• 46.3 Le très beau brun et le brun très beau.

     

    Les épaules appuyées contre le mur, le bassin et la bosse bien en avant, la cigarette tenue aux bords des lèvres avec une nonchalance totale et assumée… le bras légèrement plié, la main droite dans la poche du jeans, la gauche à moitié enfoncée derrière la braguette et prête à quitter ce lieu si agréable au toucher pour récupérer la cigarette entre deux taffes… le petit groupe de potes tournoyant autour de son charme puissant… presque des groupies qu’il semble jauger avec un regard distant, empreint de suffisance, avec une indifférence qui aurait presque des allures de mépris… 

    Non, je ne m’y étais pas trompé… le mec est effectivement d’une beauté à faire capituler non seulement des villes, mais des pays tous entiers… certes, on se rend vite compte qu’il transpire de son attitude une sorte d’arrière-goût d’arrogance, un air comme de « je suis canon, on ne peut pas me résister, alors il n’y en a que pour ma gueule, et c’est bien normal », une conduite qui confère à sa personne un côté plutôt agaçant, limite odieux… mais, au final, furieusement sexy…  

    Oui, lorsqu’on le regarde, on voit tout de suite des tonnes de claques perdues flottant autour de lui… des claques qu’on a aussitôt envie de rattraper… bien entendu, une envie bien plus urgente et impérieuse, celle de le sucer illico tout de suite, prend vite le pas sur notre première résolution… 

    Un très beau brun au t-shirt blanc d’un coté, un brun très beau au t-shirt noir de l’autre, les mêmes attitudes de mâle sexy et dominant… cette nuit, l’entrée du On Off brille de mille feux… 

    Alors, pendant que Jérém fait durer sa cigarette, je lâche mon gay-scanner dans la numérisation 3D du beau brun inconnu à ma droite… vu le très haut intérêt scientifique du spécimen, je paramètre la définition de mes capteurs au plus haut niveau… je lance le processus sans tarder… c’est une opération qui va prendre du temps, car pour obtenir un max de précision, je suis obligé de m’attarder sur chaque détail… quand on parle de dévouement à la science… 

    Je commence du haut vers le bas… ma première considération en tant que scientifique est très méthodologique : « Putain… qu’est-ce qu’il pue le sexe ce petit con… ».  

    Voilà le compte rendu détaillé de mon expérience. 

    Brun, très brun. Aussi brun que mon Jérém. Chaque regard que je pose sur sa personne, chaque détail de son anatomie, chacune de ses respirations, comme autant de « piqûres d’aiguille » au cœur tant sa beauté est insoutenable, tans sa sexytude est brûlante… oui, presque aussi aveuglante que celle de mon beau brun… 

    Des yeux pénétrants, vifs, balayant sans cesse l’espace, un regard dégageant toute sa vigueur de mâle dominant, affichant implacablement une attitude de jeune lion débordant d’énergie, laissant transparaître un côté « jeune premier » exhibé avec fierté et assumé sans complexes…

    Un visage effilé, coiffé par de beaux cheveux bruns très fournis et garni par un épais duvet de barbe brune soigneusement entretenue ; elle part de ses oreilles fines, légèrement évasées, mais terriblement sexy ; elle habille la mâchoire, se déploie autour du menton et descend assez profondément autour du cou ; elle remonte ensuite, empruntant deux chemins de part et d’autre de ses lèvres charnues et sensuelles, des chemins qui se rejoignent en dessous de son nez, droit et harmonieusement puissant…  

    Oui, ce beau brun inconnu est sans conteste LE bogoss de la petite bande… un bogoss pleinement conscient de l’être, exprimant une inébranlable assurance dans la toute puissance de son charme, de son pouvoir de séduction et de sa virilité. 

    Son physique est à la fois élancé et musclé, avec des bras puissants et des grandes mains de mec… un torse en V mis en valeur par le t-shirt noir cintré moulant chaque détail de sa plastique…  

    C’est lors de cette nouvelle observation scientifique que j’arrive à réaliser une loi universelle… il existe deux façons principales de mettre en valeur l’anatomie et la beauté indomptée d’un beau brun, deux façons complètement antagonistes mais tout aussi redoutables l’une que l’autre…

    La première c’est le mode « T-shirt blanc », choisi ce soir par Jérém, la couleur immaculée dessinant un contraste terriblement sexy avec ses cheveux bruns et sa peau mate ; la deuxième façon, celle adoptée par ce bel inconnu, c’est d’opter au contraire pour le mode « T-shirt noir », la couleur foncée accentuant à l’extrême le côté brun et mystérieux de son apparence et de son attitude…

    Certes, toute la palette de nuances intermédiaires peut convenir pour mettre en valeur le torse d’un beau brun au physique avantageux, pourvu qu’il soit un minimum ajusté… ou pas… car tout va à une beau garçon… même avec une cotte à double zip, accompagnée de bottes en caoutchouc et d’un bonnet péruvien (avec pompon) sur la tête, un bogoss reste un bogoss…

    Oui, toute la palette des nuances entre le blanc et le noir peut convenir pour mettre en valeur un beau torse… car, au fond, la couleur n’est que détail… juste une déclinaison, le reflet d'une même beauté… car lorsque le contenu est aussi alléchant, il prend définitivement le pas sur le contenant…

    Avant notre arrivée, ce mec était sans doute le mec le plus séduisant dans les parages. Ca c’était avant que mon Jérém se pointe avec son t-shirt Calvin Klein cousu main sur son torse de ouf. Mais même après notre arrivée, il faut admettre que son charme reste entier et qu’il sort du lot haut la main. 

    J’ai l’impression que Jérém fait durer sa cigarette, comme pour se donner le courage d’aller au bout de ce coup de tête que, je pense, il hésite à pousser jusqu’au bout.

    Je ne peux m’empêcher de me demander toujours et encore pourquoi il fait ça… qu’est-ce qu’il vient chercher dans cette boîte à pd…

    Sans que je puisse me donner une réponse, les secondes passent, l’attente dure… alors je m’occupe… ainsi, sans vraiment l’intention d’écouter aux portes, quelques mots sortant de la conversation de la petite bande, toujours aussi bruyante, arrivent à mes oreilles au gré des rafales de vent.

    « … pour une fois qu’on arrive à traîner Romain au On Off… il faut fêter ça… » j’entends dire un premier mec avec une attitude et une voix assez maniérées..

    Un petit sourire tout juste amorcé sous la barbe épaisse du beau brun inconnu me confirme que son prénom est bien Romain. Information capitale. Trésor inestimable. Le prénom d’un bogoss. J’aurais gagné au tirage du loto, je ne me sentirais pas plus riche. Je posséderais les codes de l’arme nucléaire, je ne me sentirais pas plus puissant.

    Le prénommé Romain sourit, amusé.

    « Il n’a pas besoin de ça pour draguer… » lance un deuxième gars.

    « Ca ne vous dirait pas de vous occuper de votre cul et me foutre la paix ? » dit le beau barbu en sortant de sa réserve sur le ton de la plaisanterie.

    C’est en écoutant cet extrait de leur conversation que j’ai comme la confirmation de quelque chose qui m’a sauté aux yeux dès le départ… le fait que la présence de ce mec a l’air de détonner non seulement avec la bande de potes qui l’entoure mais également avec cet endroit… oui, le décalage entre ce mâle sexy, viril, plutôt classe, et ces mecs habitués des lieux, est plutôt étonnant… j’ai l’impression qu’il y a comme quelque chose qui cloche, comme une erreur de casting… oui, le beau barbu à l’air de se demander ce qu’il fait là… 

    D’un autre côté, il faut voir comme ça lui plaît de se faire mater par les quelques gars qui approchent de la boîte… des regards qui rebondissent de brun en brun, de t-shirt en t-shirt, de Jérém en Romain… 

    Oui, j’ai l’impression qu’aussi bien l’un que l’autre, les deux bruns sont en train de se demander si c’est bien là l’endroit où ils auraient envie d’être à ce moment précis…  

    Mon Jérém a l’air d’hésiter… serait-t-il à cause du côté « trop pd » de l’endroit, dont la petite bande doit lui sembler le symbole peu engageant ? 

    Le beau Romain, quant à lui, a carrément l’air de se faire chier… serait-t-il à cause du fait qu’il n’a pas encore repéré de « proie » à sa mesure ? 

    J’ai l’impression que ce qui les retient de partir, aussi bien l’un que l’autre, est d’abord le fait de s’y être engagé… Jérém vis-à-vis de moi, bien que tacitement, le beau Romain vis-à-vis de ses potes… se dérober si prêt du but, ça équivaudrait à se dégonfler… et un mâle dans leur genre ne supporte pas de se montrer faible… 

    Cependant, je doute que cette raison ne suffise à elle seule… je pense que la raison principale qui semble les attirer vers l’enseigne rouge clignotante semble être plutôt la curiosité de voir l’effet que leurs charmes respectifs vont faire à cet endroit, une curiosité plus forte que leur répulsion pour l’endroit même… je pense qu’ils ont tous les deux envie d’exhiber leur virilité pour en vérifier l’effet sur un public conquis… où pourraient-ils avoir plus de succès qu’ici, après tout ? 

    Parfois l’ego masculin aspire à escalader des montagnes inaccessibles… à d’autres moments, il se contente tout simplement d’enfoncer des portes ouvertes… dans un cas comme dans l’autre, il aime découvrir des terrains de chasse inexplorés… 

    Une rafale de vent un peu plus forte agite bruyamment le feuillage des platanes. J’ai du mal à entendre leurs conversations… cependant, voilà qu’un certain nombre de mots, captés par-dessus le bruit du vent, retiennent illico mon attention… parmi eux : « beau vendeur », « magasin de mobiles », « derrière le Capitole »…

    Immédiatement ma base de données « Bogoss » fait le lien avec ce mec, Mathieu de son prénom, le jeune vendeur de mobiles de la rue d’Alsace-Lorraine qui m’avait tant plu le jour du shopping avec Elodie…

    Là, mon attention est entièrement captée, ma curiosité aiguisée. Je tends carrément l’oreille. Par chance, les éléments se calment… c’est là que je vais être le témoin involontaire de ce que je pourrais qualifier de véritable « conversation de pétasses »…

     « Vous avez vu le nouveau vendeur chez ***telecom dans la rue d’Alsace-Lorraine ? Il est graaaaaaaave sexy… » commence le premier mec ; et il continue « dès que je l’ai vu à travers la vitrine, je me suis dit que j’avais besoin de changer de portable… ».

    « Mais tu l’as changé il y a quelques semaines… et vu le bijou que t’as pris, t’es engagé au moins jusqu’en 2016… » fait observer un troisième mec.

    « On s’en fiche, je suis quand même rentré lui demander plein de renseignements… » assume le premier.

    « Juste parce que tu l’as trouvé mignon… tu es pathétique… » réagit le troisième mec.

    « T’aurais dû le prendre en photo… » balance le deuxième sur le ton de la boutade.

    « Oui, j’aurais dû prétendre que l’appareil photo ne marchait pas et le prendre en photo pour lui montrer… » considère le premier.

    « Il t’a tapé dans l’œil… » réagit le deuxième mec.

    « Oui, grave… il est un brin enveloppé… » continue le premier, enjoué « et il a un de ce putains de regards coquins… vraiment, celui là je me le ferais bien… ».

    « T’es vraiment une salope… » relance le deuxième, moqueur.

    « J’ai lu sur son badge qu’il s’appelle Mathieu… un prénom de bogoss… » continue le premier, sans prêter attention aux mots désobligeants de son pote ; il marque une petite pause et il continue « je suis sur qu’il plairait à Romain… ».

    Pendant cet échange, mes yeux, comme aimantés, n’ont pratiquement pas bougé du visage du beau barbu… sa cigarette toujours au bec, il n’a pas pris part à cette joute de pétasses… comme s’il estimait ce genre de conversation indigne de son statut de mâle dominant, comme s’il se sentait au-dessus de tout ça…

    Cependant, j’ai parfois remarqué des réactions passer sur son visage, des expressions tout juste amorcées et aussitôt effacées… des réactions restées muettes…

    Voilà à quoi ressemble un brun « Ténébreux »… comme une star, il reste en retrait, se fait désirer… du moins jusqu’à ce qu’on l’interpelle directement :

    « Tu devrais passer au magasin de mobiles un de ces jours… » relance le premier mec.

    C’est à ce moment-là que le visage du barbu s’anime soudainement, et que le petit sourire que je devinais caché sous sa barbe s’ouvre dans un franc smiley, délicieux, malicieux, canaille.

    La tête légèrement inclinée à gauche, les paupières juste mi ouvertes, cachant en partie ses yeux ; le menton qui se relève, ce qui fait que son regard toise maintenant son public de très haut ; toute la mimique de son visage, que je découvre ainsi capable d’être très expressive au besoin, se met en action ; son sourire coquin se met en biais, une étincelle lubrique et réjouie brille dans son regard… là, côté sexy et arrogant, le mec nous fait un festival…

    « Pas besoin d’aller au magasin… » finit-il par lâcher.

    « Tu rates quelque chose… » insiste le premier mec.

    « Il ne passe pas sa vie au taf, ça je peux vous le certifier… » répond le beau barbu, en terminant sa phrase sur un ton qui laisse entendre qu’il n’a pas encore tout dit…

    Je regarde ses potes, comme suspendus à ses lèvres, faute de l’être à sa braguette… je me dis qu’il ne doit pas y en avoir un seul qui ne rêve pas de se faire défoncer par ce beau mâle… mais je devine aussi que, si le gars s’est fait traîner pour venir à cet endroit, il doit avoir des habitudes de chasse bien différentes, condamnant ainsi les fantasmes des mecs de la petite bande à rester tels à jamais…

    Oui, l’entrée en scène est soignée… il fait mijoter ses groupies… son silence, orchestré avec un savoir-faire certain, aiguise la curiosité… oui, le silence après du Mozart, c’est encore du Mozart… et le silence avant une sentence de petit con, c’est déjà du petit con…

    C’est dingue comme son attitude est capable d’attirer l’attention sur lui, avant même qu’il ait proféré le moindre mot… je ne le connais pas, mais je me sens soudainement faire partie de cette bande de pétasses sous son charme…

    Après une pause, sûr de l’effet que ses mots vont avoir, il finit par balancer avec nonchalance :

    « Lui non plus ne s’est pas fait prier pour s’allonger… ».

    Bam ! Je ne m’y étais pas trompé… son attitude conquérante de mâle très sûr de lui annonçait du lourd. Et il a envoyé du lourd. Tellement du lourd que j’ai failli tomber sur le cul.

    Affolé par ce que je viens d’entendre, je tends encore un peu plus l’oreille pour m’assurer d’avoir bien compris…

    « Tu nous fais marcher… » fait d’ailleurs le troisième mec, le ton mi-affirmatif mi-interrogatif.

    Un sourire lubrique en coin qui ne s’efface pas de son visage, associé à son silence théâtral, constitue une réponse plus qu’explicite. Non, ce n’est pas une blague… j’oscille entre excitation extrême et frustration, déception inexplicable…

    « Putain, tu te l’es tapé… un de plus… je ne sais pas comment tu fais… » commente le troisième mec, visiblement admiratif.

    Comment il fait ? T’es aveugle ou quoi ? Gaulé comme il est, avec sa belle petite gueule arrogante à gifler… qu’est ce qu’il te faut pour avoir envie de te mettre à genoux… et ce, rien que pour commencer… ?

    « Je croyais que la plupart des mecs sont comme les canapés Ikea… » considère le premier mec en rigolant ; et il continue « réversibles mais difficiles à monter… ». 

    « Il faut croire que certains sont moins compliqués que d’autres… » répond le beau Romain en expirant le premier nuage de fumée de la cigarette qu’il vient tout juste d’allumer.

    Le ton de sa voix est très posé, très calme, très sûr de lui, son visage et son regard affichent une assurance qui met presque mal à l’aise… le gars est là, les épaules toujours appuyées au mur, une main dans la poche du jeans, l’autre tenant sa cigarette ; faisant état, en tout juste quelques mots entremêlés de longs silences, de sa domination virile sur un mec « insoupçonnable »… donnant des leçons l'air de rien, comme s'il parlait à des enfants qui ne comprennent pas tout...

    Et moi… moi je suis scié… sonné… abasourdi…  

    D’abord pour la forme… habitué au côté petit con de Jérém, je pensais être préparé à tout… mais là… ce Romain… cet aplomb de jeune coq conquérant, ce côté sale gosse impuni sans complexes… ça dépasse l’entendement, tout ce qui est humainement supportable… là, dans le genre petit con… on frise le chef d’œuvre... oui, même Jérém n’a qu’à bien se tenir… ce mec est au petit con ce que Anna Wintour est à la mode, ce que Madonna est au star system... une icône...

    Oui, dès qu’on pose le regard sur lui, on devine de suite des tonnes de baffes perdues… mais dès qu’on l’entend parler, cette impression devient certitude et on en vient à se dire que pour en arriver à ce stade, ses parents devaient être manchots…

    Pourtant, dieu sait qu’il en mériterait des baffes… même tardives… hélas, à ce stade, c’est irrattrapable… le gifler serait peine perdue… à mon avis, si on commence à lui mettre des baffes pour tenter de calmer son arrogance, on aura mal aux mains avant qu'il ait mal à la gueule...

    Ceci étant, c’est évidemment sur le fond que je suis terrassé… mon charmant Mathieu… ainsi j’avais tout faux à son sujet… je m’étais dit d’abord, comme d’habitude, qu’un aussi beau mec ne pouvait pas ne serait-ce qu’envisager des trucs avec d’autres garçons… même en lui réservant le rôle de « mec », en le suppliant d’avoir la chance de le faire jouir…  

    Bingo ! Et là, tout mon petit monde vient de s’effondrer… non seulement je découvre qu’il a un sérieux penchant pour les garçons, preuve en est qu’un beau Romain a pu l’aborder apparemment sans effort… mais que, toujours sans effort, le beau Mathieu a vite abdiqué à ses prérogatives de jouissance masculine pour se soumettre au plaisir d’un mâle dominant… comme quoi, certains cachent bien leur jeu…  

    Ce qui me fait le plus mal, au fond, c’est de penser que ce mec ne m'est pas accessible, alors qu’il l’est pour d’autres mecs… non, il ne m’est pas accessible, car je ne sais pas comment m’y prendre pour aborder un mec dans la vie courante… moi qui voudrais non seulement le faire jouir mais le câliner, lui montrer à quel point il me touche au-delà de son charme…

    Mais il est pourtant accessible à des mecs comme ce Romain pour qui il n’est au final qu’un coup parmi d’autres, un exploit sexuel qui se retrouve balancé avec vantardise dans une discussion entre mecs…

    « Un bon coup de queue, ça calme… » résume Romain entre deux taffes, pendant que ses acolytes visiblement émoustillés continuent de commenter sa performance.

    Putain de gars, capable de montrer, l’espace de quelques phrases, toute la panoplie d’attitudes du mec insupportablement sur de lui, voire carrément détestable…

    Le récit de son aventure avec le beau Mathieu, sacrement explicite malgré l’économie des mots, m’a carrément désarçonné…

    Tout absorbé dans mes pensées, je ne me rends même plus compte que je le mate sans ménagement… 

    C’est sans doute la raison pour laquelle à un moment nos yeux se croisent… ce n’est qu’un instant, car je n’ose pas soutenir son regard de braise qui soudainement me rappelle tant celui de mon beau brun… un regard froid, fermé, distant, sans expression, qui met presque mal à l’aise… mais un regard chargé d’une sensualité brûlante, une sexualité qui transpire de sa personne toute entière, un regard qui semble annoncer inlassablement : « je vais te baiser et tu vas tellement aimer ça que tu vas me remercier et en redemander… ». 

    Première conclusion de mon étude très scientifique : la presque certitude que se frotter à ce genre de mec équivaut à se laisser dominer l’espace d’une baise torride pour se faire jeter juste après… hélas, cela n’empêche en rien qu’on puisse quand même avoir envie de vérifier la puissance sexuelle qui sous-entend à son arrogance de petit con… pendant un instant, comme un flash, je l’imagine dans le rôle de Jérém, sauvage, limite brutal, impatient de jouir, imposant son rythme pour atteindre l'instant ou toute sa virilité me remplirait la bouche d'un nectar chaud et exquis....
    Deuxième conclusion de mon étude très scientifique : tout dans son attitude et dans son regard semble indiquer que rien ni personne ne semble vraiment l’intéresser… rien, mis à part lui-même… car la seule chose qu’il semble affectionner c’est d’être regardé, désiré, jalousé… au final, les autres, y compris sa petite bande, ne semblent être à ses yeux qu’un moyen à sa libre disposition pour atteindre son plaisir, entretenir sa fierté masculine, célébrer sa primauté virile…

    Troisième conclusion de mon étude très scientifique : ce mec a l’air d’un sacré filou, totalement centré sur lui-même, étranger à toute bienveillance vis-à-vis de son prochain… je dirais qu’il incarne à mes yeux ce que j’appellerais l’« anti-Thibault »…

    Conclusion 1+2+3 = loi universelle selon Nico : le fait est que ce genre d’attitude, lorsque je l’imagine transposé dans une sexualité puissante, me donne des idées totalement lubriques... déjà rien que son physique est un scandale, mais l’effronterie par-dessus, il est sexy puissance mille… alors, comment résister à ce physique de dingue, à cette petite gueule de p’tit con trop sexy, qui se paie en plus le luxe de baiser des mecs comme Mathieu ?

    Perdu dans mes réflexions, je finis par capter à nouveau son regard… et je réalise qu’il est toujours en train de mater dans ma direction…

    Soudainement, je suis saisi d’un doute… qui devient rapidement certitude… je ne crois pas que son regard me soit destiné… en réalité, je crois que le beau Romain est en train de mater mon Jérém…

    Preuve en est que, lorsque je me tourne vers mon beau brun, je surprends un regard fuyant en direction du beau Romain… là, je commence vraiment à être inquiet… un échange de regards entre beaux bruns… deux méga bombasses qui vont se retrouver dans la même boîte… ça ne présage rien de bon… si Romain cherchait une « proie à sa mesure »… là il tient le bon lot… il faut que je la joue fine… pas envie de jouer le mec qui tient la chandelle…

    Jérém vient enfin de terminer sa clope… il balance nonchalamment le mégot avec l’index et je le vois décoller ses épaules musclées du mur et se diriger droit vers l’entrée du On Off…

    « Tu veux vraiment y aller ? » j’essaie une dernière fois de le retenir pendant qu’il passe devant moi.

    « Oui, pourquoi ? » il me répond tout naturellement en continuant à avancer vers l’entrée.

    Je sais que je ne pourrais pas l’empêcher. Alors, autant garder un oeil sur lui… j’ai très envie de me tirer, mais rentrer chez moi en sachant mon Jérém « tout seul » dans une boîte à pd, c’est un truc au-dessus de mes forces…

    A la faveur de ce court échange, ni moi ni Jérém n’avons remarqué le mouvement de l’autre côté de l’entrée… oui, la petite bande a bougé, presque en même temps que nous, le beau brun Romain en tête… résultat des courses… mon beau Jérém et le beau Romain arrivent en même temps dans l’encadrement de la porte… les deux mâles rentrent en collision…

    Arrêt sur image… deux avant-bras à la peau mate se touchent, deux t-shirts de couleurs opposées se frôlent…

    On a frôlé l’incident de beau brun… la petite bande stoppe net l’avancée et se met en mode « voyons un peu ce qui va se passer »…

    Mon beau brun se tourne vers Romain avec un regard noir, sévère, contrarié… je sais que, notamment dans l’état d’esprit où il est après les émotions collectées au KL et pendant notre retour en voiture, il ne va pas falloir le chauffer ce soir, sous peine de le voir démarrer au quart de tour… mais Romain n’a pas l’air impressionné… pas du tout même… il le regarde fixement, sans se démonter… les deux mâles se toisent… dans le regard de Jérém il y a de la surprise et un principe de surchauffe, dans celui de Romain, du défi et un je-ne-sais-quoi de volontairement impertinent… pendant un court instant, je crois que mon Jérém va péter un câble, je sens qu’il a besoin de se défouler, j’ai peur qu’il bouscule le beau Romain et qu’ils en viennent aux mains… et ce serait vraiment dommage…

    Mais rien ne se passe… les regards se figent, l’affrontement dure… le mec doit trouver Jérém magnifique, avec ce regard de tueur… pour peu que Jérém lui trouve un dixième du charme que moi je trouve à ce mec… là on va droit à la catastrophe… putain… pourvu que ça ne se transforme pas en un début de drague… si Jérém se met dans la tête de se taper Romain… et si Romain est partant aussi… ou bien l’inverse… mon pauvre Nico, t’as plus qu’à compter les points… 

    Bien évidemment, alors qu’il me semble s’étirer sur une petite éternité, leur regard ne dure en réalité qu’une seconde… un instant de surprise pour Jérém, un moment pour satisfaire la curiosité de Romain… et ça se termine lorsque le beau Romain, ayant probablement déduit de cet échange de regards que le beau mâle en t-shirt blanc en a dans le boxer, idée qui ne doit par ailleurs pas lui déplaire, finit par lâcher : 

    « Ca va aller, mec ? » tout en faisant un pas en arrière et baladant son regard de Jérém à moi et de moi à Jérém, essayant de jauger si on est ensemble ou si on est juste potes.

    L’expression menaçante de mon beau brun semble se détendre un brin. 

    « Ca va aller… » répond-il en détournant son regard et en poursuivant sa route. 

    Romain lui emboîte le pas, suivi à son tour par la petite clique qui s’empresse de marcher dans le sillage du chef de meute… je passe mon tour sans broncher, toujours hésitant à l’idée de rentrer au On Off…

     

    [Nda : cet épisode comporte une scène imaginée dans une boîte gay toulousaine ayant existée et qui n’existe plus aujourd’hui. La configuration des lieux dans la narration, notamment la présence du « couloir sombre », ne correspond pas à la véritable configuration des lieux de l’époque ; elle est librement adaptée pour les besoins du récit, notamment en m’appuyant sur des souvenirs d’autres boîtes du milieu gay]. 

     

    C’est la première fois que je mets les pieds dans cet endroit. Je suis passé devant plusieurs fois. Le jour, en me baladant sur le bord du Canal. Le soir, parfois. J’ai vu briller son enseigne rouge dans la nuit comme un appel à moi, à mon être profond. Sans oser franchir le pas. Sans oser en franchir le seuil. Il a fallu qu’on m’y amène. Il a fallu qu’il m’y amène. 

    Oui, pour que j’ose franchir la porte du On Off, l’une des boîtes à pd les plus branchées de la ville, pour que j’accepte de prendre le risque de pénétrer dans ce lieu de « perdition », il a fallu que mon Jérém m’y amène… 

    C’est la première fois que je rentre à l’On Off et déjà je découvre que j’aime…  

    PAS !!!  

    Ca n’a rien à voir avec le lieu… c’est juste que, dès mon entrée, je vois le beau Romain en train de taper la discute avec mon Jérém à moi… ça commence mal… je n’entends pas encore ce qu’ils se disent, mais je vois Romain lui balancer un sourire qui ferait fondre une montagne… ce qui rassure un peu, c’est que Jérém ne rigole pas, il semble limite tendu, pas vraiment à l’aise… lorsque j’arrive à proximité, j’entends le barbu lui proposer un verre « pour oublier le petit incident ». 

    Putain, il perd pas de temps, le mec… je t’en foutrais, du petit incident… 

    « Merci » j’entends mon brun lui répondre « mais ça va aller… ». 

    Ouf… merci Jérém, une fois de plus ce soir, je suis fier de toi. Je suis toujours fier de mon brun lorsqu’il refuse des avances. Beaucoup moins lorsqu’il les accepte. 

    « Comme tu voudras… » réagit le mec, sans ciller, et il conclut « peut-être à plus tard… ».

    Oui, c’est ça, à plus tard… va donc te faire foutre… ailleurs…

    Jérém se contente de lui répondre avec un petit sourire un peu forcé.

    Romain s’éloigne de nous, direction le bar. Ses groupies l’y attendent de pied ferme.

    Jérém avance à son tour, direction le bar aussi, mais à l’opposé de la petite bande. Il traverse la salle d’un pas lent, assuré et, inutile de le préciser, tout le monde se retourne sur son passage, tout comme ça a été le cas un instant plus tôt au passage du beau Romain…

    La boîte est bondée de monde et, au premier abord, sans que j’aie encore eu le temps de bien m’en rendre compte, il y aurait pas mal de belles choses à recenser… malgré ça, force est d’admettre que, dès leur entrée, mon beau Jérém et le beau Romain, un brun très beau et un très beau brun, sont les lumières les plus rayonnantes de la boîte… deux beaux mâles virils, l’un avec un t-shirt blanc, l’autre avec un t-shirt noir de cet acabit dans une boîte de pd… ça force le respect, ça détourne les regards, ça donne des envies, ça fait bander à des endroits et se détendre à d’autres…

    En plus, les deux étalons ont ce soir un atout inestimable à leur actif… ce sont des nouvelles têtes… ce qui fait que, en plus du désir, ils suscitent la curiosité…

    Bon, il ne faut pas que j’oublie que je suis là pour « assurer la sécurité sexuelle » de mon beau brun… hélas, il ne fait rien pour me faciliter la tâche… avec son beau t-shirt blanc sur son torse parfait, avec sa démarche assurée et son attitude froide et distante, avec ce côté petit militaire en permission que je n’arrive pas à dissocier de lui, j’ai l’impression que mon Jérém est en train de faire un défilé, un défilé très viril pour le coup, pour CK… l’effet est immédiat… des tonnes de regards saturés de désir se posent sans cesse sur lui… c’est comme si mon beau brun était en train de se faire sucer par ces regards… l’état d’alerte est maximal…

    « Tu bois quoi ? » il me demande une fois atteint le comptoir.

    Prenant sur moi pour ne pas lui répondre la même chose que la dernière fois qu’il m’a posé cette question, quelques heures auparavant à la Bodega, je lâche :

    « Un coca ».

    J’en ai marre de boire. J’ai juste soif. Il rigole. Il se moque. Il est beau. Le plus beau de tous. Sans hésitation. Petit con, va. Il le sait. Alors, qu’est ce que l’on fout ici ? Qu’est-ce qu’il est venu chercher de plus ?

    Il est super tard, demain il a match, il n’y a pas vraiment de nanas en vue… il y a en revanche beaucoup de mecs… je suis à la fois jaloux et fier de toutes ces attentions… jaloux, ça se comprend… fier… c’est parce que tout ce désir que je sens flotter autour de lui me donne une nouvelle dimension de son charme universel, ainsi que l’ampleur de la chance qu’est la mienne de pouvoir accéder à sa sexualité…

    Je sens que l’émoustillement général risque de provoquer des débordements… risque d’émeute… je suis sur la défensive… je surveille l’assistance pour guetter le moindre mouvement en direction de mon beau brun… je dois avoir une tête de pitbull qui surveille son os… pire… j’ai l’impression d’avoir la tête de Silvia Fine au mariage de Fran, lorsque, après que le curé ait demandé si quelqu’un avait quelque chose à dire contre cette union avant de se taire à jamais, elle se retourne avec un regard noir, l’air de dire « le premier qui bouge ne serait-ce qu’un poil, il est mort… ». 

    Jérém m’a filé un verre… il a la couleur du Coca, il y a du Coca, mais pas que… euh, Jérém… je n’ai jamais dit un whisky-coca… la première gorgée me surprend, et je dois grimacer comme un couillon… lorsque je retrouve mes esprits, je vois Jérém en train de rigoler sous la moustache… t’es vraiment un petit con… t’es scandaleusement beau mais t’es un bon gros petit con…

    La descente du beau brun est autre que la mienne… accoudé au comptoir en train de siroter sa Vodka, il laisse son regard balayer la salle… qu’est ce qu’il regarde ? qu’est ce qu’il cherche ? il va forcément capter tous ces regards en mode « j’ai envie de toi »… et après ?

    J’essaie de suivre son regard, mais c’est peine perdue… alors j’en fais de même, je fais un tour de la salle pour voir si mon regard arrive à en capter qui seraient intéressés… hélas, lorsqu’on se trouve à côté de Jérém, on n’existe plus… lorsque je reviens à mon Jérém, je le vois regarder fixement en direction d’un couloir sombre sur notre gauche…

    Soudainement, je le vois décoller ses reins du bord du comptoir et s’y diriger.

    Naïf comme je pouvais l’être à l’époque, je me dis que ça doit être l’entrée des toilettes… moi aussi j’ai envie de faire pipi, alors je lui emboîte le pas… hélas, ma naïveté est très rapidement mise à mal par la circulation qui semble animer cet espace sombre et isolé. Des ombres semblent en effet aller et venir sans cesse à l’intérieur de ce couloir mystérieux.

    Mon beau brun marque un temps d’arrêt. Pendant ce temps, deux mecs nous dépassent, me heurtent au passage, s’engouffrent dans le couloir sans se poser de question et disparaissent dans une ouverture à droite… on entend le bruit d’une porte coulissante. Ça y est, je viens de comprendre… de comprendre le sens du mot back room…

    Jérém a fini son verre, il le pose sur une sorte de rebord accroché au mur à droite de l’entrée du couloir et il s’engouffre à son tour dans ce passage inconnu…

    Mais pourquoi… pourquoi… pourquoi il fait ça ce petit con ? Putain… écoute un peu cette chanson qui sort de la sono… 

     

    U don't have 2 be beautiful/Tu n'as pas à être magnifique
    2 turn me on/Pour m'exciter
    I just need your body baby/J'ai juste besoin de ton corps bébé
    From dusk till dawn/Du crépuscule jusqu'à l'aube
    U don't need experience/Tu n'as pas besoin d'expérience
    2 turn me out/Pour me faire chavirer
    U just leave it all up 2 me/Laisse-moi faire
    I'm gonna show u what it's all about/Je vais te montrer comment on fait
     

     

    U don't have to be rich/Tu n'as pas à être riche
    2 be my (girl) boy/Pour être (ma nana) mon mec
    U don't have 2 be cool/Tu n'as pas à être cool
    2 rule my world/Pour me diriger
    Ain't no particular sign I'm more compatible with/Il n'y a aucun signe avec lequel je ne suis pas compatible
    I just want your extra time and your/Je veux seulement ton temps libre et ton
    Kiss/Baiser 


    Jérém avance lentement dans la pénombre et moi derrière lui. Pas après pas, la musique de la salle principale arrive de plus en plus estompée à nos oreilles… plus on s’éloigne, plus le son se fait ouaté… on a l’impression de rentrer dans le placard du resto de 11.22.63 et de se retrouver plongé dans une autre dimension… 

    Et au fur et à mesure que les basses perdent d’intensité, ce sont d’autres bruits qui arrivent à nos oreilles… des bruits qui ne trompent pas… ce sont des bruits de peaux qui se frottent entre elles, de lèvres qui caressent, qui sucent, de corps qui s’emboîtent, ce sont les bruits du sexe, des gémissements plus ou moins contenus de plaisir…

    Ca a ce côté glauque, mais en même temps, je dois bien avouer, un côté excitant, le côté excitant de l’interdit, du « malsain »....

    Au bout de quelques instants plongé dans la pénombre, l’œil finit par s’adapter à la faible lumière des quelques leds allumées… j’arrive à mieux distinguer les formes, les corps, les désirs… à droite et à gauche du couloir, des portes donnant accès à des petites alcôves… certaines sont fermées, d’autres non, laissant ainsi plus qu’entrevoir ce qui s’y passe à l’intérieur…

    Postés dans l’encadrement de certaines portes, des gars observent la circulation, en attendant un regard complice, un désir partagé… je comprends de suite que si la salle principale est un endroit où la bienséance a encore quelques droits, là nous avons pénétré dans un espace sans foi ni loi… un baisodrome…

    « Ici on ne vient que pour baiser »… voilà ce qui devrait être affiché à l’entrée du couloir… car, dès que vous mettez un orteil dans ce couloir sombre, on considère que vous avez envie d’une baise et on se sent autorisé à vous regarder avec une lubricité sans détour… je ressens le poids étouffant de tous ces regards qui se posent sur moi, sur nous, sur Jérém surtout… on a fait peut-être dix mètres dans le couloir, que déjà mon beau brun aurait pu se faire sucer au moins dix fois…

    Je suis vraiment gêné… je ne sais pas si mon beau brun ressent la même gêne que moi, en tout cas il continue d’avancer et je le suis comme un gentil toutou…

    Et toujours ces questions qui ne me quittent pas… mais qu’est-ce que l’on fout ici ? Qu’est-ce qu’il cherche ce petit con ? Pourquoi on n’est pas chez lui en train de s’envoyer en l’air comme des malades ? J’ai envie de le sucer…

    Pas après pas on approche lentement du fond du couloir, là où, derrière un rideau à lattes en plastique translucide, une espèce de lueur semble appeler le nouvel arrivant.

    Jérém, en explorateur curieux, s’y engouffre. Je le suis. On se retrouve dans une petite salle avec quelques fauteuils, et toute la paroi à notre gauche couverte par un écran où est projeté un porno gay… dans le film, un beau blondinet est allongé sur un lit, sur le ventre, en train de se faire défoncer le cul et la bouche par deux étalons bien montés… la scène est plutôt crue et je suis gêné d’y assister… que ce soit pour la scène en elle-même, pour l’endroit que je trouve de plus en plus glauque, pour le fait qu’il y a du monde qui nous regarde ou bien pour le fait d’y assister en présence de mon beau brun…

    Jérém fixe l’écran, et il semble être bien le seul… dès notre arrivée, tous les gars présents ont tourné le regard vers ce t-shirt blanc qui brille sous le reflet de la lumière réfléchie par l’écran… côté audimat, le film tombe à zéro… mon Jérém récoltant tous les suffrages…

    Mon regard se balade nerveusement dans la salle, me demandant quand mon con de beau brun va se décider à foutre le camp de là… je suis super mal à l’aise et j’ai vraiment envie de partir… mais avec lui… avec lui !!! Cet endroit pue la baise pure, le sexe pour le sexe… Jérém… tu mérites mieux que ça…

    Au bout d’un moment, j’aperçois, debout contre un mur de la salle, un mec en train de fumer sa clope… il fume, mais pas que… le gars est en train de se faire sucer par un type accroupi devant sa braguette, mais presque complètement caché à ma vue par un alignement de fauteuils… je me dis que jamais je n’oserais faire ça, ni me faire faire ça, devant du monde…

    A la simple lueur de l’écran, je devine sur son visage le passage des frissons d’une fellation qu’il contrôle par sa main fermement posée sur la nuque du mec à genoux… et je me rends compte aussi que, tout en prenant son pied, il regarde dans notre direction…

    Le gars à genoux a l’air de bien connaître son sujet, je le vois s’y prendre avec application… il pompe de façon ininterrompue, presque sans respirer… je connais ça… il s’y prend comme un gars impatient de goûter au jus d’un beau mâle… reconnaissant à ce dernier de lui offrir cette chance inouïe…

    Oui, bien aiguillé par la main sur sa nuque, le gars pompe comme si sa vie en dépendait… du moins jusqu’à ce qu’il se rende compte que tout le monde regarde en direction de l’entrée, jusqu’à ce que sa curiosité le pousse à abandonner provisoirement son affaire… affront que le mec débout rattrape presque instantanément, après avoir précipitamment jeté sa cigarette, les deux mains libérées, utilisées pour enserrer la tête de son suceur et le contraindre à revenir illico à sa noble mission…

    Son visage est alors à nouveau parcouru par les frissons du plaisir de mâle… et il nous regarde toujours… je vois également Jérém regarder dans sa direction… à quoi pense-t-il à ce moment précis ? Envie-t-il le mec avec la queue dans une bouche inconnue et accueillante ? Regrette-t-il que je sois là avec lui, sans quoi il serait déjà en train de se faire sucer lui aussi ?

    Ou bien… en est-il, au contraire, mal à l’aise, interloqué, comme je le suis moi-même, sur le coup d’une découverte inattendue ? Se fait-il, a ce moment précis, une image terriblement négative du milieu gay, et de l’homosexualité en général, un monde auquel il ne voudra plus, encore moins qu’avant, être « associe » dans sa tête ?

    Jérém, mon beau et con Jérém, lui qui n’est même pas prêt à affronter sa double nature et ses envies de baiser avec un petit pd, il découvre ici, en même temps que moi, l’un des aspects les plus glauques du milieu gay… avec le risque qu’il y porte désormais un regard encore plus méprisant, un regard de dégoût… un mépris et un dégoût auxquels je crains de finir associé dans son esprit…

    C'est aussi ça que je craignais tout à l’heure en le voyant avancer en visant l’enseigne clignotante du On Off… non seulement qu’il se fasse draguer… mais qu’il trouve l’endroit, le milieu, malsain… et qu’il trouve alors de plus en plus insupportable de céder à des pulsions avec son pd de service… sa petite salope…

    Dans la pénombre de la petite pièce, je vois son dos juste devant moi… je sais, je me répète… mais ce torse en V et sa chute d’épaules… on frôle le divin… alors, à chaque fois ça me provoque un frisson… et des envies contre lesquelles je ne peux pas lutter… qu’est ce que j’aime son cou puissant, et tout particulièrement cette région, cette lisière d’où démarrent ses cheveux bruns…

    Si je m’écoutais, j’avancerais d’un pas, je passerais mes bras autour de sa taille… en ayant au préalable pris le soin de passer mes mains sous son t-shirt et de les faire glisser sur ses abdos… je collerais mon ventre contre son dos… et je lâcherais mes lèvres à l’assaut de cette lisière d’une douceur absolue, cette région qui est également un endroit très sensible pour lui… oui, je me lâcherais sans retenue… embrassant centimètre après centimètre de sa peau… le nez perdu dans le mélange de son parfum de mec et du parfum naturel de sa peau… remontant jusqu’à ses oreilles que je lécherais, que je mordillerais sans discontinuer, pendant de longues minutes…

    Hélas, je n’ose pas… je ne sais pas ce qui est en train de se passer dans sa tête… mais lorsque je fais un check in dans la mienne, je retrouve toujours et encore les mêmes questions… mais qu’est-ce qu’on fous là ? Quelle est la véritable raison qui a poussé Jérém a venir ici ? Tester l’universalité de son charme sur un nouveau segment marketing ?… je pense… me faire chier après mon sketch avec Martin et ma crise d’insoumission dans la voiture ?... je pense aussi…

    Mais avec tout cela, peut-être autre chose… comme la curiosité de voir vraiment ce qu’il en était, si son attirance pour les mecs était vraiment réelle… voir si ce milieu l’exciterait, ou au contraire le dégoûterait... et, au final, savoir qui était vraiment Jérém T.

    Soudainement, je vois mon beau brun faire demi-tour, passer à côté de moi sans me calculer et repasser au travers du rideau de lattes translucides… j’en fais de même, soulagé de m’éloigner de cette ambiance moite qui me met si mal à l’aise…

    Jérém a remarqué que le couloir part sur la droite en sortant de la salle de projection… il avance dans ce nouvel espace inconnu… le plus naturellement du monde, je lui emboîte le pas… on n’a pas fait deux mètres, que le beau brun s’arrête brusquement, se retourne et me balance, le visage à 20 cm du mien :

    « Lâche-moi un peu les baskets, tu veux bien ? ».

    Saligaud !, j’ai envie de lui crier… saligaud !... je la voyais venir celle-là… t’es venu ici pour te taper d’autres gars, c’est ça ? Tu veux voir comment des mecs vont tomber comme des mouches devant ta virilité ? Tu veux me faire payer ma petite rébellion de toute à l’heure, c’est ça ?

    Petit con, va… t’es là, à vingt centimètres de moi, ton parfum fait vibrer mes narines et me brouille l’esprit… j’ai envie de toi… et toi tu es là, à portée de bouche… j’ai envie de t’embrasser, comme un fou… et toi… toi, tu me balances de te lâcher les baskets pour que tu puisses aller tremper ta queue ailleurs ? T’es vraiment un connard…

    Je sens la terre se dérober sous mes pieds… puisque tout est perdu, alors c’est décidé, je balance mes dernières cartouches… j’y vais… j’avance mon buste et je l’embrasse, je pose mes lèvres sur les siennes… c’est viscéral, je ne peux pas m’en empêcher… non, je ne peux pas m’empêcher de lui montrer dans ce lieu de baise dans lequel il veut que je le laisse seul, de lui montrer que je l’aime, de lui montrer à quel point je l’aime…

    Dans mon geste désespéré, je trouve même l’audace de passer ma main derrière sa tête pour appuyer encore plus mes lèvres sur les siennes, pour l’empêcher de se dégager dans la seconde… non , je ne peux pas me passer de lui donner un bisou pour qu’il se souvienne de moi lorsque dans quelques instants sa queue sera dans la bouche d’un inconnu…

     

    Ain't no particular sign I'm more compatible with/Il n'y a aucun signe avec lequel je ne suis pas compatible
    I just want your extra time and your/Je veux seulement ton temps libre et ton
    Kiss/Baiser 

     

    Pris par surprise, il lui faut une petite seconde pour réagir… mais lorsque la réaction vient, elle se fait sentir : ses mains attrapent mes mains, les décrochent de sa nuque, les balancent loin avec un geste énervé et violent, et repartent aussitôt mettre un grand coup sur mes épaules, un coup tellement puissant que je manque de peu de me vautrer par terre…

    Je me rattrape de justesse en posant une main sur le mur, à quelques centimètres de la porte de la salle de projection… inutile de préciser que mon baiser a été interrompu brutalement…

    Je n’ai que le temps de capter son regard noir plein de colère… il fait demi-tour, sans un mot et s’enfonce dans la pénombre encore plus sombre de ce deuxième couloir…

     


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