nico ! » il me lance avec un grand sourire, l’air vraiment content de me revoir. Je suis presque étonné qu’il se souvienne de mon prénom. Au fond, nous ne nous sommes vus qu’une seule et unique fois, et c’était il y a des mois. Je le regarde attentivement et je le trouve encore plus charmant que lors de notre première rencontre.
    Oui, le garçon se souvient de mon prénom. Et moi aussi je me souviens du sien.

    « Salut Ruben… »

    J’ai croisé l’existence de Ruben à la première soirée étudiante où je me suis laissé traîner par Raph. Notre deuxième rencontre, à ce moment précis où je me sens seul et meurtri par la distance que Jérém a à nouveau voulu mettre entre nous, est une belle surprise de la vie. D’autant plus que, comme nous suivons deux cursus complètement différents, certes dans la même ville mais à des endroits différents, nous aurions pu ne jamais nous recroiser.
    Lors de notre première rencontre, j’avais eu envie qu’on devienne amis. J’en ai toujours envie. Mais force est d’admettre que l’attirance est là aussi. Je kiffe toujours autant ses cheveux châtains en bataille, tout comme son physique fin et élancé caché sous un t-shirt toujours trop grand, de couleur rouge aujourd’hui. Ruben a l’air d’être un garçon très doux. Son regard dégage un je-ne-sais-quoi de rêveur et de timide qui le rend craquant.
    « Ca fait un bail depuis la dernière fois, il me lance.
    C’est vrai… ça devait être en novembre dernier…
    C’était fin octobre, il me corrige.
    Tu as bonne mémoire.
    Je m’en souviens parce que c’était juste après mon anniversaire.
    Ah, je fais bêtement. »
    Ruben sourit. Il a un beau sourire.
    « Alors, tes partiels se sont bien passés ? il enchaîne.
    Impec, et les tiens ?
    Aussi. Et sinon, tu as passé un bon été ?
    On va dire que oui…
    T’es parti un peu en vacances ?
    En fait, je n’ai pas trop bougé…

    En fait, j’ai passé mon été à essayer de retrouver le gars que j’aime, mais j’ai échoué. J’ai attendu qu’il revienne vers moi, en vain. Depuis quelques semaines, mon cœur se noie dans le chagrin, dans la peur, une peur qui se mue en douloureuse certitude un peu plus chaque jour, de l’avoir perdu à tout jamais. J’ai essayé de me distraire avec quelques aventures. Mais ça m’a fait plus de mal que de bien. Non, l’été de mes 19 ans n’a pas été terrible, mais je ne peux pas te raconter ça, Ruben, pas encore.

    « Et le tien ? j’enchaîne.
    Après les partiels je suis allé voir ma famille à Poitiers, et ensuite je suis parti trois semaines dans le sud de l’Italie.
    C’était bien ?
    La famille ou l’Italie ? il se marre.
    Les deux !
    Ça m’a fait du bien de me retrouver dans ma famille. On avait des choses à régler, et ça a été l’occasion de le faire. Quant à l’Italie, c’était génial. Mais dis-moi, ça fait longtemps que tu es revenu à Bordeaux ?
    Je suis arrivé hier.
    Mais les cours ne reprennent pas avant trois semaines !
    Je sais, mais j’étouffais chez mes parents à Toulouse et j’avais envie d’être seul.
    Remarque, moi aussi je suis revenu, et depuis une semaine déjà. Moi aussi j’avais envie d’être seul, et aussi de faire du vélo. »

    Nous poursuivons notre conversation autour d’un verre dans un bar près de la bibliothèque. Ruben me raconte plus en détail son séjour à Rome. Il me parle de son émerveillement au fur et à mesure qu’il découvrait cette ville qu’il décrit comme « un musée à ciel ouvert, où la civilisation actuelle s’est bâtie sur les fondations de la civilisation disparue, au sens propre comme au sens figuré, composant au fil des siècles un millefeuille architectural, archéologique, culturel et social ».
    Il me parle de son émotion devant les vestiges vieux de deux mille ans, construits par un génie civil et militaire disparu à tout jamais, ainsi que par le travail acharné et usant de milliers d’hommes dont même les poussières ont disparu.
    « Mais ce qui m’a le plus bouleversé à Rome, c’est la vie Appia, il me raconte, intarissable. Jamais comme ici, dans ce décor silencieux et qui a l’air inchangé depuis des siècles, j’ai ressenti le vertige du temps écoulé. En foulant les grands pavés de cette ancienne voie bordée de pins, de cyprès et de tombes anciennes, j’ai vraiment senti que deux mille ans de civilisation me contemplaient. En vrai, ça c’est pour le plaisir de la citation, il fait, avec humour. En fait, c’était plutôt moi qui les contemplais ! »
    Ruben me parle également de sa fascination durant sa visite à Pompéi, « véritable documentaire grandeur nature sur la vie dans une station balnéaire huppée à l’époque de la Rome ancienne ».
    Son récit est passionné et passionnant et me donne très envie de visiter ces lieux.
    « Et tu es parti seul ? » je le questionne.
    Ruben marque un instant d’hésitation, avant de lâcher :
    « Non, avec un… pote. »
    Je suis impressionné par son récit. Ainsi, lorsqu’il me demande de lui parler de mon été, je me sens nul de n’avoir à lui raconter que ma semaine à Gruissan et mes séjours à Toulouse chez mes parents.
    « T’as dû t’éclater à la mer, non ?
    Ouais…
    T’as pécho des nanas, hein ? il m’interroge, taquin.
    Non, pas vraiment…
    Des mecs alors… il y va cash. »
    Je suis surpris, et je marque un instant de silence tout en réfléchissant comment répondre à ça. Une partie de moi a envie de jouer cartes sur table, mais je ne connais ce petit gars que depuis environ 5 minutes et je ne me sens pas à l’aise pour lui dérouler le film de ma vie, pas encore.
    « Excuse-moi, je parle trop parfois » fait Ruben, l’air de regretter son audace.
    Il a l’air confus, mal à l’aise. A cet instant précis, je n’ai qu’une envie, c’est de le prendre dans mes bras, et de lui faire plein de bisous. Et d’être sincère avec lui.
    « Ne t’excuse pas, tu as vu juste. Les nanas ce n’est pas mon truc, ça ne l’a jamais été. Oui, cet été j’ai eu quelques aventures avec des garçons. Pas beaucoup, mais ça m’est arrivé. Et toi ?
    Moi je suis trop couillon pour ça. Je n’ose pas ! »
    Il est trop mignon.
    « Mais tu n’avais pas une copine ? je l’interroge. Comment s’appelait déjà cette nana qui était avec toi à la soirée étudiante où on s’est croisés ?
    Ah… Sophie…
    Ah, oui, Sophie. Tu ne sortais pas avec elle ?
    Non, enfin, si, un peu. On a essayé de sortir ensemble, mais ça ne s’est pas bien passé… je l’aimais bien, mais bon…
    Tu as voulu essayer…
    Ouais… En fait… c’est plutôt son frangin que je kiffais. C’est surtout pour pouvoir côtoyer Andréas que j’ai voulu me rapprocher d’elle.
    Coquin, va !
    C’était très con, parce que je savais bien qu’il ne se passerait jamais rien entre lui et moi. Je savais qu’il était hétéro. C’était une connerie, et c’est vite devenu insupportable.
    Tu es amoureux de lui ?
    Je l’ai été pendant toute l’année universitaire.
    Je comprends mieux pourquoi avec Sophie ça ne marchait pas !
    C’est clair ! Et puis il y a eu l’été et Sophie et moi nous ne nous sommes pas revus, ni rappelés. J’appréhende un peu la reprise des cours, j’appréhende de la revoir.
    Tu devrais lui dire…
    Que je kiffe son frère ?
    Ça, je ne suis pas sûr, mais au moins que tu préfères les gars. Tu ne dois pas la laisser continuer à s’imaginer des choses. Plus tu attends pour lui dire, plus ce sera difficile pour toi de le faire, et plus elle souffrira la jour où tu briseras ses rêves. J’en sais quelque chose, j’ai vécu à peu près la même chose avec une camarade de cours, même si je n’ai jamais essayé de sortir avec elle.
    Je pense que tu as raison, je vais tout lui dire à la rentrée.
    Et dis-moi, il enchaîne après avoir bu une gorgée de son jus de fruit. A part les aventures, tu n’as jamais eu de vraie relation ?
    J’ai eu une relation avec un camarade de lycée autour du bac.
    Vous avez couché ensemble ?
    Oui…
    Et c’est terminé ?
    En réalité, je ne sais pas trop. Je l’ai revu cet été, mais ça ne s’est pas bien passé. Et je n’ai pas de nouvelles depuis des mois.
    Il est resté à Toulouse ?
    Non, il est à Paris.
    Il fait des études là-bas ?
    Non, enfin, si. Il fait aussi des études, mais il est surtout rugbyman professionnel. Enfin, il l’était.
    Pourquoi il l’était ?
    Il s’est fait virer de son équipe…
    Ah mince…
    C’est la vie.
    Mais tu l’aimes encore ? il me questionne sans détours.
    On ne peut pas aimer quelqu’un qui ne veut pas être aimé.
    C’est certainement vrai, mais cela n’empêche pas d’essayer encore et encore…
    Je crois que j’ai assez essayé, je tente de le convaincre, de me convaincre.
    Moi aussi j’ai beaucoup essayé de me convaincre que je pourrais aimer Andréas, mais ça n’a pas marché non plus.
    Il s’est passé quelque chose entre vous ?
    Pas grand-chose.
    Mais quelque chose quand-même…
    Cet été, à Rome, il m’a laissé le branler…
    C’est donc lui le « pote » avec qui tu es parti en Italie…
    Oui… on avait décidé ça il y a des mois, et je n’ai pas pu annuler. Je savais que ce serait dur de passer deux semaines avec lui, à partager les mêmes chambres d’hôtel, mais je ne pouvais pas renoncer à ce voyage.
    Je comprends.
    A Capri, il m’a laissé le sucer, mais pas longtemps, il ne m’a même pas laissé arriver au bout. Après, il n’a plus jamais voulu.
    C’est dur tout ça…
    Oui, mais comme tu l’as dit, c’est la vie.
    Et tu l’aimes toujours ? je lui retourne la même question qu’il m’a posée un peu plus tôt.
    Je pense que je ne suis pas totalement guéri, mais je sais que je dois l’oublier. D’autant plus qu’il a fini ses études à Bordeaux et que je ne le reverrai certainement plus jamais. Et je crois que c’est mieux comme ça. C’est pour ça aussi que ça va être dur de revoir Sophie à la rentrée, ça va me faire remonter plein de souvenirs. Et je vais culpabiliser vis-à-vis de ce qui s’est passé avec Andréas. Mais ça va passer, il faut juste du temps. »

    Définitivement, Ruben est un garçon plutôt attachant. Et quand je regarde bien au fond de ce regard, il me semble y déceler une sorte de mélancolie qui le rend touchant au possible.
    Nous sommes deux blessés de la vie, deux blessés de l’amour et nous nous comprenons. J’ai de plus en plus envie de le prendre dans mes bras, là, tout de suite.

    « Mais parlons d’autre chose, il lance. Tu fais du sport, Nico ?
    Non, pas vraiment. A Toulouse j’aimais bien aller courir le long du Canal du Midi, mais ici à Bordeaux je ne fais pas de sport.
    Tu n’as jamais fait du vélo ?
    Si, quand j’étais enfant.
    Ça te dirait d’en refaire, avec moi ?
    Tu en fais ?
    Oui, depuis des années. J’en faisais à Poitiers, et depuis que je suis à Bordeaux, je fais partie d’une association de cyclistes basée à Mérignac. J’en fais presque tous les week-ends avec eux, et j’essaie de m’entraîner une ou deux fois en semaine. »
    Ruben me parle de ses virées avec ses potes de l’asso, des bienfaits du sport pour s’aérer l’esprit, pour arrêter de broyer du noir.
    J’adore ces premiers instants de la rencontre avec un nouveau garçon, ressentir le tiraillement entre le désir de tout savoir à son sujet et la conscience que c’est exactement le mystère de l’inconnu qui fait la première attirance, la plus magique de toutes. J’adore cet instant où le moindre détail que l’on apprend au sujet de l’autre nous fascine. Et ce, pour la double raison qu’il nous éclaire sur son existence, autant qu’il aiguise notre curiosité, nous laissant imaginer la merveilleuse étendue de ce que l’on ne sait pas encore à ce sujet.

    Au moment de nous quitter après le resto, j’ai senti que Ruben aurait eu envie que la soirée se prolonge encore. J’ai vu dans son regard qu’il avait envie de m’embrasser. J’en avais envie aussi. Il aurait suffi d’un geste de ma part pour que cela arrive. Mais j’ai envie de prendre mon temps, j’ai besoin de réfléchir.
    Une partie de moi a peur de se lancer dans une histoire qui m’éloignerait encore un peu plus de Jérém.
    Et pourtant, une autre partie de moi a besoin de s’ouvrir à ce bonheur qui s’offre à moi. Voilà pourquoi, malgré ce que j’ai ressenti en nous quittant ce soir, j’ai dit oui à sa proposition de nous revoir le lendemain pour un tour à vélo « dans les vignes ». La compagnie de ce petit mec m’est bien agréable. J’ai envie de mieux le connaître.
    Oui, ces retrouvailles avec Ruben sont vraiment une belle surprise. Ce jour-là, j’avais besoin d’un sourire, de mots, d’une présence qui font du bien. Et ce jour-là, lorsqu’il m’a souri après m’avoir dit bonjour au détour d’un rayonnage de la bibliothèque, Ruben a été ce sourire, ces mots, cette présence.

    Le lendemain, nous avons rendez-vous à 8 heures pour prendre le tramway et nous rendre dans le dépôt de l’association. Ruben m’a assuré qu’il y aurait un vélo et un casque de protection disponibles pour moi. Le jeune étudiant me propose une balade « facile » d’environ 3 heures entre Pessac et Mérignac.
    Le parcours et le créneau horaire se révèlent en effet très bien choisis. Il y a peu de dénivelé, et le soleil ne tape pas encore. De plus, un petit vent nous accompagne et rend la balade bien agréable. Ruben est attentif à mes débuts en tant que cycliste, il me demande régulièrement si tout va bien pour moi, il adapte son allure à la mienne et fait des pauses régulières pour me permettre de souffler.
    L’exercice physique me fait du bien, et la compagnie de Ruben aussi. Je sens notre complicité grandir à chaque coup de pédale. Son sourire me donne la pêche, son rire est si agréable à entendre.
    Il est presque midi et notre balade touche à sa fin. Ruben propose une dernière pause. Nous nous écartons un peu du tracé du parcours et nous nous allongeons sur l’herbe. Mon cœur tape à mille. Pas tant pour l’effort produit pendant la balade, mais plutôt en songeant à ce qui risque de se produire dans les instants qui vont suivre. Nous restons allongés côte à côte pendant un petit moment, en silence. J’évite de le regarder, je suis à la fois excité et mal à l’aise.
    Du coin de l’œil, je vois Ruben s’assoir en tailleur, et me regarder. Je ne peux alors pas m’empêcher de tourner ma tête vers lui et de le regarder à mon tour. Il me sourit, je lui souris. Chacun de nous deux sait ce que cet instant signifie. Et pourtant, ni lui ni moi nous n’osons faire le premier pas. Lui certainement par timidité, moi par peur des conséquences.
    « Tu sais quoi, Nico ? je l’entends me lancer à un moment.
    Dis-moi… »
    Le petit gars marque une pause, il reprend sa respiration, il est comme en apnée. Il est tellement touchant.
    A nouveau, à cet instant précis, je n’ai qu’une envie, celle de le prendre dans mes bras et de le serrer fort contre moi. Je sais de quoi il a envie et j’en ai envie aussi. Et c’est tellement naturel, tellement beau, tellement tout ce que j’ai rêvé depuis toujours. Je me sens bien avec un garçon, avec ce garçon, et je ressens la bouleversante sensation de pouvoir me laisser aller sans me prendre la tête de savoir s’il est comme moi, si je lui plais. Car je sais que c’est le cas. Je me sens bien avec ce garçon et j’ai l’impression que je vais pouvoir être heureux, sans complications, comme n’importe quel couple qui se plaît. Et pour cela, il suffit d’un geste de ma part.
    Alors je ne vais pas faire durer le malaise plus longtemps. Je prends sa main et je la serre entre les miennes. Et là, le petit gars semble enfin reprendre à respirer.
    « Je ne sais pas si tu vas trouver ça déplacé… il continue après avoir pris une longue inspiration.
    Je ne pense pas que ça va être le cas…
    J’ai très envie de t’embrasser… » il lance enfin, le visage tout rouge.
    Il est vraiment trop mignon !
    Je me relève et je l’embrasse, doucement, tendrement.
    Notre première étreinte se prolonge, nos lèvres ne peuvent se résoudre à se quitter. Ses mains caressent mes cheveux, et j’en fais de même avec les siens. Ses doigts effleurent le bas de ma nuque. Et ce contact m’apaise, m’apporte un bonheur infini.
    Nous nous câlinons longuement, et c’est terriblement bon. Une partie de moi culpabilise à fond, mais ça me fait tellement de bien que je ne peux m’empêcher de me laisser aller. Tout semble si simple avec ce petit gars, si naturel, si évident.

    Une heure et une douche plus tard, nous continuons les câlins dans son petit studio universitaire.
    La radio est allumée en permanence en fond sonore dans le petit appart. Et à un moment, une mélodie, un texte et deux voix accrochent mon oreille et mon esprit. Je ne connais pas encore cette chanson, je la découvre au fil de cette première écoute.

    Petit portoricain…

    https://www.youtube.com/watch?v=0qeV8PDBH8E

    A chaque couplet, je ressens des frissons, des émotions, de la tristesse, un malaise grandissant. En trois minutes, la violence de notre monde est là, montrée sans concessions, dans nos oreilles, sous nos yeux, dans notre tête. Cette chanson est un choc, un coup de poing en pleine figure.
    Bientôt ça fera un an. Un an déjà. Je me souviens très bien où j’étais en ce maudit 11 septembre. Je me souviens de Gavarnie, de la butte devant la cascade, je me souviens des bras de Jérém qui m’enlacent, je me souviens de son bonheur teinté de tristesse en m’annonçant qu’il avait été recruté par l’équipe de rugby parisienne. Il était heureux que son rêve devienne réalité, mais il avait peur que celui-ci nous éloigne. Je me souviens de la tête de Charlène quand nous sommes passés la voir, alors qu’elle venait d’apprendre à la télé qu’« un 747 s’était encastré dans les fenêtres » de l’une des tours. Je me souviens de la première tour en feu, et du deuxième avion qui percute l’autre tour, je me souviens de l’horreur que j’ai ressentie, la peur, la terreur.
    Je me souviens de notre dernière nuit d’amour, et de nos adieux déchirants. Je me souviens de la chaînette qu’il m’a donnée, SA chaînette. Je me souviens aussi du briquet que je lui ai offert. On voulait que l’autre se souvienne de nous, malgré la distance. On voulait préserver notre amour. Nous n’y sommes pas parvenus.

    Ce premier après-midi, nous nous contentons de caresses, de baisers. Ruben ne demande rien de plus, je ne lui demande rien de plus.

    Nous nous revoyons dès le lendemain, toujours à son appart. Nous nous câlinons comme la veille, longuement, tendrement. Mais aujourd’hui, nous enlevons nos t-shirts, nous nous retrouvons peau contre peau, tétons contre tétons.
    Je couvre son torse de bisous légers et sensuels. Je me laisse happer par le bonheur intense qu’est la découverte du corps de l’autre, de sa sensibilité, de ses envies, de son plaisir.
    Je léchouille ses tétons, mais le petit gars ne frissonne pas autant que je l’aurais imaginé. Pas du tout, même. J’insiste, et il finit par me demander d’arrêter. Et là, devant mon regard incrédule, il m’explique qu’il n’a aucune sensibilité aux tétons, que ça le chatouille et que ça coupe son excitation. Tout aussi incroyable que cela puisse me paraître, je note ça dans mon esprit. Je l’embrasse, puis je descends lentement le long de la ligne médiane de son petit torse finement dessiné et pratiquement imberbe. Je voudrais m’attarder un peu autour de son nombril, mais là non plus je n’en aurai pas l’occasion.
    « Ca chatouille,  fait Ruben, en sursautant.
    Et là, j’ai le droit ? je l’interroge en effleurant délicatement la délicieuse ligne de poils juste en dessous avec le bout de mon nez.
    Oui, là tu peux. »
    Je descends lentement, jusqu’à rencontrer le bout d’élastique du boxer qui dépasse de son short. Encouragé par ses ahanements, je défais lentement sa ceinture, j’ouvre sa braguette. Mais dès que mes lèvres et mon nez effleurent le tissu du boxer tendu sur son érection, le petit mec a un sursaut, presqu’un geste de recul. Comme si je l’avais à nouveau méchamment chatouillé.
    « J’ai fait quelque chose qui n’allait pas ?
    Non, c’est pas ça…
    Si tu n’as pas envie, on peut attendre, rien ne presse.
    Si, j’en ai envie… c’est juste que je n’ai jamais fait ça…
    T’inquiète, on va y aller tout en douceur. »
    Je m’allonge tout doucement sur lui et nous nous recommençons à nous embrasser. Je le serre très fort dans mes bras, comme pour le rassurer, pour le mettre à l’aise. Mes lèvres et mes mains recommencent à caresser son petit torse, mes doigts à exciter sa queue par-dessus le tissu tendu du boxer. Le petit mec frissonne. Maintenant, je sens qu’il a très envie.
    Je descends alors son boxer. Je regarde son corps sublime et sa queue dressée qu’il ne cherche plus à cacher. Je bande à fond, j’ai vraiment furieusement envie de lui faire plaisir, mais je sais que je dois y aller tout en douceur.
    J’ai la gorge serrée, je me trouve gauche. Je ne veux pas le brusquer. Nous sommes deux complices silencieux, animés du même désir, perdus dans la même timidité.
    « Je n’ai pas l’habitude, je l’entends me glisser.
    Moi non plus… » je m’entends répondre machinalement, sans savoir finalement de quoi je n’aurais pas l’habitude.
    Coucher avec un garçon, j’ai l’habitude. Mais coucher avec un garçon qui découvre l’amour entre garçons, c’est différent. J’ai l’impression de perdre mes moyens. J’ai l’impression de revivre une deuxième « première fois », une véritable première fois en fait. Vivre une première fois avec un gars aussi inexpérimenté que moi, vivre les questionnements, les doutes, les premiers émois. Retrouver une innocence perdue.
    Ma main part de son genou, remonte sur la cuisse, caresse le torse imberbe. Il frissonne. Je lui caresse la joue. Je l’embrasse à nouveau. Puis j’ose. Je prends sa queue dans ma main et fais quelques mouvements pour la sentir palpiter dans ma paume, sous ma peau. Je découvre le contact avec son gland. Il gémit.
    Quelle sera la suite ? Ma peur d’aller trop vite me bloque. Sa pudeur m’intimide et m’excite tout à la fois. Mes yeux le dévorent de désir et je n’ose pas parler. Ruben me semble toujours un peu mal à l’aise. Je me déshabille à mon tour, puis me glisse à nouveau sur lui. Nos sexes jouent l’un avec l’autre pendant que nous nous embrassons. C’est profond, chaud, interminable, sexuel, fou.
    Je le caresse, tout en délaissant provisoirement son sexe, pour le rassurer. Ruben se détend peu à peu. Sa main se glisse entre nos bassins et caresse ma queue. Il n’est pas maladroit. Le manque d’expérience est compensé par une douceur naturelle et un désir qui grimpe à chaque seconde.
    Je me laisse glisser le long de son corps et je le prends dans ma bouche. Son gland est pour la première fois serti entre les lèvres d’un garçon, les miennes. Je suis emporté par une vague de désir de son corps, de son innocence et de son être tout entier.
    Ma bouche descend lentement le long de sa queue, je le pompe avec une infinie douceur. Je caresse ses couilles d’une main, je caresse son torse de l’autre, en évitant les tétons, bien sûr.
    Je le sens peu à peu s’abandonner à mes caresses, au plaisir que je lui fais découvrir. Je sais qu’aujourd’hui nous n’aurons pas un échange symétrique. C’est trop nouveau pour lui. Il reçoit ce que je lui donne et c’est ce que je veux. Peu importe. Je veux lui donner toute ma douceur.
    Ruben replie les jambes à moitié et les écarte, et ce faisant permet à mes doigts de glisser de ses couilles vers son anus. Je le caresse sans chercher à le pénétrer. Ce n’est pas le moment, pas le jour.
    J’arrête un moment de le sucer pour l’embrasser. Nos langues se mêlent, nos désirs et nos excitations s’embrasent, je ressens une fusion, un bonheur absolu.
    La vague du plaisir secoue son corps. L’adorable Ruben vient de passer le point de non-retour, ses sens sont en feu et je sais qu’il a besoin d’aller au bout de la jouissance. Je reprends mes caresses, je ressens la palpitation de ce sexe délicieux. Le petit mec a décidé de connaître le plaisir, aujourd’hui, avec moi. Encore quelques va-et-vient, et je sens son jus monter. Ma main enserre sa queue sur le point d’exploser, je ressens le premier le flot monter du plus profond de son corps et de son âme, et sa semence jaillit et dessine sur son torse de longues et épaisses traînées de plaisir.
    Le monde semble s’être arrêté autour de nous. Ruben vient de connaître son premier orgasme avec un garçon, et il sourit de ce sourire qui ne vient qu’après une certaine forme de plaisir. Ma timidité revient. J’ai peur qu’il soit gêné par cette expérience. C’est parfois dur de redescendre après l’orgasme, surtout une première fois. Nous sommes nus comme nous l’étions avant de jouir, mais après, notre nudité nous paraît gênante. Je ne sais pas quoi dire alors je le regarde, lui caresse le visage et l’embrasse. Mes gestes tentent de le rassurer, de l’apaiser.
    « Tu es vraiment un joli garçon, je finis par lui glisser.
    — Tu parles… »

    Tiens, on dirait moi avec Stéphane.

    « Je ne plaisante pas, tu es beau Ruben.
    Merci. Toi aussi tu es beau garçon, Nico. »
    Je le regarde, il a l’air repu, apaisé et lumineux. Je l’embrasse à nouveau, puis m’allonge à côté de lui.
    « Et toi ? » je l’entends me lancer.
    Que veut-il dire ? Dois-je jouir moi aussi ?
    « Moi ? je fais, comme pour comprendre ses intentions.
    J’aimerais te regarder. »
    Je comprends qu’il attend que je le rejoigne dans ce plaisir. Alors je plonge mes yeux dans les siens et sans les quitter ma main joue avec ma queue pour m’amener à la jouissance.
    « Comment je peux te faire plaisir ?
    Caresse mes tétons… »
    Le petit mec s’exécute aussitôt et la caresse légère de ses doigts accélère fortement la venue de mon orgasme. Je n’ai pas besoin de beaucoup de temps, car je suis très excité par ce qui vient de se passer. Et je jouis. Mon sperme s’écrase sur mon torse. Ruben me regarde fixement, intrigué, je sais qu’il n’a rien perdu de cette conclusion sublime de notre rencontre.
    Nous restons un moment allongés l’un à côté de l’autre, en silence. Mais ce n’est plus un silence gêné, c’est désormais un silence apaisé. Nos corps se sont tout dit. Ils se sont offert du plaisir réciproque, ils se sont fait du bien. Ce silence, ce bonheur planant, c’est leur langage à eux.

    Depuis que je côtoie Ruben, j’ai trouvé une passion : le cyclisme. Nous nous revoyons chaque matin pour pédaler pendant quelques heures à la fraîche. Une semaine après nos retrouvailles, j’ai pu acheter un vélo d’occasion à l’un des membres de l’asso.
    Le vélo est une véritable découverte pour moi. Ou plutôt une redécouverte. Avec Ruben et ses boucles dans la campagne bordelaise, je retrouve le plaisir du grand air. Le vélo m’amène également de nouveaux amis, une sorte de nouvelle famille. Une famille dont les membres sont loin d’être si hauts en couleur que les cavaliers de Campan, mais avec qui je me marre plutôt pas mal.
    Oui, la première fois que j’ai randonné avec les cyclistes de l’asso, ça m’a rappelé les balades à cheval à Campan. La sensation de liberté, de dépaysement. Avec en prime, la sensation de mieux maîtriser mon nouveau moyen de locomotion que le cheval. J’ai aussi pensé à Téquila et à Unico. J’ai eu envie de pleurer. J’ai caché mes larmes pour ne pas que Ruben me pose de questions.
    Avec Ruben, nous avons d’autres passions communes, comme la musique classique. Je lui ai fait redécouvrir Tchaïkovski, il m’a fait redécouvrir Bach. Mais aussi les classiques de la littérature. Je lui ai fait découvrir Proust, il m’a fait me passionner pour l’Iliade et l’Odyssée.
    Le petit étudiant poitevin suit un cursus de langues, littératures et civilisations étrangères, orienté sur la langue italienne, mais aussi sur le grec et le latin, qui en sont ses racines. Il est passionné par ses études et il m’a redonné envie de me passionner pour les miennes après la baisse de motivation, proche de l’extinction, que j’avais connue pendant les derniers mois difficiles.
    Nous avons régulièrement de longues et belles conversations, et nos échanges sont très enrichissants. Ruben me pousse à être curieux, me donne envie de découvrir. Il nous arrive de parler philo. Il est très calé sur le sujet, et sa façon d’en parler est vraiment passionnante.
    J’aime vraiment bien ce p’tit gars. Il est intelligent, vif d’esprit, drôle, touchant. Et il est aux petits soins pour moi. Lorsqu’il m’invite pour déjeuner ou dîner chez lui, il cuisine. Cuisiner pour quelqu’un est une façon de montrer qu’on tient à lui, non ?

    Entre balades et belles conversations, nous avançons dans la découverte de nos corps et de leurs envies.
    C’est toujours un immense bonheur que de découvrir le désir de l’autre, et le désir des premiers jours est parmi les plus pétillants qui soient. Se sentir désiré, comprendre peu à peu les attentes de l’autre vis-à-vis de nous. Et ressentir en même temps les attentes vis-à-vis de l’autre, ce que sa sensualité nous inspire.
    Oui, c’est un voyage passionnant que de découvrir le mode d’emploi du plaisir d’un nouveau garçon. Bien évidemment, les fondamentaux ne changent pas. Mais les premières fois où nous mélangeons notre plaisir à l’autre, ce sont mille délicieuses surprises qui s’offrent à nous. Personne n’aime exactement les mêmes caresses, les mêmes baisers, la même vitesse, la même intensité. Et cet apprentissage de l’autre, lorsqu’on prend le temps de le faire, fait partie des meilleurs moments de notre vie sensuelle.
    L’adorable poitevin se laisse porter, découvre avec curiosité et appétit, et se laisse aller petit à petit. Je ne veux pas brûler les étapes, j’ai envie de le laisser découvrir à son rythme.
    Sa pudeur se dissipe câlin après câlin. Un jour, il finit par me prendre en bouche. D’abord timides et un peu maladroites, sa langue et ses lèvres deviennent rapidement de redoutables instruments de plaisir. Le mien, le sien. Le petit mec apprend vite, et il y prend goût encore plus vite.
    A partir du moment où il a eu envie de me sucer, c’est comme si une grande porte avait été enfoncée. Toutes ses envies retenues jusque-là par le voile de la pudeur, se sont bousculées au portillon. Pour cette première fois, il m’a sucé pendant un petit moment et il m’a fini à la main. Mais dès le lendemain, l’emballement de sa bouche autour de ma queue m’a amené très près de l’orgasme. J’ai dû lui demander de ralentir, j’ai dû me faire violence pour quitter ses lèvres juste avant de venir.
    Puis, le surlendemain, à l’instant où j’ai senti mon orgasme monter et que j’ai commencé à me retirer, j’ai senti ses mains saisir fermement mes fesses pour m’en empêcher. C’était terriblement bon. Je veux parler du contact de ses mains qui serrent mes fesses, certes, mais surtout de cette envie clairement exprimée de recevoir mon jus dans sa bouche.
    Oui, j’ai toujours considéré qu’accueillir la semence de l’autre dans sa bouche est l’un des actes les plus intimes et sensuels qui soient. Cet orgasme intense, cette donation de soi, sans contrepartie apparente, est un cadeau qu’on fait à celui qui jouit. C’est une façon de lui témoigner combien sa virilité nous impressionne. Et ce cadeau, un cadeau que je ne lui ai encore jamais fait jusque-là, ce soir il a décidé de me l’offrir. Je ressens chacune de mes giclées passer dans ma queue, chacune d’entre elles accompagnées d’un plaisir intense.

    Pendant que je m’affale sur le lit après cet orgasme extraordinairement intense, et alors que la vague de plaisir retentit toujours en moi, Ruben part dans la salle de bain. Je l’entends recracher mon jus dans le lavabo. L’orgasme passé, je retrouve ma raison, et elle efface le délire d’un instant. C’est bien qu’il ne l’ait pas fait. Je ne me sens pas vraiment à l’aise avec ça. Non pas que j’aie pris de gros risques depuis mon dépistage au printemps dernier. Lors de mes quelques aventures estivales, je me suis toujours protégé. Mais avec Jérém, c’était sans, tout le temps. Et lui aussi a couché ailleurs, j’en suis certain. Est-ce qu’il s’est toujours protégé ? J’imagine que oui, mais comment en être certain ? Et puis, même si on se protège, le risque zéro n’existe pas. Ne serait-ce que parce que personne ne se protège pour une pipe. Je suis en pleine forme, je n’ai aucun désagrément de ceux qui pourraient faire penser à une MST. Mais je préfère ne pas faire prendre de risque à Ruben. Même si éjaculer dans sa bouche en est déjà un…
    Le petit Ruben revient de la salle de bain et m’embrasse.
    « T’as aimé ? » il me questionne.
    Je suis touché par sa question. Comment pourrais-je ne pas avoir aimé ? C’est plutôt à moi de lui poser cette question.
    « Oh, oui, c’était bon, vraiment très bon. Et toi, t’as aimé ?
    Beaucoup… il glisse, en se faufilant dans mes bras.
    Il a un goût salé… » il me glisse à l’oreille.
    Je souris.
    « Tous les gars ont un goût salé ? il insiste.
    Je ne peux pas te dire, je n’ai pas un assez grand panel de comparaison… je n’ai fait ça qu’avec Jérém et un seul autre gars…
    Je suis con, excuse-moi…
    C’est rien, je tente de le mettre à l’aise.
    Pas trop déçu ? il enchaîne après un instant de silence.
    Déçu de quoi ?
    Que je n’aille pas au bout… je veux dire… que je n’ava…
    Shuuuut ! Tu ne fais que ce que tu as envie, ok ? Il n’y a pas d’obligation, à part celle de ne pas en avoir.
    Mais tu en avais envie, non ?
    J’ai envie de ce dont tu as envie, Ruben !
    Mais on a déjà dû te faire ça, non ?
    C’est arrivé, oui, mais c’est pas pour ça que je ne peux pas m’en passer…
    Mais je veux savoir… si tu avais pu choisir, tu aurais voulu que je le fasse…
    Seulement si et quand tu en auras envie.
    T’es chiant, Nico !
    Et puis, je vais être clair avec toi, Ruben. Je n’ai pas vraiment pris de risque cet été, mais on ne sait jamais. Et puis, avec mon ex je couchais sans capote. C’est vrai que la dernière fois ça remonte à des mois. Je pense que s’il a eu des aventures de son côté, il s’est protégé, c’est ce qu’on s’était dit… mais bon…
    Vous étiez un couple ouvert ?
    Oui, il a fallu que j’accepte ça pour essayer de ne pas le perdre, mais ça n’a pas suffi.
    Ça a dû être dur d’accepter ça si tu l’aimais.
    Très dur. Mais le fait est qu’avec la distance, on ne se voyait qu’une fois par mois au plus. Et puis, il "fallait"  qu’il couche avec une nana de temps en temps pour montrer à ses potes de l’équipe qu’il n’était pas pédé…
    Il est bi ?
    On va dire ça comme ça… avant d’être avec moi, il couchait avec des nanas. Bref, tout ça pour dire que je ne me suis pas dépisté depuis. Je pense que si j’avais quelque chose je l’aurais su à l’heure qu’il est, mais il vaut mieux être prudent. Et puis j’ai fait quelques rencontres en boîte cet été.
    Elle remonte à quand ta dernière aventure ?
    C’était à Toulouse, deux jours avant notre rencontre à la bibliothèque.
    Le 14 août donc… ça veut dire que nous pourrons faire un test mi-novembre pour être tranquilles. »
    C’est la première fois que j’entends Ruben se projeter aussi loin dans notre relation. A cet instant précis, je ressens un étrange mélange de bonheur, de trouble, de « peur ». Pour la première fois, j’ai l’impression que ça devient « sérieux » entre Ruben et moi.
    Aussi, l’évocation du dépistage me renvoie à la période sombre que j’ai traversée en fin d’année dernière après l’accident de capote avec Benjamin. L’idée de me repointer dans un centre de dépistage à l’allure glauque, de me retrouver face à des tonnes d’affiches sur la prévention m’accusant implicitement de ne pas assez me protéger, de voir le regard accusateur de certains soignants, qu’il soit réel ou que ce ne soit qu’une élucubration de mon esprit troublé et apeuré, l’idée de l’attente des résultats et de revivre la peur qui l’accompagne toujours, tout cela m’amène une forte sensation de malaise. Rien que d’y penser, j’en ai la tête qui tourne.
    « Voyons… nous sommes le 31 août, il enchaîne, ce qui veut dire qu’on doit faire attention encore pendant deux mois et demi. Il faut qu’on soit sages jusque-là.
    Pourquoi, tu ne veux pas être sage ? je le taquine, pour changer de sujet.
    Plus je couche avec toi, Nico, moins j’ai envie d’être sage…
    Petit coquin, va ! »

    Malgré ce que nous avons dit au sujet du fait d’être sages jusqu’au dépistage des trois mois, dès le lendemain, le petit coquin me fait jouir dans sa bouche et avale mon jus.
    « On avait dit qu’on attendrait le test pour ça, je m’émeus, lorsque je réalise ce qui vient de se passer.
    J’en avais trop envie. J’avais envie de te faire plaisir… »
    Je connais cette envie irrépressible, ce désir brûlant de goûter au jus d’un garçon qui nous fait de l’effet. J’ai bien connu ça avec Jérém. Je ne peux pas l’empêcher de prendre son pied en me faisant plaisir. Pour l’en empêcher, il faudrait que je renonce à jouir dans sa bouche. Car, à partir de ce moment-là, je n’ai plus aucune maîtrise de la suite. Mais arrêter de jouir dans sa bouche, je n’ai vraiment pas envie. D’autant plus que plus ça va, plus il fait ça carrément trop bien.

    Ruben a vraiment l’air de kiffer ça. Les fois suivantes, il m’avale presqu’à chaque fois. Depuis qu’il a pris goût à s’occuper de ma queue, il ne semble même plus intéressé à ce que je m’occupe de la sienne. Il se branle pendant qu’il me suce, et la plupart du temps il jouit en même temps que je jouis dans sa bouche. D’autres fois, il se branle à côté de moi, alors que je le caresse. De toute façon, je réalise qu’après avoir joui, je n’ai plus vraiment envie de le sucer, pas tout de suite en tout cas. Et quand mes batteries de libido sont rechargées, les siennes le sont aussi, et son envie de me sucer est plus forte que la mienne de le sucer.
    Alors, plus ça va, plus je me retrouve à être « le mec », et à me sentir « le mec ». Plus ça va, plus ça me plaît de voir Ruben accroc à ma queue, à mon jus. Ça m’excite furieusement.
    « Tu aimes ça hein ? » je m’entends lui balancer un jour alors qu’il est à genoux devant moi et que sa bouche est en train de m’envoyer tout droit vers le point de non-retour.
    Pour toute réponse, et sans jamais quitter ma queue de ses lèvres ou interrompre ses va-et-vient bien cadencés, le petit poitevin lâche un petit grognement d’approbation. Je prends cela comme un encouragement, et j’oublie aussitôt à quel point ma première « réplique de macho » m’a semblé peu crédible au moment même où elle est sortie de ma bouche et à quel point j’ai aussitôt regretté de l’avoir balancée.
    « Tu l’aimes ma queue, hein ? »j’insiste alors.
    Mon excitation est plus forte que ma peur de me ridiculiser.
    Et là, à ma grande surprise, et alors que sa bouche quitte ma queue aussitôt remplacée par sa main, je vois Ruben lever son visage, chercher mon regard et je l’entends me répondre :
    « Ah, oui, grave ! J’adore te pomper… t’es viril comme mec… »
    Moi, un mec viril ? Je peux être viril, moi ? Je ne savais vraiment pas… Ça se voit qu’il n’a jamais couché avec des gars comme Jérém ou Thibault…
    Cela me donne la mesure d’à quel point tout est relatif dans la vie, car notre jugement à l’instant T ne peut se fonder que sur nos repères cumulés jusqu’à l’instant T.
    Je kiffe voir Ruben devenir accroc à ma supposée virilité. En me renvoyant cette image qu’il se fait de moi, que ce soit pendant l’excitation qui pousse à une exaltation des propos, mais aussi après le plaisir, en me faisant sentir combien il a pris son pied en me faisant jouir, Ruben titille et flatte mon égo de mec, et bâtit peu à peu cette virilité. Au fond de moi, je suis toujours un garçon sexuellement malléable. Jérém a fait de moi un passif, puis un versa. Ruben est en train de faire de moi un actif. Et il faut dire que j’y prends goût. J’ai de moins en moins envie de le sucer et de plus en plus envie qu’il me suce et qu’il avale mon jus.
    « Elle est bonne ma queue, hein ? » je lui lance une autre fois, alors que je sens mon orgasme monter au grand galop.
    Son grognement prolongé flatte une nouvelle fois mon égo.
    « Tu veux mon jus ? j’enchaîne dans mon délire.
    Oh oui… » il laisse échapper sans cesser de me pomper.
    Mes mains, en appui sur ses épaules jusque-là, obéissent alors à une force, à un instinct que j’avais su maîtriser jusque-là. Mais là, à l’approche de l’orgasme, elles échappent soudainement au contrôle de ma conscience sur le point de s’évaporer sous l’intense rayonnement du plaisir montant. Mes mains se posent sur sa nuque et secondent ses va-et-vient. Le petit gars ne réagit pas. Mon bassin se laisse aller à de lentes ondulations. Pas de réaction non plus. Je prends cela comme un encouragement implicite et silencieux. Mes mains amplifient les va-et-vient de sa bouche. Ruben pousse un petit grognement de plaisir. Les ondulations de mon bassin deviennent des petits coups de reins. Un râle de plaisir monte de la bouche de Ruben. Je me sens alors autorisé à utiliser mes deux mains pour retenir sa tête alors que mes coups de reins s’accélèrent. Soudain, je réalise que Ruben ne me pompe plus, c’est moi qui lui baise la bouche. Et mon plaisir physique se double d’un plaisir mental qui précipite la venue de mon orgasme.
    « Je vais jouir et tu vas tout avaler ! » je lui balance, excité comme rarement je l’ai été, en retenant fermement sa tête, la queue bien enfoncée dans sa bouche, alors que je sens mes giclées quitter ma queue l’une après l’autre dans une débauche de plaisir qui envahit mon corps et mon esprit.
    Je sais qu’il va le faire de toute façon, je sais qu’il est avide d’avoir mon jus en lui. Mais je trouve excitant de le lui commander. Je trouve excitant cette sensation de… domination.

    L’orgasme a été tellement intense que je n’ai plus de jambes. Dès l’excitation retombée, je me rends compte de ce que je viens de faire. Je réalise que je viens de rejouer le scénario que m’avait imposé Jérém lors de notre toute première révision. Avec les mêmes attitudes, et les même mots, à la virgule près. Je n’étais pas prêt pour cela, mais le fait que Jérém me l’impose m’avait rendu prêt sur le champ. J’avais kiffé, certes, mais j’avais aussi souffert d’être traité comme un vide couilles. Excité pendant, humilié après. Pourquoi j’ai fait ça ? Ruben ne mérite pas que je le traite comme ça, je n’avais pas à lui imposer ça. Pourvu qu’il ne se sente pas humilié, pourvu que je ne lui aie pas fait mal, pourvu qu’il ne me déteste pas pour ça ! Je me retire aussitôt de sa bouche, et je cherche son regard. Le petit mec se remet debout aussitôt, il me regarde droit dans les yeux et il me lance :
    « Qu’est ce qui t’a pris ? »
    Son regard interloqué me fait peur. Je suis vraiment con ! Pourquoi il a fallu que je fasse ça ?
    « Désolé, je suis confus… j’étais très excité et… excuse-moi… excuse-moi, s’il te plaît… je bafouille, l’esprit brouillé.
    Hé, Nico… ne t’excuse pas… j’ai été un peu surpris parce que je ne m’y attendais pas… mais j’ai kiffé…
    C’est vrai ?
    Oui… bon, t’y a été un peu fort vers la fin…
    Désolé…
    Mais j’ai kiffé te sentir prendre ton pied… il continue sans prêter attention à ma désolation. Et quand tu m’as dit d’avaler…
    Ça t’a pas plu ?
    Ah, si ! Je suis venu avec toi » il me lance, tout en me montrant ses doigts luisants de son jus.
    Ah, me voilà rassuré. Et là, je commence à lécher ses doigts lentement, sans le quitter du regard.
    « C’est excitant, soupire le petit coquin. Tu me rends fou, Nico ! »
    Je termine ma petite affaire, puis je l’embrasse. Je bande à nouveau.

    Les jours suivants, notre petit jeu s’invite assez régulièrement dans nos moments coquins. Et ça devient un piment très excitant entre nous. Plus je joue au petit macho, plus ça le rend fou. Au début, je ne me trouvais vraiment pas crédible dans ce nouveau rôle qui n’avait jamais été le mien. Mais à force de répéter sous le regard d’un « public » qui veut y croire, peu à peu les gestes, les mots et les attitudes sont devenus naturels. J’ai fini par devenir celui qu’il attend que je sois.
    Ruben a vu en moi « un gars avec de l’expérience ». Tu parles d’expérience ! Avec une relation foirée et une poignée d’aventures au compteur, je suis loin d’être une référence. Il a vu en moi un gars « qui sait ce qu’il veut ». Je me suis employé à combler ses attentes et j’ai appris à être ce gars. Ou alors, comme je lui fais de l’effet, il a vu tout simplement en moi ce qu’il avait envie de voir.
    Dans une certaine mesure, Ruben me fait penser à moi, au début des « révisions » dans l’appart de la rue de la Colombette. Un gars à la recherche de repères, à la recherche de la virilité qu’il ne trouve pas chez lui. Et bien qu’au début cela ait pu me paraître un brin surréaliste, cette virilité il a cru la trouver chez moi.
    Mais il a suffi de me laisser faire, le laisser aller chercher mon égo masculin, le déballer, et le galvaniser. Et peu à peu mon plaisir a basculé. Je me suis laissé entraîner à jouer « le mec ».
    Oui, Ruben me fait parfois penser au Nico que j’étais il y a un an et demi, lors des révisions avant le bac. A quelques nuances près, quand-même. Je ne lui ai rien imposé, je n’ai pas voulu le dominer, et surtout pas en dehors de nos jeux sexuels. Je n’ai pas non plus exigé des trucs fous de lui dès le premier jour, je ne l’ai pas brusqué. Ça s’est fait tout en douceur, je lui ai montré des choses et je l’ai laissé trouver ses repères, à son rythme.
    Aussi, après le sexe, après parfois les mots crus, Ruben cherche toujours mes bisous, mes caresses, mes bras pour s’y blottir, comme pour se sentir en sécurité, enveloppé par mon corps. Et je ne lui ai jamais refusé cette tendresse.

    Un soir, pendant que Ruben me pompe, je ressens une envie irrépressible monter en moi. Je me retire de sa bouche, et je le prends dans la mienne. Je sens le petit mec frissonner, je glisse mes doigts autour de ses tétons pour décupler son plaisir.
    « Arrête ça, Nico, s’il te plaît… » fait le petit gars, en éloignant mes mains de son torse.
    Ah zut, j’ai encore oublié que chez Ruben les tétons ne sont pas une zone érogène majeure. Non, je ne m’y ferai jamais. Je crois bien que c’est le premier gars que je rencontre qui est câblé de la sorte. Quand je pense à comme ce simple contact me fait délirer de plaisir, et comme ça faisait délirer de plaisir Jérém, j’ai du mal à le croire et à m’y faire !
    Mais je ne m’avoue pas vaincu. Pour le faire frissonner encore plus, j’ai envie de tenter un autre truc. Je quitte sa queue pour aller lécher délicatement ses couilles, tout en le branlant. Le petit mec savoure ce nouveau plaisir. Je descends un peu plus, j’écarte ses fesses lentement, délicatement, et je laisse ma langue s’insinuer entre. Je le sens frissonner là aussi.
    « Tu aimes ? je me renseigne.
    Oui… » il fait timidement.
    Je reprends à titiller son intimité, mais je le sens tendu.
    « Tu me dis si tu veux que j’arrête…
    Non, tu peux continuer, c’est bon…
    T’es sûr ?
    Oui, mais vas-y doucement… il faut que je me détende. »
    Je recommence alors à le pomper. Mais très vite je sens ses mains se poser sur mes épaules et me pousser « plus bas ». Je recommence à lécher ses couilles, avant de glisser à nouveau ma langue entre ses fesses. Et là, je sens Ruben prendre son pied. Ainsi encouragé, je l’invite à se retourner sur le ventre. J’empoigne fermement ses fesses, je les écarte, et j’envoie ma langue donner l’assaut à sa rondelle. Le petit gars tremble, ahane, souffle de plaisir. Ça m’excite de le voir prendre autant son pied sous mes caresses buccales.
    « Tu aimes ? je le cherche, coquin.
    C’est trop bon, vas-y comme ça ! »
    Mon envie de le lécher et la sienne de se faire lécher sont tout aussi insatiables l’une que l’autre. Ce petit jeu continue pendant un bon petit moment, jusqu’à ce que Ruben se dérobe à ma langue, jusqu’à ce qu’il se retourne dans un geste précipité. Jusqu’à ce que, animé d’une excitation violente, il se jette sur ma queue et me fasse jouir avec une intensité que j’ai rarement connue. Bien évidemment, il avale mon jus jusqu’à la dernière goutte.

    Je ne l’ai jamais vu aussi excité, et l’orgasme qu’il m’a offert juste après était tellement chaud !
    Le lendemain, j’ai envie de l’exciter de la même façon, je veux l’embraser de plaisir, et je veux qu’il se jette sur ma queue comme hier soir et qu’il m’offre un orgasme encore plus épique.
    Dès que je recommence à astiquer son trou, ma queue devient dure comme l’acier et commence à suinter d’excitation. Je m’allonge sur lui, je pose un long chapelet de bisous dans son dos et son cou. Je passe ma langue le long de sa colonne, je lui offre de nouveaux intenses frissons. Puis, lorsque je le sens fou d’excitation, je cale ma queue raide entre ses fesses et je commence à frotter doucement mon gland autour de son trou.
    C’est divinement bon. Mais ce bonheur ne dure pas. Ruben se dégage soudainement, puis vient me pomper et me fait jouir. Après l’orgasme, la tendresse habituelle laisse la place à une distance inattendue et à un silence pesant. Un silence qui se prolonge et qui devient vite gênant.
    « Ça va ? je le questionne, pendant que je tente de le caresser. Je tente, car je ne le sens pas vraiment réceptif.
    Oui…
    Ça n’a pas l’air…
    Oui, ça va, c’est juste que…
    J’ai fait quelque chose qui n’allait pas ?
    Tu étais comment avec les autres gars ? je l’entends me questionner après un petit moment de silence plein d’interrogations.
    Comment ça ?
    Tu as déjà fait l’amour, j’imagine…
    Euh… oui…
    Tu étais plutôt actif ou passif ?
    Ça dépend…
    Avec ton ex, tu étais plutôt actif, non ?
    Pas vraiment, non… au début, pas du tout même. Puis, au fil du temps, on va dire que nos rôles se sont un peu rééquilibrés…
    Tu dois t’ennuyer avec moi !
    Mais pas du tout. J’ai envie de ce dont tu as envie…
    Arrête de dire ça. J’ai mes envies et toi tu as les tiennes. Dis-moi, sincèrement : tu as envie de venir en moi, non ?
    Ruben, je t’ai déjà dit que tout viendra en son temps, et que rien ne presse. Ce qu’on fait ensemble, c’est génial, et je ne veux rien de plus. Parfois je te propose des choses, et si tu n’es pas prêt, tu me le fais savoir, et on attendra.
    Je ne suis pas prêt pour ça, Nico…
    Mais c’est très bien comme ça !
    Tu n’iras pas voir un autre gars pour faire ce que tu ne peux pas faire avec moi ? il me lance, après un instant de réflexion.
    Mais non, mais non. Je suis bien avec toi, et tu me donnes déjà beaucoup de plaisir. Et ça me suffit largement. »

    Mais, là encore, je lui mens. Et non pas une, mais quatre fois.
    Une première, parce qu’en réalité, non, ça ne me satisfait pas complètement. Jouer au mec actif, n’est au final qu’un « rôle » pour moi. Pour que je puisse vraiment rentrer dedans, je pense que j’aurais besoin de jouer toute la partition. J’ai besoin de sentir ma queue bien enserrée et au chaud dans son petit cul.
    Je mens une deuxième fois parce que, au fond de moi, je sais que même cela ne me suffirait pas à me faire me sentir comblé. Il y a chez moi des envies qui demeurent inassouvies et qui deviennent de plus en plus obsessionnelles au fur et à mesure que je continue d’essayer de les ignorer.
    Loin du regard de Ruben, lorsque je me branle chez moi, j’ai envie de baiser, oui. Mais pas comme l’imagine Ruben. Au dernier instant avant que mon plaisir explose, lorsque je sens ma rondelle se contracter, je ressens une sauvage envie de me sentir possédé, rempli, baisé par une virilité puissante.
    Je mens une troisième fois parce que, parfois, l’envie est tellement forte que j’en viens à envisager d’aller voir ailleurs pour retrouver cette sensation. Mais après l’orgasme, je suis très mal à l’aise à l’idée de faire ça à Ruben, même s’il n’en saurait jamais rien. Et il y a la peur, il y a surtout la peur. La peur d’un accident capote, une éventualité qui m’exposerait à de nouveaux risques, à des nouvelles angoisses. Sans compter que cela me mettrait en porte-à-faux vis-à-vis de Ruben. Si jamais je prends un risque, je devrai le protéger. Pour le protéger, je devrais lui expliquer. Et je risquerais de le perdre.

    Et je mens une dernière fois parce c’est toi, Jérém que j’ai envie de sentir en moi. J’ai envie de sentir tes coups de reins, de sentir ta queue coulisser entre mes fesses, j’ai envie de voir l’orgasme secouer ton corps et ta belle petite gueule de jeune mâle. J’ai envie d’avoir ton jus en moi.

    En te perdant, Jérém, j’ai perdu le gars que j’aimais, celui qui savait me rendre heureux. Parfois malheureux, très malheureux même. Mais tu avais le pouvoir de me rendre heureux comme personne d’autre n’a su jusqu’ici.
    En te perdant, Jérém, j’ai aussi perdu mon meilleur amant. Tu l’étais lorsque tu ne faisais encore que me baiser. Tu l’as été dix, cent, mille fois plus lorsque tu as commencé à me faire l’amour. Même Thibault ou Stéphane, qui ont pourtant été des amants merveilleux, n’ont jamais pu me faire ressentir ce que j’ai ressenti avec toi, Jérém. Personne n’a su m’apporter le bonheur sensuel que tu as su m’apporter, Jérém.
    Avec qui couches-tu mon Jérém aujourd’hui ? Qui a la chance de goûter à ta virilité puissante, à ta queue de fou, à tes coups de reins, à ton jus délicieux ?
    Es-tu amoureux, ou le seras tu un jour ? Qui est-il, oui qui sera-t-il, l’heureux élu ? Est-ce que cette personne, que ce soit une nana ou un mec, se rend seulement compte de la chance d’avoir un amoureux et un amant comme toi ?

    Pendant que Ruben me suce, je pense souvent à toi. Je repense à notre première révision, à la première fois où tu as voulu que je te suce dans ton appart, je revis le bonheur inattendu de voir ta queue tendue pour la première fois, le bonheur de la sentir entre mes lèvres, celui de te sentir frissonner de plaisir grâce à mes va-et-vient. Je t’entends me balancer : « Je vais jouir et tu vas tout avaler ».
    Je repense à la fois où je t’ai pompé dans les chiottes du lycée, ou dans une cabine des vestiaires de la piscine Nakache, ou la pipe dans les chiottes de la Bodega, alors que nos potes faisaient la fête juste à côté. Je repense au nombre incalculable de fois où je t’ai sucé et avalé chez toi, chez mes parents, à Campan, à Paris, à l’hôtel. Je me souviens de ton torse de fou, de tes pecs, de tes abdos, de tes poils sur le torse, de ta peau mate. Je me souviens du gabarit et de la chaleur de ta queue dans ma bouche ou dans ma main ou entre mes fesses.
    Oui, pendant que Ruben me suce, je me revois à sa place, à genoux devant toi que j’ai envie de faire exulter de plaisir, de te faire jouir plus que tout au monde, parce que mon plaisir dépend du tien. De la même façon que le plaisir ultime de Ruben semble être celui de me faire jouir, te faire jouir, Jérém, était mon plaisir ultime.
    Et lorsque je jouis dans sa bouche, lorsque je me répands en lui, à l’idée même qu’il m’avale, c’est encore à toi que je pense, Jérém. A tes giclées puissantes et brûlantes qui percutent mon palais, qui s’étalent sur ma langue, avant de glisser lentement au plus profond de moi. Je me souviens de ton goût de mec. Putain, qu’est-ce qu’il me manque, ton goût de jeune mâle !
    D’autres fois, en regardant Ruben à genoux devant moi, je repense à mon immense surprise la première fois où je t’ai vu te mettre à genoux devant moi, défaire ma braguette. La première fois où j’ai senti tes lèvres enserrer ma queue, ta langue s’enrouler autour de mon gland. La première fois où j’ai vu tes beaux cheveux noirs onduler au rythme de ta toute première fellation.
    Je ferme les yeux et l’illusion est encore plus parfaite. A une différence près. Tu me suçais pour m’offrir un peu de ce plaisir que je t’offrais depuis longtemps, peut-être pour me faire me sentir « ton égal ». Alors que Ruben me suce comme un gars qui veut me faire sentir « le mec ».

    Pendant cette « petite mort » qui suit l’orgasme, tu me manques plus que jamais. Et le constat que ce n’est pas toi, Jérém, que je tiens dans mes bras, me fait me sentir triste à mourir. Je pars ailleurs, sans même m’en rendre compte.
    « Tu l’as depuis longtemps ? j’entends Ruben me questionner un jour, en me tirant de cette dimension lointaine de souvenirs, de nostalgie, de tristesse où je m’étais égaré.
    Quoi ?
    Ta chaînette… j’ai remarqué que tu joues souvent avec…
    Ah bon ? » je m’étonne, en réalisant qu’il a raison, que mes doigts sont enserrés autour des mailles.
    Soudain, le souvenir de notre au revoir à Campan avant ton départ pour Paris, le souvenir de ton bonheur mélangé à la peur de l’avenir, le souvenir de l’instant où tu as enlevé cette chaînette de ton cou pour la passer autour du mien, cette chaînette qui représentait tant de choses pour toi, ce souvenir remonte à ma conscience et me donne envie de pleurer. Malgré tout ce qui s’est passé, je n’ai jamais pu me séparer de cette chaînette.
    « Je n’ai pas fait attention, je tente de faire diversion auprès de Ruben.
    Tu ne m’as pas répondu. Tu l’as depuis longtemps ? »
    Est-ce une question « piège » ? La véritable question du petit mec n’est pas plutôt de savoir comment je l’ai eue, si c’est toi qui me l’as offerte ?
    Je l’ai depuis des années… c’est un cadeau de… ma grand-mère, je mens. »
    Je mens encore. Je m’en veux de lui mentir, mais je ne veux pas prendre le risque qu’il prenne mal le fait que je garde sur moi un cadeau si intime venant de celui qui est censé être mon « ex ».
    « En tout cas, elle te va super bien. »

    Malgré les semaines qui passent et l’absence de tes nouvelles, je n’arrive pas à cesser de penser à toi, Jérém, et de me demander s’il t’arrive de penser à moi, si je te manque. Si tu as des aventures. Si tu as rencontré quelqu’un d’autre. J’ai du mal à supporter l’idée que tu puisses avoir des aventures, mais je sais que je trouverais vraiment insupportable l’idée que tu sois avec quelqu’un, alors que je n’ai pas réussi à te donner envie d’être avec moi.
    Je me surprends parfois à compter les mois, les semaines les jours depuis la dernière fois où j’ai fait l’amour avec toi. Ça fait déjà plus de quatre mois. Quatre mois qui me paraissent une éternité.

    Il y a des jours où je me dis que c’est fini, que ton baratin de me dire que tu étais trop mal pour être avec moi n’était qu’une façon « déguisée » de me quitter. Je me dis tu as fait ton choix, que tu ne reviendras pas vers moi, que tu es passé à autre chose, que tu m’as oublié. Je me dis que je ne te reverrais plus jamais et que plus jamais je ne te serrerai dans mes bras. Plus jamais je ne coucherai avec toi. Plus jamais je ne baiserai avec toi. Plus jamais je ne ferai l’amour avec toi. Je me dis que j’ai tout perdu, sans vraiment savoir comment et pourquoi nous en sommes arrivés là, sans savoir où ça a foiré.

    Peut-être que notre relation était excessivement physique, trop physique. Je réalise qu’en quelques semaines avec Ruben, j’ai partagé bien plus de choses – le vélo, la littérature, la philosophie, la musique, mais aussi notre vision de la vie, du bonheur, et nos blessures respectives – que je n’en ai jamais partagées avec toi, Jérém.
    Les seuls moments où nous avons partagés des choses, ça a été à Campan, et la première fois où je suis monté te voir à Paris. Le reste du temps, le sexe était trop souvent le seul et dernier langage qui marchait entre nous.
    Mais être un couple ne peut pas se résumer au sexe.
    Peut-être que toi et moi sommes finalement trop différents pour être heureux ensemble.
    Je suis plutôt du genre "intello", tu es plutôt du genre "sportif". Je suis du genre à partager mes ressentis, toi du genre à les garder pour toi. Je suis du genre à chercher de l'aide quand ça ne va pas, toi du genre à te refermer sur toi-même. Je voudrais ne pas avoir à cacher qui je suis, alors que toi tu n'envisages pas une seule seconde de sortir du placard. Je comprends ta position. Je comprends tes besoins, bien entendu. Mais au final, ils sont à l'opposé des miens.
    Peut-être que nos différences sont telles qu'elles rendent impossible un bonheur commun. Et je me dis que tu as vu avant moi cette "impossibilité", et que tu as voulu mettre un terme à cette relation qui nous rendait finalement malheureux.

    Alors, en pensant que tout est terminé entre toi et moi, je ressens une tristesse sans fin, un vertige immense devant ce terrible gâchis.
    Et puis, il y a d’autres jours où je me dis que tu ne me ferais jamais ça. Pas le même gars qui m’a dit qu’il m’aimait quelques mois plus tôt. Comment pourrais-tu avoir oublié nos moments ensemble, notre bonheur, notre amour ?
    Au fond de moi, j’espère toujours que je vais te manquer et que tu réalises un jour à quel point nous pourrions être bien ensemble. J’ai toujours envie de croire que tous les chemins que nous empruntons dans nos vies et qui nous éloignent l’un de l’autre ne sont au fond que des détours pour mieux nous rejoindre plus tard. Oui, j’ai toujours envie de croire que nous sommes destinés à être heureux ensemble. Et que notre amour sera plus fort que toutes les différences qui nous séparent.

    Mais l’attente est de plus en plus dure, et j’ai l’impression de me noyer. Et Ruben est là pour me sauver de la noyade.

    Parfois je me demande : « et si j’étais avec Ruben, si j’acceptais de m’engager à fond dans cette relation ? », « Et si j’arrêtais de t’attendre, et j’essayais de t’oublier, Jérém ? » Je me dis que ma vie serait plus simple, et peut-être plus heureuse. Mais je ne peux pas commander mes sentiments. J’aime bien Ruben, je suis bien avec lui, ce garçon me touche profondément. Aussi, j’ai l’impression que nous nous ressemblons bien plus lui et moi que toi et moi. Et trouver quelqu’un qui semble nous comprendre, ça fait un bien fou.

    Hélas, je n’ai pas eu le coup de foudre qui m’aurait fait tout oublier de ma vie sentimentale d’avant. Qui m’aurait fait t’oublier. C’est un paradoxe, mais c’est précisément parce que je n’arrive pas à t’oublier, Jérém, que la compagnie de Ruben me fait autant de bien.

    Mais est-ce bien honnête de ma part de prendre le bonheur que Ruben m’apporte, alors que mon cœur est toujours ailleurs ? Est-ce que je vais pouvoir être à la hauteur de la relation qu’il envisage pour nous ? Est-ce que je vais pouvoir le rendre heureux ?
    Je ne veux pas jouer avec lui, je ne veux pas lui faire du mal.
    Alors, est-ce que je devrais le quitter et lui laisser la possibilité de trouver un gars qui n’a pas de « Jérém » en arrière-plan de sa vie, un gars qui saurait l’aimer comme il le mérite ? Peut-être que je devrais, et que ce serait mieux pour tout le monde.
    Mais je n’en ai pas le courage.

    Et qu’en est-il pour Ruben ? Que cherche-t-il dans notre relation ? Quelles sont ses attentes ?
    Plus les jours passent, plus j’observe qu’il s’attache à moi. Et il se projette avec moi, de plus en plus loin, dans le temps et dans l’intimité. D’abord, il n’arrête pas de me proposer des idées de balades à vélo et de vacances. Puis, dès leur arrivée à Bordeaux pour la rentrée, il me présente à ses potes de fac, et à sa meilleure amie. Même à Sophie. Et même à sa sœur Nathalie qui, à la faveur d’un déplacement professionnel à Bordeaux (elle est commerciale pour un gros fabricant italien d’emballages avec un peu de chocolat au lait dedans) un soir s’est retrouvé « malicieusement » mélangée avec ses potes.
    Un soir, il me parle de ses parents, et de son coming out quelques mois plus tôt.
    « J’ai eu peur que ça nous éloigne. Nous n’avions pas vraiment pris le temps d’en reparler depuis. Mais les vacances d’été ont été l’occasion de revenir sur le sujet, surtout avec Maman, et j’ai pu la rassurer, lui dire comment j’envisage ma vie. Je lui ai dit que je ne cherche pas d’aventures, que je veux rencontrer un garçon avec qui faire ma vie ».
    « Je suis content de t’avoir retrouvé, je l’entends me glisser, le même soir, après le plaisir.
    Moi aussi…
    Je n’ai pas arrêté de penser à toi depuis notre première rencontre.
    Moi aussi j’ai bien aimé te parler ce soir-là.
    Tu sais, je t’ai cherché après notre première rencontre…
    C’est vrai ?
    J’ai demandé autour de moi si quelqu’un connaissait un Nico de Toulouse à la fac de Sciences, mais personne n’a su me renseigner.
    Tu sais, je ne suis pas un gars très populaire.
    Un jour, je me suis même pointé à ta fac, mais je ne t’ai pas vu. J’ai demandé à deux ou trois personnes, mais là non plus personne ne te connaissait. Je me suis dit que j’avais peut-être mal compris, et j’ai arrêté… je devais avoir l’air d’un psychopathe… »

    Ruben me semble vraiment pressé de m’intégrer dans sa vie. Un soir il me parle de son souhait d’amener un garçon chez ses parents pour les rassurer, mais uniquement « quand il sera bien avec un garçon ». Je sais qu’il voudrait que ce garçon ce soit moi.
    Et c’est à cet instant précis que je réalise que ça va trop vite pour moi.
    Est-ce que Ruben est en train de tomber amoureux de moi ? Est-ce qu’il est déjà amoureux de moi ? Et si c’est le cas, comment je vais accueillir son amour ?
    Je réalise que nous jouons depuis le début à un jeu dangereux sans nous protéger. Nous sommes bien l’un avec l’autre. Mais le bien-être avec l’autre peut entraîner le besoin de l’autre, et ce dernier peut facilement entraîner les sentiments. Je sais que mon cœur n’est pas prêt aujourd’hui de s’ouvrir à l’amour. Pour aimer à nouveau, il faut avoir cessé d’aimer auparavant. Et je n’ai pas cessé d’aimer Jérém. J’essaie de m’en convaincre parfois, mais au fond de moi je sais que ce n’est pas vrai.
    Je sens que Ruben s’attache à moi beaucoup plus que moi à lui, et j’ai peur de le faire souffrir. Je ne veux pas le faire souffrir, je ne veux pas lui promettre des choses que je ne suis pas sûr de pouvoir tenir. Je ne peux pas me laisser aller à fond dans notre relation comme il fait, mes peurs me retiennent.

    Soudain, j’ai envie de mettre un frein à tout cela.

    Et pourtant, je n’ai pas le cœur à contrarier son élan vers moi, car ça me fait un bien fou. Je ne veux pas le décevoir, je ne veux pas le perdre.
    Car Ruben me fait me sentir « normal », bien avec lui, bien avec moi-même. Alors, même si tout ça me fait un peu peur, je me laisse bercer par son élan, je me laisse happer par cette vie qu’il m’offre où je peux être moi-même et vivre une relation au grand jour. Au fond, c’est tout dont j’ai toujours eu besoin, tout ce dont j’ai toujours rêvé, tout ce que Jérém n’a jamais su m’offrir. Je me laisse réconforter, je me laisse porter, soigner par Ruben.
    Je suis touché par ses attentions, pas sa spontanéité, par l’enthousiasme avec lequel il envisage l’avenir de notre relation.
    C’est pour cela que je ne veux pas le perdre. A moins que la véritable raison ne soit tout autre. Comme la peur de me retrouver seul. Seul avec mes démons, seul avec moi-même.

    Parfois, je me demande si lui aussi pense toujours à Andréas. Au fond, je préfère ne pas savoir. Tout ce dont j’ai envie c’est d’être bien avec lui, de profiter de l’instant présent. Je ne veux pas être jaloux, je ne veux pas demander à cette histoire plus que ce dont j’ai besoin.
    Est-ce que Ruben est amoureux de moi ? Ou bien est-ce que lui comme moi sommes amoureux de ce qu’on s’apporte l’un à l’autre à savoir une main tendue pour s’empêcher de nous noyer dans le chagrin ? Je ne sais pas répondre à ces questions, et au fond de moi je ne sais pas si j’en ai envie.
    Nous sommes tous les deux des meurtris de la vie et nous avons besoin de trouver du réconfort et de la douceur dans les bras de l’autre.
    Ruben a été ma bouée de sauvetage, et j’ai probablement été la sienne. Il m’a sauvé d’un naufrage, je l’ai peut-être sauvé du sien.
    Non, quand on se noie, on ne refuse pas une main tendue.

    Un soir, cette chanson retentit à nouveau dans la petite enceinte de la radio que Ruben tient toujours allumée en fond sonore.

    https://www.youtube.com/watch?v=0qeV8PDBH8E

    Dans le silence planant après nos orgasmes où nos souffles sont les seules manifestations de notre présence, je l’écoute d’un bout à l’autre, et je me laisse embarquer comme jamais. Et peut-être parce que mon esprit est à fleur de peau après l’amour, peut-être parce que je tiens dans mes bras ce petit mec avec qui je me sens si bien, peut-être parce que je me sens… oui, je crois que je me sens heureux à cet instant précis, cette chanson me bouleverse plus encore que les autres fois.
    « Putain, ce texte… j’entends Ruben commenter. Il est on ne peut plus clair. Ce sont au final toujours les innocents qui sont les victimes des grands enjeux qui les dépassent. »

    A cet instant précis, cette chanson devient la bande son de ma romance avec Ruben.

    Je me souviens très bien de cet instant, de cette soirée. Je m’en souviens car c’était la veille du jour où « un coup de tonnerre » va venir faire dangereusement vaciller mon fragile équilibre sentimental.


    La scène de la première fois entre Nico et Ruben racontée dans cet épisode contient des passages du récit « L’océan » écrit par PoiluHDS et publié en 2014 sur le site Histoires de sexe. J’ai voulu ainsi rendre hommage à ce texte qui a été pour moi le véritable déclic pour commencer à écrire Jérém&Nico.
    Vous pouvez retrouver le récit « L’océan » en cliquant sur ce lien :

    https://www.histoires-de-sexe.net/l-ocean-histoire-vraie-18947


    Vous êtes très nombreux, plusieurs milliers, à suivre l'histoire de Jérém et Nico. J'en suis particulièrement touché et je remercie toutes les lectrices et lecteurs qui portent un intérêt à mon travail. Je veux vous dire aussi combien vos réactions comptent pour moi. Je regrette parfois qu'elles soient peu nombreuses. Je n'attends ni louanges ou flatteries mais j'aime ce contact avec vous. Vos retours m’inspirent et me motivent pour ce qui m'est le plus cher : écrire, malgré le peu de temps à ma disposition, et vous faire partager mon histoire.
    Merci d'être aussi nombreux à me lire.
    Fabien

     

    Tu peux contribuer à l'aventure Jérém&Nico !

    via Tipeee : Présentation

    J&N

    ou via Résultat de recherche d'images pour "logo paypal"  sans inscription, en cliquant sur ce bouton :

    Bouton Faire un don 

     

     http://ekladata.com/Lw9otgmXuglA2DCxRpUeTTj0mf4.gif

     

     

     


    6 commentaires
  •  
    Dimanche 16 juin 2002, 2 h 02.

    C’est là que l’imprévisible se produit. Un scooter déboule à toute vitesse de la gauche en grillant une priorité. Lorsque Jérém le voit, lorsqu’il appuie comme un malade sur la pédale de frein, c’est déjà trop tard. La collision est inévitable. La roue du scooter se plante dans l’aile de la voiture de Jérém qui vient de s’immobiliser. Le conducteur est éjecté de son siège, le choc fait trembler tout l’habitacle, et je le ressens jusque dans mon ventre. Sa tête casquée vient percuter le pare-brise, qui se déforme, se fragmente en mille éclats mais ne se brise pas. Le bruit sourd du coup me glace le sang dans les veines, tout comme le cri désespéré de Jérém :

    « NON !!! »

    Une fraction de seconde plus tard, je vois le corps atterrir sur le goudron, de l’autre côté de la voiture.
    Je suis sidéré. Jérém est sous le choc, il a clairement perdu pied.

    « Je ne l’ai pas vu, je ne l’ai pas vu ! » il répète en boucle.

    Tu t’appelles Jérémie Tommasi et depuis que tu as été rejeté par le monde du rugby professionnel, tu bois et tu fumes trop. Soudain tu repenses à ce qui t’est arrivé quelques jours plus tôt. Une nuit tu te fais arrêter par la Police en état d’ivresse manifeste, en marge d’une bagarre. Tu n’arrives pas à te calmer, tu insultes les agents qui essaient de te maîtriser. On te menotte, on t’amène au poste. Tu passes la nuit en cellule de dégrisement. Tu décuves, tu ne dors pas beaucoup. Et ça te laisse le temps de réfléchir. Tu te dis que tu dois te tenir à carreau, car tu ne veux plus jamais avoir affaire à ce genre de contrainte, à cette angoisse de privation de la liberté.

    Je regarde par la vitre et je vois le conducteur bouger, se mettre assis et se tenir le genou. Il n’a pas perdu connaissance, et cela est une chance immense. Il nous tourne le dos. Je sors de la voiture comme un fou, ma première pensée est celle d’éviter le suraccident. Par chance, il n’y a pas de voitures en vue. Je regarde Jérém, il est vraiment tétanisé.
    En une fraction de seconde, le tableau se dessine dans ma tête. Le type est vivant, ce qui est capital. L’accident s’est produit parce qu’il a grillé une priorité. Mais Jérém a bu et fumé du shit. Et son attention a certainement dû être détournée par le fait que nous étions en train de nous disputer. Soudain, je pense à quelque chose. Mais il faut faire vite, très vite.

    « Sors de la voiture Jérém !
    —    Quoi ? il fait, abasourdi, le regard paniqué. Nico, je suis dans une merde noire !
    —    Sors de la voiture, sors vite ! Et surtout ne dis plus rien, rien du tout ! »

    Jérém obéit machinalement. Et moi je vais voir le motard.

    « Bonjour. Vous allez bien ?
    —    J’étais bien mieux avant !
    —    Vous avez mal ?
    —    J’ai mal, j’ai mal, oui.
    —    Au genou ?
    —    Oui !!!!
    —    Et pas ailleurs ?
    —    L’épaule.
    —    Et la tête ?
    —    Non… »

    Dans cette étrange lucidité qu’est la mienne à cet instant, je me souviens du cours de secourisme que j’avais suivi au lycée.

    « La vue, ça va ? Tu vois clair ou brouillé ?
    —    Oui, ça va.
    —    Comment tu t’appelles ?
    —    Ouissem.
    —    Et tu sais quel jour on est, Ouissem ?
    —    Samedi ???
    —    Oui, on est bien samedi.
    —    Et quel mois et année ?
    —    Euh… juin… 2002…
    —    C’est ça !
    —    Aide-moi à enlever le casque…
    —    Attends un peu… laisse-moi appeler les urgences avant et voir ce qu’ils disent. »

    Je sors mon téléphone de la poche et je compose le 15.
    Je suis étonné d’arriver à garder le contrôle, alors que Jérém est hors de lui. Les mots sortent tout seuls, je mets mon plan à exécution avec un aplomb dont je me serais cru incapable.

    « Je m’appelle Nicolas Sabathé et je viens d’avoir un accident. Un scooter a surgi de la gauche et il s’est encastré dans ma voiture… oui, le conducteur du scooter est conscient… le nom de la rue… je ne le connais pas… »

    Ouissem me donne lui-même le nom de la rue, ce qui est plutôt rassurant.

    « Mais qu’est-ce que tu leur as raconté ? me lance discrètement Jérém dès que j’ai raccroché.
    —    Viens, je lui lance, tout en le prenant par le bras pour l’éloigner de Ouissem.
    —    C’est moi qui ai eu l’accident, pas toi ! il me crie tout bas.
    —    On s’en fiche, du moment que personne d’autre ne le sait à part toi et moi.
    —    Nico, j’aurais pu le tuer !
    —    Tais-toi, putain, Jérém ! Il n’est pas mort, il est juste blessé. Toi t’as bu et t’as fumé. Si on dit que c’était toi qui conduisais, tu vas vraiment être dans la merde. Moi je suis clean, le mojito remonte à longtemps…
    —    Mais c’est ma voiture !
    —    On s’en fout de ça ! J’ai mon permis, et tu as le droit de me la prêter !
    —    Tu peux pas faire ça !
    —    Si je peux, et je vais le faire. Je ne vais pas te laisser dans la merde, Jérém, c’est hors de question ! Il faut juste que tu me promettes de maintenir cette version quand la police te posera des questions. »

    Son regard terrorisé me touche et me rend tellement triste.

    « De toute façon, désormais j’ai dit que c’était moi, je lui lance. Si tu dis autre chose, c’est moi qui suis dans la merde ! Alors, t’as intérêt à pas déconner ! »

    Les secours arrivent quelques minutes plus tard, accompagnés par les forces de l’ordre. Ouissem est pris en charge. Un policier, la trentaine, très imposant et plutôt pas mal gaulé dans son uniforme, nous demande qui était le conducteur. Je déclare que c’était moi.
    Alors, on s’occupe de moi en premier. On me fait rentrer dans le fourgon, on me demande mes papiers, on me fait souffler dans une machine, saliver sur une bandelette. On constate que je suis clean. On me pose des questions sur l’accident, on me fait remarquer que la voiture est au nom de Mr Tommasi, on me fait redire que c’était moi qui conduisais. Je confirme, encore et encore, avec un aplomb dont je me serais cru incapable dans une telle situation. On me rend mes papiers et on me dit que je peux partir. Pourvu que Jérém ne me contredise pas !
    Je sors du fourgon comme sonné. Jérém y rentre en suivant. Les minutes s’étirent et je sens de plus en plus monter l’angoisse que mon bobrun mette à mal ma version. J’ai l’impression que c’est vachement long, et je commence à penser que quelque chose est en train de clocher. Ils ont vu que Jérém a bu et fumé, et ils doivent se poser, et lui poser, des tas de questions. Ils vont finir par le faire craquer. Merde !
    Soudain, un visage familier apparaît devant moi comme surgi de nulle part.

    « Salut, Nico.
    —    Mais comment… »

    T-shirt noir bien tendu sur son torse massif, les manchettes très près des biceps, short découvrant des beaux mollets solides, une fragrance de mec qui s’insinue dans mes narines et vrille illico mes neurones, beaux cheveux blonds et barbe bien fournie, le co-équipier de Jérém est là.

    « Jérém vient de m’appeler, coupe court Ulysse. Qu’est-ce qui s’est passé ?
    —    On a percuté un scooter…
    —    Ah merde. Et le type du scooter ?
    —    Il s’en sort pas trop mal, il est vivant.
    —    C’est déjà ça, et c’est le principal. »

    Je lui explique rapidement ma petite ruse pour couvrir Jérém.

    « C’est de ma faute cet accident.
    —    C’est toi qui conduisais ?
    —    Non…
    —    Alors, pourquoi tu dis que c’est de ta faute ?
    —    On était en train de nous disputer quand c’est arrivé…
    —    Il était en tort ?
    —    Non, je ne crois pas… le mec du scooter a grillé un STOP…
    —    Alors c’est lui qui est responsable…
    —    Mais s’il n’avait pas été énervé par notre dispute, il aurait pu l’éviter…
    —    Ou pas ! Tu sais, avec les si… »

    Jérém sort enfin du fourgon de Police. Il a l’air abasourdi.

    « Ça va ? je le questionne.
    —    Je suis KO.
    —    Comment ça s’est passé ?
    —    Je ne sais pas…
    —    Tu as maintenu ma version ?
    —    Oui, oui !
    —    Ça a pris beaucoup de temps…
    —    Ils m’ont posé beaucoup de questions.
    —    Eh, les gars, allez, on va chez moi, on sera mieux qu’ici, fait Ulysse.
    —    Mais j’ai pris une chambre à l’hôtel, je fais remarquer.
    —    Allez, venez à l’appart, on sera plus tranquilles. On va boire un verre ensemble. Enfin, sauf si vraiment vous préférez l’hôtel… je veux dire… faites comme vous le sentez, les gars. »

    Jérém a l’air sonné, perdu, Ulysse lui passe un bras autour du cou, le serre contre son épaule.

    « Allez, Jérém, fais pas cette tête, tout va bien. Tu t’es trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, c’est tout. Le type est juste blessé, et ça lui apprendra à faire davantage gaffe. »

    Ulysse est vraiment un gars rassurant, et quand il est là on a l’impression que tout va s’arranger. La perspective de profiter de sa présence me plaît. Je sens que ça va faire du bien à Jérém aussi. Alors, nous acceptons la proposition du beau blond.
    Après avoir attendu l’auto-dépanneuse avec nous (la voiture de Jérém n’est plus en état de rouler) et être passés chercher mes affaires à l’hôtel, Ulysse nous conduit chez lui. Il est 3h30 du matin.

    Son appart est plus grand que celui de Jérém. Dans le séjour, le clic clac laissé en mode lit me montre le quotidien de Jérém.
    Ulysse nous propose un verre, puis un autre. Nous discutons de l’accident. Parler fait du bien, Ulysse nous aide à dédramatiser. Un bon pote, c’est vraiment un trésor, en particulier dans les moments difficiles.
    Il est près de 5 heures lorsque le beau blond nous propose de dormir un peu.

    « Désolé de squatter chez toi, fait Jérém, l’air assommé par la fatigue et par le choc de l’accident.
    —    Ta gueule, mec. Vous êtes mes invités et ça me fait plaisir de vous rendre service. »

    Jérém s’assoit sur le bord du clic clac et en commençant à défaire son gilet.

    « Mais vous allez dormir dans la chambre cette nuit, fait Ulysse.
    —    Non, pas moyen.
    —    Je te dis que si. Sur le clic clac, vous n’allez pas bien dormir à deux. »

    Et sur ce, il ôte son t-shirt et se débarrasse de son short. Il se retrouve ainsi tout juste habillé d’un beau boxer noir. Avec toute la meilleure volonté du monde, je ne peux m’empêcher de regarder discrètement. Le tissu de son boxer moule parfaitement ses cuisses musclées et ses fesses rebondies, l’élastique est tendu de façon plutôt spectaculaire sur les plis de l’aine bien saillants, et la poche sur le devant est plutôt prometteuse. Son torse musclé et presque imberbe est magnifique. Ah, putain, le rugby, il n’y a que ça de vrai ! Puis, dans la foulée, cette somptueuse plastique masculine disparaît sous la couette.

    « Bonne nuit les gars ! il nous lance, alors que ses pecs et ses tétons sensuels dépassent toujours du drap.
    —    Je n’ai jamais le dernier mot avec toi, lâche Jérém sur un ton dépité.
    —    Non, et c’est pas cette nuit que ça va commencer, se marre Ulysse.
    —    Merci Uly… finit par lâcher Jérém, après un instant de flottement.
    —    Merci Ulysse, je fais à mon tour.
    —    Allez, filez, les gars, laissez-moi dormir, c’est assez tard ! »

    Il ne nous reste alors qu’à gagner la chambre, et à nous glisser dans le lit de l’adorable Ulysse.
    Ses draps portent la marque olfactive de leur propriétaire, un parfum bien mec, le même qui a percuté mes narines dès son arrivée sur les lieux de l’accident.
    Dans le noir, Jérém demeure silencieux et immobile. Je sens qu’il est toujours sous le choc, et je veux lu faire sentir que je suis là. Je m’approche de lui, je tente de le prendre dans mes bras et de l’embrasser.

    « Pas ici ! il lâche sèchement, tout en se dégageant brusquement.
    —    Et pourquoi pas ici ?
    —    Je suis pas à l’aise.
    —    Parce que c’est le lit de ton pote ?
    —    Fiche-moi la paix !
    —    Allez, même pas pour un bisou ?
    —    Arrête Nico !
    —    Tu fais chier, Jérém ! » je lui lance, en me tournant sur le côté, triste et déçu par sa réaction.

    Dans le noir, j’attends, sans vraiment l’attendre, mais sans pour autant me résigner à arrêter de l’attendre, bien au contraire, une réaction de sa part, un geste de tendresse. Mais les secondes s’enchaînent, et deviennent minutes, et rien ne vient. J’entends sa respiration, je ressens son angoisse. J’ai l’impression d’entendre ses pensées s’entrechoquer dans sa tête. Il doit être bien secoué, n’empêche. Alors je prends sur moi, et je sens ma contrariété s’évaporer. Je commence à connaître mon Jérém, et j’apprends à faire avec. Lorsqu’il ne va pas bien, il se referme sur lui-même comme un hérisson. Et dès que j’essaie de l’approcher, je me pique. Alors, autant attendre qu’il se détende tout seul.
    Apparemment, la stratégie est payante.

    « Désolé » je l’entends chuchoter au bout d’un long moment, après un long soupir, alors que ses bras se glissent enfin autour de mon torse et qu’ils me serrent contre le sien.

    « Je n’arrête pas d’entendre ce bruit, il m’explique. Et de voir le casque exploser la vitre de la voiture. Je sais qu’il est juste blessé, mais j’ai l’impression de l’avoir tué. Et ce bruit, et cette image… ça tourne en boucle là-dedans. C’est comme s’ils étaient dans mon ventre et dans ma tête, et j’ai l’impression qu’ils ne vont jamais me quitter…
    —    Je me sens autant coupable que toi… si je ne t’avais pas cherché, on ne se serait pas disputés, et…
    —    Merci, mille merci, Nico, il me coupe. Tu m’as sacrement sorti de la merde, ce soir…
    —    Je n’allais pas rester sans rien faire…
    —    Tu m’as épaté, mec ! Moi j’ai complètement perdu les pédales, alors que toi, t’étais si calme. Putain, je n’aurais pas cru que tu aurais autant de sang-froid !
    —    Sur le coup, j’ai été sonné. Mais une fois que j’ai vu que le gars était conscient, j’ai pensé à toi de suite. Je ne pouvais pas te laisser tomber. »

    Jérém me serre très fort dans ses bras et il pose quelques bisous dans mon cou.

    « Toi t’es un mec bien, t’es mon Ourson ! » il me glisse à l’oreille.

    Je fonds dans ses bras et sous ses bisous, je fonds en entendant ces mots. Je m’endors en pleurant de joie.

    Je me réveille un peu plus tard dans la nuit. Jérém dort à poings fermés, et en étoile de mer. Je me lève pour aller aux toilettes. En passant dans le couloir devant la pièce à vivre, je vois qu’Ulysse non plus ne dort pas. Il est assis sur le clic clac, torse nu, et il regarde la télé.

    « Ah, c’est toi. Tu ne dors pas non plus ? il me lance, lorsqu’il capte ma présence.
    —    Non, je viens de me réveiller en sursaut.
    —    C’est à cause de l’accident ?
    —    Je pense, oui.
    —    Et Jérém ?
    —    Il a l’air de dormir. Mais toi non plus tu ne dors pas.
    —    J’ai fait une sieste trop longue cet après-midi. Moi, je suis en vacances. »

    Ses beaux biceps, ses pecs, ses abdos saillants, ainsi que son regard clair et perçant aimantent mon regard. Je me fais violence pour ne pas laisser l’attirance happer mon attention. Je ne veux pas qu’il capte cette attirance.

    « Tu es arrivé quand ? il enchaîne.
    —    Cet après-midi.
    —    Jérém ne m’avait pas dit que tu devais venir.
    —    Il ne le savait pas. Il ne voulait pas que je vienne le voir. Mais moi, je n’en pouvais plus de ne pas le voir. Je sentais qu’il n’allait pas bien, et je ne pouvais pas rester les bras croisés, à 500 bornes, à me prendre la tête à longueur de journée.
    —    Tu l’aimes, hein ?
    —    Oui, énormément.
    —    Alors, tu as bien fait de venir le voir. Et tu l’as bien senti, il ne va pas très bien en ce moment.
    —    J’imagine que c’est à cause de son départ du Racing…
    —    Oui, c’est très dur pour lui.
    —    Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi ça n’a pas marché ? Il a toujours été un très bon joueur à Toulouse. Pourquoi il n’y arrive pas à Paris ?
    —    Parce qu’ici, il a eu trop de pression. Il a dû faire ses preuves très vite, et en plus on ne peut pas dire qu’on lui a facilité la tâche. Si Léo ne l’avait pas fait chier tout au long de la saison, tout se serait passé autrement.
    —    C’est quoi encore cette histoire avec Léo ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
    —    Rien de particulier. Mais il lui a mis une pression qui a fini par le déstabiliser. Et un sportif sans un mental d’acier n’est pas un bon sportif. J’ai essayé de l’aider, de le soutenir, mais j’ai échoué, et je m’en veux énormément. Et je m’en veux aussi de ne pas avoir pu éviter la bagarre….
    —    Quelle bagarre ?
    —    Jérém venait d’apprendre qu’il ne serait pas renouvelé. Ce con de Léo a encore voulu se payer sa tête. Et ton mec lui en a collé une en pleine figure…
    —    Mais il l’avait bien cherché !
    —    Évidemment qu’il l’avait cherché. Mais le coach a assisté à la scène et il a pensé que sa réaction était dictée par la jalousie, alors que ce n’était pas ça du tout. Et il lui a promis qu’il ferait tout pour qu’il ne joue plus dans aucune équipe pro de sa vie.
    —    Ah merde !
    —    Évidemment, ils lui ont retiré son appart. Alors, je lui ai proposé de le loger.
    —    Mais c’est vraiment si dur pour un sportif d’être gay ?
    —    T’as pas idée, Nico ! Gay, c'est malheureusement la dernière chose qu'il faut être dans cet environnement. On peut être macho, violent avec les nanas, le pire des salauds, bagarreur, alcoolique, junkie, mais jamais homo. Il a suffi qu’un seul connard fasse courir des bruits pour que ça mette à mal tous ses efforts. »

    Ulysse me paraît profondément bienveillant. Je me sens rassuré, et je m’en veux d’avoir imaginé des choses entre Jérém et lui.

    « J’aime bien Jérémie, c’est un gars sympa, un bosseur. Il ne méritait pas que ça se passe de cette façon pour lui. C’est un bon joueur, un sacré bon joueur, il aurait suffi qu’on lui foute la paix pour qu’il montre ce qu’il a dans le ventre. C’est un beau gâchis ! »

    Le lendemain, dimanche, Jérém dort jusqu’à tard, puis il part travailler dans la foulée. Evidemment, en présence d’Ulysse, pas d’effusions, même pas un bisou. La copine d’Ulysse débarque à l’appart un peu avant midi. Avant de partir à Dunkerque, dans sa famille, le beau blond me serre fort dans ses bras puissants et me glisse :

    « Tu peux rester autant que tu veux, je ne reviens pas avant plusieurs semaines. Sens-toi chez toi. Prends soin de Jérém, mais prends soin de toi aussi.
    —    Merci Ulysse, merci beaucoup, merci pour tout. Au fait, félicitations. Il parait que tu as signé avec le Stade.
    —    Je n’arrive toujours pas à y croire !
    —    C’est génial.
    —    Oui, je suis super content. Mais je n’ose pas trop le montrer devant Jérém, tu comprends…
    —    Je comprends, oui. »

    A midi, je me retrouve seul dans l’appart. Je ne sais pas quoi faire, je n’ai rien prévu. Je sors, je me balade dans Paris. Il y a mille choses à voir dans la capitale, mais je n’ai pas la tête à ça.
    Guidé par la nostalgie, je retourne à Montmartre, théâtre de notre première soirée parisienne. J’y vais comme en pèlerinage, sur les traces d’un moment de joie et d’amour parfait. J’étais si heureux à ce moment-là, car Jérém était si heureux, si plein de confiance en l’avenir, si bien dans sa peau. Et moi aussi j’avais confiance en l’avenir, celui de notre relation. Tandis qu’aujourd’hui, je ne sais plus trop quoi penser.
    Sa vie a été chamboulée pour cette aventure rugbystique avortée, et maintenant par cet accident. Je sens qu’il a apprécié que je sois là pour lui, et ce moment de tendresse au lit a été génial. Mais je sens qu’il est vraiment mal. Je voudrais pouvoir l’aider, mais je sais qu’il ne va pas m’en laisser la possibilité.
    Je déjeune au même petit restaurant où j’avais dîné avec lui, je repasse devant la maison de Dalida où il s’était moqué de moi, je revois son beau sourire, la joie et l’amour dans son regard. Et la solitude me pèse.
    Je passe voir Jérém à la brasserie en fin d’après-midi, il est très occupé. Il est sexy à mort avec sa chemise blanche rapprochée de son torse par un gilet noir, les deux boutons du haut ouverts.

    « Ça va ? je lui lance, dès qu’il passe suffisamment près de moi
    —    Oui, ça va, tu prends quoi ? il me lance, très speed.
    —    Un jus d’abricot.
    —    J’arrive.
    —    Jérém…
    —    Quoi ?
    —    Tu sais à quelle heure tu vas finir ?
    —    J’en sais rien, c’est le week-end, pas avant 2-3 heures.
    —    Tu me manques P’tit Loup !
    —    Tais-toi ! »

    Je le sens distant, de mauvais poil, la tête ailleurs. Je pars aux toilettes, et pendant que je me lave les mains j’entends un bruit de verre cassé, ainsi qu’une voix s’élever et gronder :

    « Mais c’est pas vrai, ça ! Qu’est-ce qu’il t’arrive Jérém ? T’as l’air complètement à l’ouest aujourd’hui. Ressaisis-toi et vite ! Et souris un peu, putain ! C’est pas la peine d’être aussi beau si c’est pour faire la gueule ! »

    Je reviens à ma table, je bois mon jus de fruit en regardant mon Jérém aller de table en table. Il a l’air fatigué, sur les nerfs, contrarié. Il transpire, et il souffle. J’ai de la peine pour lui. Visiblement, aujourd’hui il avait besoin d’une pause. C’est dommage que ce ne soit pas le cas.
    Ce soir-là, je dîne seul, et je passe la soirée encore plus seul. Je fais un tour en bateau mouche et je rentre à l’appart à 23 heures. Je suis fatigué, je n’ai pas trop dormi la nuit d’avant.
    Je me réveille à 3 heures du mat, toujours seul dans le lit. Je me lève, inquiet. Je m’apprête à l’appeler, lorsque je m’aperçois qu’il a de la lumière dans la pièce à vivre. Jérém est allongé sur le clic clac, il regarde la télé, tout en fumant un joint.

    « Salut Jérém.
    —    Salut.
    —    T’aurais pu venir dans le lit.
    —    Je ne voulais pas te réveiller.
    —    Tu peux venir maintenant, si tu veux, je suis réveillé.
    —    Je suis bien ici. De toute façon, je n’arrive pas à dormir, et je t’empêcherais de dormir aussi.
    —    Mais moi j’ai envie de te prendre dans mes bras…
    —    Je ne suis pas d’humeur…
    —    Je peux avoir un bisou, au moins ?
    —    Ouais… »

    Je me penche sur lui, je pose un bisou sur ses lèvres. Il le reçoit sans pratiquement de réaction, sans même quitter la télé des yeux. Je capte une haleine fortement alcoolisée.

    « J’ai envie de toi, Jérém.
    —    Pas ce soir.
    —    Même pas pour une gâterie ?
    —    Non, je suis trop naze.
    —    Tu penses toujours à l’accident ?
    —    Je n’ai pas envie de parler de ça.
    —    Mais tu n’y es pour rien et…
    —    Laisse-moi tranquille, tu veux ?
    —    Je t’aime, Jérém.
    —    Ok.
    —    C’est tout ? Ok ?
    —    Va au lit, s’il te plaît, j’ai besoin d’être seul. »

    C’est avec la mort dans le cœur que j’accepte de me plier à sa demande. Je ne veux pas me disputer avec lui. Mais je sens que le fossé qui nous sépare est encore en train de se creuser et que tous les ponts que j’essaie de bâtir pour relier nos deux rivages s’effondrent aussitôt. Pour bâtir un pont, il faut à minima deux appuis sur un sol stable. Et le « sol » de son côté, s’effrite à vue d’œil.

    Le lendemain, Jérém repart travailler. Il quitte l’appart sans pratiquement cracher un mot, il me quitte sans un seul geste de tendresse, ni même de complicité. J’arrive tout juste à lui arracher un bisou à la dernière seconde, alors qu’il a déjà la main sur la poignée de la porte. Si beau dans sa tenue de serveur, et si distant. J’ai terriblement envie de lui, mais j’ai surtout envie de le prendre dans mes bras et de parler de ce qui s’est passé. A moi aussi cette histoire pèse, je voudrais qu’on se soutienne mutuellement.
    Une nouvelle fois, je me retrouve seul dans l’appart d’Ulysse. Une fois de plus je sors, mais cette fois-ci, avec une destination précise. Je pars en banlieue, je passe une bonne partie de la journée à Versailles. Ça faisait longtemps que j’avais envie de visiter ce haut-lieu de l’Histoire de France et je me dis que cela occupera mon esprit pendant quelques heures.
    Pendant la visite guidée, je reçois un coup de fil de la police m’annonçant que Ouissem va bien, qu’il n’a pas de blessures graves, mis à part une lésion du ménisque qui nécessitera une opération pour récupérer la pleine fonctionnalité du genou. Je termine la visite du château, j’écourte celle du parc, je suis impatient d’annoncer tout ça à Jérém.
    En fin d’après-midi, je me pointe à la brasserie et je lui répète ce que le policier m’a dit au téléphone. Au fil de mes mots, je le vois se détendre, comme pousser un long soupir de soulagement. Je vois son émotion monter sur son visage, dans son regard, dans ses yeux émus, humides. Je sens qu’il a envie de pleurer et qu’il se fait violence pour se retenir.
    Je me fais violence à mon tour pour ne pas me lever de ma chaise et le prendre dans mes bras.

    « Ça va aller, P’tit Loup, ça va aller. »

    Je suis profondément touché par son émotion, et je m’autorise à espérer que le soulagement que cette nouvelle a semblé provoquer en lui l’aide à sortir de sa morosité. Le soir, la nuit suivante, j’attends son retour avec impatience. Je suis fatigué, mais je ne peux pas m’endormir. Je l’attends sur le clic clac, devant la télé. Je m’autorise à espérer que lorsqu’il rentrera de son service, je retrouverai le Ptit Loup que j’aime, celui de ma première visite à Paris, celui des séjours à Campan, celui des visites surprises à Bordeaux.

    Il n’en est rien. Jérém rentre encore plus soûl que la veille, encore plus stone.

    « Ça va, ptit Loup ?
    —    Arrête de m’appeler comme ça !
    —    Et tu veux que je t’appelle comment ?
    —    Jérém, c’est bien.
    —    T’es chiant ! Je comprends que tu sois affecté par ce qui s’est passé…
    —    Ecoute, Nico. Tu devrais rentrer…
    —    Mais Jérém !
    —    Nico, rentre chez toi. Je n’ai pas envie qu’on s’engueule et je n’ai pas envie de te dire des choses que je regretterais après. Pour l’instant j’ai besoin d’être seul.
    —    On se revoit quand, alors ?
    —    Je n’en sais rien, on verra.
    —    Encore "on verra" ? On en est à nouveau là ? Dès que quelque chose se passe mal pour toi, tu me jettes ?
    —    Ne me prends pas la tête à cette heure-ci, tu veux ?
    —    Mais Jérém ! Je t’aime et je veux être là pour toi !
    —    Je n’ai pas besoin de toi, je n’ai besoin de personne, j’ai besoin d’être seul, tu comprends ça ?
    —    Et moi il faut que je t’attende encore.
    —    Tu fais ce que tu veux.
    —    Je voudrais pouvoir faire quelque chose pour toi…
    —    Tu peux me faire une pipe si tu veux.
    —    J’avais très envie quand tu es rentré, mais là j’ai vraiment plus envie.
    —    Tant pis, je me débrouille… »

    Je n’arrive pas à croire que nous en soyons à nouveau là. Je pars dans la chambre, je passe une nuit horrible, je ne dors presque pas. Le lendemain matin, je suis réveillé par le bruit de la douche. Je suis vaseux, j’ai l’impression que tout mon corps est engourdi, et un mal de crâne épouvantable m’empêche de réfléchir. Mais pas de souffrir.
    Je me lève, je m’habille, j’ai besoin de voir Jérém avant qu’il parte travailler.

    « Bonjour, je lui lance en essayant de ne pas laisser transparaître ma souffrance.
    —    Salut » il lâche sèchement.

    Nous nous regardons pendant quelques instants. Dans ses yeux, sa tristesse me touche.

    « Demain, je ne bosse pas… »

    Pendant un instant, j’espère qu’un miracle va se produire.

    « Alors, ce soir je vais sortir avec des potes… »

    Non, pas de miracle. J’ai envie de pleureur.

    « Tu veux vraiment que je parte ?

    —    Je pense que ce serait mieux que tu rentres, oui » il finit par lâcher, après un instant de silence qui me paraît interminable, insupportable. Son regard est fuyant, et j’ai comme l’impression que ses yeux sont embués.

    « Mais Jérém…
    —    N’insiste pas. Tu ne vas pas rester ici à squatter avec moi l’appart de mon pote, alors que je n’ai pas le temps ni la tête pour être avec toi ? Je serais insupportable, et tu serais malheureux. On finirait par s’engueuler, et je ne veux pas qu’on s’engueule.
    —    Mais pourquoi c’est toujours si difficile entre nous ? Pourquoi il faut que j’apprenne ce qui se passe dans ta vie par ton ancien voisin, par ton colocataire, par Charlène ? Pourquoi tu ne me parles pas ? Pourquoi tu ne me fais pas confiance ?
    —    Je suis désolé, Nico. Je voudrais être différent, mais je n’y arrive pas. Je vois tout ce que tu fais pour moi, et ça me touche, vraiment. Mais c’est moi qui cloche, et je ne veux pas te faire du mal.
    —    Ce qui me fait le plus mal c’est de ne pas être avec toi alors que je sais que tu n’es pas bien ! »

    Ses mots me touchent. Je me retrouve dans une situation horrible, ne rien pouvoir faire pour aider le gars que j’aime, à part respecter son besoin d’être seul.

    « Tu veux vraiment que je parte ? » j’enchaîne après un autre silence lourd comme du plomb.

    Et là, pour toute réponse, Jérém se retourne. Ses yeux sont vraiment humides. Il me prend dans ses bras, il me serre très fort contre lui. Je ne peux retenir mes larmes, et j’éclate en sanglots.

    « Je suis désolé. Tu es un gars exceptionnel, tu mérites mieux que moi !
    —    Mais c’est toi que je veux !
    —    Laisse-moi un peu de temps, le temps que je me sorte de cette merde, le temps que je me retrouve. Et encore merci, vraiment merci, pour ce que tu as fait pour moi l’autre soir. »

    Je pleure dans ses bras, je l’embrasse fébrilement, je caresse ses cheveux, je respire le parfum de sa peau.

    « Je dois y aller » il enchaîne tristement.

    Il me semble inconcevable de devoir partir, alors que nous pouvons enfin être ensemble, alors que je suis libéré de mes contraintes de cours, et qu’il est libéré de ses contraintes « de milieu sportif ». Mais c’est ainsi, et je ne peux rien y faire.

    « Je vais rentrer aujourd’hui, je concède, comme dans un état second. J’ai l’impression de ne pas reconnaître ma voix, que mes mots sont ceux de quelqu’un d’autre.
    —    Tu rentres à Toulouse ?
    —    Oui.
    —    Si tu vois Thib, passe-lui le bonjour de ma part.
    —    Jérém… à propos de Thib… il ne faut vraiment pas que tu croies des choses. Je suis avec toi, et Thib c’est juste un bon pote.
    —    Et pourtant, tu serais tellement mieux avec lui qu’avec moi… »

    Ses mots me font mal comme un coup de poing dans le ventre. J’ai l’impression que Jérém baisse les bras, qu’il ne croit plus en notre histoire.

    « Dis pas ça !
    —    Lui il saurait t’aimer comme tu le mérites. Il ne te ferait pas autant de mal.
    —    Je n’en sais rien, et je n’ai pas envie de le savoir. C’est toi que j’aime, Jérémie Tommasi !
    —    Ourson…
    —    P’tit Loup… »

    Un instant plus tard, je sens son étreinte se délier. Jérém se retourne. Je sais qu’il pleure, et je sais qu’il ne veut pas que je voie ça. Je le prends dans mes bras, j’attire son dos contre mon torse, je couvre son cou de mille bisous. Mon cœur sanglote avec le sien.
    Je voudrais trouver les mots, les arguments pour le faire changer d’avis, pour qu’il accepte mon amour, ma main tendue. Mais je sais que tout mot serait le mot de trop et risquerait de gâcher ce moment. Je préfère qu’on se quitte de cette façon, en nous avouant que nous nous aimons même si nous n’arrivons pas à vivre cet amour. Je préfère quitter Jérém en larmes plutôt qu’en pétard.
    Je me sens étrangement en paix avec moi-même. Pour la première fois je me dis que j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, et que désormais la balle n’est plus dans mon camp. Je me dis que tout ce que je pourrais faire de plus, ce serait de trop. Je repense à une chanson qu’écoutait Maman quand j’étais petit et que je trouvais très belle et triste à la fois. When all is said and done…





    Jérém quitte l’appart dans la foulée, sans me regarder. Je voudrais le retenir, mais je sais que ça ne servirait à rien. Je le regarde passer la porte et le battant se refermer derrière lui. Son image impressionne encore ma rétine, son parfum fait encore frémir mes narines, sa présence hante encore mon esprit. Et mes sanglots éclatent à nouveau, incontrôlables.

    Jérém vient de partir et je me retrouve seul comme s’il venait de me quitter. Ce n’est pas le cas, car je sais qu’il sait que mon amour est là. Je sais que le sien est là aussi. Mais, visiblement, l’amour ne suffit pas au bonheur, ni au mien, ni au sien. Le constat de mon impuissance face à son malheur me rend infiniment triste. Nous nous retrouverons peut-être un jour. Peut-être. Cette « date » indéfinie et hypothétique est un abysse devant lequel ma raison échoue, laissant une sensation d’immense désolation m’envahir. Les yeux embués de larmes, je rassemble mes affaires. Je quitte l’appart, je prends le métro et je prends le premier train au départ pour Toulouse, la mort dans le cœur.

    Tu t’appelles Jérémie Tommasi et ce matin, en partant à la brasserie après avoir demandé à Nico de partir, tu as envie de pleurer. Non, tu pleures. Tu t’en veux de l’avoir fait souffrir encore. Surtout après ce qu’il a fait pour toi après l’accident. Une fois dans la rue, tu aurais voulu trouver le courage de lui expliquer pourquoi tu te sens si mal vis-à-vis de lui. Tu as été tenté de faire demi-tour, d’aller le retrouver, de lui dire à quel point tu tiens à lui. Mais tu n’as pas pu. Comment arriver à exprimer clairement tes sentiments, alors que tu es si mal à l’aise dans ta tête ? Comment lui expliquer que ta déception et de ton amertume vis-à-vis de ta carrière avortée ce ne sont pas les seules raisons qui te mettent mal à l’aise dans votre relation ?

    La cohabitation avec ton co-équipier s’est révélée plus difficile que prévu. Le côtoyer au quotidien dans la proximité et promiscuité d’un petit appart, être confronté à sa présence, parfois à sa nudité décomplexée, à ses sous-vêtements traînant dans la salle de bain, tout cela exacerbe en toi des désirs que tu essaies de réprimer.
    Mais ce qui te bouleverse le plus, c’est d’être confronté à son intimité. Certes, ça fait des mois que tu es confronté à sa nudité presque quotidiennement, dans les vestiaires au rugby. Mais c’est une chose de le voir prendre une douche dans un vestiaire, entouré des autres gars, et c’en est une autre de le savoir en train de prendre une douche, seul, à quelques mètres de toi. Sa proximité attise ton désir. Comme la nuit, quand tu rentres du taf et que tu t’allonges sur le clic clac. Tu sais qu’il est là, dans la chambre, et qu’une simple cloison te sépare de lui. Après le taf, tu es crevé, et tu n’as pas envie de sortir. Mais dans le clic clac, tu as envie de te branler. Tu te branles en pensant à ton pote dans son lit. Tu te branles en t’imaginant aller le rejoindre. Une nuit, en te branlant, tu t’es même dit que tu allais le faire. Tu as bondi du clic clac. Tu as posé ta main sur la poignée de la porte du couloir. Mais tu n’as pas pu aller plus loin.
    Depuis que tu habites chez lui, tu es aussi confronté à sa vie sexuelle. Parfois, sa copine vient passer la nuit à l’appart, et elle ne vient pas que pour dormir. A travers la cloison fine, tu entends les soupirs, les frémissements du plaisir, le cri silencieux de l’orgasme. Tu te branles, en rêvant de le(s) rejoindre dans sa chambre, dans le lit. Tu accepterais même un plan à trois, pour pouvoir regarder Ulysse prendre son pied. Tu te contenterais même de le regarder baiser sa copine, tu te contenterais même de frôler sa peau, son corps « par accident », comme lors du plan à quatre avec Thib , et celui à trois, avec Nico.
    Ça, c’est ce que tu te dis pendant que tu te branles. Et pourtant, à l’instant où tu perds pied, où l’explosion de ton plaisir balaie toute raison laissant la vérité du désir éclater dans ta tête avec une évidence incontestable, tu sais que ce n’est pas d’un plan à trois dont tu as envie, mais de coucher avec Ulysse. Tu as envie de lui. Tu as envie de prendre ton pied avec lui, tu as envie de mélanger ton plaisir au sien. Tu as envie de te retrouver dans ses bras. Tu as l’impression que tu serais si bien dans ses bras forts et rassurants.
    Après l’amour, Ulysse vient parfois boire un truc. Il traverse le séjour discrètement, il fait gaffe à ne pas te réveiller. Il semble ignorer que tu ne dors pas. Tu le regardes discrètement, dans la pénombre. Et lorsque la lumière du frigo illumine le corps d’athlète de ce beau garçon qui vient tout juste de jouir, et alors que tu viens tout juste d’essuyer tes émois, tu ressens une frustration immense.

    « Tu ne dors pas ? il te questionne une nuit, alors que ta discrétion n’a pas fait le poids face à ton envie de le mater.
    —    J’ai pas sommeil.
    —    On t’a pas réveillé, au moins…
    —    T’inquiète… »

    Vos regards se croisent, se suspendent l’un l’autre pendant une fraction de seconde. Tu voudrais voir dans le sien le même désir qui te ravage. Tu crèves d’envie de lui. Mais son regard se détourne et tu l’entends lâcher un simple :

    « Bonne nuit mec. ».

    Et là, tu te sens à la fois rassuré et terriblement frustré. Et dès que tu entends la porte de sa chambre se refermer, tu te branles une nouvelle fois.

    Pendant les deux semaines suivantes, je n’ai presque pas de nouvelles de mon Jérém. Dans la maison de mes parents, j’étouffe. Mon père me fait toujours la gueule, et le fait d’avoir eu mes partiels haut la main n’a eu aucun impact sur son attitude à mon égard. Alors que je suis certain que si je m’étais loupé, il aurait su m’enfoncer encore davantage. Je passe de bons moments avec Maman, mais je me sens souvent seul.
    Je partirais bien à Gruissan ou ailleurs, n’importe où, avec ma cousine Elodie. Mais ce n’est pas possible. Entre son taf, sa vie de couple et sa grossesse, sa nouvelle vie l’accapare à 200%. J’ai envie de partir pour me changer les idées, mais je n’ai pas envie de partir seul.
    J’appelle Julien et je lui propose de nous voir. Il me demande de passer chez lui. Je ne le trouve vraiment pas en forme.

    « Ça va, mon pote ?
    —    J’ai connu mieux.
    —    Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu t’es fait plaquer par une nana que tu as trompée ? je plaisante.
    —    Je viens de perdre ma marraine.
    —    Ah, pardon, je suis désolé. Je te présente mes condoléances.
    —    C’était quelqu’un qui comptait beaucoup pour moi, vraiment beaucoup, il m’explique.
    —    Je suis certain que c’était quelqu’un de bien.
    —    C’était comme une deuxième mère pour moi. J’étais même davantage en confiance avec elle qu’avec ma propre mère. Avec Jeanne, je pouvais parler de tout, vraiment de tout. C’était quelqu’un de très intelligent et de très généreux. Elle avait l’intelligence du cœur. C’était un pilier dans la famille. Et ce pilier, il va sacrément manquer. Elle me manque énormément. Et en même temps, je n’arrive encore à réaliser que je ne la verrai plus.
    —    Je suis presque sûr que depuis là-haut elle doit veiller sur son filleul et être fière de lui.
    —    Je l’espère. En tout cas, encore plus qu’avant, je vais m’employer à être à la hauteur de l’exemple qu’elle m’a donné. J’aimerais tellement lui ressembler ! »

    Je sens que Julien est vraiment affecté par ce deuil. J’essaie de le réconforter, mais au final c’est lui, comme toujours, qui joue les clowns et qui me fait rire.

    Le lendemain, j’essaie de contacter Thibault. Hélas, il n’est pas sur Toulouse. Au téléphone, il m’explique qu’il est en Corse avec Nathalie, le petit Lucas, et un couple d’amis.
    Comme je lis la presse sportive, je sais que début juin, le Stade Toulousain est arrivé en demi-finale du Top 16 et qu’il a été arrêté dans son élan par Agen. J’ai vu pas mal de fois le nom de Thibault mentionné dans la presse, et à chaque fois dans des termes très élogieux. Je le félicite pour sa saison, je lui donne des nouvelles de Jérém, je lui apprends qu’il n’a pas été renouvelé dans son équipe. Je lui parle également de l’accident, et notre nouveau passage à vide. Du moins, j’essaie.
    En effet, plus je tente de lui expliquer pourquoi nous n'arrivons pas à nous retrouver, plus mes propos sont incohérents et contradictoires. Au fur et à mesure de mes explications, j’ai tour à tour l’impression de ne pas en faire assez, de ne pas être assez patient avec Jérém, ou bien de l’être trop, de trop accepter de Jérém, tous ses états d’âme et ses sautes d’humeur.
    Le fait est que l’amour ne s’explique pas, et que chaque situation est unique. Il faut vivre une relation de l’intérieur pour en connaître les tenants et les aboutissants. Et encore, là aussi, on ne sait pas tout, on ne maîtrise pas tout. Et surtout pas les pensées les plus enfouies de l’autre.
    Ainsi, il m’est impossible de lui rendre compte de cette situation dans laquelle nous nous aimons, et pourtant nous n’arrivons pas à être ensemble.

    « Tu as bien agi, je suis sûr qu’il a été très touché par ton geste, il finit par considérer. Laisse-le mijoter, il reviendra vers toi. Je vais essayer de l’appeler quand je rentre. »

    Au bout de deux semaines, Jérém me manque horriblement. Plus le temps passe, plus je le laisse « mijoter », plus la peur de le perdre à nouveau m’envahit.
    Le 12 juillet je me fais la réflexion qu’un an plus tôt, Elodie et moi étions à Londres pour le concert de Madonna. C’était magique. Ça me paraît à la fois si proche et si loin. Tant de choses ont changé en si peu de temps.
    Mi-juillet, après presque un mois de « mijotage », j’appelle Charlène.

    « J’imagine que tu m’appelles pour avoir des nouvelles de Jérémie…
    —    Tu lis dans mes pensées !
    —    Je l’ai eu il y a deux semaines environ.
    —    T’en as de la chance, toi ! Et il va comment ?
    —    Pas terrible. L’accident l’a beaucoup affecté. Il a été vraiment touché que tu le sortes du pétrin, il a même été impressionné, je dirais. Il m’a dit qu’il ne s’attendait pas à ce que tu prennes les choses en main comme tu l’as fait. Et surtout il ne s’attendait pas à ce que tu prennes autant de risques pour lui.
    —    Si seulement il pouvait mettre ça dans la balance de notre relation !
    —    Il te fait à nouveau la misère ?
    —    Ça fait pratiquement un mois que je n’ai pas de ses nouvelles, mis à part quelques messages.
    —    Tu sais, même avec moi il est distant. C’est toujours moi qui l’appelle.
    —    Mais au moins à toi il te répond !
    —    Il sait qu’il va prendre une volée de bois vert s’il ne me répond pas ! Et puis, je détiens un argument majeur pour le faire réagir. Il me suffit de prononcer le mot "Unico" pour qu’il rapplique illico !
    —    Tu crois que si je gardais ses chevaux je marquerais des points ?
    —    Il est possible…
    —    Je ne sais plus sur quel pied danser avec lui.
    —    Et moi je ne sais plus quel conseil te donner, Nico…
    —    Je dois te saouler…
    —    Non, tu ne me saoules pas. Le fait est que je ne veux pas te donner de faux espoirs. Je ne sais pas comment Jérém va évoluer dans les semaines, les mois qui arrivent. Au fond de moi, j’ai envie de te dire de t’accrocher, de ne pas lâcher l’affaire. Mais d’un autre côté, j’ai envie de te dire de te protéger, parce que tu risques d’en baver. Je n’aurais jamais imaginé dire ça un jour, mais je pense que le mieux pour toi dans l’immédiat ce serait de vivre ta vie sans Jérém, quitte à le retrouver plus tard, lorsqu’il aura vaincu ses démons.
    —    Je croyais que la meilleure façon d’aimer quelqu’un, c’était de l’aider à révéler la meilleure facette de lui-même…
    —    C’est une belle définition de l’amour en effet. Mais elle a ses limites lorsque la personne aimée refuse obstinément de se laisser apprivoiser. C’est une chose de faire des efforts pour comprendre l’autre, et je reconnais que tu en as fait beaucoup. Mais le mutisme de Jérém, son renfermement sur soi, son arc-boutement sur son amour-propre, son refus obstiné de partager ses doutes et angoisses avec toi, de te laisser le soutenir, tout ça rend aujourd’hui votre relation impossible. On peut "éventuellement" comprendre les raisons qui le font agir ainsi. Mais tu ne peux pas accepter ce genre de relation. Il est très difficile d’aimer quelqu’un qui ne s’aime pas lui-même. »

    Je soupire, je souffle, pendant que la peur de le perdre me prend à la gorge.

    « Alors, entre le conseil de t’accrocher et celui de prendre du recul et de la distance, je ne peux vraiment pas trancher, elle enchaîne.
    —    Si je décide de prendre de la distance, comment savoir que ça ne va pas nous éloigner à tout jamais ?
    —    Tu ne peux pas le savoir. Mais je pense qu’au fond de toi, tu sais ce qui est bon pour toi, suivant ta solidité émotionnelle et ta réserve de patience déjà rudement mise à contribution… »

    Charlène a raison, ma patience a été rudement mise à contribution. Trois mois déjà, trois mois sans coucher avec Jérém, sans tendresse, sans complicité. Jamais depuis notre première révision nous sommes restés si longtemps sans faire l’amour.
    Un peu après la mi-juillet, je crois qu’entre les deux solutions proposées par Charlène, j’ai enfin fait mon choix. Un vendredi soir, je décide de me secouer de ma morosité. Je me douche, je me sape. Je sors au B-Machine. Je cherche à m’amuser, à faire la fête, à danser, je cherche la compagnie de ceux qui me ressemblent et avec qui je me sens bien. Je cherche le contact avec le Masculin.
    Le lendemain, je sors à nouveau, au On Off. Je fais exprès d’arriver côté Canal pour ne pas trop approcher la rue de la Colombette. Je ne veux pas être assailli par les souvenirs, je ne veux pas affronter mes démons. Je ne veux pas arriver en boîte les larmes aux yeux. Jusqu’à tard dans la nuit, je mate des mecs, je goûte au frisson provoqué par l’exposition à la beauté masculine.
    A partir de ce moment, je sors pratiquement chaque soir dans le milieu. Je bois, je mate. Parfois, plus rarement, je me fais mater. Un soir, il m’arrive de concrétiser. Mais une fois le frisson de me sentir désiré envolé, une fois l’excitation passée, une fois l’orgasme consommé, je me sens mal, Jérém me manque encore plus.
    Un autre soir je décide d’affronter mes démons. Je décide de rentrer à la Ciguë. En lisant la plaque « Rue de la Colombette » depuis le boulevard Carnot, je suis percuté par un faisceau de souvenirs. Et je repense à nos adieux déchirants, c’est dur de penser à quel point je l’aime, de savoir qu’il m’aime aussi, et de rien pouvoir faire pour l’aider, pour faire avancer notre relation. J’ai choisi de suivre le conseil de Charlène de prendre du recul, de prendre de la distance. Est-ce que je le retrouverai un jour ? Où es-tu, mon Jérém ?

    Début août 2002.

    Mes sorties à répétition et mes grasses matinées n’arrangent pas la relation avec mon père, et finissent même par inquiéter Maman. Elle me demande pourquoi je sors autant, je ne sais pas quoi lui répondre. Elle me demande si tout va bien avec Jérémie, je lui réponds qu’il a pas mal de choses à régler en ce moment et que pour l’instant il n’a pas de temps pour moi. J’ai envie de pleurer et Maman le sait. Elle me prend dans ses bras et ça me réconforte.
    Je finis par en avoir marre des sorties, et de l’ambiance à la maison. Je décide de changer d’air, de partir quand-même quelques jours à Gruissan.
    A la plage, haut lieu d’étude de la bogossitude, j’arrive à plusieurs conclusions capitales au sujet du masculin.
    Première conclusion : la combinaison chromatique bogoss brun à la peau mate et bronzée/t-shirt blanc/short de bain rouge, c’est juste sublime. Ce bogoss inconnu à la plage qui happe mon regard avec ce physique et cette tenue hyper sexy à mes yeux, me fait penser à Jérém. Mon beau brun arborait quasiment la même tenue lorsque je l’avais croisé à la piscine Nakache l’an dernier à mon retour de Gruissan. J’étais en compagnie de ma cousine, il était accompagné d’une pouffe. Et on avait baisé dans une cabine des vestiaires. Ah putain, qu’est-ce que c’était ça avait été chaud !
    Première conclusion/bis : la combinaison bogoss brun à la peau mate et bronzée/torse nu, pecs et abdos dessinés et biceps saillants/short de bain rouge, c’est juste somptueux.
    Première conclusion/ter : la combinaison chromatique bogoss brun à la peau mate et bronzée/torse nu dessiné/short de bain rouge, le tout ruisselant à la sortie de l’eau, c’est juste à divin.
    Deuxième conclusion, tentative de réponse à une question « existentielle » : pourquoi le geste plus ou moins conscient d’un beau garçon qui passe nonchalamment sa main sous son t-shirt pour caresser ses abdos est chargé d’un érotisme à ce point insoutenable ?
    Peut-être parce que ce petit geste ressemble de très près à un acte d’autoérotisme. La main qui caresse et s’attarde sur cette région bien sensible, bien érogène, car située juste au-dessus du pubis, si proche de la zone du plaisir masculin, cache-t-elle d’autres envies ? Les doigts qui frôlent l’élastique du boxer ou du short de bain, ne manifestent-ils pas le désir d’aller plus loin dans la recherche du plaisir ?
    A quoi pense ce beau garçon en accomplissant ce geste ? A la dernière fois où il a joui ? A la dernière fois où il a baisé ? A la dernière fois où il s’est fait sucer ? A sa prochaine coucherie ? A sa dernière branlette ? A celle qu’il aurait envie de se taper là, tout de suite, si seulement il avait le pouvoir de se cacher des regards ? A celle qu’il va se taper dès qu’il le pourra ?
    Troisième conclusion, ou plutôt une observation : un jeune gars sexy passe et laisse sur son passage une traînée de parfum entêtante qui vrille mes neurones. Une traînée, une fragrance, une fraîcheur de jeune mec, une gifle olfactive insolente et insoutenable.

    Malgré la présence de beaux spécimens sur la plage et dans la ville, je finis par m’ennuyer. Je n’ai plus envie de sortir, je n’ai plus envie d’aventures qui ne m’apportent rien à part un frisson passager et une solitude encore plus épaisse après. Alors, au bout de quelques jours, je rentre à Toulouse.
    A Toulouse je m’ennuie tout autant, j’étouffe toujours autant. Je recommence à sortir pour tromper l’ennui, et je finis par m’engueuler avec mon père, le 15 août.

    16 août 2002

    Le lendemain, le jour du 44ème anniversaire de Madonna, je pars à Bordeaux. J’ai besoin de me retrouver seul, mais dans un environnement familier. Mon petit chez moi fera l’affaire. Mes propriétaires m’aideront à ne pas me sentir trop seul en attendant la reprise des cours. Les balades le long de la Garonne et les livres feront le reste.
    Le jour même, je me rends à la bibliothèque municipale pour trouver de quoi varier mes lectures. J’arpente longuement les immenses rayonnages. Et c’est au détour de l’un d’entre eux que l’imprévisible se produit à nouveau.

    « Salut Nico ! » il me lance avec un grand sourire, l’air vraiment content de me revoir. Je suis presque étonné qu’il se souvienne de mon prénom. Au fond, nous ne nous sommes vus qu’une seule et unique fois, et c’était il y a des mois. Je le regarde attentivement et je le trouve encore plus charmant que lors de notre première rencontre.
    Oui, le garçon se souvient de mon prénom. Et moi aussi je me souviens du sien.

    « Salut Ruben… »




    9 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique