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44.1 Nico, le bac, l’été, les hommes et l’Imperium.
Dimanche matin, 8 juillet 2001, 2h39.
Un beau mec n'ayant jamais connu auparavant le plaisir de la sodomie. Un beau brun découvrant qu'il aime ce plaisir inconnu et toujours écarté, refoulé auparavant… voilà que je trouve cela outrageusement excitant…
Non, jamais je n'aurais cru voir le beau brun prendre son pied de cette façon, en se faisant mettre bien profondément, tout en gémissant, en suppliant, en quémandant ce nouveau plaisir qui secoue chacune de ses fibres… en réclamant avec insistance, presque en criant, qu’on le défonce plus fort, encore plus fort, sans retenue… le voir gémir sous les coups de reins d’un mec qui est à ce instant précis… plus « mec » que lui… le voir complètement soumis au plaisir, à la puissance de la queue qui le fait jouir du cul…Oui, je trouve cela extrêmement excitant de voir le beau brun renoncer à son statut de mâle, jouir de voir sa virilité écrasée de cette façon absolue, céder avec bonheur à l’assaut d’une virilité plus puissante que la sienne…
Ce qui ne m’empêche pas de me demander comment le beau brun va assumer cela après coup, lorsque l’excitation sera retombée, lorsque son « maître » d’un soir se sera vidé les couilles et lorsqu’il verra dans son regard le triomphe de sa virilité sur la sienne…
J’ai mal dans ma chair de voir une fierté masculine si impitoyablement malmenée… et de deviner les dégâts que cela va engendrer après coup… hélas, comme il est suggéré dans une fable célèbre, « Le beau brun et le brun beau », il n'est point de loi que celle du plus viril... car la raison du plus couillu est toujours la meilleure…
En attendant, je regarde le beau brun en train de prendre son pied sans ménagement… pendant que son « maître » d’un soir se défoule entre ses cuisses, sans ménagement… ce dernier est en nage, il va bientôt jouir…« Vas y, comme ça, vas-y, défonce-moi, vas-y, mec… » j’entends le beau brun crier, fou de plaisir « … putain que c’est bon… jamais on m’a fait un truc pareil, jamais ! ».
Ce qui finit par motiver son « maître » à se lancer dans une série de coups de reins bien puissants et profonds, avec pour conséquence de l’amener à jouir rapidement et très fort, le visage déformé par la puissante secousse de l’orgasme, exprimant son plaisir dans un râle profond… tout en cherchant mon regard pour s’y abandonner l’espace d’un instant de jouissance…
Lorsque son excitation retombe, son regard retombe aussi… c’est là que je capte les yeux du beau brun, des yeux dans lesquels je lis la vibration toujours puissante d’une excitation extrême… j’ai carrément l’impression que son physique de petit coq sexy tremble encore, secoué par le plaisir de fou qui l’a carrément retourné…
Précédemment dans 50 nuances de ces inqualifiables goujats de Jérém et de Thibault : après le bac, après Gruissan, après les interludes fort distrayants de la Piscine Nakache et du vestiaire du terrain de rugby, le mois de juin 2001 touchait à sa fin ; une journée shopping avec ma cousine rue d’Alsace-Lorraine s’était terminé avec la rencontre du charmant Thibault m’annonçant de façon désinvolte que son pote bossait désormais dans une brasserie rue de Metz ; un peu plus tard ce jour là, à une terrasse bondé de monde, j’avais retrouvé un beau mécano ainsi qu’un beau brun en mode serveur, le torse moulé dans un t-shirt noir à me donner le vertige… un Jérém souriant, l’air d’apprécier ma présence sur les lieux… Thibault m’avait parlé d’une soirée au KL…
Le samedi suivant, Elodie et moi on avait eu rendez vous avec Amélie… Amélie Poulain… un peu plus tard dans la soirée, au KL, la meute avait débarqué avec charmes et fracas… j’avais d’abord retrouvé Thibault m’annonçant un nouvel emploi pour Jérém à la rentrée, un emploi qui pourrait l’amener très loin de moi, et de lui… ma tristesse trop évidente s’était mélangée avec la sienne, plus discrète mais pas pour autant moins forte, mon chagrin avait été pansé par la tendresse touchante et émue du beau mécano…
Encore plus tard dans la soirée, le nouveau parfum de Jérém, combiné en mélange explosif avec son regard pénétrant et avec mon envie excessive de lui, m’avaient poussé à chuchoter au creux de son oreille des cochonneries dont j’aurais honte à posteriori… croyant lui faire plaisir, et lui donner envie de terminer la soirée avec moi, je n’avais eu pour résultat que celui de me faire jeter comme une merde…
Et, cerise sur le gâteau, j’avais assisté à une scène complètement surréaliste, avec un Jérém en mode chasseur qui lève deux nanas d’un claquement de doigts pour un plan à quatre avec… Thibault…
Colère, jalousie, trahison voilà la palette complète des sensations que j’avais ressenti à ce moment là…
Quelques minutes plus tard, un magnifique reubeu avait suscité en moi un désir urgent et inéluctable… j’avais eu envie de lui comme une évidence… j’étais assommé tellement ce mec me faisait de l’effet, tellement sa simple présence était un appel au sexe… hélas, son regard dur, dans lequel je n’avais su lire que de l’hostilité, ainsi qu’un geste ambigu de la main m’avaient sacrement foutu les pétoches… j’étais alors parti en courant, laissant définitivement planer le doute sur ses intentions…
Le retour précipité avec ma cousine s’était terminé avec une conversation instructive et apaisante…
« Mon cousin, t’aurais pas par hasard un 06 en attente de rendez-vous ? Je sais pas… genre un mec à qui t’as posé un lapin en début de semaine et avec qui tu aurais envie de passer un bon moment pour te consoler ? ».
Dans l’après midi de ce dimanche commencé de façon si décevante, une belle rencontre dans le quartier de la Halle aux Grains avait mis ma vie sur de nouveaux rails. Oui, dans un apart très accueillant j’avais trouvé plaisir, tendresse et réconfort auprès d’un charmant Stéphane…
Le lundi matin au lendemain de ce dimanche après midi magique chez Gabin et son maître, je me réveille comme je me suis endormi, c'est-à-dire… sur un petit nuage… j’émerge petit à petit, comme d’un rêve, et les souvenirs viennent à moi en douceur, comme des caresses légères… oui, c’est ainsi, comme des caresses inattendues mais oh combien plaisantes, que je vois faire surface, en vrac et en nombre, des images et des sensations de la veille…
… le câlin sur le canapé en arrivant chez lui en début d’après-midi, un câlin doux et inattendu qui m’a touché jusqu’aux larmes… son adorable délicatesse dans le fait de me réconforter en me serrant à lui sans demander d’explications… la balade avec Gabin au Jardin des Plantes, la plaisante sensation de marcher ensemble, côte à côte, tout naturellement, sans se soucier d’être pris pour des pd… découvrir que l’on peut partager autre chose avec un garçon que son lit et sa queue… comme une balade, une simple, banalissime balade du dimanche après midi, une balade pourtant si spéciale, si chargée de symboles et de significations pour moi, un moment si extraordinairement normal…
… le retour à l’apart… le sourire de Stéphane, les baisers… défaire les boutons de sa chemisette… sa bouche sur la mienne, sur mon torse, sur mon sexe… ma première fellation reçue, la découverte de ce plaisir nouveau, la sensation magique de comprendre ce plaisir que je n’ai jusqu’à là réservé qu’à Celui-dont-on-ne-doit-plus… l’excitante sensation de comprendre, de vivre son propre plaisir…
… le beau Stéphane, le doux Stéphane, ses caresses, son sourire, sa tendresse, les câlins… la première fois que je suis venu dans la bouche d’un garçon… mon enchantement face à toutes ces découvertes de jouissance masculine que ce charmant garçon a su m’amener avec une douceur incroyable…
… son DIM orange et blanc… les câlins, ses caresses, son sourire, sa tendresse… la douce impatience de découvrir sa queue… le désir d’y aller par petites touches… sa queue dans ma bouche… sa tendresse, son sourire, les câlins, ses caresses… ce truc de dingue avec sa main autour de ma queue et le bout humide de son pouce dans le creux de mon gland… son envie de moi exprimée par des mots simples, gentiment, me laissant le choix d’accepter ou de refuser… Stéphane qui enfile sa capote, mon aide maladroite… Stéphane en moi… ses caresses, les câlins, son sourire, sa tendresse…
… Stéphane qui prend son pied en moi, avec moi… les câlins, sa tendresse, son sourire, ses caresses… Stéphane qui jouit… Stéphane allongé sur moi secoué par le hoquet et qui en rigole… Stéphane qui me fait jouir encore avec sa main… les câlins, ses caresses, son sourire, sa tendresse… la douche, son corps contre le mien sous l’eau, encore des câlins, sa main qui serre nos queues, le plaisir de jouir ensemble sous l’eau et de s’abandonner dans les bras l’un de l’autre juste après… abandonner mon visage dans le creux de son épaule, l’eau qui emporte mes larmes, le sentiment d’être compris, accepté, aimé pour ce que je suis… la douceur de la serviette verte, les peaux qui se frôlent, l’odeur du gel douche, de nos peaux humides… le goût de ses lèvres, la douceur de sa peau, la douceur de son regard… la chaleur de son étreinte… sa collec’ de dvd Disney, Aladdin, le risotto… le jambon porté disparu… la douceur du regard de Gabin… Drucker, le 20 heures, le film du dimanche soir qui défile sans importance… le moment de se quitter, ses mots adorables… et…
… Paf !
Oui, paf… c’est un tourbillon d’images qui me donne le tournis… à un moment j’ai vraiment la tête qui tourne… j’en ai des frissons… je déconnecte, j’ouvre les yeux et je me concentre sur ma respiration… j’ai l’impression qu’un rouleau compresseur est passé sur moi… un bon rouleau, certes, mais qui me laisse tout mâché, tout étourdi… ça fait tellement de choses en une seule fois… j’ai carrément l’impression d’avoir été plongé dans une autre vie, dans une autre dimension…
Je referme les yeux, je respire profondément… je retrouve mes esprits ou du moins je les cherche… ce que j’ai vécu la veille est à un point beau et fort que je n’arrive toujours pas à croire que ça m’est réellement arrivé… oui, j’ai toujours du mal à croire qu’un mec aussi charmant que Stéphane puisse s’intéresser à un couillon comme moi… d’autant plus que je ne le mérite pas… quoi qu’il en dise, quoi qu’il en pense, non, je ne le mérite pas… je lui ai menti sur pas mal de choses, notamment sur les raisons de l’annulation de notre premier rendez vous…
Non, je n’ai pas été réglo avec lui, ce mec ne sait rien de moi… il ne sait pas comment, avant de le rencontrer, et même après, et même juste après avoir annulé notre rendez vous, je me suis mis à genoux, au sens propre comme au sens figuré, devant un mec pour qui je ne suis qu’un trou à bite… non, Stéphane ne sait pas comment je me suis rabaissé sexuellement vis-à-vis de ce Celui-dont-on-ne-doit-plus… à quel point je l’ai eu trop profondément dans la peau, comment j’ai tout accepté de lui, l’humiliation, la dégradation, comment j’ai cédé à ses envies de mec, à toutes ses envies de mâle dominant, et que j’ai sacrement aimé ça, que je m’en suis contenté et que j’ai même joui de cela dans le feu de l’action… non, Stéphane ne sait pas que j’ai accepté d’être la parfaite salope d’un bel apollon sauf me plaindre juste après du fait que cet apollon ne veuille rien de plus de moi que de se vider les burnes…
Je me dis qu’un mec qui ment, qui se laisse rabaisser à ce point, ne mérite pas le bonheur de se retrouver dans les bras d’un garçon aussi adorable que Stéphane… je ne me sens pas digne de son attention, je sais qu’il se trompe sur moi, qu’il me surestime… non, je ne suis pas le type bien qu’il semble voir en moi… il a eu beau me dire et me répéter que j’ai le droit d’être heureux et de recevoir de l’amour, ce n’est pas pour autant que la leçon est rentrée…
Je sais que s’il me connaissait vraiment, s’il savait ce que je suis, ce qu’est ma nature profonde, son regard sur moi changerait du tout au tout… j’ai l’impression que notre rapport est basé sur un mensonge et que si jamais le destin nous offrait la possibilité de nous côtoyer un peu plus, il comprendrait qui je suis vraiment, et il me laisserait tomber… je perdrais son estime, son affection, pour lui laisser, en tant qu’unique souvenir de moi, le goût amer de la déception…
J’ai l’impression d’être « creux », que je n’ai rien à offrir à un mec à part mes talents au lit… non, je n’ai rien à proposer à un mec, surtout pas à un mec comme lui, un mec aussi gentil… je cherche beaucoup de choses chez un mec, mais je ne connais rien à rien, alors que j’ai même du mal à trouver des sujets de conversation ? Alors, c’est dur de l’admettre mais il faut être lucide, quelque part c’est un bien que le destin nous sépare, qu’on se quitte sur une bonne impression, bien qu’elle soit fausse en ce qui le concerne…
Voilà la grande question qui sera longtemps sous-jacente aux malheurs de ma vie… comment se faire accepter, alors que l’on ne s’accepte pas soi même ?
Et encore : comment se faire aimer alors qu’on ne s’aime pas soi même ?
Et surtout : comment aimer vraiment alors qu’on ne s’aime pas soi-même ?
J’ai envie de pleurer tellement je me sens nul à ce moment là… je n’ai pas envie de me lever… je n’ai pas envie d’aller voir les résultats du bac, je n’ai surtout pas envie de croiser Celui-dont-on-ne-doit-plus… je me sens plonger dans la tristesse et je ne sais vraiment pas ce qui pourrait me remonter le moral… je ne vais pas tarder à le savoir.
Ce ne sera pas toujours le cas par la suite, mais ce jour là je me dis que le mec qui a inventé les sms est un bienfaiteur de l’humanité…
Mon portable vient de couiner. Un sms vient d’arriver.
« J’ai vraiment aimé… tout… »
Oooohhh il est adorable ce Stéphane… voilà un petit message qui a le pouvoir de me secouer illico de ma torpeur et de repousser mes idées noires comme un coup de vent frais fait disparaître les nuages à l’horizon.
Car à travers ce tout petit message je sens toute son affection sur moi… c’est comme une caresse, une caresse électronique, certes, mais une caresse quand même… dans ce petit message je ressens toute sa bienveillance, sa douceur… et je me dis qu’au fond c’est peut-être moi qui me trompe sur moi-même… le fait qu’un mec si bien et si avisé s’intéresse à moi me laisse alors espérer qu’il pourrait avoir vu en moi quelque chose que je ne sais pas déceler…
Le fait est que lorsque je suis avec Stéphane, quand je sens la douceur de son regard sur moi, même à travers ce petit message, je me sens quelqu’un de meilleur… oui, j’ai l’impression que Stéphane arrive à sortir le meilleur de moi… alors que Celui-dont-on-ne-doit-plus… arrive à sortir le pire, les instincts les plus bas…
Peut-être que simplement que ma vie sentimentale et sexuelle n’a pas commencé avec la bonne personne… peut-être que si d’entrée j’avais rencontré Stéphane, mes envies et mes désirs seraient autres aujourd’hui… à partir du moment où Celui-dont-on-ne-doit-plus… s’est enfoncé en moi, je me suis à mon tour enfoncé dans une sexualité débridée… à partir du jour où j’ai compris que je n’aurais pas autre chose que son corps et sa queue, ce qui n’est déjà pas peu de choses lorsqu’on y pense… lorsque j’ai réalisé que je ne serai pas autre chose que son vide couilles, j’ai essayé de me contenter de ce rôle et d’aller de plus en plus loin dans le plaisir que j’étais capable de lui donner…
Certes, il n’en demeure pas moins que les fantasmes que j’ai vécus avec lui, ne sont pas sortis de nulle part, ils sont bien là, tapis au fond de moi… des fantasmes que son indicible sexytude et son attitude dominatrice n’ont fait que faire ressortir… oui, ces fantasmes sont bien là, dans mon esprit de jeune gay de 18 ans… et si bien, est ce que cela fait pour autant de moi quelqu’un de mauvais, de pervers ?
Le plaisir, encore plus de plaisir, toujours plus de plaisir… oui, à bien regarder, le plaisir est bien la seule façon que j’ai trouvée pour communiquer avec lui, la seule brèche pour atteindre le plus profond de son être, la seule manière de le marquer, pour qu’il se souvienne de moi…
Me faire sauter à la demande, lui rendre ma bouche et mon cul indispensables, le faire jouir encore encore et encore est la seule façon de partager quelque chose avec lui… la seule façon de le retenir…
Si j’étais tombé sur « un » Stéphane dès le départ, peut-être que l’amour et la tendresse auraient organisé autrement ma vie toute entière, et celle sexuelle par conséquent… oui, peut-être qu’avec un garçon avec qui on peut partager autre chose que du sexe, eh bien ce dernier prend une importance moins capitale…
Je ressens à nouveau un sentiment d’impuissance et de profonde injustice face à l’inéluctabilité de son départ… j’en suis sur, s’il restait, je pourrais vraiment tourner La Page… s’il restait, je pourrais en écrire une autre, très belle, avec lui… c’est un terrible gâchis… comment la vie est mal foutue…
Je veux le revoir coûte que coûte avant son départ… j’ai envie de lui, de son corps, de sa bouche, de son torse, de ses bras, de son sexe… j’ai envie de le câliner, j’ai envie de me faire câliner, j’ai envie de faire l’amour avec lui…
Je finis par me branler en pensant à l’amour avec Stéphane… je jouis dans mes draps avec bonheur, et je retombe dans les bras de Morphée, une petite mort si apaisante… un instant de répit supplémentaire, de bien être, de douceur avant de replonger dans le réel… pouvoir immense de la branlette que celui de nous faire voir la vie en rose juste après…
Lorsque j’émerge à nouveau, je relis le sms de Stéphane et je retrouve dans ce petit texte toute la complicité de la veille, l’impression d’être plus fort grâce à l'amour et à la tendresse que ce garçon m’a données, grâce au fait d'être enfin en accord avec moi-même… je retrouve en moi cette puissante certitude que, quoi qu’il arrive à l’avenir, je me sens déterminé à ne plus tout accepter par amour, fort de pouvoir désormais penser qu’il peut y avoir sur terre (et sur Toulouse) d'autres mecs que Celui-dont-on-ne-doit-plus… qui sauraient m’aimer d'une façon qui me correspond vraiment… je me sens encore et toujours très déterminé…
Seul petit bémol… qu’en sera-t-il de cette détermination lorsque Stéphane sera parti à mille bornes de Toulouse ? Ou, beaucoup plus près, qu’en sera-t-il de ma résolution lorsque je reverrai Celui-dont-on-ne-doit-plus… peut être tout à l’heure devant les grilles du lycée ?
Je regarde le radio-réveil… 10 heures… je réalise que dans tout juste une heure les résultats du bac vont être affichés au lycée… vais-je le revoir ? vais-je le revoir ? vais-je le revoir ? vais-je le revoir ?... cette question clignote dans mon esprit de façon obsessionnelle…
Mais de toute façon il faut y aller… je balance les couvertures, je me lève presque d’un bond, je passe à la douche, je m’habille, je descends pour le petit déjeuner.
Maman : « Il va bien Dimitri ? »
Moi, à dix mille bornes de là, carrément dans une autre dimension spatio-temporelle « Qui donc ? ».
Maman : « Dimitri… ».
« Ah oui, Dimitri… » je réalise à la fin.
Oui, Dimitri… il va bien, oui… enfin, je n’en sais rien… je l’ai croisé l’autre soir, mais j’étais tellement occupé à mater ce petit con de Celui-dont-on-ne-doit-plus… en train de draguer des nanas que je n’ai écouté un traître mot de ce qu’il racontait. Au fait, ça fait des années que je n’ai pas eu de ses nouvelles… Maman. Il faut que je te dise un truc. Tu sais… tu te souviens la fois que j’ai découché il y a quelques semaines ? Oui, la fois que je t’ai envoyé un sms au petit matin en te disant que je restais dormir cher Dimitri…
Non, maman, je n’étais pas chez lui… j’étais chez un autre gars que tu ne connais pas, un camarade de classe… oui, j’ai passé la nuit chez lui, mais je n’ai pas fait que dormir… non, car Celui-dont-on-ne-doit-plus… est un mec qui me rend dingue… son corps, son attitude de mec, son parfum, son tatouage, son grain de beauté dans le cou, ses oreilles, son torse en V, sa chaînette de mec, ses t-shirts moulants, le mystère de sa personne, son regard ténébreux et excessivement brun… et bien d’autres choses dont je ne te parlerai pas… tout me rend dingue chez lui… ce soir là j’ai couché avec ce mec, et ce n’était pas la première fois, ni d’ailleurs la dernière… ça fait des mois que je couche avec lui… oui, maman, tu as bien compris, j’aime les garçons… les filles me laissent de marbre mais alors, les garçons… ce sont eux qui me font vibrer au plus profond, ce sont eux qui me font tourner la tête dans la rue, tant au sens propre comme au sens figuré… pour moi les garçons c’est une évidence, depuis toujours… et surtout CE garçon là…
Oui, j’aime les mecs… je ne l’ai pas choisi, mais c’est venu à moi comme mon goût pour les pâtes au pesto, la glace fraise/chocolat, le jus d’orange… alors que pour moi les filles.. c’est plutôt les choux de Bruxelles… tu te souviens quand, lorsque j’étais petit, tu n’a jamais réussi à me les faire avaler ?
je n’y suis pour rien, tu n’y es pour rien… tout m’attire vers les beaux garçons, c’est une force à laquelle je ne peux pas m’opposer, c’est comme l’attirance d’un aimant… c’est une force qui me fait tourner la tête et remuer partout à l’intérieur, qui fait un feu d’artifice dans ma tête lorsque je croise un gars qui me plait… avant d’être ma maman tu es une femme et si tu le voyais, ce beau Celui-dont-on-ne-doit-plus…, tu comprendrais, j’en suis sur… il est beau et sexy au delà de ce que les mots peuvent exprimer…
Oui, je suis sur que tu comprendrais pourquoi je l’ai à ce point dans la peau … et depuis que je suis à lui, je lui ai laissé faire de moi tout ce qu’il voulait… il lui suffisait de claquer des doigts pour me faire rappliquer illico… d’ailleurs, il n’avait même pas besoin de claquer des doigts, c’est moi qui lui tournoyait autour comme une abeille autour de la plus belle fleur du pré… je ne sais pas si un jour dans ta vie t’as ressenti ça pour un gars, maman, cette envie déchirante de voir un garçon, d’être avec lui, de le toucher, de… tu comprends ce que je veux dire…
Moi, si, maman, j’ai ressenti tout cela… j’avais envie de tout avec ce mec… mais pas que de son corps… hélas c’est tout ce qu’il était disposé à me donner…
Hélas, même les plus belles choses ont leur revers de la médaille… je suis un jeune garçon qui ne connaît rien à la vie, mais s’il y a une chose que j’ai cru comprendre c’est qu’il ne suffit pas d’être beau pour rendre heureux quelqu’un, il faut aussi être un bon gars… et celui là il ne l’est pas, du moins il ne l’est pas avec moi, il ne l’est pas pour moi… il parait qu’il a eu une enfance difficile, il parait que dans sa vie tout n’est pas si charmant comme on pourrait s’imaginer lorsqu’on voit ce genre d’apollon à qui tout semble réussir, mais peu importe… ce gars ne sait pas m’aimer et il ne le saura jamais… j’ai envie de câlins, de beaucoup de câlins, toujours des câlins… oui, maman, des câlins… sans vouloir te vexer, je pense que tu as arrêté trop tôt de m’en faire…
Oui, je cherche des câlins… car le fait d’être homo ça ne se résume pas à rechercher du sexe à tout va… il y a ça aussi, bien sur, et c’est super important… mais pas que… je cherche un gars avec qui partager plus qu’un lit, un gars avec qui parler, avec qui faire un petit bout de chemin ensemble…
Heureusement, le destin a parfois des ressources bien supérieures aux nôtres… un jour je me suis endormi sur une pelouse et je me suis fait réveiller par un labranoir… le labranoir était accompagné par un Stéphagnon… un mec mignon prénommé Stéphane… il m’a proposé une bière chez lui, il m’a offert les câlins que je cherchais et que je commençais à désespérer de pouvoir trouver un jour… à force de me voir refuser la tendresse qui me manquait tant, j’avais même commencé à penser que je n’étais pas normal, que j’avais un grain… mais non, avec Stéphane j’ai découvert qu’on peut être bien dans les bras d’un gars…
Mais ça n’a pas suffi pour me faire oublier le premier gars… alors samedi soir j’ai été à sa rencontre et je lui ai dit à quel point j’avais envie de lui… il a écouté ce que j’avais à lui dire, il s’est foutu de moi et il m’a jeté comme une merde… c’est là que j’ai croisé Dimitri pour de vrai… mais c’était comme s’il était transparent, tellement mon attention était accaparée par Celui-dont-on-ne-doit-plus… en train de me faire du mal…
Ca a été une soirée très dure pour moi, car en l’espace d’une heure à peine, le mec que j’aime par-dessus tout m’a mis plus bas que terre, un ami m’a trahi, et j’ai eu peur de me faire cogner à cause de ce que je suis… autant te dire que cette nuit en rentrant, j’était mal, très mal, j’étais déçu comme jamais de ma vie… heureusement, Elodie était avec moi…
Et hier matin, après ma nuit agité, j’ai repensé à ce gars rencontré sur la pelouse à St Etienne qui m’avait laissé entrevoir tout un univers de tendresse et de bonheur lors de notre première rencontre… ou plutôt c’est lui qui a repensé à moi… j’ai été chez lui, hier après midi…
Et si je t’ai dit que j’allais chez Dimitri, c’est pour ne pas que tu saches que je suis pd, c’est pour ne pas te faire de la peine… tu sais, maman, ce gars m’a fait des câlins si doux que j’en ai même pleuré… est ce que un gars t’a fait cet effet un jour ? Ensuite on s’est baladés au Jardin des Fleurs avec son labranoir… lorsqu’on est rentré à l’apart de la Halle aux Grains, j’ai connu l’amour, la tendresse, je me suis senti bien dans les bras d’un mec… non, maman, hier je n’ai pas été chez Dimitri, mais chez Stéphane… et je crois que c’est la meilleure chose que j’ai faite, la meilleure chose qui me soit arrivée depuis très longtemps…
Le seul problème c’est qu’il va partir loin, que je ne sais pas si je vais le revoir avant son départ et que je vais être malheureux comme les pierres lorsqu’il ne sera plus là…
Voilà ce que j’avais envie de te dire, maman…
Mais ce n’est pas aujourd’hui que je vais le faire, car le temps presse et le courage manque… alors, je me contenterai de résumer l’essentiel des événements qui résument ma vie à ce moment, en omettant tout juste quelques détails insignifiants…
Moi : « Ah oui… il va bien… il est impatient de savoir pour son bac… ».
Maman : « Il ne doit pas être trop inquiet… si ? ».
« Nooooon… tout roule pour lui… » je m’avance « faut que j’y aille, maintenant… » je dévie.
« Tu rentres manger ? »
« Oui, maman… ».
Je suis dans la rue dans ce magnifique matin de début juillet, il fait beau, il ne fait pas encore chaud et je ressens en moi cette douce sensation d’être en vacances… le bac est fini, l’été est là… et qu’est ce que c’est beau Toulouse lorsque le soleil est là, lorsque les grandes vacances approchent… ses façades en briques, ses rues, ses espaces verts, tout est accueillant, agréable à vivre, les gens semblent de bonne humeur, on entend rigoler dans la rue… c’est une ambiance qui met de bonne humeur… qui donne le sourire et qui fait qu’on finit par se dire que, oui, finalement, la vie est belle…
Oui, quand on a 18 ans et que l’on a deux mois de vacances devant soi, le sourire est forcement là… deux mois avant la rentrée, deux mois sans réveil ou presque… deux mois… à moi !
Déjà, les « tic tac » du compte à rebours pour le concert de Madonna à Londres sont de plus en plus bruyants dans ma tête… j’ai vraiment hâte d’y être…
Ensuite, dès la mi juillet je vais intégrer un stage de formation accélérée pour le permis sur 15 jours… je veux l’avoir du premier coup, car il me faut un moyen de locomotion pour profiter ce cet été… une fois le permis en poche, j’irai choisir une petite voiture qui rentre dans un budget compatible avec la petite cagnotte que j’ai mis de coté en bossant les deux étés précédents… il faut juste que je pense à en garder un peu pour équiper ma chambre à Bordeaux…
Début août, Elodie va être à nouveau en vacances pendant deux semaines et on a déjà parlé de partir quelques jours, on ne sait pas encore ou, Gruissan ou ailleurs…
Deuxième quinzaine d’août il faudra préparer la rentrée, m’occuper du logement à Bordeaux, emménager…
Voilà le programme agréablement chargé de l’été de mes 18 ans…
Je mesure la chance d’avoir des parents qui me paient non seulement des études, mais également le permis et qui me permettent de vivre pleinement l’été plein de mes 18 ans… merci papa, merci maman… c’est très important pour moi… je ne vous décevrai pas à la fac, vous pouvez y compter… je vous décevrai peut-être un jour, mais ce ne sera pas à cause de mes études…
Oui, l’été est devant moi et c’est un été plein de promesses qui se profile… j’ai envie de profiter de la vie… oublier d’abord Celui-dont-on-ne-doit-plus-jamais-jamais-jamais-prononcer-le-nom… arrêter de me faire du mal… j’aimerais tellement revoir Stéphane, mais je sais que ça va être un casse-tête…
Alors, c’est décidé, cet été sera sensuel… merde à la fin… c’est l’été de mes 18 ans, je suis majeur et il faut que je m’éclate maintenant… la chaleur montante du soleil, la brise qui caresse ma peau éveillent mes sens… et puis… les garçons, tous ces garçons que je vois passer à coté de moi, ceux que je croise dans la rue, un regard, un brushing de mec, un biceps qui dépasse d’une manchette de t-shirt, une traînée de deo, une barbe de trois jours, une attitude virile, un démarche assurée, tous ces mecs dont la beauté et la sensualité happent mon regard, toutes ces vies de mâles que je voudrais connaître et qui me seront à jamais inconnues… voilà de quoi éveiller mes sens, plus qu’il n’en faudrait…
Tous ces mecs que je croise dans la rue et qui disparaissent aussitôt marquant mon esprit d’un petit sentiment, passager mais intense, de frustration, me font penser à une chanson de Brassens, dont mon esprit aurait (in)consciemment adapté certains mots…
Je veux dédier ce texte/A tous les hommes qu'on aime/Pendant quelques instants secrets/A ceux qu'on connaît à peine/Qu'un destin différent entraîne/Et qu'on ne retrouve jamais
A celui qu'on voit apparaître/Une seconde à sa fenêtre/Et qui, preste, disparaît /Mais dont la svelte silhouette/Est si gracieuse et belle/Qu'on en demeure épanouiChères images aperçues/Espérances d'un jour déçues/Vous serez dans l'oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne/Il est rare qu'on se souvienne/Des épisodes du chemin
C’est beau de croiser des beaux passants dans la rue… et certains de ces passants, j’ai une sacrée envie de les retenir… certes, je ne sais pas comment faire… je suis trop timide et j’ai la trouille de me faire démonter la tronche… mais ça me démange sacrement de voir un beau mec à poil, de le faire jouir… j’ai envie de jouir et de faire jouir… j’ai envie de tout… le fait est que j’ai 18 ans, les hormones à fleur de peau, et faute d’avoir un véritable histoire stable avec un garçon, j’ai envie de sexe, terriblement envie de sexe…De toute façon je vais partir de Toulouse, et je me dis que pendant le temps qu’il me reste à passer dans ma vie natale, je ne vais pas chercher à rencontrer LE mec…
Et maintenant que je sais que je peux jouir comme un mec… je ne veux plus souffrir, être la pute d’un mec comme Celui-dont-on-ne-doit-plus… j’ai envie aussi que l’on s’occupe de moi… c’est l’été… on drague… je vais me faire sucer et je vais jouir dans la bouche d’un autre mec… j’ai trop aimé ça, j’ai trop envie de recommencer…
C’est effarant le pouvoir de la beauté masculine de me faire oublier tous mes soucis… depuis que je marche dans la rue, c’est leur présence, un ensemble de regards croisés l’espace d’un instant, de corps et de visages dont la sublime beauté m’a pris aux tripes pendant une fraction de secondes avant de disparaître à tout jamais, voilà qui tient mon esprit comme en suspension au dessus de la réalité… au point que je ne me suis même pas aperçu que je suis arrivé devant le lycée…
Bah, tiens, le voilà le lycée… et voilà le troupeau impatient des bacheliers s’agglutinant autour des tableaux d’affichage qui viennent d’être garnis…
Ah, qu’est-ce que c’est beau l’été… c’est la réflexion que je me fais en matant tout ces jeunes mecs que mon regard sélectif détache très rapidement de la masse informe, ces jeunes mecs en t-shirt, des blancs, des gris, de toutes les couleurs, des bras, parfois même des épaules dénudées, des jambes musclées et légèrement poilues sortant des shorts, des corps bien chauds et pleins de testostérone, des corps que le soleil et la brise et l’air des vacances doivent faire frémir autant que le mien… des jeunes mecs avec plein d’envies à satisfaire, des mecs qui ont autant envie de jouir que moi…
Des jeunes gens avec toute leur vie devant eux, avec tout à découvrir, tout à expérimenter, pleins d’espoirs infinis car la vie ne leur a montré jusqu’à là que le meilleur, des jeunes gens qu’en l’espace de quelques mois vont avoir leur bac, le permis, la voiture, l’amour, le sexe, quitter le toit familial, partir faire des études, trouver un travail, passer de l’enfance à l’âge adulte… c’est une période où tout change autour de nous, ou tout est possible, où il y a tellement de choix à faire, des choix qui en partie vont conditionner toute notre vie… c’est la plus belle période de la vie mais c’est aussi peut-être la plus difficile…
Oui, qu’est-ce que c’est beau l’été… et par-dessus tout, qu’est que c’est beau que la jeunesse masculine, beau et éphémère, beau car éphémère, c’est une émotion intense capable de me pousser jusqu’aux larmes…
Mon regard sélectif est passé en mode scanner Nico-gay haute définition… je googolise l’espace avec le moteur de recherche de mes yeux pour retrouver SA silhouette… mais j’ai beau balayer de droite à gauche et de droite à gauche, l’image de Celui-dont-on-ne-doit-plus… ne se numérise pas sur ma rétine… zut, alors… il n’est pas là… déception aigue et soulagement immédiat… car au fond de moi je crève d’envie de le revoir ce petit con, mais le fait qu’il ne soit pas là me permet d’avancer le cœur léger vers le tableau d’affichage…
J’avance, je regarde mieux… une plastique magnifique se détache de la foule… merde, il est là… il est de dos… t-shirt gris magnifiquement ajusté, short bleu… baskets blanches… casquette noire portée à l’envers… chaînette de mec qui dépasse… une fois de plus, record battu dans la discipline « plus petit con tu meurs »… aaaaaahhhhhh, je commence à transpirer à grandes gouttes… le cœur bondit dans ma poitrine tellement il tape fort… je vais faire quoi ? faire semblant de ne pas l’avoir vu ? l’ignorer ?
J’avance encore, il tourne un peu le visage, je le regarde et… putain… mais non, ce n’est pas lui… c’est un autre mec, un autre beau brun, il était dans une autre classe et il m’avait tapé dans l’œil au même temps que Celui-dont-on-ne-doit-plus…, mais pas autant que Celui-dont-on-ne-doit-plus…
Nouvelle déception aigue et nouvel soulagement immédiat… j’approche désormais sereinement des tableaux d’affichage… je n’ai pas trop de doutes quant à mon bac, à vrai dire c’est plutôt le sien qui m’inquiète… à vrai dire, je ne sais pas bien pourquoi je m’en inquiète… s’il ne l’a pas c’est sa merde, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même, il n’a pas voulu bosser de l’année, ni même lors de nos révisions, toujours préférant écarter des cuisses plutôt que les pages des bouquins… alors c’est son problème… pas le mien… et puis on n’est rien l’un pour l’autre, je ne suis rien pour lui, il n’est rien pour moi… alors quel sens ça a de m’inquiéter pour lui ? Pourtant…
Pourtant je ne peux m’empêcher de me demander ce que je vais ressentir si jamais il ne l’a pas… et de chercher d’abord son nom que le mien dans le tableau d’affichage… T…. T… T, voilà… Jérémie T…. oh que sa sonne bien ce prénom avec son nom de famille… celui qui est désormais pour moi Celui-dont-on-ne-doit-plus… « Admis ». Voilà le mot magique. « Admis ». Ouf, je suis soulagé. Tout va vien.
Nicolas S. « Admis ». Je parcours tout le tableau de notre classe. C’est une unanimité d’«Admis ».
Heureux et soulagé que tout se soit bien passé malgré la « légèreté » de nos révisions, soulagé et heureux de ne pas l’avoir croisé devant les grilles du lycée, je suis calme, je suis bien. Quand je ne le vois pas, je suis calme, je suis bien, je pense que je pourrais même l’oublier…
Je discute un peu avec les camarades, c’est l’euphorie générale, il n’y personne de laissé pour compte, alors le mot « soirée pour fêter ça » commence à circuler de lèvres en lèvres. Les mots « Bodega » et « Esmé » commencent à résonner en écho autour de moi… ouais… c’est une bonne idée… ouais… ouais… c’est peut être la seule et unique fois ou l’on sera tous réunis… ouais… ouais… ouais…
Ouais, mais… non… pas pour moi en tout cas… franchement je n’ai pas envie d’une nouvelle soirée bac… et surtout je n’ai pas envie de revoir Celui-dont-on-ne-doit-plus… si je veux l’oublier, j’ai besoin de ne plus le voir… dès que je croise son regard, son pouvoir sur moi est total… alors cette soirée, à vrai dire je m’en passerais bien…
Je repars du lycée en espérant qu’ils vont m’oublier… en marchant vers la maison, j’envoie un sms à Elodie pour lui donner la bonne nouvelle.
Maman est ravie, elle me félicite, je ne l’ai pas déçue cette fois-ci, pas encore… attends maman, ça va arriver…
Je ressors me balader en ville, je me demande comment je vais passer ma semaine, mon week-end suivant, et les quelques jours qui me séparent de Londres… je n’ai pas fait cent mètres en direction du pont que le portable beepe… un sms vient d’arriver.
Lui : « Alors le bac ? ». C’est Stéphane. Il est trop mignon.
Moi : « Tout s’est bien passé »
Lui : « Trop cool, félicitations mon grand… »
Moi, direct : « J’ai envie de te revoir… »
Lui : « Moi aussi, mais compliqué, ma mère est là… »
Moi : « Même un verre pas possible ? »
Lui : « Mon loulou… si je pouvais… »
Moi : « T’es pas marrant… lol »
Lui : « Lol »
Je décide de lâcher l’affaire pour ne pas paraître rélou. Pourtant j’ai excessivement envie de le voir. Il me manque. Je sens que j’ai besoin de sentir encore son amour pour que ma mutation intérieure prenne de l’assurance et soit durable… il m’a montré un chemin, il m’a montré que je peux le parcourir… mais j’ai besoin d’être accompagné par la main encore un peu… j’ai envie de faire l’amour avec lui, j’ai envie d’être dans ses bras… il est encore si près et pourtant déjà si loin, si inaccessible… c’est injuste…
Par dépit, je décide de faire ce qu’un fait d’habitude lorsqu’on ne sait pas quoi faire… aller faire un tour à la Fnac Wilson… je fais la visite détaillée de tous les niveaux et je trouve enfin le dvd que je cherchais, « Un couple presque parfait ». Un sublime navet, mais sublimé par la présence de sa majesté. Il n’y a que sa présence et les chansons American Pie et Time stood still qui sont à sauver de la cata… comme l’a dit ma cousine il y a un an, lorsqu’on a été voir le film en salle « on voit trop qu’elle joue mal »… eh, oui, ce n’est pas au cinéma que Madonna s’illustre le mieux… exception faite pour ce petit chef d’œuvre qu’est Evita…
Je rentre chez moi, je passe le dvd. J’adore la voir à l’écran, même si elle joue mal. Sa présence, son être tout entier… et sa voix avant tout, qui n’est pas la voix de la Callas, certes, possède pourtant le pouvoir immense de m’apaiser et de m’apporter du bonheur. C’est pour cela que, après la fin du navet, je ressens le besoin de passer Evita… et là c’est l’extase…
Madonna est ma meilleure copine virtuelle. Chaque fois que quelque chose de marquant se produit dans ma vie, on dirait qu’elle s’arrange pour le marquer avec un nouveau titre, un nouveau clip, un concert, un film… on l’a souvent dite « finie » et elle est toujours revenue… elle ne m’a jamais laissé tomber…
Evita se termine et je commence à me dire que je ne sais pas ce que je vais faire de ma soirée. Franchement, je n’ai pas envie de passer la soirée du jour où j’ai eu mon bac collé devant la télé… mais quoi faire ? Stéphane, pas de nouvelles…. Elodie m’a félicité pour ma réussite, mais à ma proposition de sortir ce soir, elle m’a répondu de façon laconique « Désolé, cousine HS ». Pas de nouvelles non plus de Celui-dont-on-ne-doit-plus…, j’en ai pas cherché non plus…
Oui, la soirée est calme et agréable, rien ne semble pouvoir la gâcher, à part un léger ennui… et c’est là que je commets l’irréparable. J’envoie un sms à Celui-dont-on-ne-doit-plus… « Félicitations pour ton bac ». Oui, l’ennui est un danger pernicieux. Lorsqu’on s’ennuie on finit par faire n’importe quoi. Et lorsqu’on fait n’importe quoi, souvent c’est anti-productif. C’est pour cela qu’il est important de s’occuper et de ne pas flirter avec cette mauvaise bête… comment trouver une quelconque cohérence entre l’envoi de cet sms avec le propos bien clair dans ma tête ce matin « j’ai envie de profiter de la vie… oublier d’abord Celui-dont-on-ne-doit-plus-jamais-jamais-jamais-prononcer-le-nom… arrêter de me faire du mal… », si ce n’est tenter de mettre cela sur le dos de l’ennui ?
A l’instant ou je confirme l’envoi, je regrette de l’avoir fait… je tente de le bloquer, mais c’est trop tard… c’est parti… c’est con… avant je redoutais son silence, maintenant je redoute sa réponse… je redoute le fait qu’il me réponde froidement, je redoute encore plus le fait qu’il cherche à m’attirer chez lui pour se vider les couilles une fois de plus, mais je redoute par-dessus tout son silence… et c’est évidemment ce tarif là qu’il me faudra payer ce soir là… non, finalement, les sms ce n’est pas une invention si géniale que ça…
Un peu plus tard dans la soirée, les sms commencent à pleuvoir pour organiser la fameuse soirée du bac… Bodega… Esmé… ils me saoulent… on en a déjà faite une avant, il n’y a pas besoin d’en refaire une autre… ils ont qu’à se l’organiser cette putain de soirée, ma décision est prise, je ne vais pas y aller. Je trouverai une excuse…
Une nouvelle dose de Madonna à pleine puissance dans mon casque m’aidera à faire passer cette soirée, une bonne branlette m’aidera à trouver le sommeil et à le garder pour rattraper le retard de la veille.
Le mardi matin je me lève en pleine forme et je me rends à l’auto-école pour prendre rendez-vous pour les cours de conduite… ça a été une bonne idée de passer le code pendant les vacances de février… je ne me vois pas réviser le code dans cette chaleur et dans cette ambiance de vacances qui plane sur la vielle…
Je suis reçu par une nana qui m’explique en détail comment tout cela va se passer.
« Votre moniteur pour les cours de conduite… ce sera… ce sera… ah oui… ce sera Martin… ».
« D’accord » je commente.
« Martin ! Martin ! » j’entends la nana appeler en tournant le visage ver la porte de la salle à côté.
Et là, un instant plus tard, un mec apparaît dans l’embrasure de la porte…
Aaaahhh… c’est lui mon moniteur… dès l’instant où je vois Martin, je sais déjà que réussir mon examen pratique ne sera pas une mince affaire… comment réussir un stage intensif, faute de pouvoir me concentrer ? Car Martin est le genre de garçon qui attire le regard, comme un rideau blanc la lumière du soleil…
« Bonjour ! » il me lance en me serrant la main.
« Bonjour… » j’arrive tout juste à lui répondre.
Martin est un mec genre la trentaine, très class. Un beau jean, une ceinture noire épaisse, une chemise blanche toute simple mais très bien coupée… une belle montre bien lourde de mec… de beaux cheveux châtains en bataille… les yeux marron foncés, le regard très intense, charmeur… un beau spécimen… sa poignée de main est ferme mais à la fois douce, comme une caresse… son parfum est captieux, captivant…
C’est qui ce bogoss ? Ça va être une torture de le côtoyer… de me retrouver seul dans la voiture de conduite avec lui… il a quel âge au juste ? il habite où ? est-ce qu’il a une copine ? est-ce qu’il la baise tous les soirs ? se branle-t-il ? le matin ? le soir ? dans les chiottes de l’auto-école ? a-t-il déjà couché avec des élèves ? je parie que oui, c’est sûr, il est charmant à un point que les nénettes doivent toutes être folles de lui… est-ce qu’il fait du sport ? combien de temps reste-t-il sous la douche ?
Ok, bon, admettons, le gars a légèrement attiré mon attention… mais enfin, c’est pas comme si je me posais mille et une questions sur sa vie… c’est pas comme si je fantasmais sur sa vie… mais à quel age a-t-il couché pour la première fois ? est-ce qu’il a déjà couché avec un garçon ? en aurait-t-il envie ? dans quel « rôle » ? qu’est-ce qu’il aimerait ?
Oui, Martin m’a carrément laissé de marbre… il faut dire que quand je repense à ce mec aujourd’hui, c’est la silhouette classe, virile et élégante d’un Jamie Dornan qui me vient à l’esprit… exactement le genre de mec qui me laisse… avec les jambes en coton…
Je sors des locaux de l’auto-école tout guilleret… c’est l’effet « bogoss inconnu » sur mon esprit… à chaque fois que je croise un bogoss, j’ai l’impression que mes poumons s’ouvrent et qu’un air nouveau s’y insuffle… j’ai l’impression d’être ivre de la beauté et du charme de ce bogoss, une drogue puissante pour mon esprit, une drogue qui me fait planer, flotteur sur un bonheur éphémère mais intense…
Je glandouille le reste de la journée, je me sens apaisé, fringuant… ce Martin m’a mis de bonne humeur, et l’idée de le retrouver me chatouille bien l’esprit… je sais qu’il ne se passera rien avec lui, que je vais passer deux semaines à baver dans mon coin en matant ce bogoss hétéro… mais je ne peux m’empêcher de ressentir une petite impatience à l’idée de le retrouver…
Oui, la journée a bien commencé, et elle continue sur la même lancée… depuis dix heures, j’ai reçu plusieurs messages de Stéphane me racontant comment ses journées sont chargées entre le travail, les cartons, sa mère dans les pattes… à travers ces quelques échanges, je sens sa présence bienveillante, ses mots comme des caresses, et je me sens fort et déterminé à avancer… il est trop bien ce Stéphane…
Un de ses messages en particulier me rendra vraiment heureux :« Marre du taf… envie de tout lâcher et venir te voir ».
Moi : « Lâche alors… »
Lui : « Peux pas L »
Moi : « LLLLLLLLLLLL »
Il ne lâchera pas. Je commence à me dire qu’on ne va pas y arriver. Que je vais passer toute la semaine seul à glandouiller… Elodie a repris le travail et sans elle je n’ai pas le courage de bouger… si elle avait été disponible, on serait retourné passer quelque jours à Gruissan, mais même si elle m’a dit qu’il n’y aurait aucun problème pour me filer les clefs, je n’ai pas le cœur à y aller sans elle… prendre le train, me retrouver seul dans l’apart, aller seul à la plage… remarque, ce serait une occasion en or pour commencer à vivre mon été « sensuel »… mais je n’ose pas, je sais que sans Elodie pour me faire rire, je vais redevenir le garçon très timide que je suis et les occasions que j’ai quand je suis avec elle, ne vont pas se présenter à moi tout seul… tiens… et si je demandais à Martin de m’accompagner ? On peut toujours rêver…
Blagues à part, il y a aussi une autre raison qui me pousse à rester sur Toulouse… c’est l’espoir de revoir Stéphane avant son départ… je sais que les chances sont très faibles, presque inexistantes, mais si jamais l’occasion devait se présenter à l’improviste, je m’en voudrais vraiment de la rater…
Alors, en attendant, j’essaie de tuer le temps, en attendant de partir pour Londres… je me balade, je retourne au Jardin des Plantes. Je marche sur le Canal. Je me dis que j’ai envie de reprendre la course à pied. J’ai tellement de temps à moi que je trouve même le temps de ranger ma chambre (ça c’est un exploit), de ranger mes cours, mes bouquins qui ne serviront plus.
Je me sens calme. Un jour de plus sans croiser Celui-dont-on-ne-doit-plus… je n’ai même pas trop pensé à lui de la journée, presque pas…
Mercredi arrive, je fais la grasse mat. Un sms de Stéphane me souhaitant « Bonjour petit mec » me fait bien commencer la journée. L’après-midi je vais courir sur le canal.
Marcher assez loin, côtoyer les péniches stationnées sur les bords ; quitter peu à peu la ville est ses immeubles, aller vers un paysage de moins en moins urbain, sentir l’appel de la campagne.
D’autres sms de Stéphane me donnent la banane. Je croise un mec avec un labranoir. Le labra est mignon tout plein, le mec n’est pas mal non plus. Mais le labra n’est pas Gabin et le mec n’est pas Stéphane. Dommage. J’ai vraiment super envie de le voir. Hier soir encore je me suis caressé et j’ai joui en pensant à nos gros câlins du dimanche… hier soir encore je me suis endormi en m’enroulant tout serré dans ma couette en imaginant l’éteinte de se ses bras… et hier soir encore je me suis repassé le dvd d’Aladdin tout seul dans ma chambre…
Je crois que je suis en train de tomber amoureux de ce gars… je l’ai tout le temps dans la tête, des images ce dimanche après-midi font sans cesse surface dans mon esprit comme des feux d’artifice… et à chaque fois que je reçois un sms venant de lui, drôle, gentil et toujours affectueux, ça me met de bonne humeur, ça me fait sentir bien, mes poumons ont envie de respirer profondément, je sens une énergie nouvelle parcourir mon corps, j’ai l’impression de renaître… et c’est si agréable…
Mais ce qui est agréable par-dessus tout en cette fin d’après-midi, c’est de recevoir un sms de la part de Stéphane me proposant d’aller prendre un verre ensemble le soir même… c’est adorable comme proposition, mais au même temps c’est nul… on ne pourra même pas se câliner… je sais que l’on a pas le choix, chez lui on ne peut pas, chez moi encore moins… je suis à deux doigts de lui proposer un plan hôtel mais ça me parait trop glauque… je me dis que s’il en avait envie, il me le proposerait lui-même…
Il faudra se contenter d’un verre ensemble… hélas, même ce verre ne sera pas… un empêchement de dernière minute le retiendra tard au bureau et un sms annulera ce rendez-vous… je sais qu’il a envie de me voir mais que ce sont les événements qui le retiennent, j’imagine bien que la veille d’un déménagement, surtout en travaillant jusqu’à presque le dernier jour, ça ne doit pas être une période de tout repos…
Je ne lui en veux pas, mais je ne peux pas m’empêcher d’être déçu, très déçu… d’avoir du mal à trouver le sommeil, d’essayer de m’étourdir avec des branlettes qui n’arrivent même pas à me détendre… je suis déçu de ne pas pouvoir le retrouver, ne serait-ce que pour un petit moment, devant un verre… juste le voir aurait suffi… le voir, échanger quelques mots, quelques regards, une accolade, un petit bisou discret dans un coin de rue, vraiment ça m’aurait fait du bien… comme une piqûre de rappel de ce dimanche magique… et ça m’aurait peut être aidé à… tenir bon… car… je le sais, je le sens sur ma peau, dans mon ventre, au plus profond de moi… poussé par le vent je brûle et je m'enrhume (…) je je, suis si fragile, qu'on me tienne la main…
Oui, je suis déçu de ne pas le voir ce soir-là, mais je suis surtout déçu et triste car je comprends rapidement que les jours passent, que je n’arriverai pas à le retrouver avant son départ… oui, je suis déçu, mais je suis surtout déçu de moi-même… de ma faiblesse que je sens venir de loin, lentement mais assurément, une faiblesse qui va me rattraper quoique je fasse et qui va faire le jeu de Celui-dont-on-ne-doit-plus… ma faiblesse est son pouvoir… mon amour, sa baguette de sureau… j’avais cru, avec le sort de Protego jeté sur moi par le sorcier Stéphane dimanche dernier, de m’être définitivement soustrait au pouvoir de Celui-dont-on-ne-doit-plus… mais qu’est donc un charmant sort de Protego, face à celui de l’Imperium, ce sort que Celui-dont-on-ne-doit-plus… m’a jeté depuis de longs mois… ce sort qui est cousin très proche d’un autre, bien connu, le Doloris…
Je suis déçu et triste car je sens que dans mon cœur tout commence à remuer… la pureté, la puissance des sentiments, les promesses de dimanche soir, ma détermination à tourner la page, mon sentiment d’être comble par l’amour de Stéphane, sont en train de se dissiper petit à petit dans mon cœur à l’approche de la soirée « bac »… Stéphane me manque toujours, mais ce qui me fait le plus mal c’est que je me sens dériver loin de lui sans avoir le pouvoir de l’empêcher…
J’essaie de me battre, de retrouver le sentiment de dimanche soir, mon assurance, ma sérénité… mais j’ai beau me battre et me débattre, je ne peux rien y faire… les heures passent inexorablement et inexorablement mes sentiments pour Celui-dont-on-ne-doit-plus… refont surface…
Et cette petite contrariété, ce rendez-vous annulé, joue dans mon cœur le rôle de déclencheur, d’étincelle qui va mettre le feu aux poudres… c’est con, mais cette petite contrariété suffira pour que mes démons trouvent la force de refaire violemment surface dans mon esprit… et une fois qu’ils ont refait surface, je n’ai pas le pouvoir de les repousser…
Oui, je recommence à repenser à Celui-dont-on-ne-doit-plus… en réalité, je n’ai jamais cessé d’y penser… mais pendant quelques jours, il me semblait loin, et en train de s’éloigner progressivement, de s’effacer de mon esprit… les échanges de sms avec Stéphane me gardaient à l’abri comme dans une bulle, et si cette relation avait continué assez longtemps, peut être que j’aurais été guéri… je suis comme un malade à qui on aurait commencé à donner un traitement efficace pour sa pathologie mais à qui on l’aurait arrêté beaucoup trop tôt… la maladie reprend le dessus, et il n’y a plus rien à faire…
Quand on a quelqu’un dans la peau comme moi j’ai Celui-dont-on-ne-doit-plus…, on n’en guérit pas d’un claquement de doigts… il faut un long suivi, une longue convalescence, une rééducation émotionnelle et sentimentale… je suis privé de cela par le départ de mon beau docteur Stéphane… je suis donc à ce point malade ???
Dans un dernier sursaut de survie, je me dis que j’ai absolument besoin de le revoir, car le revoir c’est retrouver la belle énergie, l’élan de dimanche soir… j’ai envie d’aller sonner à sa porte le lendemain, lui faire la surprise… même s’il y a sa mère, je peux bien passer pour un pote qui s’arrête dire bonjour… j’ai besoin de renouveler le sortilège de Protego, alors qu’au fond de moi je sais déjà que même un Protego Horribilis ne suffirait pas… car je sens se produire en moi quelque chose d’inattendu, inattendu mais pas trop quand même… un inéluctable sortilège de métamorphose est en train de s’opérer… je suis au bout de mes forces, mais j’emploie toute mon énergie pour m’y opposer… hélas, il y a bien un moment où mon énergie ne suffit plus, où ma volonté désarmé s’incline devant un mouvement qui me dépasse, devant une force qui me déborde… lorsque dans mon esprit, Celui-dont-on-ne-doit-plus… redevient soudainement Jérém…
Plus tard dans la semaine…
« C’était qui ce mec de tout à l’heure? » me balance-t-il de but en blanc.
« Je sais pas… je ne le connais pas, c’est la première fois que je le vois… ».
« Il te voulait quoi? ».
Ses questions m’agacent, franchement. Il faut avouer que j’ai un peu bu et que de ce fait mon agacement est exacerbé. Il me saoule à un point que j’ai envie de le frapper. C’est viscéral. Quand je pense à samedi dernier, à son départ avec les deux pouffes et avec Thibault… alors que là il est en train de me faire la morale… là, franchement, je perds les pédales… je ne vais pas le frapper physiquement, mais me servir des mots… ça sort tout seul, comme une petite bombe…
« Coucher avec moi, je pense… en plus il était à mon goût… il a fallu que tu viennes t’en mêler…».
Un coup de bluff, certes, car il faut bien l’admettre, ça m’a fait drôlement plaisir voir débarquer Jérém en mode macho jouer de ses gros bras pour me casser un plan auquel je ne tenais que très moyennement. Un premier coup bien visé, qui atteint sa cible en plein cœur. Sa main frémit… un léger mouvement de son regard et une inspiration par le nez, profonde et nerveuse, me font comprendre que le beau brun accuse le coup…
« Tu vas pas baiser avec un bouffon pareil… » me lance-t-il avec mépris… voilà sa riposte : le mépris…
« Pourquoi? Il n'était pas mal… même pas mal du tout… » je repars à l’attaque, culotté.
« C’est pas un mec pour toi… » gronde-t-il… du mépris à la colère, sa contre-attaque monte en puissance…
« Ah bon… » fais-je sur un ton ouvertement provocateur face à son culot « et maintenant tu sais quels mecs sont bons pour moi ou ceux qui ne le sont pas… le mec de la dernière fois à l’Esmé ce n’était pas un mec pour moi… celui de ce soir non plus… et… »
« T'as pas a faire ta chaudasse avec tous les mecs… » il m’engueule violemment en levant le ton et en m’empêchant provisoirement de lui balancer une dernière cartouche qui, une peu plus tard dans la conversation, l’atteindra bien comme il faut.
« Bah tiens, tu peux bien parler... » je me moque, mauvais.
« Quoi donc... » il s’énerve…
« Ça te va bien de me faire la morale... toi qui baise tout ce qui bouge… ». Je n’arrive pas à croire que c’est moi qui balance ces mots, que je lui fais ce rentre dedans, que je le provoque sciemment. Est-ce bien l’alcool qui fait renaître mon amour propre et qui fait tomber mes inhibitions… ou bien, mes mots sortent-ils sous l’effet d’une quelque expérience récente ayant entraîné certaines prises de conscience vis-à-vis de moi-même ?
« Si t’as un truc à dire, vas-y… je t'écoute… » me lance-t-il, menaçant, en montant sur ses grands chevaux…
« C'est bien toi » je continue sans me démonter « qui n'a pas voulu baiser avec moi samedi dernier pour se faire un plan à quatre avec son meilleur pote et deux pétasses de la pire espèce... ».
De lieux en mieux, ma désinvolture frôle l’outrage… décidemment je n’arrive pas à croire que j’ai le cran de lui balancer ça comme ça, sur ce ton mutin et presque méprisant. Non, définitivement ce n’est pas que l’alcool seul qui parle… mais bien un début d’amour propre… une renaissance dont j’entrevois clairement les causes… une tête le labranoir s’affiche dans ma tête…
« C'est pas pareil... » me balance-t-il sèchement, sur un ton agressif, presque en gueulant.
Il est en train de monter en pression, mais il ne me fait plus peur. Deux mots s’affichent en grand dans ma tête. Merci Stéphane… ce dimanche n’a pas été vain… je ne suis plus le Nico d’avant… désormais… Jérém… ne pourra plus se foutre de ma gueule. J’ai enfin la force de lui tenir tête. Oui, Stéphane, ta force est avec moi…
Jérém accuse un nouveau coup. Touché une fois de plus, mais pas coulé. Le navire est bien gardé, ses défenses solides… je le vois pourtant vaciller… j’ai l’impression que la colère monte en lui et qu’il est prêt à exploser.
« Qu'est ce qui n'est pas pareil? » je demande… non, je ne lâche rien ; et j’enchaîne, m’engouffrant dans la brèche creusée par son silence et par son évidente absence d’arguments « je croyais que nous deux on baisait quand on avait envie et qu’après on baisait avec qui on voulait.... ».
Touché une nouvelle fois… le cuirassé Jérém tangue, chancelle sérieusement. De la fumée sort du pont… il y a le feu à bord… le bâtiment de guerre est mis à mal…
Le système de communication doit être touché, aucun signal radio ne vient… je sens que je suis en position de force, alors j’en profite pour mener à bien mon assaut… j’ai envie de frapper, j’ai envie de lui faire mal, je veux voir sa réaction, je veux le mettre devant lui-même, devant ses contradictions… le repousser dans ses derniers retranchements, le voir exploser… je me surprends à admettre à moi-même que, au fond, je cherche le clash… ou peut-être j’espère que Jérém, dans une sorte de rage désespérée va me balancer qu’il tient à moi… mais bon, ça, évidemment ça n’arrivera pas…
« De toute façon tu baises avec moi quand tu en as envie et quand ça te chante tu baises ailleurs… par conséquent, moi je baise avec toi que quand toi t’en as envie… et mes envies à moi, t’en fais quoi de mes envies à moi ? tu te fous de ce dont j’ai envie… comme samedi dernier, quand tu m’as jeté comme une merde… alors, pourquoi je ne baiserais pas moi aussi ailleurs comme ça me chante et surtout quand tu me lâches ? pourquoi je t’attendrais sagement quand tu préfères passer ta nuit avec quelqu’un d’autre ? ».
« Fiches moi la paix… putain… t'es rélou... ».
L’artillerie lourde est touchée aussi. La puissance de frappe est compromise. Le navire est désormais sur la défensive. Je ne peux plus m’arrêter. J’avance tout droit vers ma cible.
« Je ne te demande rien, tu sais… tu le sais que j'adore coucher avec toi... j’ai tout le temps envie de coucher avec toi… alors, quand l’envie te prend de me baiser, tu m’appelles… si je suis libre je viens… je vais te faire tout ce que tu veux, quand tu veux, ou tu veux, autant que tu veux… mais quand tu ne veux pas, surtout quand tu vas voir ailleurs et que tu le fais sous mes yeux... alors là, ne me demande surtout pas de t'attendre...
Je le vois s’énerver… touché une fois encore, j’ai l’impression que le navire a perdu le contrôle de sa trajectoire, qu’il dérive ; alors, comme un animal excité par le sang et par la peur de l’adversaire blessé, je continue, impitoyablement, cherchant l’angle de tir parfait pour mener le coup de grâce…
Insatiable dans ma vengeance, limite cruel, profitant pour la première fois d’une position de force vis-à-vis de mon con de beau brun, je décide de tenter un piège, une feinte… je veux faire durer mon « plaisir »… je vais l’obliger à sortir à découvert pour mieux le frapper… mon but est de le terrasser comme lui il m’a terrassé tant de fois…
« De toute façon, à t’entendre, il n’y a aucun mec qui pourrait être bien pour moi… le mec de la piscine non plus ce n’était pas un mec pour moi… mais ce n’est pas comme si tu avais ton mot à dire, Jérém… »
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Commentaires
C'est une des épisodes les plus difficiles à commenter. C'est comme le miroir de ce que Nico voit quand il se regarde.
Il est habité de honte et de culpabilité, deux sentiments, sans doute décuplés après sa rencontre avec Stéphane.
Sa honte remonte à loin et elle est liée à l'image que la société et les mecs de son école lui renvoie. La stigmatisation d'être un garçon qui a des envies de filles, ce qui, vu les expressions qu'il emploie, est assez transparent.
C'est cette honte pernicieuse qui lui fait accepter la façon dont Jérémy le traite.
La culpabilité est d’un ordre différent, moins grave, et elle se mesure quand il compare ce que Stéphane lui a montré et ce qu’il vit avec Jérémie. Elle vient du fait qu'il aime ce que Jérémie lui fait et qu'à chaque fois il en redemande.
Quelque part, il se pense mauvais.
Son problème est celui rencontré par une majorité de jeunes homos confrontés à deux lieux au sein desquels l’homosexualité est tabou : la famille – et il sait à quel point son choix va être pour ses parents une épreuve – et ses camarades d’école. D’ou un dilemme précoce qui doit s’étirer durant toutes les années de lycée : dissimuler ou être rejeté.
A cause de cet état d’attente, il n'y a eu aucune place pour les premiers émois dans le flirt, les premiers baisers, les premières caresses, à laquelle ont droit la majorité des adolescents.
Nico n’a eu aucune possibilité de se construire d’enveloppe de protection, juste une gangue entourant un secret, gangue qui ne demande qu’à éclater. Et c’est ce qui lui arrive quand il se retrouve dans la chambre de Jérém.
Il passe de rien, à tout. Un un instant, il a son premier rapport sexuel, il réalise qu’il est homo après ce passage à l’acte, il doit gérer ce problème de sida qui se rajoute là-dessus, et pire que tout, il tombe amoureux sans savoir ce que c’est.
Voilà tout ce qui lui est tombé sur la gueule en une après midi et il n’a personne pour en parler.
Je persiste à penser que Jérém qui a lui de l’expérience, se comporte comme un salo. Je ne lui vois pas d’excuses.
Par contre à la fin, je suis contant de lire cet échange savoureux ou enfin, Nico relève la tête, pendant que Jérém lui fait une scène de jalousie.
C’est très drôle et il était plus que temps.