• 0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 2).


    Mr Charles nous laisse pour aller s’occuper d’un client qui vient de sortir de l’ascenseur et de s’approcher de la réception.
    —    On se taquine, mais on s’adore, me glisse Dorian dès que le concierge s’est éloigné.
    —    Vous êtes très drôles, tous les deux.
    —    Mr Charles a beaucoup d’humour. C’est quelqu’un de très cultivé et de profondément généreux. Je lui dois beaucoup.
    —    Tu lui plais, je crois…
    —    Ouais, mais il a toujours été correct avec moi. Si j’avais été partant, il n’aurait pas dit non, mais il a toujours su que ça ne se ferait pas. Et ça n’a jamais été plus loin que des allusions amusantes.

    De retour dans ma chambre, j’allume la télé mais je finis par m’assoupir.
    Le radio-réveil affiche deux heures 38 minutes lorsque j’entends enfin la serrure se déverrouiller et porte s’ouvrir. Jérém est là.
    Aaaaarrrrffff, il a bu ! Je le vois dans son regard légèrement hébété, dans ses yeux perdus dans le vide, dans la lenteur de ses mouvements. Et dans les changements de sa tenue. Son blouson en cuir posé sur l’épaule et tenu par une main, sa jolie chemise désormais négligemment hors du pantalon, les manches froissées et approximativement retroussées, le col ouvert d’au moins trois boutons, laissant entrevoir une vaste portion de pilosité mâle. Une allure plutôt débraillée.
    En fait, il a cette allure que je lui connais depuis l’époque du lycée, celle qu’il endossait lors des sorties bien arrosées du week-end. Cet air qu’ont certains mecs au bout d’une soirée alcoolisée, l’esprit embrumé, la tristesse latente, la queue bandante, l’envie de baiser pressante. On dirait des fruits mûrs à point, prêts à être cueillis pour peu qu’on sache s’y prendre.
    Pour le coup, je devine qu’à ce stade d’alcoolémie, il n’est pas question de faire l’amour comme la nuit dernière. Il ne faut pas espérer des câlins, des caresses, des baisers, des mots doux, des « tu m’as manqué ». Non, dans ces conditions là, tout ce que je peux espérer, c’est une bonne vieille baise. Et ça, ça m’excite. Oui, l’idée de le sucer dans cet état, sans qu’il s’occupe de moi, comme au bon vieux temps de la rue de la Colombette, ça m’excite grave. C’est une autre nuance de la sexualité que nous partageons. Dans son allure d’hétéro éméché et en rut, il est irrésistiblement sexy. Et j’ai vraiment trop envie de le sucer.
    —    Salut, je lui lance.
    —    J’ai trop bu ! il lâche, en se laissant lourdement tomber sur le lit, juste à côté de moi.
    —    Dur, dur de faire la fête… je commente, sans pour autant obtenir de réponse.
    Il est tard, et je sais que demain matin il se lève de bonne heure. Mais j’ai furieusement envie de lui. Je l’embrasse. Il réagit à peine. Le Jérém alcoolisé va droit à l’essentiel.
    —    Baise-moi !
    Ça fait super longtemps qu’il ne m’a pas demandé ça. Et même si ce n’est pas exactement ce que j’avais imaginé, sa proposition m’enchante. Et avant que j’aie le temps de lui répondre, Jérém est déjà à poil, allongé sur le ventre, les cuisses musclées bien écartées, les fesses rebondies offertes sans pudeur.
    Me sentir glisser dans mon beau brun, faire l’amour à un gars aussi viril est juste incroyable. Prendre appui sur ses biceps rebondis pour donner plus d’élan à mes coups de reins, ça me rend dingue. Le sentir gémir son plaisir est une pure extase. Gicler entre ses fesses musclées, c’est le pied absolu. Et ça me rappelle au passage que même si je demeure un gars plutôt « passif », que si mon plus grand plaisir est de faire plaisir à Jérém, je peux prendre vraiment mon pied en étant « actif ».
    —    Suce-moi !
    Définitivement, cette nuit l’impératif est à l’honneur. Je me déboîte aussitôt de lui, je le prends dans ma bouche, je le suce avec entrain.
    —    Vas-y, avale !
    Et je le fais jouir comme il se doit.

    J’ai encore envie de faire l’amour avec lui, j’ai envie de le sentir en moi. Mais je sais que ce soir je n’aurai rien de plus de lui, même pas de câlins. Jérém glisse rapidement vers le sommeil.
    Dehors ça souffle toujours autant, le vent est comme enragé, le bruit des rafales est impressionnant.
    Je regarde Jérém dormir et je me dis que dans le sommeil, le jeune mâle plein de testostérone s’efface pour laisser apparaître un visage d’enfant, un visage d’ange. Il est si loin du rugbyman si à l’aise dans sa meute. Il a l’air si vulnérable.
    J’éteins la lumière et je me cale contre lui, heureux.

    Samedi 14 février 2004.

    7h20, le réveil du portable de Jérém sonne. Le beau brun se lève d’un coup, prend quelques affaires dans sa valise et part dans la salle de bain. J’entends le bruit de son urine qui tombe dans la cuvette, puis celui de la chasse d’eau. Aussi, le grésillement d’une tondeuse à barbe. J’écoute les bruits du matin. J’adore. J’entends l’eau couler. Jérém va prendre sa douche. Je ne veux pas rater ça.
    Je me lève, je m’approche de la salle de bain. La porte est entrebâillée, le petit sas d’entrée est plongé dans la pénombre, je ne risque pas de me faire repérer. Et quand bien même il me repérait, peut-être que ça l’amuserait, peut-être que ça l’exciterait, va savoir. En attendant, j’aime bien l’idée de le regarder se doucher, de le regarder à son insu.
    Jérém laisse l’eau couler longtemps, tremper ses beaux cheveux bruns, ruisseler de toute part sur sa peau mate. Sa queue est bien insolente, même au repos. Rien que de la voir, ça me donne déjà envie de me branler.
    Le beau brun coupe l’eau, saisit un petit flacon et fait gicler dans sa main une dose généreuse de shampooing. Il badigeonne ses cheveux, masse son cuir chevelu. Il saisit un autre flacon, il étale le gel douche sur son corps, il savonne ses pectoraux, il remonte ensuite vers les aisselles, les épaules, les bras, le cou, le visage. Il reprend une nouvelle dose, il descend vers les abdos, et s’attaque enfin à sa queue et à son fessier. Il termine avec les cuisses, les mollets, les pieds.
    Le bogoss se rince, la mousse glisse sur la perfection de sa plastique. Sa main gauche glisse sur sa bite et commence des va-et-vient lents et amples. L’autre main remonte pour exciter les tétons. Jérém est en train de se branler sous l’eau. J’ai très envie de me précipiter pour l’aider à se soulager. Mais le fait de le regarder se branler à son insu est une expérience très excitante. Terriblement frustrante, mais terriblement excitante. Faire irruption dans son intimité ne ferait que gâcher ce moment magique.
    Ainsi Jérém, le bogoss rugbyman, a besoin lui aussi de petits plaisirs solitaires. Se branle-t-il chaque matin ? Se branle-t-il à d’autres moments de la journée ?
    L’orgasme se dessine sur son visage, ses traits se crispent dans une grimace qui ne trompe pas, sa bouche s’ouvre pour laisser échapper des râles silencieux. Qu’est-ce qu’il est beau lorsqu’il jouit ! A quoi pense-t-il ? Quelles images se succèdent dans sa tête à l’approche de l’orgasme ?
    Jérém finir de se rincer, il sort de la cabine et se sèche avec une grande serviette. Je m’empresse de retourner au lit. Jérém sort peu après de la salle de bain, le torse enveloppé par un petit débardeur blanc bien tendu sur son torse solide. Ça donne le tournis. Et ce déo aux effluves poivrés qui flotte autour de lui me fait carrément chavirer l’esprit.
    —    Bonjour ! je lui lance, presque sous hypnose.
    —    Bonjour, il me répond. Je t’ai réveillé…
    —    J’ai le sommeil léger (et si tu savais comment ça a été profitable d’avoir le sommeil léger ce matin, si tu savais comment ça m’a excité de te regarder te branler sous la douche, petit coquin !)
    Le beau brun passe une chemise gris foncé avec des fines rayures blanches, ainsi qu’un beau jeans délavé. Je le regarde glisser son jeans le long de ses jambes musclées, faire disparaître le délicieux débardeur blanc derrière les boutons de sa chemise, enfiler le bas de cette dernière dans son jeans, fermer sa braguette bouton après bouton et enfin agrafer sa ceinture. Ce sont des gestes de mec, des gestes intimes que je ne me lasse pas d’observer.
    Le voilà habillé, tout beau, prêt pour démarrer sa journée.
    —    Ce matin nous avons un petit entraînement, il m’annonce. Le match est à 14 heures. Tiens, il enchaîne, en sortant une enveloppe de son sac de sport, c’est un ticket VIP, si ça te dit de venir.
    Je sens que ce geste n’est pas anodin, que ce « si ça te dit » est une invitation plus chaleureuse qu’elle ne se l’avoue. Je sais que ça lui ferait vraiment plaisir que j’aille le voir jouer. Et moi je suis ravi de pouvoir lui faire plaisir.
    —    Je ne raterai ça pour rien au monde !
    —    Cool, à tout, alors !
    —    Bon entraînement et merde pour le match !
    —    Merde, oui ! Il fait un temps de loups !
    —    Tu veux un bonnet ?
    —    T’en as un ?
    —    Oui ?
    —    Il va pas te manquer ?
    —    J’en ai un autre, je mens.
    —    Merci Ourson !
    Jérém se glisse sur moi et m’embrasse.
    Après son départ, je ne peux m’empêcher de me branler. L’orgasme qui s’en suit est intense, car c’est la délivrance de toute la tension érotique accumulée depuis l’épisode de la douche.

    Ce n’est qu’après avoir repris mes esprits que je réalise qu’aujourd’hui c’est la Saint Valentin et que je n’ai pas prévu de cadeau pour mon beau brun. Au fond, ça n’a pas d’importance. Je sais que Jérém n’est pas très sensible à ce genre de convention. Nous n’avons pas besoin d’une date commandée ou de cadeaux pour nous dire que nous nous aimons. Ce sont les actes qui comptent. Et les regards, les attitudes, ce qu’on ressent en présence de l’autre, et encore plus en l’absence de l’autre.
    Cela dit, j’ai quand même envie de lui faire un cadeau. Et je sais exactement ce que je vais lui offrir.
    Je passe à la douche à mon tour et je me fais couler un café à la machine expresso. Je manque de sommeil. Je me glisse une nouvelle fois sous la couette et je me rendors.

    C’est encore une rafale de vent d’une puissance extrême qui me réveille en sursaut. Définitivement, Biarritz veut attirer mon attention. Je regarde le radio-réveil, il indique dix heures.
    Je m’habille et je descends en vitesse. J’ai faim et il me reste encore quelques minutes pour profiter du petit déjeuner que j’ai raté la veille. Au restaurant, je suis le seul à me servir. Le buffet est copieux, il y a du sucré, du salé, tout a l’air bon et tentant, jus de fruit, confiture, jambon, saumon, pain grillé, salade de fruits, œufs, fruits frais, pain frais. Moi qui d’habitude ne mange presque rien le matin, j’ai envie de tout goûter.
    En revenant du petit déjeuner, je m’arrête un instant dans le hall de l’hôtel. Je suis toujours autant fasciné par cet endroit, cœur battant de la vie de cet établissement, ainsi que par la grande porte vitrée tournante brassant sans cesse de nouveaux clients, des nouveaux destins. C’est ça la vie d’hôtel, des gens qui partent, des gens qui arrivent. Un vieux monsieur quitte les lieux. Un beau mec brun d’une trentaine d’années débarque avec une nana qui doit être sa copine. L’espace d’un instant, je croise son regard. Il est souriant et charmeur.
    —    Bonjour Monsieur, tout se passe comme vous le voulez ? me demande Mr Charles.
    En fait, Mr Charles n’est pas un simple réceptionniste, mais un concierge, comme l’indique la plaque devant son poste.
    —    A merveille merci.
    —    Vous partez en balade ?
    —    Oui je vais faire un tour.
    —    La météo n’est pas clémente, il considère. Cela dit, Biarritz mérite d’être visitée malgré le mauvais temps. Et même, à certains égards, surtout par mauvais temps. Le charme de cette ville est beaucoup dans la puissance des éléments qui l’entourent.
    —    Je le pense aussi.
    —    Bonne balade !

    La porte vitrée est une sorte de passage spatio-temporel qui me fait passer en un instant d’un monde de confort idéal à un autre où règne le chaos. Le contraste est saisissant. Dedans il fait bon, il fait doux, il règne un calme apaisant. Dehors, il pleut, il fait horriblement froid, et le bruit du vent est assourdissant.
    Oui, c’est un véritable temps de loups. Mais la puissance des vagues qui remonte de la plage me happe littéralement. Quelques minutes plus tard, mes chaussures se posent sur le sable humide. Me voilà face à l’Océan, confronté à sa rage, au dragon rugissant des flammes. Ça n’a pas changé. Je n’ai pas changé. Je suis toujours un enfant de dix ans à la fois émerveillé, à la fois excité et intimidé par cette force de la nature.
    Les écumes s’agglutinent en bancs transversaux à la plage, orientés suivant la direction du vent. En quelques instants, les embruns ont rendu mon visage humide d’eau salée.

     

    0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 2).


    L’Océan de Biarritz me rappelle celui de Capbreton. Je repense aux jours de la convalescence de Jérém, aux petites victoires, aux jours difficiles. Je repense aux trajets entre mon appart et le Centre, je repense aux nuits clandestines dans sa chambre, à son deuxième accident pendant la rééducation, mais aussi à ses retrouvailles avec sa mère. Je repense à tous ces jours où j’ai été à ses côtés, à toute cette période difficile. Une période qui nous a fait prendre conscience des choses importantes de la vie, une période pendant laquelle nous avons franchi un cap, Jérém et moi.
    Je continue de marcher le long des vagues, sur le sable humide. J’avance en direction du phare et je me sens bien. Le Phare, qu’est-ce que c’est beau cet endroit ! Et la vue, sur la ville, sur les vagues, sur le large, c’est à couper le souffle. C’est un lieu qui dégage quelque chose de puissant, un caractère sauvage et indomptable qui ravit mon esprit.

     

    0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 2).


    Nous étions allés au phare lors de ce fameux voyage d’école. Et je sais aussi que ma grand-mère avait adoré cet endroit. C’est peut-être pour cela qu’il est si cher à mon cœur.
    Je reste un long moment à contempler la vue, tout en repensant à mon histoire de trois ans avec Jérém.
    Je reviens sur mes pas, mais par la route. Je dépasse l’Hôtel du Palais, je continue vers le Casino. Je descends vers le musée de la Mer. Je coupe à hauteur de l’église Sainte-Eugénie et je descends enfin retrouver le Rocher de la Vierge. Je la rencontre enfin, plus de dix ans après un souvenir d’enfance lié à un prof qui m’a marqué.

     

    0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 2).


    Depuis j’ai appris aussi que sur ce lieu a été prise la photo, la seule, du court voyage de noces de mes grands parents. Je devais avoir quinze ans quand je l’ai vue pour la première fois. Sur un cliché en noir et blanc que le temps avait un peu fané, je voyais mes grands-parents à vingt ans. Mes grands-parents, que j’ai toujours connus la soixantaine passée, retraités, plutôt grands-parents que parents, et encore moins jeunes mariés, prenaient religieusement la pose. Ce qui m’avait frappé en particulier, c’était leurs visages. Car cette photo avait immortalisé des visages d’enfants, des visages que le temps avait transformés, les rendant presque méconnaissables.
    Sur cette photo, j’avais découvert le regard espiègle de mon grand-père à 24 ans, et celui, timide, de ma grand-mère à 19 ans. C’était il y a près de 50 ans. Villefranche de Lauragais-Biarritz en ’55, pendant 4 jours. Un véritable exploit pour l’époque, surtout pour des paysans.
    Dans leurs regards, dans leur prestance, l’allure de leur jeunesse. Dans cette photo, l’annonce de cette nouvelle vie qui s’ouvrait devant eux ce jour-là. Dans leurs yeux, cette étincelle, cette flamme vive qui brille dans le regard des jeunes gens qui sont au sommet de leurs forces, qui ont plein d’espoirs, car la vie ne les a pas encore abîmés.
    A quoi aspiraient-ils à cet instant précis ? Quels rêves traversaient leurs esprits ? Est-ce qu’ils ont pu les réaliser ? Mais où sont donc passées cette jeunesse et cette insouciance, alors que je les ai toujours connus relativement âgés et désabusés ?
    Mr Charles a bien raison, Biarritz est magnifique à vivre même par mauvais temps, et surtout par mauvais temps, quand la puissance de l’océan qui gronde repousse l’esprit dans ses retranchements les plus reculés.
    Je quitte le Rocher et je remonte vers le centre-ville. Je trouve rapidement une boutique qui vend ce que je cherche. En choisissant le cadeau, je me dis que l’amour de mon beau brun comble mon cœur. A moins que ce ne soit l’amour que je lui porte. Avec Jérém, je ne me sens plus seul, tout me paraît plus beau et plus simple. Avec Jérém, je me sens en sécurité, protégé. Et ce cadeau que je viens de lui acheter, c’est tout ce qu’il représente pour moi.

    A l’hôtel, la porte vitrée continue de tourner, elle laisse rentrer des gens, elle en laisse sortir, c’est une sorte de carrefour situé à la croisée des chemins et des destins. Des touristes, des hommes d’affaires, vont et viennent avec leurs valises, avec leurs attentes, leurs soucis, leurs espoirs. Les téléphones de la réception sonnent, personne n’a le temps de répondre, ça parle dans pas mal de langues, dans un brouhaha continu. C’est effervescent, c’est stimulant l’ambiance d’un hôtel. Ça va, ça vient, ça bouge sans cesse. On y vient pour être bien, pour échapper au quotidien, pour se sentir pris en charge ou pour trouver un refuge. Pour changer d’horizon, pour fuir.
    Un groupe d’étrangers vient d’arriver. Lilian le beau réceptionniste et Mr Charles sont très occupés. Ce qui n’empêche pas ce dernier de laisser traîner des regards caressants sur le premier. Je crois que Mr Charles en pince vraiment beaucoup pour le beau brun frisé au regard incendiaire et au sourire carnassier.
    Quand il n’est pas absorbé par la contemplation de son jeune poulain déjà étalon, le vieux concierge s’emploie à mettre ses compétences et son métier à la disposition de ses clients, avec délicatesse, générosité et discrétion. Mais aussi avec humour, bonhomie, générosité et un sens exquis de la repartie. Rien de ce qui lui est demandé semble impossible à réaliser. Sa devise pourrait être « Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions », avec en conclusion la pleine satisfaction du client. Le service semble être pour lui comme un sacerdoce. Mieux que ça, c’est sa nature. On sent chez lui l’amour du travail bien fait et un sens inné du service.

    Ce week-end, le Stade Français rejoue contre l’équipe de Biarritz, un an après, jour pour jour, l’accident de Jérém. Je sais que mon beau brun a soif de revanche.
    Une heure avant le début du match, le stade s’anime. Deux grandes équipes du Top 16 s’affrontent ce samedi. L’effervescence des supporters augmente de minute en minute, ça produit une vibration comme avant le début du concert d’une grande star. Ça me donne un avant-goût de ce qui m’attend dans quelques mois à Lisbonne.
    C’est toujours une immense émotion de voir mon Jérém débouler sur la pelouse avec son équipe, en même temps que l’équipe adverse, tout ce déferlement de mâlitude est impressionnant.
    Dès l’entrée des joueurs sur le terrain, je reconnais parmi ceux de l’équipe de Biarritz le flanqueur qui a percuté mon beau brun lors du match de l’année dernière et qui a occasionné son terrible accident, ses nombreuses blessures et sa longue récupération.
    J’ai toujours le vertige en repensant à ce jour horrible. Je me souviens que je regardais le match avec Papa. On venait de se réconcilier, et de se retrouver. Et le destin avait voulu que mon bonheur soit de courte durée. Je me souviens de l’accident, de sa chute. Je me souviens de son expression de douleur lorsqu’il était au sol. Et je revois toujours ses larmes de désespoir, je me souviens de la panique dans son regard.
    Oui, le bel ailier revient de loin, de très loin. Ce retour sur le terrain est comme une renaissance.
    C’est la première fois que j’assiste à l’un de ses matches cette année. J’ai suivi tous ses exploits à la télé, mais y assister en vrai, ça prend une autre dimension. Je suis tellement heureux de le revoir dans son maillot, beau comme un Dieu, de le revoir courir, marquer des points, se faire acclamer par les supporters et contribuer de façon déterminante à offrir au Stade une belle victoire face aux Biarrots.
    Lorsque le match se termine, une scène inattendue se produit. Le numéro 7 de l’équipe biarrote, le troisième ligne responsable de l’accident de l’année dernière, s’approche de mon beau brun.
    Jérém affiche un air surpris. Le gars avance jusqu’à lui faire face à quelques dizaines de centimètres. Et, visiblement, il s’adresse à lui directement. Des joueurs, tous maillots confondus, les entourent. La scène ne dure que quelques instants. Jusqu’à ce que le gars tende sa main à Jérém. Ce dernier la saisit. Les deux équipes, désormais agglutinées quasiment au complet autour des deux joueurs, applaudissent la scène. Le stade tout entier applaudit ce qui vient de se passer. Et sa vibration, son énergie, décuple l’émotion de l’instant.
    Le père de Jérém est dans le public et vient me saluer.
     

    Après une accalmie providentielle pendant le match, la pluie et le vent reprennent de plus belle en fin d’après-midi. En attendant le retour de Jérém, je rentre au chaud à l’hôtel.
    —    J’imagine que vous attendez la fin de la troisième mi-temps, plaisante Mr Charles lorsque je redescends pour dîner.
    —    Gagné !
    —    Hélas, la troisième mi-temps n’a pas de durée réglementaire ! il ajoute.
    —    C’est clair !
    —    Si vous n’avez rien de mieux à faire, venez me voir vers 23 heures. Je serai en train d’attendre un petit groupe d’Américains qui aura certainement du retard. Si ça vous tente, nous pourrons discuter un peu autour d’un verre. Enfin, si ça vous tente de tenir compagnie à un vieux monsieur. Ce sera en tout bien tout honneur, ne craignez rien ! il s’empresse d’ajouter avec un sourire malicieux.
    Ne sachant pas quoi répondre à sa boutade, je me limite à en rire. La perspective de connaître un peu mieux ce curieux personnage ne me déplaît pas. Ce sera une façon agréable d’occuper le temps en attendant le retour de Jérém.

    Comme convenu, je retrouve Mr Charles plus tard dans la soirée.
    —    Ils viennent de me prévenir qu’ils ont déjà une heure de retard. Ils ne seront pas là avant 1 heure, m’annonce le vieux concierge.
    —    Mais vous êtes vraiment obligé de les attendre ? Le veilleur de nuit ne peut pas s’en charger ?
    —    Ce sont des clients, mais aussi des amis. Je les connais depuis Giscard et je tiens à être là pour les accueillir. Mais allons plutôt prendre un verre et discuter un peu.
    Nous nous installons à une table située dans un coin de la salle du bar. C’est le coin le plus éloigné de l’entrée et du comptoir, l’endroit le plus tranquille. La salle est vide à cette heure. Le barman, qui n’est pas Dorian, vient prendre nos commandes et nous sert dans la foulée.
    —    Vous m’êtes sympa, Mr Nicolas.
    —    Merci, je vous trouve également très avenant.
    —    Vous me flattez, cher ami ! avant d’ajouter : Que pensez-vous si on se tutoyait ?
    —    Je pense que ce serait une bonne idée.
    —    Alors je peux te tutoyer, Nicolas.
    —    Vous pouvez.
    —    Tu continues à me vouvoyer.
    —    Désolé… c’est l’habitude…
    —    D’accord, je pourrais être ton grand-père. Mais nous jouons dans la même équipe, mon cher ami. Alors, je pense que cela nous rapproche davantage que notre différence d’âge nous éloigne. Nous sommes comme deux compatriotes qui se rencontrent en terre étrangère. C’est agréable, car nous savons d’emblée à quoi s’en tenir.
    C’est la première fois que je me retrouve en tête à tête avec Monsieur Charles. Et je dois bien avouer que je suis impressionné par son élégance distinguée. Une élégance de la tenue, certes, mais aussi des manières, des mots. Et, en amont de tout cela, une élégance naturelle.
    Je suis également intimidé par son âge, son expérience, son recul sur la vie. Et par tout ce qu’il représente, un vieil homme qui aime les hommes et qui ne s’en cache pas vraiment.
    Je suis un peu dérouté par son franc parler, par cette familiarité, par cette proximité qu’il semble vouloir installer entre nous au bout de quelques échanges à peine. Au fond, nous sommes des inconnus. Certes, il est souvent plus facile de s’ouvrir à des inconnus qu’à des proches. Peut-être que Mr Charles a tout simplement besoin d’un public.
    Cependant, je ne peux m’empêcher de ressentir un petit malaise vis-à-vis de son éloquence caressante, chargée de sous-entendus silencieux que ses yeux pétillants se chargent de ponctuer. Car il me semble que le concierge est un séducteur dans l’âme. C’est une présence, la sienne, qui enveloppe, qui cherche à posséder.
    Mais je finis par repenser à sa formule de tout à l’heure « en tout bien tout honneur », et je me dis que je n’ai pas de raison de me sentir mal à l’aise.
    —    Tu as raison, je finis par lâcher, va pour le tutoiement.
    —    Bien, on y arrive enfin. Alors, raconte-moi, comment ça se passe avec ton rugbyman ?
    —    Plutôt bien. C’est lui qui m’a invité à le rejoindre ici. Je ne m’y attendais pas.
    —    Il prend quand même un sacré risque. Tu devais vraiment lui manquer.
    —    Ça faisait depuis le jour de l’An qu’on ne s’était pas vus.
    —    Ah oui, quand-même ! A votre âge, avec vos hormones, un mois et demi, ça fait long !
    —    C’est clair !
    —    Car tu es amoureux de lui, n’est-ce pas ?
    —    Je l’ai été au premier instant où je l'ai vu dans la cour du lycée.
    —    Parce qu'il était beau ?
    —    Sur le coup, je l’ai regardé parce qu’il était déjà le plus beau garçon du lycée. Je ne voyais que lui dans la cour. Mais dès l’instant où j’ai croisé son regard, j’ai su qu’il n’y avait pas que l’attirance. Ce premier regard, m’a foudroyé. Car il a fait battre mon cœur d’une façon dont il n’avait jamais encore battu, jamais, pour aucun autre garçon.
    —    C’est beau ce que tu racontes, mon ami !
    —    Et lui, est-ce qu’il t’aime ?
    —    Je crois bien, oui.
    —    Remarque, il ne t’aurait pas fait venir ici s’il ne tenait pas à toi.
    —    Les très beaux garçons ne font en général pas d’efforts, ni au lit, ni dans les relations, car ils ont tendance à considérer que tout leur est acquis. Sauf, peut-être, quand ils sont amoureux.

    Mr Charles me raconte alors ses premiers émois en regardant des ouvriers qui travaillaient sur la route pendant l’été, le dégout de soi-même, son besoin de partir, très tôt.
    —    Je savais que je ne pourrais jamais vivre comme je l’entendais en restant dans mon village. L’idée de me marier me rendait malade. Partir, c’était vital pour moi.
    Il me raconte son arrivée à Biarritz en 1949, alors qu’il n’était même pas majeur. Les premiers boulots dans l’hôtellerie, les lectures qui l’ont aidé à prendre conscience de sa différence.
    —     Il n’y avait pas beaucoup de références gays à l’époque, pas d’assos, pas d’information, pas de visibilité. Je me souviens que le seul personnage gay que j’avais rencontré dans un livre, c’était le Baron de Charlus dans la Recherche de Proust.
    —    Mais en même temps, je me faisais de ce personnage l’idée d’un vieux pervers solitaire et isolé, ce qui ne me donnait pas une image très reluisante de l’homosexualité.
    Mr Charles me raconte le désir gâché par la pudeur coupable d’approcher un corps d’homme, les rencontres fugaces, toujours sur le qui-vive, les poulets pouvant débarquer à tout moment et embarquer les pédérastes. La peur également de se faire tabasser. Le côté dégradant de ces rencontres, qui laissaient derrière elles un dégoût de soi encore plus fort.
    Je fais évidemment le parallèle avec l’histoire d’Albert, l’homosexualité comme une honte, une maladie, un délit. Le départ de chez soi pour ne pas étouffer. La peur constante, le danger d’oser être soir même.
    Le monde n’aime pas la différence. Tout ce qui ne rentre pas dans de grandes cases fait désordre.

    —    Est-ce qu’il y a eu un garçon qui a compté plus que les autres ? j’ai envie de savoir.
    —    Oui, il y a bien eu un garçon qui a compté plus que les autres. Il s’appelait Johan, c’était un guide allemand qui venait à Biarritz tous les ans avec des groupes de touristes. C’était en 1961, j’avais 30 ans, il en avait 27. On se voyait un peu l’été, quand il passait au Pays Basque. Le reste du temps, nous nous écrivions des lettres. Nous avons passé quelques vacances ensemble, pendant l’hiver, en Italie, en Espagne, comme un vrai petit couple.
    —    Johan a beaucoup compté pour moi, car il a été le remède à ma honte. Il m’a sauvé. Car il m’a fait retrouver la dignité que j’avais perdue le jour où j’ai su qui j'étais. Il m’a montré que l’amour entre garçons peut être beau et pur et non pas sale et dégradant. Johan a donné un but à ma vie. Maintenant, je n’ai plus de but véritable.
    —    Et qu’est-ce qu’est devenu ce garçon ?
    —    Un jour, il m’a annoncé qu’il partait s’installer au Québec. Il m’a demandé de partir avec lui. J’ai hésité, car c’était un immense saut vers l’inconnu. Au final, je n’ai pas eu le cran d’accepter sa proposition. C’est le plus grand regret de ma vie. La distance a fait que nous sommes perdus de vue. Je m’en suis voulu très longtemps. Et je crois bien que je m’en veux toujours. Si c’était à refaire, je le suivrais sans hésiter. J’ai laissé passer cette occasion. Il n’y en a pas eu d’autres aussi belles par la suite.
    —    Nicolas, j’espère que tu mesures la chance d’avoir rencontré un gars comme Jérémie ! il enchaîne sans transition.
    —    Je la mesure chaque jour.
    —    Si tu l’aimes, ne le lâche pas.
    —    Je ne compte pas le lâcher !
    —    Tu sais, Nicolas, il n’y a rien de pire que la solitude. Tu vois, aujourd’hui, j’ai tout ce dont j’ai besoin, un travail dans lequel je m’épanouis, des amis, un confort matériel plus que suffisant pour assurer mes vieux jours. Mais quand je rentre chez moi, personne ne m’attend. Ce qui me manque, c’est d’avoir quelqu’un dans ma vie.
    —    Peu importe s’il n’y a pas de sexe, je serais même prêt à accepter qu’il aille voir ailleurs s’il le souhaite. Le sexe est important quand on est jeunes. Mais quand on avance dans l’âge, on se rend compte qu’il y a plus important. De toute façon, le corps ne suit plus, et l’esprit a d’autres besoins.
    —    Aujourd’hui, je cherche de la tendresse, un peu de complicité, quelques souvenirs communs. J’ai envie de partager un bon repas, un bon film, un concert de musique classique. Je voudrais quelqu’un qui soit à mes côtés quand j'aurai besoin de lui, et qui me permette d’être à ses côtés quand il aura besoin de moi. Quand on a quelqu'un à ses côtés, le quotidien semble plus léger. Le poids de l’existence est plus facile à porter.
    —    C’est bien vrai, ça, je réfléchis à haute voix.
    —    Tu vois, Nicolas, j’ai largement l’âge de prendre ma retraite. Mais je n’ai pas vraiment envie d’arrêter de bosser. Prendre ma retraite, pour faire quoi ? Me retrouver seul comme un con chez moi ?
    —    Car, aujourd’hui, il ne me reste que ce travail. Le temps passe si vite. Nous avons tous tendance à considérer que nous aurons le temps d’aimer et d’être aimés. De dire « je t’aime » au gens que nous aimons, et de le leur montrer. Mais en réalité nous ne savons rien de ce que le destin nous réserve.
    —    Il ne faut pas se laisser happer par le quotidien, par la course du temps. Il faut savoir discerner les choses importantes de la vie, ce sont en général celles qui nous rendent heureux. Il faut vivre et aimer, sans attendre, sans se laisser envahir par ce qui est superflu. Il faut aussi un peu de chance. La chance, il faut parfois savoir la provoquer. Et il faut surtout la reconnaître et la saisir dès qu’elle pointe le bout de son nez.
    —    Je suis admiratif de votre sagesse, je finis par admettre.
    —    Il n’y a pas de quoi. Je ne suis qu’un vieux con qui pleurniche sur ses erreurs passées.
    —    Vous êtes un grand Monsieur.
    —    Arrête, tu vas me faire rougir…

    Sur ce, un groupe de rugbyman du Stade rentre dans le bar accompagné de quelques nanas plutôt voyantes, bien sapées, très maquillées, des cailles de compet’.
    —    Regarde-les, ces grands couillons ! me glisse Mr Charles discrètement. Ils dépensent sans compter en espérant recevoir de ces greluches ce qu’on leur donnerait gracieusement et avec un tout autre entrain !
    —    C’est clair, je le seconde, amusé.
    —    Je mettrais ma main à couper qu’elles ne savent même pas sucer correctement !
    Le veilleur de nuit vient annoncer à Mr Charles que ses habitués ont appelés et qu’ils ne vont pas tarder à être là.
    —    Je dois te laisser mon cher ami. J’ai pris beaucoup de plaisir à discuter avec toi. Si tu repasses par Biarritz, reviens me voir.
    —    J’ai également passé une très bonne soirée.
    —    Prends soin de toi et de ton rugbyman ! Et rappelle-toi que le bonheur c’est surtout ne pas traverser cette vie tout seul. Le bonheur, c’est aimer. Le bonheur, c’est savoir qu’on est l’Elu du cœur de quelqu’un.
    —    Prenez soin de vous, Mr Charles !
    —    Nous nous reverrons bientôt, Nicolas. Et rappelle-toi toujours que la vie est un bien perdu quand on n'a pas vécu comme on l'aurait voulu.

    Je me sens tout remué par les confidences de Mr Charles. Le vieux concierge m’a permis de plonger dans son intimité, dans sa difficile quête du bonheur, dans ses joies passées, dans sa solitude présente, dans sa jeunesse, dans sa vieillesse, et il m’a vraiment touché. Oui, je mesure ma chance de vivre dans une époque – et dans un pays – où, même si tout n’est pas parfait, même si le chemin de la tolérance, et tout simplement du bon sens, a encore de belles bornes à dérouler, les choses sont moins difficiles pour les gars comme moi. Et je mesure par-dessus tout la chance d’être l’Ourson d’un P’tit Loup qui va bientôt me rejoindre, me faire l’amour, et me serrer très fort contre lui.

    A mon arrivée dans la chambre, le radio réveil indique minuit quarante. J’ai tout juste le temps de m’allonger sur le lit et d’allumer la télé, que déjà j’entends la porte s’ouvrir. Le beau brun se déchausse, ses pas sur la moquette font un bruit léger, on dirait celui d’un chat. Il s’approche de moi, sans un mot, mais sans me quitter du regard. Il se penche sur moi et il m’embrasse, longuement. Je suis le garçon le plus heureux de la terre.
    —    Tu reviens de bonne heure, je lui glisse, dès que ses lèvres me laissent un instant de répit.
    —    Je m’ennuyais…
    —    Ah bon ? Tu t’ennuyais à une troisième mi-temps au Pays basque ?
    —    Je m’ennuyais de toi, imbécile !
    J’ai envie de pleurer de bonheur.
    —    Tu me manquais aussi, beaucoup !
    —    Joyeuse Saint Valentin, Ourson !
    Ce garçon ne finira jamais de me surprendre. Moi qui croyais qu’il n’était pas du tout sensible à ce genre de convention, il m’épate.
    —    Joyeuse Saint Valentin aussi, P’tit Loup !
    —    Je n’ai rien prévu comme cadeau, désolé, il s’excuse.
    —    Le cadeau, c’est toi ! Le cadeau c’est ça, m’avoir invité à venir à Biarritz !
    Un instant plus tard, je lui tends le petit sac papier contenant mon cadeau.
    —    Tiens !
    —    Il fallait pas…
    —    Si, il le fallait !
    Jérém plonge sa main dans le sac et en retire lentement le bonnet et l’écharpe que je lui ai achetés le matin même.
    —    Ooooh… merci, Ourson !
    —    Ce n’est pas grand-chose…
    —    Si, c’est un beau cadeau !
    —    J’ai pas eu trop de mal à le choisir. En fait, ce cadeau me fait penser à toi.
    —    Comment, ça ?
    —    Tu es mon bonnet, tu es mon écharpe…
    —    Ah, bon ? il me lance, mi amusé, mi étonné.
    —    Quand je suis avec toi, je suis bien, je continue. Quand je suis dans tes bras, j’ai l’impression qu’aucune tempête ne peut m’atteindre. Avec toi, je me sens en sécurité et…
    —    Avec toi, je ne me sens plus seul, il me coupe. Même quand tu es loin.

    Cette nuit-là, Jérém a voulu tester ses cadeaux. Ainsi, nous sommes partis nous balader sur la plage en pleine nuit. Nous avons marché lentement en direction du phare. Nous avons affronté le vrombissement des vagues puissantes, la rage de l'océan déchaîné. Et j’ai réalisé qu’ils étaient moins impressionnants quand on les affrontait à deux.
    Nous avons marché longuement en silence. Puis, Jérém s’est arrêté de marcher. Il m’a pris par la main, il a pivoté d’un demi-tour, et il s’est dressé face à moi, emmitouflé dans le bonnet et l’écharpe que je venais de lui offrir. Il m’a serré contre lui, il m’a embrassé. Je me suis senti aimé, je me suis senti en sécurité. J’ai senti la puissance de son étreinte autour de mon corps et j’ai eu l’impression que rien ne pourrait m’arriver. J’ai eu l’impression, ou plutôt ressenti la certitude au plus profond de moi, que quoi qu’il arrive, nous serons toujours là l’un pour l’autre. Que nous serons toujours quelqu’un de spécial l’un pour l’autre. Qu’il sera toujours mon P’tit Loup, que je serai toujours son Ourson. Cela m’a apparu comme une certitude, comme une évidence que rien ni personne ne pourrait effacer. Et ça m’a réchauffé le cœur.

    Dimanche 15 février 2004.

    Les vingt-quatre heures qui ont suivi cette nuit ont défilé à une vitesse folle, aspirées dans un tourbillon d’images, de mots, de sensations, de sentiments, de parfums, de goûts, de sons, de bonheur total.
    Nous avons loué une voiture et nous sommes partis à la découverte du Pays basque. La météo restait, certes, grise et maussade. Mais dans mon cœur, le soleil brillait plus que jamais. Et je crois que dans celui de Jérém aussi.
    Nous avons traversé quelques lieux de toute beauté, Sare, Ainhoa, Saint Jean de Luz

     

    0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 2).

     

    0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 2).

     

    Nous aurions voulu emprunter le petit train de la Rhune, mais il était à l’arrêt à cette période de l’année. A Espelette, ce village aux maisons décorées avec des grappes de piment en train de sécher, nous avons fait une halte pour boire un café. A la table juste à côté de la nôtre, j’ai remarqué un couple de garçons, l’un avec des lunettes, l’autre un peu dégarni. Ce dernier essayait tant bien que mal de maîtriser un beau labrador noir au collier rouge qui n’avait pas du tout l’air d’avoir l’habitude d’être tenu en laisse.
    Les deux garçons discutaient d’une randonnée à cheval sur le Sentier des Contrebandiers, un périple que le mec à lunettes était apparemment en train de préparer avec des amis. Au fil de leurs échanges, j’ai cru comprendre qu’ils vivaient ensemble. Je me souviens les avoir enviés. Et de m’être demandé : est-ce que Jérém et moi y arriverons un jour ?
    Le labrador noir avait fini par poser son museau sur la cuisse du mec dégarni. Il avait un regard plein de douceur et de tendresse qui aurait fait fondre toute une banquise. Les deux garçons l’avaient regardé, ils s’étaient regardés, et ils avaient éclaté de rire. Je me souviens d’avoir pensé qu’ils formaient un joli couple et qu’ils avaient l’air d’être heureux ensemble.

    Lundi 16 février 2004.

    De ce dernier matin à Biarritz, je garde le souvenir d’une accolade interminable, de tendres baisers. Mais aussi de la tristesse de Jérém, qui ressemble tellement à la mienne.
    Le ciel est gris, le temps est mauvais ce matin sur le Pays basque. Tout comme il l’était il y a trois jours, lorsque je venais retrouver mon P’tit Loup. Mais alors qu’à mon arrivé cette violence des éléments n’avait aucune prise sur mon bonheur (au contraire, il le rendait encore plus fort, par contraste), ce matin, au moment où je m’éloigne du Rocher de la Vierge, où je m’éloigne de Jérém, elle rend ma détresse encore plus déchirante.
    Ce garçon a pris mon cœur, il l’a pris il y a bien longtemps. Et il l’a pris pour toujours.
    Lorsque j’arrive à Bordeaux, les photos de l’« idylle basque » de Tommasi avec Anaïs R., candidate d’émission de téléréalité fraîchement éliminée par le vote du public, sont déjà dans la presse. Ça me fait sourire. Si les gens qui lisent cela savaient à quel point les apparences sont trompeuses !
    De retour chez moi, la radio diffuse une chanson qui vient tout juste de sortir :


     

    Cette chanson me touche profondément. Car elle parle d’un endroit « que nous seuls connaissons » et « qui n’appartient qu’à nous ». Jérém et moi avons ce genre de lieux. Nous en avons même plusieurs. L’appart de la rue de la Colombette, la petite maison à Campan, et désormais le Pays Basque.
    Et puis, il y a ce que nous sommes l’un pour l’autre. Et ce quelque chose n’appartient vraiment qu’à nous et à nous seuls.
    Je repenserai souvent par la suite à ce voyage à Biarritz, j’y repenserai comme d’un instant magique de ma vie. Un moment qui représente une sérénité, une joie, un bonheur qui m’ont quitté il y a bien longtemps.


    Jérém & Nico reviennent en janvier 2023.

    En attendant, je vous souhaite à toutes et à tous de très bonnes fêtes de fin d'année.

    Fabien

     

    0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 2).


  • Commentaires

    1
    Tds31
    Vendredi 23 Décembre 2022 à 20:36
    Tout d abord joyeuses fêtes de fin d'année à vous. Quel plaisir de vous lire, je connaît biarritz et j avais l impression de m y promener. Voir nos deux amoureux, si heureux et si proche, est un vrai bonheur. A l année prochaine pour de nouvelles aventures
      • Mercredi 28 Décembre 2022 à 18:30

        Merci beaucoup pour ton commentaire et très bonnes fêtes de fin d'année !

        Fabien

    2
    Sophie
    Vendredi 23 Décembre 2022 à 21:45

    Bonnes fêtes à toi aussi Fabien, et merci pour cette merveilleuse histoire d'amour que tu nous offres depuis toutes ces années, sans jamais nous lasser.

     

      • Mercredi 28 Décembre 2022 à 18:31

        Je prends beaucoup de plaisir à faire vivre mes deux loulous. Très content de pouvoir transmettre un peu de ce plaisir.

        Fabien

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    3
    Yann
    Samedi 24 Décembre 2022 à 11:25

    Tout d'abord bonnes fêtes à toutes celles et ceux qui suivent cette histoire et à son auteur.

    C'est un pur bonheur de voir nos deux garçons filer le parfait amour surtout après toutes les épreuves que Jérém a traversé.

    Au travers du personnage de Mr Charles, qui n'est pas tout à fait de fiction puisque c'est un hommage que Fabien a souhaité rendre à un ami disparu, se dégage une grande bienveillance et beaucoup de réalisme lorsqu'il parle de sa jeunesse, de l'amour, de ses regrets, de sa solitude…

    Jeune, par ignorance de la vie, on ne sait pas faire la différence entre l'amour et l'attirance physique. Ce n'est que, comme Jérém, quand on s'ennuie de quelqu'un qu'on est vraiment amoureux. C'est aussi comme le dit Mr Charles, ce que l'on continue à éprouver pour l'autre quand jeunesse et beauté ne sont plus que des souvenirs.

      • Mercredi 28 Décembre 2022 à 18:32

        Merci Yann pour la régularité et la sensibilité de tes commentaires. Bonnes fêtes à toi.

        Fabien

         

    4
    gebl
    Mardi 27 Décembre 2022 à 12:56

    Bonnes fêtes de fin d'année, que l'amour vous accompagne longtemps

    merci Fabien, cette histoire est belle, dans son contenu , belle à lire, belle dans les émotions

    Bon,  elle coûteuse en mouchoirs :  "   Avec toi, je ne me sens plus seul, il me coupe. Même quand tu es loin "

    Ce propos de Jeremy  c'est "WAOUH"

     

    Fabien ,  ave cette histoire tu m'as fait prendre conscience  que si le sexe entre hommes pouvait être très jouissif , l'amour pouvait être intense aussi.

    Ce qui est drôle pour moi , c'est qu' en // de ce récit , j'ai rencontré un bien nommé Jérémy qui concrètement a chamboulé mon approche sexuelle de mes rapports aux hommes  pour me rendre amoureux .

    Cette  histoire de Jerem et Nico est un repère de m avie 

    merci  

     

      • Mercredi 28 Décembre 2022 à 18:34

        Gebl, je suis vraiment touché par ton commentaire. Merci de parler de façon si personnelle de tes ressentis vis-à-vis de mon histoire.

        Fabien

      • Mercredi 28 Décembre 2022 à 18:35

        Une fois de plus, bonnes fêtes à vous tous, bonne année 2023.

        PS : merci à FanB pour ses corrections, son engagement, son soutien, son amitié.

        Fabien

    5
    Etienne
    Mardi 3 Janvier 2023 à 09:11

    Merci Fabien pour ces deux épisodes pleins d'émotions, de complicité entre les deux "loulous", comme tu les appelles.

    Bonne année à tou.te.s !

    Etienne

    6
    Yann
    Mercredi 4 Janvier 2023 à 08:48

    Très bonne et heureuse année à toutes et tous.

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